Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

Ligne directe : 07.80.99.23.28

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SisypheAvocatsL’absurdité du titre de cet article prêterait à rire si l’on n’avait pas appris ce jour que le maire de la commune de Morbecque (Nord) avait réellement pris l’initiative de déployer un gilet jaune géant sur la façade de sa mairie (Le Figaro du 16/11/18).

Selon les propres dires de l'élu local, cette démarche tend à défendre le mouvement dit des « gilets jaunes », de soutien aux véhicules et à l’essence.

D’aucuns peuvent dès lors s’interroger sur la légalité de cette fantaisie municipale.

En la matière, la position de la justice administrative est très claire puisque, par un arrêt de principe « Commune de Sainte-Anne » du 27 juillet 2005 (n°259806), le Conseil d’État a décidé que :

« (...) le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques (...) »

Cette décision du Conseil d’État avait été rendue à propos d’un drapeau indépendantiste martiniquais apposé d'ailleurs sur la façade d’une mairie et a été réaffirmée par la suite par le Ministre de l’Intérieur en 2010 dans le cadre d’une réponse ministérielle :
 
« L'apposition de banderoles de revendication sur des édifices publics (...) est contraire à ce principe (de neutralité) (...) Il revient au responsable des bâtiments concernés de faire retirer ces banderoles, le cas échéant, sous le contrôle du juge administratif. »

L’initiative prise par le maire de la commune de Morbecque et son gilet jaune géant est donc indéniablement illégale.

En effet, la décision susvisée du Conseil d’Etat, ainsi que la législation et la réglementation s’appliquent à tous les édifices publics, donc à toutes les mairies de France.

La mairie de la commune de Morbecque est donc tenue, comme tout édifice public, au strict respect du principe de neutralité. Il est par conséquent interdit d’apposer sur sa façade des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques, conformément à la position constante du Conseil d’État.

Cantonné jusqu’alors à la sécurité routière, il est désormais incontestable que le gilet jaune puisse être considéré comme un « signe symbolisant la revendication d'opinions politiques » au regard du mouvement du même nom, de défense de l’automobile et de l’essence.

Le principe de neutralité trouve donc application et fait obstacle à la possibilité de l’afficher sur la façade de tout édifice public.

Tout administré disposant d’un intérêt à agir (comme un habitant de la commune) est donc légitime à solliciter sans délai le Préfet du Nord (12, rue Jean sans Peur CS 20003 59039 Lille Cedex ; Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) pour lui demander d’enjoindre au maire de retirer sans délai le gilet jaune géant qu’il a apposé sur la façade de sa mairie. Une action contentieuse dirigée contre le maire, assortie le cas échéant d’un référé est par ailleurs parfaitement envisageable.

On note enfin que l’illégalité est double en l’espèce puisque le symbole apposé sur la façade de la mairie vient soutenir un mouvement lui-même illégal : l’action dite des « gilets jaunes » est en effet un coup de force qui se situe hors-la-loi puisqu’aucune association ne vient le structurer et qu’aucune déclaration préalable n’a été déposée en préfectures et en mairies alors que plus de 1 500 rassemblements sont prévus pour le 17 novembre. Destiné principalement à troubler l’ordre public, le mouvement pourrait par ailleurs être appréhendé pénalement comme une incitation à l’émeute, par des personnes prétendant se substituer à la représentation nationale.

 
SisypheAvocatsC’est une nouvelle polémique qui a éclaté ce week-end entre Christine Boutin et François de Rugy, la première reprochant au second d’avoir apposé un drapeau homosexuel sur la façade de l’Assemblée nationale à l’occasion de la fête dite « des fiertés ».

La Présidente d’honneur du parti chrétien-démocrate a estimé que cette mise en scène était contraire au principe de neutralité applicable aux édifices publics :
De son côté, le Président de l’Assemblée nationale a fait valoir que sa décision était légale dans la mesure où l’assemblée était régie par « ses propres règles » et que le bâtiment ne relèverait pas du service public :
En la matière, la position de la justice administrative est très claire puisque, par un arrêt de principe « Commune de Sainte-Anne » du 27 juillet 2005 (n°259806), le Conseil d’État a décidé que :

« (...) le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques (...) »

On note d’ailleurs que cette décision du Conseil d’État a été rendue à propos d’un drapeau indépendantiste martiniquais apposé sur une mairie.

Cette décision jurisprudentielle a été réaffirmée par le Ministre de l’Intérieur en 2010 dans le cadre d’une réponse ministérielle :

« L'apposition de banderoles de revendication sur des édifices publics (...) est contraire à ce principe (de neutralité) (...) Il revient au responsable des bâtiments concernés de faire retirer ces banderoles, le cas échéant, sous le contrôle du juge administratif. »

La position du Président de l’Assemblée nationale nous semble dès lors critiquable sur cette base. Du moins ne peut-il pas être si affirmatif.

En effet il ne fait aucun doute que l’Assemblée nationale n’est aucunement régie par « ses propres règles » mais que les décisions du Conseil d’État ainsi que la législation et la réglementation s’appliquent à elle comme à toute institution républicaine.

Par ailleurs, M. de Rugy ne saurait pouvoir soutenir que l’Assemblée nationale ne serait le siège d’aucun service public pour faire obstacle à l’application de la décision susvisée du Conseil d’Etat qui s’applique à tous les édifices publics.

Dans la mesure où le Palais Bourbon est propriété définitive de l’Etat depuis 1827, il est acquis que l’Assemblée nationale est tenue, comme tout édifice public, au principe de neutralité.

Il est par conséquent interdit d’apposer sur sa façade des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques, conformément à la position constante du Conseil d’État.

On touche dès lors au seul problème de droit sérieux soulevé en l’espèce : le drapeau homosexuel peut-il être considéré comme un « signe symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques » ? Dans l’affirmative, le principe de neutralité s’applique et fait obstacle à la possibilité de l’afficher sur la façade de tout édifice public.

Nous pouvons aisément écarter le drapeau homosexuel comme signe de revendication d’opinions religieuses.

Néanmoins, la portée philosophique et / ou politique d’un tel signe est plus incertaine. Il ne fait en effet aucun doute que cet étendard est fréquemment brandi comme signe d’appartenance identitaire par le mouvement LGBTI+, que ce soit lors de la marche dite « des fiertés » ou lors de manifestations politiques (on pense, par exemple aux manifestations en faveur du « mariage pour tous », très marquées politiquement). Il n’est pas rare par ailleurs de voir flotter des drapeaux homosexuels lors de meetings politiques, comme lors de la campagne présidentielle de François Hollande en 2012, ou plus récemment de Benoît Hamon.

Des éléments pourraient donc être avancés devant la justice administrative pour faire valoir que le drapeau homosexuel constitue un signe de revendication d’opinions politiques et / ou philosophiques.

En l’absence de décision du Conseil d’État sur ce point à ce jour, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude comme François de Rugy que l’apposition du drapeau homosexuel sur la façade de l’Assemblée nationale serait parfaitement légale. Bien au contraire, des éléments plaident pour l’inverse au regard du principe de neutralité applicable aux édifices publics.

Une décision de la Haute juridiction administrative serait bienvenue pour clore ce sujet polémique.

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Soyons honnêtes : outre quelques initiés, personne n’avait entendu parler avant la semaine dernière de Médine, rappeur français confidentiel loin de l’envergure médiatique d’un Booba ou d’un Orelsan. La programmation de deux dates de concert de l’artiste les 19 et 20 octobre prochains au Bataclan crée pourtant aujourd’hui le malaise. L’un des albums de Médine s’intitule en effet « Jihad » et d’aucuns l’accusent de jouer subtilement avec l’iconographie djihadiste, comme en atteste notamment le sabre qu’il empoigne sur la pochette du disque, ou ses rapports troubles avec l’islamologue controversé Tarik Ramadan. Certaines paroles du rappeur gagnent par ailleurs à être connues : "Je porte la barbe j'suis de mauvais poil. Porte le voile t'es dans de beaux draps. Crucifions les laïcards comme à Golgotha. Le polygame vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn".

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Pochette de l'album de Médine "Djihad" (2005)

Une chose est certaine : le Bataclan est maître de sa programmation. Mais au-delà de l’opportunité d’un tel choix par la salle de spectacles elle-même qui interpelle nécessairement, il est possible de se demander si les concerts de cet artiste peuvent juridiquement être interdits avant même qu’ils aient lieu. Des voix transpartisanes qui ont la République en commun s’élèvent en effet pour s’opposer aux représentations, assimilées à une profanation d’une salle devenue lieu de mémoire nationale.

La philosophie du système français se comprend aisément : les libertés publiques (comme la liberté d’expression et de réunion) doivent être protégées de manière absolue, néanmoins leur exercice ne saurait pouvoir troubler l’ordre public établi par la loi (bon ordre, sûreté, sécurité et salubrité publiques). Par conséquent, seule la sauvegarde de l’ordre public peut justifier la limitation proportionnée de l’exercice d’une liberté (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n°17413, 17520).

C’est donc à l’autorité administrative qu’il revient d’apprécier si les conditions sont réunies pour qu’un concert (matérialisation de la liberté d’expression et de réunion) puisse avoir lieu. Ceci implique que l’ordre public puisse être maintenu avant, pendant et après la représentation musicale.

Il ne fait aucun doute que la présence du rappeur Médine au sein du Bataclan, ses affiches, ses paroles ou son public ne créent pas par eux-mêmes un trouble à l’ordre public justifiant l’interdiction des spectacles.

Néanmoins, l’émotion soulevée par la présence programmée du rappeur au sein de la funeste salle de concert fait craindre le pire. En effet, des appels sont relayés sur les réseaux sociaux par les groupes identitaires pour empêcher les concerts, par tous moyens, notamment en se rendant sur les lieux chercher l’affrontement. C’est là que réside le risque de trouble à l’ordre public. C’est cette probabilité d’une rixe entre fans du rappeur et identitaires qui peut constituer un risque de trouble à l’ordre public suffisant pour justifier l’interdiction préventive des spectacles à venir par l’autorité administrative, d’autant plus que la mobilisation peut s’amplifier dans les quatre mois à venir.

manifestationAppel des identitaires à manifester contre les concerts du rappeur Médine au Bataclan

Ce raisonnement peut surprendre car les partisans de Médine insistent sur le fait qu’aucun trouble à l’ordre public n’est caractérisé côté artiste : mais le risque de trouble à l’ordre public est généré non pas par celui qui souhaite exercer sa liberté (Médine), mais par ses adversaires qui souhaitent l’en empêcher (les identitaires). En appelant à empêcher les spectacles, ils créent un risque de trouble à l’ordre public suffisant pour l’empêcher (prophétie autoréalisatrice).

Nous avions dénoncé en son temps cet inversement du paradigme en matière d’exercice des libertés publiques (article : "Quand la liberté devient l'exception"). Il n’est pourtant pas inédit, et nous analysons le droit tel qu’il est, pas tel qu’il devrait être.

On se rappelle en effet que le 24 novembre 2017, la préfecture de police de Paris avait interdit une manifestation du groupe « Génération identitaire » au motif d’un risque de trouble à l’ordre public induit par la seule annonce, par une association d’extrême-gauche, d’une contre-manifestation « antifa(sciste) » prévue pour perturber la première : 

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Extrait de l'arrêté préfectoral d'interdiction

Saisi en référé, le tribunal administratif de Paris avait validé le 25 novembre 2017 la décision de la préfecture, confirmant donc l’interdiction de la manifestation. Aucun trouble à l’ordre public n’était pourtant matériellement établi ni constaté puisque nous nous situons avant la manifestation. Le trouble n’était donc que potentiel, et était créé par les adversaires de la manifestation (les groupes d’extrême-gauche). La manifestation n’en avait pas moins été interdite préventivement.

Sauf à constater un deux poids deux mesures, il semble que ce qui a joué hier contre les identitaires pourrait demain jouer en leur faveur.

Le sélectionneur national Didier Deschamps a officialisé jeudi 17 mai dernier la liste des 23 joueurs sélectionnés pour la Coupe du Monde 2018 en Russie. Toute liste de sélection nationale étant par définition limitative, certains joueurs ont pu légitimement être déçus de ne pas être retenus ou de figurer parmi les suppléants. C'est le cas d'Adrien Rabiot, qui a écrit à la Fédération pour signifier son refus d'être suppléant pour cette compétition selon les informations du "Parisien".

SisypheAvocats

On se rappelle également que la compagne de Samir Nasri avait insulté le sélectionneur en 2014, contestant par la vulgarité la non-sélection de son conjoint.

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C'est l'occasion de se demander s'il est possible de contester juridiquement la sélection nationale. 

La liste des joueurs sélectionnés en équipe nationale ne constitue ni un acte de gouvernement ni une mesure d’ordre intérieur, par principe, elle n’échappe donc pas au contrôle du juge.

  • Il est juridiquement possible de contester devant le juge administratif une décision de sélection prise par une fédération sportive
En application de l’article L. 131-14 du Code du sport, la fédération française de football (FFF), association loi 1901, est délégataire de service public. En cette qualité, la fédération organise les compétitions sportives, procède aux sélections correspondantes et propose l’inscription sur les listes de sportifs, d’entraîneurs, d’arbitres et juges de haut niveau (Article L. 131-15 du code du sport et article 1 des statuts de la FFF).

C’est donc en agissant en tant que délégataire de service public que la fédération française de football, par l’intermédiaire de son sélectionneur, a arrêté la liste des 23 joueurs français présélectionnés pour participer au prochain mondial en Russie.

Dès 1938, le Conseil d’État avait admis que des personnes morales de droit privé pouvaient gérer des missions de service public et que les actes pris dans le cadre de cette gestion étaient susceptibles d’être contestés devant le juge administratif (CE 13 mai 1938, Caisse primaire Aide et Protection).

Concernant les fédérations sportives, le Conseil d’État a considéré que « dans le cadre de l’exécution de leur mission de service public, les décisions prises par les délégataires mentionnés à l’article L. 131-14 sont des décisions administratives dès lors qu’elles procèdent de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique conférées à cette personne pour l’accomplissement de la mission de service public qui lui a été confiée » (CE 8 avril 2013, Fédération française des sports de glace, n° 351735).

Différents actes pris par les fédérations et qui se rattachent à l’exercice de leur mission de service public sont donc attaquables devant le juge administratif.

  • Les sanctions prises par une fédération sportive à l’encontre d’un de ses licenciés peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif
C’est ainsi que Leonardo, ancien directeur sportif du Paris Saint-Germain a pu contester devant le tribunal administratif de Paris la sanction par laquelle la commission supérieure d’appel de la Fédération française de football avait prononcé sa suspension jusqu’au 30 juin 2014 de toute activité sportive dans la discipline du football en France.

Par un arrêt du 28 avril 2014, le Conseil d’État a suspendu la décision de la fédération française de football au motif que l’ancien directeur sportif du Paris Saint Germain n’était tout simplement pas titulaire d’une licence délivrée par la fédération (CE 28 avril 2014, Fédération française de football, n° 373051).

  • Le choix de l’équipementier de l’Equipe de France a pu également être contesté
Le juge administratif a sanctionné la disposition du règlement de la fédération française de football (FFF) obligeant équipes participant à la Coupe de France de revêtir les tenues de l’équipementier partenaire de la fédération (CE 3 avril 2006, Société Nike, n° 271885).

Il a considéré à cet effet que l’exclusivité ainsi octroyée à un équipementier n’était pas justifiée par un intérêt général au regard de la mission de service public confiée à la FFF et qu’elle constituait alors un détournement de pouvoir. C’est ainsi qu’à compter de l’édition 2006-2007, les clubs ont pu disputer la Coupe de France avec leurs propres partenaires techniques, sans nécessairement revêtir des maillots « Adidas ».

  • Concernant les décisions sportives proprement dites, le juge refuse de s’immiscer dans l’appréciation technique du jeu
Les décisions prises en matière d’arbitrage sont insusceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE 26 juillet 1985, Association sportive d’Erstein, n° 51625). Le contrôle du juge ne saurait contrôler dans l’appréciation des règles du jeu tant des arbitres que des organes de la fédération (CE 29 septembre 2003, Société UMS Pontault-Combault Handball, n° 248140).
 
En revanche, le choix des joueurs appelés en sélection nationale n’est pas étranger à tout contrôle du juge.

Par un arrêt du 8 avril 2013, le Conseil d’État a considéré que les décisions prises par les fédérations délégataires sur le fondement de l’article L. 131-14 du code du sport « relatives à la sélection des sportifs dans les équipes nationales, qu’elles aient pour effet de permettre cette sélection ou d’y faire obstacle, procèdent de la mise en œuvre des prérogatives de puissance publique qui ont été conférées à ces fédérations pour l’accomplissement de leur mission de service public et présentent, par suite, le caractère d’actes administratifs » (CE 8 avril 2013, Fédération française des sports de glace, n° 351735).

Dans cette affaire, le Conseil d’État était saisi par un sportif sollicitant de sa fédération l’autorisation de quitter l’équipe de France de bobsleigh pour pouvoir participer aux compétitions sportives internationales au sein de l’équipe présentée par la fédération monégasque.

Saisi d’un acte administratif, le juge a pu annuler le refus de la fédération française des sports de glace de retirer l’intéressé de la sélection nationale.

Cette demande était adressée sur le fondement de l’article 3 du règlement de septembre 2007 de la fédération internationale de bobsleigh et de tobogganning aux termes duquel un athlète ne peut représenter qu’une seule nation durant n’importe quelle saison de compétition.

Si l’annulation contentieuse d’une telle décision est possible, en revanche, les mérites sportifs des sélectionnés ne sont pas invocables. Si le juge peut contrôler que la fédération s’est appuyée sur des critères sportifs pour procéder à sa sélection, en revanche, il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’appréciation qu’elle porte dans le cadre de l’examen des critères de sélection (CAA Paris, 18 février 2013, Fédération française des sports de glace, n° 11PA01618).

  • En tout état de cause, le recours pour excès de pouvoir, s’il devait aboutir à l’encontre de la liste des joueurs français sélectionnés pour partir en Russie s’avérerait particulièrement inefficace
La FIFA ayant demandé que la pré-liste de 35 joueurs maximum soit communiquée le 14 mai dernier au plus tard, tandis que la liste définitive devra être remise le 4 juin, l’annulation éventuelle de la sélection par le juge ne permettrait pas de faire parvenir une nouvelle liste à la FIFA.
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Toutefois, il convient de souligner que les décisions que prennent les fédérations dans l’exercice de prérogatives de puissance publique peuvent entraîner la mise en cause de leur responsabilité (CAA Paris, 8 avril 2003, Fédération française de handball, n° 02PA03458).

Ainsi, à supposer que des irrégularités fussent commises dans la sélection établie, un préjudice résultant de la perte d’une chance d’être sélectionné en qualité de membre de l’équipe de France serait indemnisable.

Il pourrait être invoqué par exemple le recours à des critères de sélection étrangers à l’appréciation de la valeur sportive d’un joueur ayant entraîné pour l’un d’entre eux une perte de chance d’être sélectionné. C’est ainsi que dans un tweet du 13 mai 2014, le sélectionneur national avait été accusé de racisme dans la composition de l’équipe. L’allégation demeure néanmoins particulièrement délicate à prouver, notons que le Conseil d’Etat a récemment considéré dans une affaire que le moyen tiré de ce que la non-sélection d’un sportif était motivée par ses origines n’était pas de nature à permettre l’admission d’un pourvoi (CE 5 mars 2014, M. Marie-Calixte, n° 374165).

Dès lors, outre le fait générateur, il ne reste plus qu’à déterminer pour les requérants potentiels comme Adrien Rabiot un lien de causalité et la teneur de cette perte de chance.

Article en partenariat avec Maître Stanislas François, Avocat au Barreau de Lyon
SisypheAvocatsDans la nuit du 29 décembre 2017, une jeune femme de 22 ans, Mme Naomi Musenga est tragiquement décédée suite à un défaut de prise en charge rapide par le SAMU. Il résulte d’un enregistrement audio glaçant de l’échange entre Mme Musenga et le service d’urgence que ce dernier n’aurait pas pris au sérieux sa pathologie (défaillance multi viscérale sur choc hémorragique) allant même jusqu’en plaisanter :

"- J'ai mal au ventre, j'ai mal partout, je vais mourir...",
"- Oui, vous allez mourir, certainement un jour comme tout le monde (rires)"

Le défaut de déclenchement rapide des secours a conduit au décès de la jeune femme, qui vivait seule chez elle : ayant d’abord joint le centre d’appels des pompiers qui ne l’a pas prise au sérieux, elle a été renvoyée vers le SAMU, qui s’est moqué d’elle, puis vers SOS Médecins. Autant de temps perdu qui a scellé son sort.

C’est l’occasion de s’intéresser aux différentes responsabilités identifiables, et aux actions dont disposent aujourd’hui les ayants droit de la victime pour agir en justice.

Le cadre général de ce dramatique événement concerne la fonction publique hospitalière, puisque la jeune femme a contacté le SAMU qui dépend juridiquement d’un CHU. En la matière, la responsabilité est traditionnellement fondée (TC, 30 juillet 1873, Pelletier, n°00035) :

  • Soit sur la faute du service, à savoir un défaut d’organisation du SAMU (dysfonctionnement du service de secours) ayant conduit au drame,
  • Soit sur la faute personnelle d’un agent du SAMU dans l’exercice de ses fonctions,
  • Soit sur un cumul des deux fautes (CE, 3 février 1911, Anguet, n°34922).
De la caractérisation de la faute dépend le régime juridique applicable en matière de responsabilité :

  • La faute de service engage la seule responsabilité du service (le CHU dont dépend le SAMU) devant le juge administratif,
  • La faute personnelle engage la responsabilité personnelle du praticien devant le juge judiciaire.
Juridiquement, l’opératrice téléphonique du SAMU ayant cyniquement plaisanté sur le cas de Mme Musenga doit être regardée comme un assistant de régulation médicale (ARM) relevant statutairement de la fonction publique hospitalière. Il semble assez clair à ce stade, au regard des éléments dont nous disposons, qu’une faute personnelle de cet agent puisse aisément être caractérisée au cas d’espèce. En effet, au regard de la jurisprudence applicable, la faute personnelle peut notamment être celle qui se détache du service en raison de sa particulière gravité.

En ne prenant pas au sérieux l’appel d’une patiente et en s’en moquant au mépris de toute déontologie, il semble établi que l’assistant de régulation médicale du SAMU s’est rendu coupable d’une faute personnelle détachable du service en raison de sa particulière gravité, puisque la faute a conduit au décès de Mme Musenga. La violation flagrante du Code de déontologie médicale conduit également fréquemment à la caractérisation d’une faute personnelle détachable du service.

À l’inverse, il semble difficile de reconnaître une faute de service en la matière, dans la mesure où ce n’est pas le SAMU en tant que service d’urgence qui a dysfonctionné, mais bien l’un de ses agents pris isolément.

Néanmoins, un lien avec le service est existant puisque l'agent étant en poste au SAMU lorsqu'il a commis sa faute. Le système de responsabilité français est assez souple, dans l’intérêt des victimes et leurs ayants droit (TC, 19 mai 2014, Commune de Ventabren, n°C3939). Ainsi, même si le SAMU n’a commis aucune faute, puisqu'un lien même infime avec le service existe, les ayants droit de Mme Musenga auront le choix :
 
  • Soit d’engager la responsabilité du service (CHU dont dépend le SAMU) devant le tribunal administratif,
  • Soit d’engager la responsabilité de l’agent in personam devant le tribunal de grande instance.
Par le jeu des actions récursoires, et dans l’hypothèse où une faute personnelle détachable du service en raison de sa gravité serait caractérisée (ce qui est probable), la seule responsabilité de l’agent fautif du SAMU sera retenue in fine par le Tribunal saisi : le SAMU se retournera juridiquement contre l’agent fautif (CE, 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, n°04032) pour se décharger de responsabilité.

Rien ne répare le décès d’un proche, et les larmes n’ont pas de prix. Mais dans une optique d’indemnisation rapide et de solvabilité, il est préférable pour les ayants droit de la victime d’agir contre le CHU dont dépend le SAMU en question devant le juge administratif. Classiquement, un tel recours sera précédé d’une demande préalable d’indemnisation adressée au directeur du CHU, afin de lier le contentieux.

Les situations similaires à celle rencontrée par Mme Naomi Musenga sont heureusement rares. Dans une décision du 30 juin 2017, le Tribunal administratif de Nantes a toutefois récemment reconnu la responsabilité d’un CHU en raison d’un retard du SAMU dans la prise en charge d’un patient : le médecin régulateur avait considéré que la personne était ivre ou dépressive et n’avait pas mobilisé les moyens médicaux adéquats, ce qui avait eu pour conséquence d’aggraver le préjudice de la victime (Tribunal administratif de Nantes, 30 juin 2017, n° 1410488).

Bien évidemment, les ayants droit de la victime disposent en parallèle de la possibilité d’engager la responsabilité pénale de l’assistant de régulation médicale devant le tribunal correctionnel de ressort sur le fondement de la non-assistance à personne en danger (A. 223-6 du Code Pénal) voire de l’homicide involontaire (A. 221-6 du Code Pénal), outre l’action Ordinale.

Afin de voir sa responsabilité partagée (donc diminuée), l’assistant de régulation médicale mis en cause pourra toutefois engager une action récursoire contre le centre d’appels des pompiers, qui a été le premier à prendre l’appel de Mme Musenga. Il semble en effet que le service des pompiers aurait été le premier à dire « La dame que j'ai au bout du fil, elle me dit qu'elle va mourir. Si si, ça s'entend, elle va mourir » (L’Obs). Cet élément pourrait induire un partage de responsabilité puisqu’il pourrait être démontré que le centre d’appels des pompiers a influencé la prise en charge par l’assistant de régulation médicale du SAMU.

De la même manière, l’assistant de régulation médicale pourrait mettre en cause le médecin régulateur du SAMU, qui est seul en capacité de déclencher l’intervention des secours et qui semble avoir réagi tardivement en l’espèce.

Ce fait divers tragique peut surtout être l'occasion d'une refonte globale des services d'urgence, afin d'éviter toute réitération. 


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Faisant suite aux violents incidents qui ont émaillé Paris ce samedi 28 novembre 2020 au cours de la manifestation contre la loi de sécurité globale, d’aucuns se sont interrogés sur la réponse de l’État face aux « black blocs », ce groupe d’extrême gauche responsable des affrontements. Si le droit ne peut pas tout et qu’il est difficile de se prémunir de tout risque, trois pistes méritent toutefois d’être sérieusement envisagées.

1/ Peut-on juridiquement interdire les blacks blocs ?

L’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure prévoit sept cas de figure dans lesquels le gouvernement peut dissoudre toutes les associations ou groupements de fait, et notamment :

  • S’ils provoquent à des manifestations armées dans la rue ;
  • S’ils présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;
  • Ou s’ils ont pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement.
La dissolution de l’association ou du groupement de fait prend la forme d’un simple décret en conseil des ministres.

Si les évènements du samedi 28 novembre se limitent à la destruction du mobilier urbain et de biens privés, ainsi que des faits de violence contre des représentants des forces de l'ordre, le gouvernement semble toutefois légitimement fondé, en théorie, à prononcer la dissolution des « black blocs » compte tenu de la situation insurrectionnelle rencontrée.

Néanmoins, un décret ministériel pris en ce sens n’aurait aucune incidence sur le réel. En effet, la mouvance « black blocs » est un groupement de fait, sans organisation, sans représentant, transnational et bien évidemment sans la moindre existence juridique. On touche alors aux limites de la puissance du droit : fût-il pris en conseil des ministres, un décret n’a pas la capacité de détruire un regroupement d’individus qui n’existe que ponctuellement, pour disparaître et se reconstituer aussitôt.

Juridiquement, les « black blocs » semblent donc insaisissables en tant que groupement, puisque le droit ne peut pas agir sur ce qui n’existe pas dans l’ordonnancement juridique.

2 / Peut-on sanctionner individuellement les blacks blocs ?

Sur le plan pénal, l’arsenal juridique semble suffisant pour sanctionner individuellement les « black blocs ».

En effet, comme nous l’avons d’ailleurs constaté ce 28 novembre, les individus identifiés comme casseurs au sein de la manifestation peuvent être rapidement interpellés par les forces de l’ordre, placés en garde à vue puis déférés rapidement devant le Procureur de la République ou le juge d’instruction.

Dans ce cadre, outre les sanctions pénales pouvant aller jusqu’à la prison (en fonction des infractions commises) une interdiction de manifester pourra être prononcée à leur endroit sous la forme d’une peine complémentaire prévue à l’article L. 211-13 du Code de la sécurité intérieure qui dispose que :

« Les personnes s’étant rendues coupables, lors du déroulement de manifestations sur la voie publique [de certaines infractions] encourent également la peine complémentaire d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans des lieux fixés par la décision de condamnation, pour une durée ne pouvant excéder trois ans. […] Le fait pour une personne de participer à une manifestation en méconnaissance de cette interdiction est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Cette interdiction pénale de manifester est toutefois prononcée a posteriori, alors que le mal est déjà fait dans cette hypothèse. Elle limitera le risque de récidive, mais n’aura aucun effet, par nature, sur les dégâts déjà occasionnés.

On touche alors à une limite de notre droit, mais également à une évolution possible : c’est la création d’une interdiction administrative individuelle de manifester, en amont de toute infraction, qui constitue une troisième piste.

3/ La création d’une interdiction administrative individuelle de manifester

Tous les français sont attachés à la liberté de manifester, protégée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Comme toute liberté, cette dernière s’exerce dans les limites du risque de trouble à l’ordre public, apprécié par l’autorité administrative sous le contrôle du juge. Les pouvoirs publics peuvent ainsi interdire une manifestation si elle est de nature à troubler l’ordre public (A. L211-4 du Code de la sécurité intérieure).
 
Néanmoins, on constate que les « black blocs » se greffent toujours sur des manifestations existantes, en cours de défilé sans jamais en être à l’origine. L’interdiction préalable d’une manifestation dans son ensemble est donc sans effet sur ces groupes de casseurs.
 
Plus efficace semble être l’interdiction administrative individuelle de manifester, qui n’existe pas à ce jour dans notre droit : c’est l’idée de donner la possibilité aux Préfets d’interdire à un ou plusieurs individus identifiés de manifester, pour une durée déterminée, sans qu’ils n’aient jamais été nécessairement condamnés sur le plan pénal.

On pense ici à des individus identifiés par les pouvoirs publics comme appartenant à la mouvance « black blocs » qui n’auraient jamais été sanctionnés pénalement et s’apprêteraient à participer à une manifestation pour semer le chaos.

C’est dans le cadre d’un rapport parlementaire de 2015 qu’avait été proposée au législateur l’introduction dans le droit français d’un tel dispositif préalable d’interdiction administrative de manifester, en l’absence de toute infraction pénale.

L’autorité préfectorale devrait alors apprécier si la personne concernée constitue une menace pour l’ordre public, en utilisant le faisceau d’indices suivant :

  • L’individu a déjà été nominativement condamné (le cas échéant), ou est « connu en tant que casseur violent » (sans nécessairement avoir été condamné) ;
  • Des risques sérieux et manifestes de trouble à l’ordre public sont existants ;
  • Des indices matériels faisant redouter la commission d’une infraction à l’occasion de la manifestation ont été relevés.
L’arrêté emporterait alors interdiction préalable pour la personne identifiée, de pénétrer, pendant une durée déterminée, au sein d’un périmètre spécifique comme celui d’une manifestation.

On pourrait imaginer un système de pointage en commissariat ou gendarmerie à l’occasion de chaque grande manifestation, à l’instar de la procédure prévue pour les hooligans interdits de stade, obligés de pointer le jour de chaque rencontre sportive de leur équipe, afin de s’assurer de la neutralisation des individus identifiés comme « black blocs ».

Mais, alors que cette nouvelle mesure proportionnée et très efficace avait été votée en première lecture par le Parlement dans le cadre de la très médiatique loi "anti-casseurs", c'est le Conseil constitutionnel qui a empêché son entrée en vigueur par sa décision contestable du 4 avril 2019 au nom du droit de toute personne à la "libre expression collective des idées et des opinions".

L'interdiction administrative de manifester est pourtant par ailleurs déjà fréquemment utilisée en Belgique et en Allemagne, avec efficacité selon le rapport parlementaire susmentionné.

Il semble, au regard des violences du 28 novembre, que la piste de la création d’une interdiction administrative de manifester doive être aujourd'hui réactivée. Bien utilisée, elle aurait pour avantage de neutraliser des « black blocs » en amont de manifestations identifiées comme à risque et donc de limiter le risque de violence. N'en déplaise au Conseil constitutionnel, la liberté d'expression n'est pas la liberté de casser. 

Cette mesure n’est pas seule à même de répondre à la menace « black blocs » et le droit ne peut pas tout face au réel. Elle a toutefois le mérite de constituer une piste intéressante d’évolution de notre droit, aux fins de préserver partout l’ordre républicain.

***

SisypheAvocats

Inutile d’entretenir un suspens artificiel, pour le Conseil d’État, c’est non. C’est à l’occasion d’un litige relatif à l’acquisition de la nationalité française que la Haute juridiction administrative française a eu l’occasion de se prononcer sur le sujet, le 11 avril 2018 (n°412462).

Les faits sont les suivants : une ressortissante algérienne qui sollicitait l’acquisition de la nationalité française par mariage a refusé de serrer la main du secrétaire général de la préfecture ainsi que celle d'un élu d'une commune du département qui étaient tous deux venus l'accueillir lors de la cérémonie d'accueil dans la nationalité française organisée à la préfecture de l'Isère. Elle a par la suite indiqué que ce refus était motivé par ses convictions religieuses.

Dans ces circonstances, le Premier ministre s'est opposé par décret à l'acquisition de la nationalité française par l’intéressée, sur le fondement de l’article 21-4 du Code civil, au motif que le comportement de cette dernière empêchait qu'elle puisse être regardée comme assimilée à la communauté française.

Saisi au contentieux d’un recours en excès de pouvoir contre le décret du Premier ministre, le Conseil d’État a donné raison au chef du gouvernement, estimant qu’il avait fait une juste application des dispositions de l'article 21-4 du Code civil, lequel dispose que :

" Le Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'État, pour indignité ou défaut d'assimilation, autre que linguistique, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un délai de deux ans à compter de la date du récépissé prévu au deuxième alinéa de l'article 26 (...) "

Selon le Conseil d’État, ce refus du Premier ministre :

  • N'a ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté religieuse de l'intéressée,
  • Ne méconnaît pas l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat,
  • Et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
On retiendra donc que le Conseil d’État considère que le refus pour une femme de serrer la main d’un homme pour des raisons religieuses est un obstacle à son assimilation à la communauté française et donc à l’acquisition de la nationalité française. Cette décision doit être saluée comme celle d’une République qui ne transige pas sur ses règles élémentaires de vivre ensemble, telle que l’égalité entre les hommes et les femmes.

11042018
SisypheAvocats« Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ! » disait le Président Sarkozy le 5 juillet 2008. Force est toutefois de constater que la grève qui touche actuellement la SNCF n’est pas passée inaperçue pour les français.

En 2008, le chef de l’État faisait alors référence à sa loi du 21 août 2007, présentée comme ayant pour seul objet d’instaurer un service minimum dans les transports publics. Plus de dix ans après, pourquoi ce service minimum n’est-il toujours pas applicable à la SNCF ?

S’il est souvent très conflictuel, le secteur des transports publics est surtout le point de convergence de toute la société civile. Quelle que soit la légitimité du conflit social, une grève des transports publics entraîne donc mécaniquement des répercussions multiples :

  • Un ralentissement de l’activité économique, puisque les citoyens ont du mal à regagner leur lieu de travail,
  • Des pics de pollution importants, puisque les usagers se reportent sur l’automobile,
  • Une paralysie des services publics tels que l’école ou l’enseignement supérieur, dans la mesure où les étudiants ne peuvent pas se rendre sur site,
  • Des difficultés pour les services publics urgents de santé et de sécurité comme les ambulances, les pompiers ou la police nationale dont les agents peuvent se retrouver bloqués dans les embouteillages occasionnés par la grève.
Pour remédier à ces difficultés importantes, la question d’un service minimum dans les transports publics revient de manière récurrente dans le débat public. Cette question est épineuse, en tant qu’elle vise à concilier deux principes constitutionnels de prime abord inconciliables : le droit de grève et la continuité du service public.

Bien que le fonctionnement régulier des services publics soit une condition sine qua non de celui du marché intérieur, on relèvera d’abord l’absence de réglementation communautaire d’ensemble en matière de service minimum : la mise en place de telles règles relève donc intégralement de l’initiative individuelle de chaque Etat membre en application du principe de subsidiarité.

S’il n’existe aucune législation globale sur le service minimum en France, on trouve cependant des textes qui le prévoient ponctuellement dans certains secteurs :

Tel qu’il a été rappelé, dans le domaine des transports publics, c’est une loi du 21 août 2007 aujourd’hui codifiée dans le Code des transports qui a été présentée comme instaurant un service minimum obligatoire. Plus de dix ans après son entrée en vigueur, il nous est toutefois possible d’affirmer avec le recul qu’il n’en est rien.

En effet, la loi permet à l’autorité organisatrice de transport (la personne publique) alertée d’un mouvement de grève à venir de définir des dessertes prioritaires (grands axes de circulation transportant un maximum de voyageurs quotidiennement) et de fixer en conséquence, en fonction de la perturbation prévisible, un niveau minimal de service public à assurer.

Sur cette base, l’entreprise de transport (exploitant le réseau) doit être le siège de négociations entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives en vue de la conclusion d’un « accord collectif de prévisibilité du service » applicable en cas de perturbation prévisible du trafic ou de grève (A. L1222-7 du Code des transports). C’est cet accord qui doit tendre à la mise en œuvre du service minimum.

Enfin, la loi se contente d’imposer sous peine de sanction disciplinaire aux agents indispensables pour l’exécution du service public d’informer leur chef de service de leur intention de participer à une grève au plus tard 48 heures avant leur participation effective à celle-ci (A. L1324-7 du Code des transports).

Toutefois, la loi du 21 août 2007 trouve sa limite dans le fait que le législateur n’a pas fait le choix de permettre la réquisition de personnels lors d’une grève. Par conséquent, en l’état de la législation applicable, le service minimum se limite à l’affectation de « personnels disponibles » (c’est-à-dire non-grévistes) sur les dessertes prioritaires définies par la personne publique.

L’effectivité du service minimum est donc à ce jour liée à l’ampleur du mouvement social, ce qui est antinomique avec l’idée même de « service minimum » : face à une grève générale ou un conflit social de très grande ampleur, le service minimum ne pourra donc jamais être assuré faute de « personnels disponibles », et sans possibilité de réquisitionner du personnel supplémentaire.

Le droit de réquisition paraît pourtant constitutionnel, le Conseil constitutionnel ayant rappelé qu’il appartient au législateur d’apporter au droit de grève les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, et que « ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays » (Décision n° 87-230 DC du 28 juillet 1987).

À titre de comparaison, d’autres pays ont fait le choix du pouvoir de réquisition des agents pour s’assurer de l’effectivité du service minimum :

  • En Italie, l’administration publique dispose d’importants pouvoirs de réquisition du personnel puisque la loi prévoit que « lorsqu'il existe un danger réel de préjudice grave et imminent aux droits de la personne garantis par la constitution, en raison de la paralysie de services d'intérêt général essentiel provoquée par un arrêt collectif du travail » et que, toute tentative de conciliation ayant échoué, cette situation perdure le Président du conseil, le ministre désigné par lui à cet effet ou le préfet de région, en fonction de la portée du conflit, « impose, à l'administration ou à l'entreprise prestataire, les mesures permettant d'assurer un fonctionnement approprié des services, conciliant ainsi l'exercice du droit de grève et la jouissance des droits de la personne protégés par la constitution » (A. 8 de la loi italienne du 12 juin 1990 sur le service minimum) ;
  • Au Québec, un « Conseil des services essentiels » peut de sa propre initiative ou sur demande de toute personne intéressée « ordonner à toute personne impliquée dans le conflit de faire ou de s'abstenir de faire toute chose qu'il lui paraît raisonnable d'ordonner compte tenu des circonstances dans le but d'assurer le maintien de services au public » (A. 111.17 du Code du travail du Québec).
Mais en France, le seul pouvoir de réquisition existant est celui du Préfet qui dispose du droit de requérir, en urgence, toute personne nécessaire au fonctionnement d’un service dans l’hypothèse d’une atteinte grave à l’ordre public (A. L2215-1 du CGCT). Comme le rappelle Libération, ce pouvoir n’a toutefois jamais été mis en œuvre à la SNCF depuis l’après-guerre.
 
La loi du 21 août 2007 pourrait donc être modifiée pour inclure un pouvoir de réquisition du chef de service sur ses agents. C’est la seule solution pour garantir un vrai service minimum, dans l’intérêt des usagers.

On notera toutefois que les grèves illégales (conducteurs débrayant sans préavis), l’exercice du droit de retrait par les salariés ou encore les « grèves-flash » (impromptues et de moins d’une heure) constituent autant de facteurs qui, seuls ou combinés, peuvent faire disparaître, en pratique, l’idée même de service minimum.

L’honnêteté commande donc d’avertir les usagers de la SNCF : un service minimum stricto sensu est utopique dans le domaine des transports car l’emprise nous manque sur la plupart des facteurs entravant le trafic. Présenté comme social, la grève reste avant tout un conflit dont les usagers sont toujours les victimes.

affiche menard
Le maire de Béziers Robert Ménard a annoncé ce lundi 11 décembre le lancement d’une campagne d’affichage publicitaire sordide. Présentée comme une campagne en faveur du TGV Occitanie, l’affiche met en réalité en scène un sinistre fait divers de juin 2017 : en Eure-et-Loir, un homme avait tué son épouse en l’attachant sur les rails du train (Le Parisien).

Au-delà du caractère particulièrement choquant de cet affichage, des considérations juridiques doivent conduire à l’interdire. En effet, l’affichage publicitaire est strictement encadré juridiquement en France.

Si le droit d’exprimer et de diffuser informations et idées, quelle qu’en soit la nature, par le moyen de la publicité et d’enseignes est protégé (Article L581-1 du Code de l’environnement), il n’en demeure pas moins que ce droit est, comme toute liberté, limité par les impératifs de protection de l’ordre public et le principe de dignité de la personne humaine (composante de l'ordre public depuis CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge).  

C’est ce qu’a rappelé, à titre d’exemple, le Tribunal Administratif de Montreuil le 9 novembre 2017 (a contrario) :

montreuil copy

Si une appréciation doit nécessairement être portée sur les faits d’espèce, sous le contrôle du juge administratif, il est indéniable que l’affiche annoncée par Robert Ménard porte atteinte à l’ordre public et à la dignité de la personne humaine en tant qu’elle relativise, voir encourage le meurtre (avec circonstance aggravante de sexisme).

L’affiche présentée n’est donc pas conforme aux règles applicables en matière d’affichage publicitaire.

Le maire dispose de la compétence de principe en matière d’ordre public (Article L2212-2 du CGCT). Ceci signifie que c’est lui qui doit s’assurer du respect des règles applicables en matière d’affichage publicitaire sur sa commune. La difficulté en l’espèce vient du fait que c’est le maire Robert Ménard lui-même qui procède à un affichage irrégulier ! Dans ce cas de figure particulier, la loi prévoit que le Préfet dispose d’un pouvoir de substitution au maire en situation de carence dans l’exercice de ses pouvoirs de police. En effet, quand un maire ne prend pas les mesures de police nécessaires au maintien de l’ordre public sur son territoire, le Préfet est en droit, après une mise en demeure restée sans résultat, de prendre les mesures nécessaires en se substituant au maire (Article L2215-1 du CGCT). Le Préfet agit alors au nom de la commune, qui supportera donc l’éventuelle responsabilité.

Cette configuration particulière suppose toutefois que le Préfet soit en capacité de démontrer l’inaction du maire (autrement dit, le fait de maintenir les affiches malgré leur illégalité manifeste), mais aussi un péril grave et caractérisé.

Si l’illégalité de l’affichage et la carence du maire Robert Ménard dans l’exercice de ses pouvoirs de police font peu de doute, il paraît toutefois difficile à ce stade pour le Préfet de caractériser un « péril grave et caractérisé » lié audit affichage.

Si le Préfet peut tout à fait souverainement considérer que la situation d’espèce commande qu’il fasse usage de son pouvoir de substitution en agissant à la place du maire, nous lui conseillerons, pour une plus grande sécurité juridique, de se limiter à adresser une mise en demeure au maire de procéder au retrait, et de déférer son refus (le cas échéant) au contrôle du juge administratif, au besoin en référé. Ainsi, c’est le juge administratif qui prendra la responsabilité d’enjoindre au maire, au besoin sous astreinte, de retirer les affiches.  

Nous ne pouvons pour notre part que plaider en ce sens.

SisypheAvocatsInterrogé spécifiquement sur le cas des mères voilées accompagnant les sorties scolaires (Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI), le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a déclaré dimanche qu'un parent accompagnant une sortie scolaire devait être considéré comme un « collaborateur bénévole du service public » et ne devrait « normalement » pas porter de signe religieux (BFMTV).

Quel est l’état du droit en la matière ?

Un certain flou juridique règne sur ce sujet. En effet, des juridictions administratives de première instance ont pris des positions divergentes :

Le Tribunal administratif de Montreuil a le premier estimé que le principe de neutralité de l’école laïque faisait obstacle à ce que les parents d’élèves manifestent, dans le cadre de l’accompagnement des sorties scolaires, par leur tenue ou par leur propos, leurs convictions religieuses (tout comme politiques ou philosophiques) (TA Montreuil, 22 nov. 2011, n° 1012015). Pour le TA de Montreuil, l’interdiction est donc absolue :

Montreuil
Par la suite, le Tribunal administratif de Nice a pour sa part estimé que seules des « considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service » pouvaient fonder une interdiction d’accompagner une sortie scolaire opposée à un parent manifestant par sa tenue ou par ses propos, des convictions religieuses (TA Nice, 9 juin 2015, n° 1305386). Selon le TA de Nice, une interdiction est donc possible, mais elle est relative :
Nice
Il convient à ce stade de rappeler que le droit applicable en la matière dépend de la qualité du sujet auquel il s’applique. Ainsi, pour rendre sa décision, le TA de Montreuil a regardé juridiquement les parents d’élèves accompagnateurs de sorties scolaires comme des « collaborateurs occasionnels du service public », quand le TA de Nice les a considérés comme des « usagers du service public » (les règles juridiques, notamment de laïcité, étant évidemment plus strictes pour le collaborateur occasionnel du service public, qui participe par définition au service, que pour l’usager).

Face aux hésitations des juridictions du premier degré, le Conseil d’État s’est prononcé le 23 décembre 2013 dans le cadre d’un avis (non publié) en indiquant que si les mamans accompagnatrices devaient être considérées juridiquement comme des usagers du service public, les « exigences liées au bon fonctionnement du service public de l'éducation ou au respect de l'ordre public » pouvaient conduire l'autorité compétente à « recommander de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses » (Livret laïcité de l'éducation nationale, page 28).

CE

Il résulte donc de l’état du droit applicable que l’autorité compétente (le chef d’établissement) est fondée juridiquement à interdire aux mamans voilées (comme à toutes les autres religions) d’accompagner une sortie scolaire (si elles portent le voile pendant la sortie), mais seulement si des exigences liées au bon fonctionnement du service public ou à l’ordre public le justifient.

Reste donc à définir concrètement quelles circonstances pourraient être telles, que le bon fonctionnement du service public ou l’ordre public seraient menacés par le port d’un voile islamique par une maman accompagnatrice (par exemple). Il nous semble que le curseur soit celui du prosélytisme, à appliquer donc au cas par cas.

La difficulté vient toutefois du fait que le Conseil d’État s’est prononcé sur ce sujet dans le cadre d’un simple avis, donc sans hypothèse concrète permettant d’illustrer sa prise de position, et avec une valeur juridique toute relative. Une décision contentieuse de la Haute juridiction nous paraît donc plus que souhaitable, à ce jour, pour clore ce sujet polémique.

Elle serait bienvenue.

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