La Constitution offre au Président de la République deux outils pour répondre à une Assemblée frondeuse qui refuse de voter ses projets de lois : la dissolution et le référendum. En abandonnant progressivement l'usage de ces outils sous la Ve République, le Président s'est affaibli tout seul face à un pouvoir législatif qui s'affirme.
« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre ». C’est ainsi que Gambetta avait prévenu Mac-Mahon à la suite de la dissolution de la Chambre pour trouver une issue à la crise du 16 mai 1877.
Le lundi 11 décembre 2023, l’Assemblée nationale a adopté par 270 voix contre 265 une motion de rejet préalable au projet de loi immigration présenté pour le gouvernement par le ministre Gérald Darmanin.
Cette configuration n’a rien d’extraordinaire depuis les élections législatives des 12 et 19 juin 2022, puisque la majorité parlementaire issue des urnes n’est que relative. Le parti majoritaire est depuis lors obligé de former des coalitions de circonstance, texte par texte.
Or il est très improbable de réussir à former des majorités sur tous les textes présentés par le gouvernement sur l’intégralité de la législature. D’autant plus que l’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution est limité à un texte de loi par session, sauf pour les projets de loi de finances ainsi que des projets de loi de financement de la sécurité sociale.
Le rejet du projet de loi immigration le 11 décembre 2023 par l’Assemblée nationale est donc logique. D’autres textes seront nécessairement bloqués de la même manière dans le futur par une Assemblée frondeuse : tous les textes de loi ne font pas consensus.
Alors comment résoudre une telle crise institutionnelle ?
L'article 12 de la Constitution autorise le président de la République à prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées.
La dissolution a pour effet de mettre immédiatement un terme anticipé au mandat des députés et de les renvoyer devant les électeurs. Dans ce cas, les élections générales ont lieu 20 jours au moins et 40 jours au plus après la dissolution.
Si cette arme présidentielle n’a plus été utilisée depuis la dissolution ratée de 1997, dont la paternité est souvent attribuée à Dominique de Villepin alors secrétaire général de l'Élysée, elle n’en demeure pas moins la seule à la disposition du Président pour essayer de retrouver une majorité parlementaire solide, dans le respect de la séparation des pouvoirs.
Le rejet d’un projet de loi important comme le projet de loi « Darmanin » sur l’immigration est une provocation du pouvoir législatif sur l’exécutif. S’il ne veut pas prendre le risque de l’immobilisme jusqu’à la fin de son second quinquennat, le Président de la République sera donc contraint d’envisager de dissoudre la Chambre basse dans un futur proche.
À défaut, la crise institutionnelle ne fera que s’aggraver texte par texte, avec le risque d’une inertie des pouvoirs publics. Sauf à utiliser le référendum qui fait du peuple « le législateur d'un jour », selon la belle expression du général de Gaulle…