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Le Conseil constitutionnel a censuré 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, qui comptait 86 articles, pour un motif de procédure. C’est ce que l’on appelle des « cavaliers législatifs ».
Il a censuré en au fond, partiellement ou totalement, 3 des articles de la loi immigration.
Il a en outre assorti de réserves d’interprétation 2 autres articles de cette loi.
Enfin, il a déclaré partiellement ou totalement conformes à la Constitution 10 articles de la loi immigration.
Le Conseil constitutionnel a censuré 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration en considérant qu’il s’agissait de « cavaliers législatifs ». Il s’agit, pour la plupart, des mesures qui avaient été ajoutées au texte initial par amendement par la droite au Parlement (limitation du regroupement familial, restriction sur les titres de séjour étudiants avec une nouvelle caution, restriction des prestations sociales, de l’AME, fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France, etc.).
Les cavaliers législatifs sont des dispositions étrangères, par leur nature, au domaine de la loi votée et donc irrégulièrement introduits en son sein pour des raisons d’opportunité.
Lorsqu’une disposition de la loi est considérée comme un « cavalier législatif », le Conseil constitutionnel la censure en considérant qu’elle n’avait rien à faire dans la loi en question.
C’est une raison de procédure qui a conduit le Conseil constitutionnel à considérer 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration comme des « cavaliers législatifs ». Les Sages ont en effet estimé que ces dispositions avaient été introduites dans la loi par des amendements, alors même qu’il n’y avait aucun lien entre l’objet de ces amendements et celui de l’une au moins des dispositions du texte initial de la loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie.
Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions ne pouvaient donc pas être votées au sein de la loi immigration, car elles n’avaient pas été envisagées dans le texte initial, mais rajoutées par la suite irrégulièrement dans le texte par voie d’amendement.
Mais attention, la censure de ces « cavaliers législatifs » ne préjuge pas de l’inconstitutionnalité des mesures qu’ils comportent. En effet, lorsqu’il écarte une disposition comme « cavalier législatif », il ne faut pas en déduire que le Conseil constitutionnel prononce l’inconstitutionnalité de la mesure. C’est un simple motif procédural de censure.
Les dispositions de la loi immigration écartées par le Conseil constitutionnel en tant que « cavaliers législatifs » pourraient donc tout à fait à l’avenir figurer dans un autre texte de loi voté par le Parlement… et sur lequel le Conseil constitutionnel pourrait à nouveau avoir à se prononcer.
Les 32 « cavaliers législatifs » écartés de la loi immigration par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024 pourront donc à l’avenir faire l’objet d’une nouvelle loi… à condition qu’une majorité vote le nouveau texte.
Le Président de la République pourrait également choisir de réintroduire ces mesures, mais par voie réglementaire et non législative. Le choix entre l’article 34 et l’article 37 de la Constitution n’est toutefois pas toujours possible et il faudra donc voir la rédaction modifiée, disposition par disposition, si cette option est choisie. Lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, le Président de la République a laissé entendre qu’il souhaitait privilégier la voie réglementaire à l’avenir, ne disposant plus de la majorité absolue au Parlement, donc cette option n’est pas à exclure pour certaines des dispositions censurées. Dans le cas d’un texte réglementaire qui reprendrait certaines des mesures, ce serait alors le Conseil d’État qui pourrait être amené à se prononcer sur leur constitutionnalité.
Enfin, un référendum est exclu en la matière, dans la mesure où l'article 11 de la Constitution ne prévoit pas la possibilité de soumettre au vote des français les projets de loi portant sur l'immigration... sauf à modifier la rédaction de cet article ce qui impliquerait une révision constitutionnelle.
Une disposition déclarée inconstitutionnelle au fond par le Conseil Constitutionnel ne peut être promulguée ni mise en application.
Les articles de la loi immigration qui ont été censurés au fond par le Conseil constitutionnel ne peuvent donc plus être promulgués tels quels par le Président de la République ni mis en application, à savoir :
Le Président de la République a donc désormais le choix entre trois possibilités :
Le Conseil constitutionnel a assorti de réserves d’interprétation la déclaration de conformité à la Constitution des articles 14 (restriction pendant un an des nouvelles demandes d’admission au séjour après un premier refus) et 42 (sur la durée de l’assignation à résidence) de la loi immigration.
Les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel ne bloquent pas la promulgation du texte ni son entrée en vigueur. En revanche, elles bénéficient de l’autorité de la chose interprétée et se trouvent en quelque sorte incorporées à la loi.
Les articles 14 et 42 de la loi immigration pourront donc être promulgués par le Président de la République et pourront entrer en vigueur, mais seulement dans le sens que leur a donné le Conseil constitutionnel. Ceci est en général explicité dans les circulaires d’application de la loi, qui reprennent l’interprétation impérative donnée par le Conseil constitutionnel.
La saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation de la loi (article 61 de la Constitution). La loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ne pouvait donc pas être promulguée par le Président de la République jusqu’à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024.
En revanche, une fois que le Conseil constitutionnel a rendu sa décision, les articles validés par les Sages peuvent à nouveau être promulgués par le Président de la République en application de l’article 10 de la Constitution.
Le Président de la République est donc libre de promulguer les 10 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration qui ont été validés par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024. La publication des 10 articles de la loi au Journal officiel de la République française (JORF) permettra ensuite leur entrée en vigueur.
Non.
En application de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours.
La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est donc définitive et n’est susceptible d’aucun recours.
Non.
En application de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration s'impose donc dans toutes ses dispositions aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.
L’exécutif ne peut donc pas passer outre la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi immigration et est tenu de la respecter.
Non.
La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est fondée en droit et n’est pas politisée.
Ceci signifie qu’un motif juridique figure au sein de la décision rendue par le Conseil constitutionnel pour censurer tel ou tel article de la loi, le valider ou émettre une réserve d’interprétation.
Les censures au fond des articles de la loi immigration ont été fondées en droit par le Conseil constitutionnel :
De la même manière, les censures des articles de la loi immigration pour un motif procédural « les cavaliers législatifs » sont fondés en droit sur la violation du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution qui dispose que « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».
Ce sont donc des motifs juridiques qui ont permis au Conseil constitutionnel de censurer au fond et pour une raison de procédure des dispositions de la loi immigration.
Non.
Le Conseil constitutionnel ne s’occupe pas de politique. La loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est un texte de loi parmi tant d’autres sur lesquels le Conseil est amené à se prononcer.
L’indépendance du Conseil constitutionnel est parfaitement garantie par sa composition, puisque c’est un organe collégial de neuf membres d’horizons divers.
Le mandat des Sages dure neuf ans et n’est pas renouvelable ce qui est un gage supplémentaire d’indépendance (article 56 de la Constitution). La durée des fonctions excède en effet le quinquennat présidentiel et le Sage nommé n’a pas d’intérêt à chercher à plaire à l’autorité de nomination puisque ses fonctions ne peuvent pas être renouvelées.
De plus, le pouvoir de nomination est dilué, c’est-à-dire que ce n’est pas la même personne qui nomme tous les membres du Conseil constitutionnel, mais trois autorités différentes, à savoir le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat qui nomment chacun trois membres. Le Conseil n’est donc à la main ni à l’image de personne, d’autant plus qu’il n’est jamais intégralement renouvelé, mais que le renouvellement des membres s’opère par tiers tous les trois ans (article 56 de la Constitution).
Des politiques siègent au sein du Conseil constitutionnel : Laurent Fabius nommé par François Hollande, Alain Juppé nommé par Richard Ferrand, Jacques Mézard et Jacqueline Gourault nommés par Emmanuel Macron. Mais ces politiques, qui ne représentent pas la majorité des Sages, représentent des sensibilités politiques différentes : le parti socialiste, les républicains, le parti radical de gauche et la République en marche.
Les Sages de la rue Montpensier jugent en droit et ne s’occupent pas de politique, leur contrôle de la norme inférieure par rapport à la norme supérieure est dit « abstrait » c’est-à-dire de droit pur. Ils doivent ainsi confronter les dispositions législatives aux droits et libertés que la Constitution garantit, à savoir depuis 1971 la Constitution du 4 octobre 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et la Charte de l’environnement de 2004 (Conseil Constitutionnel, Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971).
La Constitution de la Ve République garantit l’indépendance absolue de ses gardiens, qu’importe le sujet traité, et tout le reste est littérature.
Lors de la cérémonie des vœux le 8 janvier 2024, le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a utilisé la formule suivante « Le Conseil constitutionnel n’est ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement, mais le juge de la constitutionnalité des lois ».
La question du Conseil constitutionnel comme une troisième chambre, de fait, du régime parlementaire peut en effet se poser. Des éléments interrogent les juristes.
Le 19 décembre 2023, lors du débat parlementaire au Sénat, le ministre de l’Intérieur a déclaré lui-même au sujet de la loi immigration, avant le vote de la loi « Des mesures sont manifestement et clairement contraires à la Constitution. Le travail du Conseil constitutionnel fera son office, mais la politique ce n’est pas être juriste avant les juristes ».
Par ailleurs, si l’article 61 de la Constitution autorise parfaitement le Président de la République à saisir lui-même le Conseil constitutionnel, ce type de saisine est rare, surtout sur son propre texte. Or le 21 décembre 2023, c’est le Président de la République lui-même qui a saisi le Conseil constitutionnel sur sa propre loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, conduisant à la décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 prononçant une large censure.
Ces éléments font penser que l’exécutif, qui ne dispose plus de la majorité absolue au Parlement depuis les élections législatives de 2022, s’est appuyé sur la droite parlementaire pour élargir sa majorité sur le texte en acceptant des amendements qu’il savait inconstitutionnels. En censurant largement les amendements venus de la droite, pour des motifs certes juridiques, le Conseil constitutionnel a tout e même redonné à la loi immigration sa rédaction initiale, c’est-à-dire celle qui était voulue par la majorité présidentielle. Tout en restant dans son rôle de juge de la constitutionnalité des lois, le Conseil constitutionnel s’est donc de facto comporté comme une troisième chambre, en donnant sa rédaction définitive au texte de loi. Il est indéniable que l’exécutif a utilisé la saisine du juge constitutionnel pour parvenir à ce résultat, ce qui ne restera certainement pas sans conséquence.
En effet, il est incertain à l’avenir que la majorité présidentielle parvienne à trouver un accord avec l’opposition de droite pour faire voter d’autres textes législatifs, l’opposition pouvant estimer avoir été manipulée sur la loi immigration avec la censure finale de toutes les dispositions qu’elle avait proposées. Par ailleurs, l’opinion publique pourrait juger sévèrement la saisine du Conseil constitutionnel dans une finalité autre qu’un contrôle impartial de constitutionnalité et y voir un détournement de procédure. Enfin le risque d’une impression de « gouvernement des juges » n’est jamais à sous-estimer en démocratie, alors même que le Conseil constitutionnel remplit de manière exemplaire sa mission de juge de la constitutionnalité des lois, sans aucune considération politique.
Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon
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