À retenir :
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Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans[1].
C’est ce que l’on appelle communément le droit du sol.
En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil[2], c’est-à-dire la loi française. Aucun traité international ni aucune disposition constitutionnelle ne protègent ce droit en France et le Conseil constitutionnel a refusé à ce jour de consacrer ce principe comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)[3].
Le droit du sol a donc une valeur législative en France.
Oui.
Le droit du sol a été spécifiquement durci à Mayotte depuis la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.
Cette loi « asile et immigration » a ajouté une condition spécifique supplémentaire pour bénéficier du droit du sol à Mayotte : l’enfant né à Mayotte devra prouver, au moment de sa demande que l’un de ses parents était légalement sur le territoire français depuis au moins trois mois au moment de sa naissance pour pouvoir bénéficier de la nationalité française.
La Loi prévoit donc une condition supplémentaire pour bénéficier de la nationalité française par le droit du sol à Mayotte.
Oui.
Les règles du droit du sol sont plus strictes à Mayotte qu’en métropole. Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose le principe d’égalité des citoyens devant la loi qui doit être « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, tous les citoyens étant égaux à ses yeux »[4].
La question de la conformité à la Constitution du durcissement du droit du sol à Mayotte pouvait donc se poser.
Mais l’article 73 de la Constitution pose également depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer : « Dans les départements et les régions d'Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer permet donc de prévoir des dérogations aux conditions initiales du droit du sol spécifiques à Mayotte.
Oui.
La question de la suppression du droit du sol à Mayotte est aussi sensible politiquement que délicate juridiquement. De nombreuses personnalités politiques ont en effet déjà proposé cette suppression par le passé, et en dernier lieu le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer le 11 février 2024, mais la question est juridiquement compliquée.
En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil[5], c’est-à-dire la loi française. Le droit du sol n’est donc pas protégé par la Constitution à ce jour. Or suivant le principe du parallélisme des formes, ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Il suffirait donc que le législateur modifie le Code civil sur ce sujet.
Mais cette modification pourrait se heurter au Conseil constitutionnel, qui pourrait profiter de cette modification législative pour faire évoluer sa jurisprudence sur le droit du sol. Le Conseil constitutionnel a en effet toujours refusé à ce jour de consacrer le droit du sol comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)[6]. Mais une nouvelle saisine sur une nouvelle loi offrirait la possibilité au Conseil constitutionnel de faire monter le droit du sol à l’échelon constitutionnel et de censurer la loi sur ce motif.
Seule une révision constitutionnelle permettrait donc de supprimer le droit du sol à Mayotte. Sur le plan théorique, rien ne s’oppose à ce que le constituant choisisse de réviser la Constitution en ce sens.
Oui, mais…
La suppression du droit du sol à Mayotte pourrait se heurter à un principe constitutionnel.
En effet, l’article 73 de la Constitution pose depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer : « Dans les départements et les régions d'Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
En l’état actuel de la rédaction du texte, les « adaptations » possibles ne semblent pas pouvoir inclure la suppression pure et simple du droit du sol. Cette suppression semble en effet aller bien au-delà de la seule « adaptation » visée dans le texte et, partant, viole l’article 73 de la Constitution.
La différenciation territoriale en Outre-mer ne semble donc pas pouvoir aller en l’état actuel de la rédaction de la Constitution jusqu’à la suppression du droit du sol à Mayotte.
Toutefois, et c’est le plus important, même si la suppression du droit du sol à Mayotte se heurte à ce principe constitutionnel, une révision de la Constitution, qui ne fera pas l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, pourrait permettre d’outrepasser ce blocage.
Non.
Aucune loi, disposition constitutionnelle, principes généraux du droit ou traités internationaux signés par la France ne lui interdit à ce jour juridiquement de créer des apatrides. La question est donc davantage morale, que juridique.
Si la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée sous forme de résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en 1948 prévoit l’interdiction de l’apatridie, ce texte n’a pas de valeur juridique contraignante en France.
L’interdiction de l’apatridie ne peut donc pas bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte en l’état des textes applicables.
Non.
L’inscription de la suppression du droit du sol à Mayotte dans la Constitution française permettrait précisément de contourner le Conseil constitutionnel.
En effet, le Conseil constitutionnel n’intervient pas dans la procédure de révision de la Constitution prévue à l’article 89. Autrement formulé, la Constitution ne prévoit pas de contrôle de constitutionnalité automatique des projets de loi de révision constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel considère d’ailleurs à ce sujet que « le pouvoir constituant est souverain » et qu’il ne lui appartient donc pas de s’y substituer[10].
Les lois constitutionnelles échappent donc au contrôle de constitutionnalité.
La seule limite est fixée par le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution qui dispose que « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision », mais ceci ne concerne en rien la suppression du droit du sol à Mayotte.
Saisi d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil constitutionnel se déclarerait donc nécessairement incompétent à statuer sur cette question. La décision d’incompétence qui serait rendue pourrait toutefois donner l’opportunité au Conseil constitutionnel d’alerter sur les risques d’atteinte à l’identité constitutionnelle de la France et aux droits garantis par la Constitution, mais ne pourrait pas faire obstacle à la décision prise par le pouvoir constituant souverain.
Saisi pour avis d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil d'État ne se gênerait pas de la même manière pour alerter l'exécutif sur ces mêmes risques, sans toutefois disposer de la possibilité juridique de bloquer l'adoption du texte puisque l'avis du Conseil d'État ne lie pas le constituant...
[1] Article 21-7 du Code civil
[2] Article 21-7 du Code civil
[3] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993
[4] Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
[5] Article 21-7 du Code civil
[6] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993
[7] Article 61 de la Constitution
[8] Article 61-1 de la Constitution
[9] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993
[10] Conseil constitutionnel, Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992
Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon
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