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Le Conseil constitutionnel a censuré 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, qui comptait 86 articles, pour un motif de procédure. C’est ce que l’on appelle des « cavaliers législatifs ».
Il a censuré en au fond, partiellement ou totalement, 3 des articles de la loi immigration.
Il a en outre assorti de réserves d’interprétation 2 autres articles de cette loi.
Enfin, il a déclaré partiellement ou totalement conformes à la Constitution 10 articles de la loi immigration.
Le Conseil constitutionnel a censuré 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration en considérant qu’il s’agissait de « cavaliers législatifs ». Il s’agit, pour la plupart, des mesures qui avaient été ajoutées au texte initial par amendement par la droite au Parlement (limitation du regroupement familial, restriction sur les titres de séjour étudiants avec une nouvelle caution, restriction des prestations sociales, de l’AME, fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France, etc.).
Les cavaliers législatifs sont des dispositions étrangères, par leur nature, au domaine de la loi votée et donc irrégulièrement introduits en son sein pour des raisons d’opportunité.
Lorsqu’une disposition de la loi est considérée comme un « cavalier législatif », le Conseil constitutionnel la censure en considérant qu’elle n’avait rien à faire dans la loi en question.
C’est une raison de procédure qui a conduit le Conseil constitutionnel à considérer 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration comme des « cavaliers législatifs ». Les Sages ont en effet estimé que ces dispositions avaient été introduites dans la loi par des amendements, alors même qu’il n’y avait aucun lien entre l’objet de ces amendements et celui de l’une au moins des dispositions du texte initial de la loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie.
Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions ne pouvaient donc pas être votées au sein de la loi immigration, car elles n’avaient pas été envisagées dans le texte initial, mais rajoutées par la suite irrégulièrement dans le texte par voie d’amendement.
Mais attention, la censure de ces « cavaliers législatifs » ne préjuge pas de l’inconstitutionnalité des mesures qu’ils comportent. En effet, lorsqu’il écarte une disposition comme « cavalier législatif », il ne faut pas en déduire que le Conseil constitutionnel prononce l’inconstitutionnalité de la mesure. C’est un simple motif procédural de censure.
Les dispositions de la loi immigration écartées par le Conseil constitutionnel en tant que « cavaliers législatifs » pourraient donc tout à fait à l’avenir figurer dans un autre texte de loi voté par le Parlement… et sur lequel le Conseil constitutionnel pourrait à nouveau avoir à se prononcer.
Les 32 « cavaliers législatifs » écartés de la loi immigration par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024 pourront donc à l’avenir faire l’objet d’une nouvelle loi… à condition qu’une majorité vote le nouveau texte.
Le Président de la République pourrait également choisir de réintroduire ces mesures, mais par voie réglementaire et non législative. Le choix entre l’article 34 et l’article 37 de la Constitution n’est toutefois pas toujours possible et il faudra donc voir la rédaction modifiée, disposition par disposition, si cette option est choisie. Lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, le Président de la République a laissé entendre qu’il souhaitait privilégier la voie réglementaire à l’avenir, ne disposant plus de la majorité absolue au Parlement, donc cette option n’est pas à exclure pour certaines des dispositions censurées. Dans le cas d’un texte réglementaire qui reprendrait certaines des mesures, ce serait alors le Conseil d’État qui pourrait être amené à se prononcer sur leur constitutionnalité.
Enfin, un référendum est exclu en la matière, dans la mesure où l'article 11 de la Constitution ne prévoit pas la possibilité de soumettre au vote des français les projets de loi portant sur l'immigration... sauf à modifier la rédaction de cet article ce qui impliquerait une révision constitutionnelle.
Une disposition déclarée inconstitutionnelle au fond par le Conseil Constitutionnel ne peut être promulguée ni mise en application.
Les articles de la loi immigration qui ont été censurés au fond par le Conseil constitutionnel ne peuvent donc plus être promulgués tels quels par le Président de la République ni mis en application, à savoir :
Le Président de la République a donc désormais le choix entre trois possibilités :
Le Conseil constitutionnel a assorti de réserves d’interprétation la déclaration de conformité à la Constitution des articles 14 (restriction pendant un an des nouvelles demandes d’admission au séjour après un premier refus) et 42 (sur la durée de l’assignation à résidence) de la loi immigration.
Les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel ne bloquent pas la promulgation du texte ni son entrée en vigueur. En revanche, elles bénéficient de l’autorité de la chose interprétée et se trouvent en quelque sorte incorporées à la loi.
Les articles 14 et 42 de la loi immigration pourront donc être promulgués par le Président de la République et pourront entrer en vigueur, mais seulement dans le sens que leur a donné le Conseil constitutionnel. Ceci est en général explicité dans les circulaires d’application de la loi, qui reprennent l’interprétation impérative donnée par le Conseil constitutionnel.
La saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation de la loi (article 61 de la Constitution). La loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ne pouvait donc pas être promulguée par le Président de la République jusqu’à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024.
En revanche, une fois que le Conseil constitutionnel a rendu sa décision, les articles validés par les Sages peuvent à nouveau être promulgués par le Président de la République en application de l’article 10 de la Constitution.
Le Président de la République est donc libre de promulguer les 10 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration qui ont été validés par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024. La publication des 10 articles de la loi au Journal officiel de la République française (JORF) permettra ensuite leur entrée en vigueur.
Non.
En application de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours.
La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est donc définitive et n’est susceptible d’aucun recours.
Non.
En application de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration s'impose donc dans toutes ses dispositions aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
L’exécutif ne peut donc pas passer outre la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi immigration et est tenu de la respecter.
Non.
La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est fondée en droit et n’est pas politisée.
Ceci signifie qu’un motif juridique figure au sein de la décision rendue par le Conseil constitutionnel pour censurer tel ou tel article de la loi, le valider ou émettre une réserve d’interprétation.
Les censures au fond des articles de la loi immigration ont été fondées en droit par le Conseil constitutionnel :
De la même manière, les censures des articles de la loi immigration pour un motif procédural « les cavaliers législatifs » sont fondés en droit sur la violation du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution qui dispose que « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».
Ce sont donc des motifs juridiques qui ont permis au Conseil constitutionnel de censurer au fond et pour une raison de procédure des dispositions de la loi immigration.
Non.
Le Conseil constitutionnel ne s’occupe pas de politique. La loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est un texte de loi parmi tant d’autres sur lesquels le Conseil est amené à se prononcer.
L’indépendance du Conseil constitutionnel est parfaitement garantie par sa composition, puisque c’est un organe collégial de neuf membres d’horizons divers.
Le mandat des Sages dure neuf ans et n’est pas renouvelable ce qui est un gage supplémentaire d’indépendance (article 56 de la Constitution). La durée des fonctions excède en effet le quinquennat présidentiel et le Sage nommé n’a pas d’intérêt à chercher à plaire à l’autorité de nomination puisque ses fonctions ne peuvent pas être renouvelées.
De plus, le pouvoir de nomination est dilué, c’est-à-dire que ce n’est pas la même personne qui nomme tous les membres du Conseil constitutionnel, mais trois autorités différentes, à savoir le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat qui nomment chacun trois membres. Le Conseil n’est donc à la main ni à l’image de personne, d’autant plus qu’il n’est jamais intégralement renouvelé, mais que le renouvellement des membres s’opère par tiers tous les trois ans (article 56 de la Constitution).
Des politiques siègent au sein du Conseil constitutionnel : Laurent Fabius nommé par François Hollande, Alain Juppé nommé par Richard Ferrand, Jacques Mézard et Jacqueline Gourault nommés par Emmanuel Macron. Mais ces politiques, qui ne représentent pas la majorité des Sages, représentent des sensibilités politiques différentes : le parti socialiste, les républicains, le parti radical de gauche et la République en marche.
Les Sages de la rue Montpensier jugent en droit et ne s’occupent pas de politique, leur contrôle de la norme inférieure par rapport à la norme supérieure est dit « abstrait » c’est-à-dire de droit pur. Ils doivent ainsi confronter les dispositions législatives aux droits et libertés que la Constitution garantit, à savoir depuis 1971 la Constitution du 4 octobre 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et la Charte de l’environnement de 2004 (Conseil Constitutionnel, Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971).
La Constitution de la Ve République garantit l’indépendance absolue de ses gardiens, qu’importe le sujet traité, et tout le reste est littérature.
Lors de la cérémonie des vœux le 8 janvier 2024, le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a utilisé la formule suivante « Le Conseil constitutionnel n’est ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement, mais le juge de la constitutionnalité des lois ».
La question du Conseil constitutionnel comme une troisième chambre, de fait, du régime parlementaire peut en effet se poser. Des éléments interrogent les juristes.
Le 19 décembre 2023, lors du débat parlementaire au Sénat, le ministre de l’Intérieur a déclaré lui-même au sujet de la loi immigration, avant le vote de la loi « Des mesures sont manifestement et clairement contraires à la Constitution. Le travail du Conseil constitutionnel fera son office, mais la politique ce n’est pas être juriste avant les juristes ».
Par ailleurs, si l’article 61 de la Constitution autorise parfaitement le Président de la République à saisir lui-même le Conseil constitutionnel, ce type de saisine est rare, surtout sur son propre texte. Or le 21 décembre 2023, c’est le Président de la République lui-même qui a saisi le Conseil constitutionnel sur sa propre loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, conduisant à la décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 prononçant une large censure.
Ces éléments font penser que l’exécutif, qui ne dispose plus de la majorité absolue au Parlement depuis les élections législatives de 2022, s’est appuyé sur la droite parlementaire pour élargir sa majorité sur le texte en acceptant des amendements qu’il savait inconstitutionnels. En censurant largement les amendements venus de la droite, pour des motifs certes juridiques, le Conseil constitutionnel a tout e même redonné à la loi immigration sa rédaction initiale, c’est-à-dire celle qui était voulue par la majorité présidentielle. Tout en restant dans son rôle de juge de la constitutionnalité des lois, le Conseil constitutionnel s’est donc de facto comporté comme une troisième chambre, en donnant sa rédaction définitive au texte de loi. Il est indéniable que l’exécutif a utilisé la saisine du juge constitutionnel pour parvenir à ce résultat, ce qui ne restera certainement pas sans conséquence.
En effet, il est incertain à l’avenir que la majorité présidentielle parvienne à trouver un accord avec l’opposition de droite pour faire voter d’autres textes législatifs, l’opposition pouvant estimer avoir été manipulée sur la loi immigration avec la censure finale de toutes les dispositions qu’elle avait proposées. Par ailleurs, l’opinion publique pourrait juger sévèrement la saisine du Conseil constitutionnel dans une finalité autre qu’un contrôle impartial de constitutionnalité et y voir un détournement de procédure. Enfin le risque d’une impression de « gouvernement des juges » n’est jamais à sous-estimer en démocratie, alors même que le Conseil constitutionnel remplit de manière exemplaire sa mission de juge de la constitutionnalité des lois, sans aucune considération politique.
Le lien avec l’exploitation doit donc s’entendre comme fonctionnel, c’est-à-dire que le gîte ou la chambre d’hôtes doit être le prolongement de l’exploitation agricole, en restant son accessoire. Au sens du droit de l’urbanisme, le gîte ou la chambre d’hôtes doit donc rester le prétexte à accueillir des visiteurs sur l’exploitation pour la leur faire découvrir ou commercialiser ses produits, sans avoir de vocation propre d’hôtellerie dépourvue de tout lien avec l’exploitation. Le fait d’avoir la qualité d’exploitant agricole ne suffit pas pour justifier d’un gîte ou de chambres d’hôtes sur son exploitation agricole : il doit y avoir une complémentarité entre l’activité de gîte rural ou de chambre d’hôtes et l’activité de l’exploitant agricole, qui doit pouvoir être démontrée au besoin. L’opération ne doit enfin pas être strictement économique pour l’exploitation agricole pour pouvoir être autorisée. |
[1] Réponse ministérielle à question écrite n° 38140 (M. Dupont) JO Sénat Q 2 mai 2002, p. 1305
[2] Réponse du Ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, JO Sénat du 19/01/2006, p. 174
[3] Réponse ministérielle à question écrite n° 80006 (M. Breton) JOAN Q 29 septembre 2015, p. 7434
[4] CE, 14 février 2007, n° 282398
[5] Rép. Min à la QE n°12448 –JOAN 15 janvier 2008 page 351
[6] Cour de Cassation, 21 novembre 1996, n° 94- 21765 MSA / Epoux Bauchau
[1] CE 6 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles
[2] CE, 9 novembre 2016, Fédération départementale des libres penseurs de Seine-et-Marne, n° 395122 ; CE, 9 novembre 2016, Fédération de la libre pensée de Vendée, n° 395223
[3] CAA Nantes, 16 septembre 2022, n° 22NT00333 : la cour administrative d’appel de Nantes a confirmé que la statue de l’archange Saint-Michel devait être retirée du domaine public communal aux Sables d’Olonne
[5] Le Vœu des échevins de Lyon est un vœu fait en 1643 par le prévôt des marchands de Lyon et quatre échevins, de rendre hommage chaque année à la Vierge si l'épidémie de peste cessait. Comme l'épidémie cessa, le peuple tint sa promesse et rend depuis hommage à la Vierge, chaque année, le huit septembre.
[1] Article L. 211-1 du code du cinéma et de l'image animé
[2] Articles R. 211-10, R. 211-12 et R. 211-13 du code du cinéma et de l'image animé
[3] Article R. 311-2 du code de justice administrative
[4] Article L. 521-1 du code de justice administrative
[5] CE, ass., 24 janvier 1975, Ministre de l'Intérieur c/ Sté Rome-Paris Film, n° 72868
[6] CE, 30 juin 2000, n° 222195
[7] CE, ord., 23 juin 2009, n° 328678
[8] CE, 13 janvier 2017, n° 397819
[9] CE, 28 septembre 2016, n° 395535
[10] TA Paris, 18 février 2016, n° 1601822/9
[11] CE, 5 avril 2019, n° 417343
[12] CE, 4 mars 2019, n° 417346
L’association requérante faisait valoir que l’atteinte était caractérisée sur 2 libertés fondamentales : la liberté de manifester et la liberté d'expression des courants de pensée et d'opinion, qui font l’objet d’une protection constitutionnelle, conventionnelle et législative.
Selon l’association Comité Action Palestine, interdire de façon générale et absolue toutes les manifestations de soutien au peuple palestinien, alors que les risques de troubles à l’ordre public ne sont pas avérés, notamment au vu du déroulement de récentes manifestations ayant le même objet, qu’une crise humanitaire est en cours dans la bande de Gaza et que ces manifestations auront lieu même si elles sont interdites porte une atteinte grave et manifestement illégale à ces deux libertés.
Le Conseil d’État a rejeté ce référé liberté… tout en donnant raison en pratique à l’association requérante.
La haute juridiction administrative a rappelé que le respect de la liberté de manifestation et de la liberté d’expression, qui ont le caractère de libertés fondamentales, doit être concilié avec l’exigence constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
Le système français est en effet un système équilibré : la liberté de manifestation est protégée, mais trouve ses limites dans la nécessaire protection de l’ordre public. Une manifestation peut donc être interdite si elle risque de dégénérer et de créer des troubles à l’ordre public (violences contre les personnes, dégradations des biens, commission d’infractions pénales), ce qu’il appartient à l’autorité administrative d’apprécier (articles L. 211-1 à -4 du code de la sécurité intérieure).
Le point central de ce dossier est que la mesure d’interdiction d’une manifestation ne peut être prise qu’en dernier recours et doit être motivée au cas par cas, c’est-à-dire manifestation par manifestation. La jurisprudence est constante en la matière : la liberté est la règle et la restriction de police l’exception (CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855 ; CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 et 17520).
Or dans son télégramme du 12 octobre 2023, le ministre de l’Intérieur a donné consigne aux préfets d’interdire systématiquement et indistinctement toutes les manifestations pro-palestiniennes sur le territoire national.
On peut toutefois raisonnablement penser que toutes ces manifestations n’ont pas automatiquement vocation à dégénérer en pratique : certaines pourraient se dérouler dans le calme. S’il n’y a pas de risque de trouble à l’ordre public, la manifestation doit donc être autorisée.
C’est ce qu’a subtilement rappelé le Conseil d’État dans son ordonnance.
Le Conseil d’État a d’abord jugé que certaines manifestations devaient systématiquement être interdites, car elles créaient par nature un risque de trouble à l’ordre public en donnant la liste suivante :
Cependant, dans le même temps, le Conseil d’État a indiqué que le télégramme ministériel du 12 octobre 2023 était mal rédigé (« en dépit de sa regrettable approximation rédactionnelle ») et l’a donc corrigé en rappelant lui-même l’interprétation à retenir : il appartient à l’autorité préfectorale d’apprécier au cas par cas, à la date à laquelle elle se prononce, la réalité et l’ampleur des risques de troubles à l’ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont elle dispose pour sécuriser l’évènement.
Selon le Conseil d’État, il n’est donc pas possible d’interdire systématiquement toutes les manifestations en lien avec le conflit israélo-palestinien, quelle que soit du reste la partie au conflit qu’elles entendent soutenir, sans apprécier au cas par cas si un risque de trouble à l’ordre public est localement caractérisé.
C’est un retour à la jurisprudence traditionnelle en la matière, dont le télégramme contesté s’était très largement écarté.
Le Conseil d’État a donc privé d’effet le télégramme du ministre de l’Intérieur en rappelant l’état de sa jurisprudence traditionnelle en matière de conciliation des libertés fondamentales avec les risques de troubles à l’ordre public : une appréciation au cas par cas et pas générale et indifférenciée)… tout en rejetant le recours de l’association Comité Action Palestine.
Cette solution pourrait paraître paradoxale, mais il n’en est rien puisque le Conseil d’État a lui-même neutralisé le télégramme du ministre de l’Intérieur, qui ne peut donc plus servir de fondement à une interdiction générale et absolue de manifestations en lien avec le conflit israélo-palestinien à l’avenir.
Le rejet du référé liberté était donc logique avec les précisions du Conseil d’État, puisque le télégramme corrigé par le rappel du juge administratif sur la conciliation nécessaire entre les libertés fondamentales et l’ordre public ne portait plus d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Il faut retenir que le Conseil d’État a donc jugé le 18 octobre 2023 que :
« (...) Le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques (...) »[1].
Récemment le 3 mai 2023, le Conseil d’État a ordonné à la mairie de Paris de retirer une banderole illégale de soutien à la grève contre la réforme des retraites de la façade de l’hôtel de ville par exemple[2].
Le principe de neutralité interdit donc au Maire de privatiser la façade de la mairie, qui ne lui appartient pas, pour exprimer ses opinions.
Cependant il est toléré en pratique que la façade des édifices publics puisse servir de support à des manifestations de solidarité conformes aux engagements internationaux de la France. C’est ainsi que les mairies ont pu légalement afficher le drapeau ukrainien sur leur façade.
Les signes de soutien à des causes humanitaires ou la lutte contre les discriminations, conformes à la loi française, peuvent ainsi être également tolérés sur les édifices publics.
La jurisprudence administrative a déjà accepté la présence d’un drapeau LGBT au fronton d’une mairie sur le fondement de la lutte contre les discriminations qui sont prohibées par la loi[3].
C’est aussi le cas pour des sujets locaux, sous réserve d’un intérêt public local : l’usage de mobilier urbain par une municipalité sur un sujet ayant strictement trait à des affaires locales a déjà été validé par le Conseil d’État[4].
Lors de la visite de personnalités étrangères, il est également d’usage d’afficher temporairement le drapeau de l’État invité sur la façade de l’édifice public.
On peut donc conclure que les mairies françaises peuvent légalement afficher temporairement sur la façade de leur hôtel de ville un drapeau israélien en signe de solidarité à la suite des attaques du 7 octobre 2023, dans le respect de la politique internationale de la France.
Enfin, pour être complet sur le sujet, la jurisprudence administrative a déjà sanctionné une municipalité qui avait affiché de manière permanente (pendant plus d’un an) un drapeau palestinien sur le fronton de son hôtel de ville pour marquer son soutien aux palestiniens en dehors de tout événement particulier[5]. La sanction aurait été similaire pour un drapeau israélien, car le juge administratif ne tolère qu’un affichage temporaire pour des considérations humanitaires et pas une marque de soutien permanent politique à l’une ou l’autre des parties.
Le pavoisement de l’édifice public doit donc toujours rester temporaire dans ce cadre, car il n’appartient pas à une municipalité de prendre parti dans un conflit international, mais simplement de marquer sa solidarité face à un événement tragique.
[1] CE, 27 juillet 2005, Commune de Sainte-Anne, n°259806
[2] TA Paris, 3 mai 2023, n°2308852/2
[3] TA Paris, 17 mai 2019, n°1813863/4-2
[4] CE, 23 juillet 1986, M. Divier, n°55064
En revanche, l'agent qui abuse du droit de retrait en l'exerçant dans une situation qui ne le justifie pas s'expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement pour abandon de poste.
La question est donc la suivante : une contamination de locaux publics par des punaises de lit constitue-t-elle une situation de danger grave et imminent justifiant le droit de retrait des fonctionnaires ?
2/ La contamination de locaux publics par des punaises de lit, une situation regrettable, mais pas un danger grave et imminent justifiant le droit de retrait des fonctionnaires
L’exercice du droit de retrait des fonctionnaires reste une situation très exceptionnelle.
Même si l’appréciation du danger est toujours subjective, seule une situation de vrai danger grave et imminent pour la santé physique de l’agent peut justifier sa mise en œuvre. Le juge administratif exerce son contrôle sur l’existence d’un motif raisonnable qui permettrait à l’agent de penser qu’un tel danger est caractérisé pour sa santé physique.
Or le juge administratif, qui exerce un contrôle normal en la matière, ne reconnaît que rarement l’existence d’un vrai danger autorisant le droit de retrait des fonctionnaires. Sans doute pour ne pas ouvrir la porte à un exercice abusif de ce droit dans la fonction publique et ne pas porter atteinte à la continuité du service public.
Le juge administratif exige ainsi une situation de danger grave pour justifier le droit de retrait, comme la présence d’amiante dans les locaux avec un vrai risque cancérigène[1], un risque d'agression d'un agent par ses collègues ou des usagers[2] ou une situation de harcèlement moral[3].
L’examen de la jurisprudence permet de conclure qu’une contamination de locaux publics par des punaises de lit, bien que très regrettable, ne constitue pas pour autant une situation de danger grave et imminent justifiant le droit de retrait des fonctionnaires :
Les fonctionnaires ne peuvent donc pas exercer leur droit de retrait sur le seul fondement de la présence de punaises de lit dans les locaux, car cette situation ne sera pas jugée suffisamment dangereuse par le juge pour justifier l’exercice de ce droit.
Prudence en la matière, car si les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies, l'agent peut faire l'objet d'une retenue pour absence de service fait ou de sanctions disciplinaires.
Ce qui ne signifie pas pour autant que l’administration ne doive rien faire : l’employeur public est garant de la santé et sécurité de ses agents et doit donc tout mettre en œuvre pour la décontamination de locaux infectés, sauf à risquer de voir sa responsabilité engagée.
[1] TA Marseille, 24 mai 2011, Hierlé, n° 0805542
[2] CAA Marseille, 10 février 2009, n° 06MA01703
[3] CE, 16 décembre 2009, n°320840
[4] CE, 18 juin 2014, n°369531
[5] TA Versailles, 2 juin 1994, Hadjab, Lebon 1193
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