À Clermont-de-l'Oise (60), c’est la stupéfaction… Au détour d’un reportage diffusé par France 2 (
Stade 2), les parents d’élèves ont en effet appris que l’institutrice de leurs enfants, Madame Amale DIB, se transformait la nuit venue en une diva du catch se faisant appeler « French Hope » (
France bleu radio), activité qu’elle pratique sur son temps libre.
Offusqués de ce qu’ils considèrent comme une « double vie » qui serait incompatible avec le métier d’enseignant, les parents d’élèves ont saisi le rectorat de la question (
Le courrier picard). Depuis lors, l’enseignante est en arrêt maladie.
Alors qu’en est-il juridiquement ? L’institutrice a-t-elle le droit d'être également catcheuse ?
Il va de soi qu’un professeur des écoles relève juridiquement de la fonction publique et est astreint en tant que tel à une déontologie particulière. Historiquement, une
condition de bonne moralité était exigée des candidats à l’accès à la fonction publique, qui justifiait notamment des enquêtes de voisinage. Mais cette condition a été supprimée en 1983 et remplacée par une condition plus objective d’absence de
« mentions portées au bulletin n° 2 (du) casier judiciaire (…) incompatibles avec l'exercice des fonctions » (
article 5 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).
Il va de soi que l’activité de catch n’emporte aucune mention au casier judiciaire car elle n’est pas sanctionnée pénalement, donc l’institutrice de l’Oise n’a rien à craindre de ce côté-là. Mais la jurisprudence considère toutefois que, même en l’absence de mention au casier judiciaire, l’administration peut se fonder, dans l’intérêt du service, sur tous les faits portés à sa connaissance pour refuser l’accès à la fonction publique à un candidat qui ne présenterait pas les garanties requises compte tenu de la nature des fonctions auxquels il postule (
CE, 25 octobre 2004, Préfet de Police c/ Mme Da Silva, n° 256944).
Un refus d’entrée dans la fonction publique aurait donc pu être hypothétiquement opposé initialement à Madame DIB sur la base d’une appréciation de l’administration qui aurait eu connaissance de son activité de catcheuse, qu’elle aurait bien évidemment pu contester le cas échéant devant le juge de l’excès de pouvoir.
Mais la question ne se pose plus réellement en ces termes puisque l’enseignante est déjà en poste aujourd’hui.
La déontologie des agents publics leur impose une stricte obligation de réserve et de neutralité, qui s’étend dans certains cas jusque dans le cadre de la vie privée. Les fonctionnaires doivent ainsi faire preuve de modération et de retenue dans l’expression de leurs opinions et critiques, notamment vis-à-vis de l’administration. Mais, là encore, on voit mal en quoi l’activité de catcheuse, exercée sur le temps libre d’un agent, porterait atteinte à devoir de réserve et de neutralité. En tant que telle, cette activité n’implique en effet aucune critique vis-à-vis de l’administration ni ne relève d’aucune opinion.
C’est plutôt compte tenu des règles applicables aux cumuls d’activités des agents publics que la « catcheuse de l’Oise » pourrait être inquiétée… En effet, au visionnage du reportage de France TV (
Youtube) on peut supposer que l’institutrice tire des revenus de son activité accessoire de catcheuse professionnelle qu’elle exerce les week-ends.
Or le statut de la fonction publique est très clair, qui interdit par principe aux fonctionnaires d’
« exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit » (
article 25 septies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983).
Par exception, les agents publics peuvent toutefois être autorisés à cumuler leur fonction principale avec une activité lucrative accessoire, mais sous deux conditions :
- L’activité accessoire doit demeurer accessoire et ne doit pas interférer avec l’exercice de la fonction principale ;
- Et surtout cette activité accessoire doit être compatible avec l’exercice de la fonction principale.
Dans le cas de la catcheuse, c’est la question de la compatibilité avec l’exercice de la fonction d’institutrice qui pourrait éventuellement poser question. En cas de doute, c’est la commission de déontologie de la fonction publique (dont les fonctions seront reprises par la
Haute autorité pour la transparence de la vie publique à compter du 1
er février 2020) qui pourrait être amenée à se prononcer sur cette compatibilité.
Il faut noter sur ce point que c’est le
décret n°2017-105 du 27 janvier 2017 qui fixe la liste des activités accessoires susceptibles d’être autorisées par l’administration, où l’on trouve notamment les missions de formation, ou les
« activité(s) à caractère sportif ou culturel ».
Mais il serait bien délicat de considérer le catch comme un sport (il relève plutôt du spectacle), et encore moins comme une activité culturelle…
Enfin le décret prévoit que l’activité accessoire ne doit pas porter
« atteinte au fonctionnement normal, à l'indépendance ou à la neutralité du service » (
article 5 du décret).
Nous devrions disposer d’éléments supplémentaires pour porter une appréciation définitive sur le cas qui nous intéresse : l’institutrice tire-t-elle réellement des revenus de son activité accessoire de catcheuse ? Cette activité a-t-elle été déclarée et autorisée préalablement par l’administration ?
Compte tenu des éléments disponibles à ce jour, il semble toutefois que l’activité accessoire de catcheuse professionnelle pourrait être retoquée par l’administration, non pour une question de moralité, mais pour incompatibilité avec l’exercice de la fonction principale de professeur des écoles, au regard des strictes règles de non-cumul d’activités applicables à la fonction publique. Sauf si l’institutrice ne tire aucun revenu de son activité de catcheuse, auquel cas il n’y aurait strictement aucune difficulté à ce qu’elle demeure Madame Amale DIB le jour, et « French Hope » la nuit…
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