Elections municipales 2020 : quelles conséquences pour les communes sans candidat ?

samedi, 18 janvier 2020 15:34
Untitled 1À quelques jours des élections municipales, on estime que 28,3% des maires de France ne souhaitent pas se représenter, et que 23% restent encore indécis (Le Monde). Une telle situation n’est pas inédite, puisque 64 communes n'avaient déjà aucun candidat après échéance de la date butoir de dépôt des candidatures lors des précédentes élections de 2014 (Le Monde). Elle s’explique aisément : baisse des compétences transférées de plus en plus aux intercommunalités, hausse des responsabilités liée à la judiciarisation de la vie publique, crise des "gilets jaunes", etc. 

C’est l’occasion de s’intéresser aux conséquences juridiques concrètes pour ces communes sans candidat aux municipales.
 
En l'absence de candidats, l'élection n'est pas organisée. Par suite, le Préfet doit nommer une délégation spéciale chargée, principalement, d'organiser de nouvelles élections (1). Dans l'hypothèse de blocages répétitifs, le Préfet pourrait engager la procédure de dissolution de la commune par fusion (2).

1/ La nomination d’une délégation spéciale

Dans l’hypothèse d’une absence totale de candidat au scrutin municipal, le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), prévoit la nomination d’une « délégation spéciale » chargée de remplir les fonctions du conseil municipal (Article L2121-35 du CGCT).

Une telle délégation spéciale est nommée par arrêté préfectoral dans un délai de 8 jours à compter de la constatation de l’impossibilité de constituer le conseil municipal (soit, en pratique, pour les communes concernées, en fonction des circonstances locales, au plus tard le lundi 23 mars 2020 ou le 30 mars 2020) (Article L2121-36 du CGCT).

A noter toutefois qu’un tel délai de 8 jours n’est qu’indicatif, et n’emporte aucune incidence sur la légalité de l’arrêté préfectoral, que l’arrêté intervienne avant (CE, 12 janvier 1912, Mondolini), ou après l’expiration du délai (CE, 29 mai 1974, Hoarau).

La délégation est composée de (Article L2121-37 du CGCT) :

  • Trois membres dans les communes de moins de 35 000 habitants,
  • Et sept membres maximum dans les communes de plus de 35 000 habitants.
Le CGCT ne pose aucunes conditions relatives aux personnes pouvant être désignées par le Préfet pour faire partie de la délégation : la composition de la délégation est donc libre, la nomination d’anciens membres du conseil municipal étant même admise en jurisprudence (CE, 3 avril 1968, Papin).

La délégation élit en son sein son président qui remplit les fonctions de maire (Article L2121-36 du CGCT).

Les pouvoirs de cette délégation spéciale, non élue mais nommée par le Préfet, sont limités aux actes de pure administration conservatoire et urgente de la commune (ce qui exclut notamment la préparation du budget communal, ou la modification du personnel ou du régime de l’enseignement public dans la commune). Il n’est par ailleurs pas permis à la délégation d'engager les finances municipales au-delà des ressources disponibles de l'exercice courant (Article L2121-38 du CGCT).

En pratique, la mission première de la délégation spéciale consistera bien entendu à organiser de nouvelles élections municipales partielles à venir, pour remédier à la situation de blocage de la vie communale.

Jusqu'en 2009, le CGCT prévoyait un délai maximum de deux à trois mois (en fonction de la situation d'espèce) pour l'organisation des nouvelles élections. Le CGCT a toutefois été modifié sur ce point par l'ordonnance n°2009-1530 du 10 décembre 2009, et se borne aujourd'hui à disposer que "les fonctions de la délégation spéciale expirent de plein droit dès que le conseil municipal est reconstitué" (sans délai préfix) (Article L2121-39 du CGCT). Une jurisprudence constante et très ancienne du Conseil d'Etat considère toutefois que les électeurs doivent être convoqués aux urnes dans un délai maximum de deux mois par la délégation spéciale (CE, 7 août 1885, La Bâtie-Montgascon).

Si les élections partielles sont infructueuses, une nouvelle délégation spéciale pourra être désignée, pour organiser à nouveau des élections. Toutefois, dans l'hypothèse d'un blocage total, à répétition, le Préfet serait contraint d'engager la procédure de dissolution de la commune, par fusion.

2/ La dissolution de la commune

Une situation de blocage total de la vie communale, par impossibilité d'élire un maire et son conseil municipal, malgré l'intervention de délégation(s) spéciale(s), contraindrait le Préfet à envisager la dissolution de la commune concernée, par fusion avec d'autres communes.

Conformément aux dispositions de l'article L. 2113-2 4° du CGCT le Préfet peut en effet toujours initier la procédure de création d'une commune nouvelle en lieu et place de communes contiguës (fusion).

Dans une telle hypothèse, la création de la nouvelle commune est toutefois subordonnée à l'accord des deux tiers au moins des conseils municipaux des communes intéressées, représentant plus des deux tiers de la population totale de celles-ci. Or, comme il a été vu, les pouvoirs de la délégation spéciale nommée par le Préfet dans les communes où aucun candidat ne s'est présenté sont limités aux actes de pure administration conservatoire et urgente de la commune (Article L2121-38 du CGCT).

Ainsi, si la procédure de création d'une commune nouvelle, par fusion de plusieurs communes contiguës, demeure juridiquement envisageable, il semble toutefois, en pratique, que cette procédure pourrait difficilement aboutir (difficulté de recueillir les seuils et majorités requis par le CGCT).

***

Une telle situation atypique dans la vie communale doit nous amener à nous interroger sur les raisons de cette crise des vocations. Si l'extension du scrutin de liste et de l'obligation de parité, ainsi que l'obligation de déclarer toutes les candidatures (impossibilité de voter pour une personne non candidate) constituent autant de facteurs ayant pu contribuer à la présente situation de pénurie de candidats, force est de constater que la fonction de maire n'a plus le même attrait aujourd'hui, comme évoqué.

Le transfert de compétences toujours plus nombreuses aux intercommunalités, ainsi que la responsabilité juridique inhérente à la fonction d'élu local corrélée à l’ensauvagement de la vie publique depuis la crise des "gilets jaunes" peuvent à notre sens expliquer en partie ce désamour des candidats pour le scrutin municipal dans les petites communes.

Il serait sans doute pertinent de s'interroger sereinement sur l'avenir de la fonction de maire, dans un contexte de regroupements intercommunaux toujours plus vastes, aux compétences toujours plus élargies, et à la légitimité démocratique contestable.

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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