Référendum sur ADP : pourquoi il ne verra jamais le jour

mardi, 09 avril 2019 18:10
Untitled 1C’est l’événement du jour. Au moins 197 députés et sénateurs d'opposition ont fait connaître leur intention de provoquer un référendum d’initiative partagée pour empêcher, selon eux, la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) prévue par la loi Pacte. Si l’immense majorité des français semble opposée à cette privatisation, ce n’est certainement pas cette procédure qui parviendra toutefois à la bloquer.

Les conditions de recours à cette votation populaire, jamais utilisée depuis sa création en 2007, sont en effet si strictes qu’il est hautement improbable que cette voie référendaire débouche dans la pratique sur une quelconque consultation des citoyens sur le sujet d’ADP.

La procédure suppose en effet dans un premier temps une initiative d’au moins 1/5 des membres du Parlement (soit 185 parlementaires au moins), qui doivent d’abord déposer une proposition de loi d’initiative référendaire sur le bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat (A. 1 LO du 06/12/13). Cette étape semble acquise à ce stade s’agissant d’ADP au regard de la coalition hétéroclite de circonstances PS LR, PCF et Libertés et territoires pour provoquer la consultation.

Néanmoins, la proposition de loi doit, dans un deuxième temps, être transmise au Conseil constitutionnel par le président de l'assemblée saisie, qui va opérer un contrôle obligatoire très poussé (A. 1 LO du 06/12/13), en vérifiant qu'elle :

  • a bien été initialement portée par 1/5 des membres du Parlement,
  • entre strictement dans les matières référendaires de l’article 11 alinéa 1 de la Constitution,
  • n’a pas pour objet l’abrogation d’un texte promulgué depuis moins d’un an,
  • n’a pas un objet identique à celui d’une proposition déjà rejetée par les électeurs depuis moins de deux ans,
  • n’est pas contraire à la Constitution (dans le délai d’un mois),
  • et ne conduit pas à la diminution de ressources publiques ou à la création / aggravation d’une charge publique.
Le strict contrôle obligatoire opéré par le Conseil constitutionnel en la matière constitue un frein supplémentaire spécifique à cette procédure. D’autant plus que, si le Parlement adopte la loi Pacte avant l’organisation du référendum envisagé sur ADP (ce qui est hautement probable), ce vote fera directement obstacle à la possibilité d’organiser un référendum sur le sujet (la consultation serait alors interdite comme portant sur l’abrogation d’un texte promulgué depuis moins d’un an).

Si malgré tout la proposition de loi passait le filtre du Conseil constitutionnel et que la loi Pacte n’était pas adoptée par le Parlement dans l’intervalle, s’ouvrirait une période de 9 mois pendant laquelle elle devrait recueillir le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit 4,6 millions d’électeurs environ.

Il faut toutefois relever que le soutien est recueilli sous forme électronique sur le site internet https://www.referendum.interieur.gouv.fr (via ordinateur, smartphone, tablette, etc.) (A. 5 LO du 06/12/13) et que la liste des électeurs qui soutiennent une demande de référendum est publiée dans son intégralité, par ordre alphabétique sur le site internet dédié. Elle peut donc être consultée par toute personne se rendant sur le site (A. 7 LO du 06/12/13). Pire encore, la liste doit préciser pour chaque électeur soutenant la proposition de loi (A. 4 décret du 11/12/14) :

  • son nom,
  • son prénom,
  • sa commune, son village ou son consulat d'inscription sur les listes électorales.
Cette diffusion de données personnelles sur internet pourrait être de nature à dissuader un certain nombre de citoyens d’apporter leur soutien à la proposition de loi référendaire (de crainte de voir leurs opinions politiques portées sur la place publique) d’autant plus que tout soutien apporté ne peut plus être retiré.

Mais ce n’est pas tout !

Si la proposition de loi passait tous ces premiers filtres, elle retournerait ensuite devant les Assemblées qui devraient obligatoirement l’examiner au moins une fois dans un délai de 6 mois à compter de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel.

Enfin, et c’est le plus important, si le texte n’était pas adopté par le Parlement dans ce délai (ce qui est probable au regard de la majorité en présence) c’est le Président de la République qui serait in fine seul compétent pour décider souverainement de soumettre, ou pas, la proposition au vote des électeurs par référendum, sans que l’on puisse envisager de moyen de l’y contraindre (A. 9 LO du 06/12/13), ni de soumettre au juge la décision prise.

Calendrier du référendum d’initiative partagée (extrait rapport parlementaire)
Calendrier du référendum d’initiative partagée (extrait rapport parlementaire)

L’examen attentif de la procédure applicable démontre donc qu’un référendum d’initiative partagée sur la privatisation d’ADP est bien loin de voir le jour, comme sur tout autre sujet d’ailleurs. L’outil du référendum d’initiative partagée demeure pourtant intéressant, d’autant plus qu’il a déjà coûté à ce jour un total de 5 millions d’euros au contribuable sans jamais avoir été utilisé…

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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