Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

Ligne directe : 07.80.99.23.28

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Untitled 1C’est la journaliste Christine KELLY qui a médiatisé cette affaire : dans la nuit du 25 au 26 octobre 2021, le drapeau national bleu-blanc-rouge qui ornait la façade de la Préfecture de Basse-Terre a été « remplacé » par un emblème communautariste guadeloupéen. Ce geste politique visait à remettre en cause l’unité de la Nation française :

Mais peut-on impunément afficher ostensiblement son soutien à une cause indépendantiste au fronton d’un bâtiment public ?

La réponse est évidemment négative et les contrevenants s’exposent à de lourdes sanctions.

De jurisprudence constante, le Conseil d’État considère en effet que le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques (Conseil d’État, 27 juillet 2005, Commune de Sainte-Anne, n°259806).

Le Conseil d’État avait d’ailleurs pris position à propos d’un drapeau indépendantiste martiniquais apposé sur la façade d’une mairie.

Le ministre de l’intérieur a réaffirmé cette interdiction en 2010 dans le cadre d’une réponse ministérielle : « L'apposition de banderoles de revendication sur des édifices publics (...) est contraire (au principe de neutralité) (...) Il revient au responsable des bâtiments concernés de faire retirer ces banderoles, le cas échéant, sous le contrôle du juge administratif. »

De surcroît, l’outrage au drapeau tricolore est puni d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (article R645-15 du Code pénal).

Ces règles s’appliquent à tous les édifices publics de France, et donc à la préfecture de la Guadeloupe, qui ne sont pas des lieux adéquats pour porter des revendications politiques.

Elles protègent nos bâtiments publics de toute récupération politique, philosophique ou religieuse pour les consacrer à l'intérêt général. Et c'est très bien ainsi.


Untitled 1La photo n’a sans doute pas été choisie au hasard. Ce matin, le vice-président du Rassemblement national Jordan BARDELLA a publié sur les réseaux sociaux une photo pour inciter les électeurs à aller voter aux élections régionales.

La polémique a été immédiate, puisque l’assesseur en charge du bureau de vote y apparaît voilée. D’aucuns se sont alors interrogés sur la légalité de cette tenue islamique, pour une personne en charge du bon déroulement des opérations électorales républicaines.

Alors qu’en est-il juridiquement ?


Peuvent avoir la qualité d’assesseur (bénévole) tous les électeurs de la commune ainsi que les conseillers municipaux (Article R44 du Code électoral).

Le Code électoral ne prévoit aucune obligation de neutralité pour les assesseurs des bureaux de vote en son sein.

C’est le Conseil d’État qui est venu préciser, par un arrêt remarqué du 15 novembre 2004 (n°268543) que le président et les membres du bureau de vote sont astreints à une obligation de neutralité, afin de ne pas porter atteinte à la liberté et à la sincérité du vote des électeurs :

« Considérant que l'aménagement des locaux dans lesquels se déroule un scrutin ne doit pas porter atteinte à la liberté et à la sincérité du vote et doit, donc, être neutre ; qu'au cours du déroulement du scrutin, le président et les membres du bureau de vote sont, eux-mêmes, astreints à une obligation de neutralité (...) »

Il ne faut toutefois pas extrapoler cette jurisprudence circonstanciée, qui concerne la neutralité politique des membres de bureaux de vote, et non le principe de laïcité. L’obligation de neutralité posée par le Conseil d’État a ainsi vocation à prohiber l'intervention de tout message à connotation politique dans les locaux aménagés pour le vote et ainsi toute forme de pression ou de propagande sur les électeurs dans la salle de scrutin.

Dans le cadre d’une autre décision, le Conseil d’État avait ainsi sanctionné le maire sortant d’une commune qui avait présidé toute la journée le bureau de vote en arborant une tenue (chemise) partisane. La haute juridiction administrative avait annulé les opérations électorales sur ce fondement, estimant que la tenue avait constitué un moyen de pression sur les électeurs altérant la sincérité du scrutin :

« le maire sortant, M. A..., a voté ceint d'une chemise "paréo" aux couleurs de la "liste d'entente communale de Vairao" et a présidé le bureau de vote toute la journée dans cette tenue ; qu'outre l'attitude partisane ainsi adoptée, le maire sortant a arboré son écharpe tricolore, ce qui dans les circonstances de l'espèce, a constitué un moyen de pression supplémentaire sur les électeurs (...) » (Conseil d'État, 8 mars 2002, n°236291)

Le principe de neutralité politique auquel sont strictement astreints le président et les membres du bureau de vote ne peut donc pas être transposé au voile islamique, en l’état des textes applicables, tels qu’interprétés par le Conseil d’État. Sauf à considérer que le voile islamique constituerait une tenue vestimentaire politique de nature à influencer les électeurs, ce qui paraîtrait pour le moins alambiqué.

Enfin, certains pourraient envisager que cet assesseur aurait la qualité de collaborateur occasionnel du service public ou de fonctionnaire et serait donc soumis à une obligation de neutralité religieuse. Mais :

  • Les collaborateurs occasionnels du service public comme les parents accompagnateurs de sorties scolaires ne sont toujours pas à ce jour astreints à une obligation de neutralité religieuse (Article : "Comprendre la polémique sur les mères voilées accompagnatrices de sorties scolaires") ; 
  • Si les fonctionnaires n’ont pas le droit de manifester leurs croyances religieuses, cette obligation est limitée à l’exercice de leurs fonctions. Or le fonctionnaire qui apporte son concours aux opérations électorales en tenant un bureau de vote comme assesseur le dimanche n’intervient pas en tant que fonctionnaire, mais à titre privé comme bénévole. L’obligation de neutralité ne lui est alors pas opposable (Article : "Un agent public peut-il être licencié pour sa barbe trop imposante ?").

L’assesseur en charge du bureau de vote du candidat Jordan BARDELLA avait donc parfaitement le droit d’être voilée.

Si les règles venaient à changer sur ce point à l'avenir, certaines communes auraient encore plus de difficultés à trouver des assesseurs, qui sont déjà rares à se porter volontaires (BFMTV "Pénurie d'assesseurs à un mois des élections départementales et régionales"pour une fonction non rémunérée qui les mobilise sur deux dimanches de juin...

Lire aussi : "Élections départementales 2021 : une candidate peut-elle faire campagne voilée ?"

Untitled 1Le 27 mai 2021, le législateur a adopté le principe du « pass sanitaire » dans le cadre du projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

Concrètement, on entend par « pass sanitaire » :

  • le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19,
  • un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19,
  • ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19.
À ce stade, ce « pass sanitaire » n’a pas été généralisé dans la loi. Il n’est en effet applicable qu’aux événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs, des foires ou des salons professionnels, du 2 juin 2021 et jusqu’au 30 septembre 2021 inclus.

Puisque la loi est limitative, l’exercice des activités qui ne sont pas visées dans le texte ne peut pas à ce stade être conditionné à la présentation d'un « pass sanitaire ». Ce qui ne préjuge pas de l’avenir, si la loi venait à être complétée pour le généraliser.

Or il nous semble que le point très important des activités culturelles a été étrangement oublié dans la loi, ce qui interroge dès lors sur l’exigibilité du « pass sanitaire » en la matière.

Par une décision n° 2021-819 DC du 31 mai 2021, le Conseil constitutionnel a rejeté le recours de 60 députés contre le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, validant donc le principe d’un « pass sanitaire » pour les activités prévues par la loi (loisirs, foires et salons professionnels).

Les députés avaient notamment fait valoir que la catégorie des « activités de loisirs » prévue par la loi était ambiguë et permettrait l’exigibilité du « pass sanitaire » pour les activités politiques, syndicales ou cultuelles. Rien de tel pour le Conseil constitutionnel, qui a jugé que ces différentes catégories ne pouvaient pas se recouper. C’est un point important, puisque les Sages de la rue de Montpensier ont expressément exclu le « pass sanitaire » pour toute activité politique, syndicale ou cultuelle en l’état actuel des textes applicables. Impossible donc, selon le Conseil constitutionnel, d’exiger un « pass sanitaire » pour un meeting politique, un grand rassemblement syndical ou une cérémonie religieuse.

Mais nous pouvons lire la décision du Conseil constitutionnel dans l’autre sens, qui révèle alors un angle mort du législateur sur le « pass sanitaire ». La loi autorisant le « pass sanitaire » ne fait en effet aucune mention des « activités culturelles » en évoquant que les « activités de loisirs ». Les Sages du Conseil constitutionnel ont pourtant bien précisé, comme nous l’avons vu, que les différentes catégories ne se recoupaient pas. Or peut-on réellement considérer que la culture est un « loisir » comme les autres ? La catégorie des « activités culturelles » peut-elle s’amalgamer aux « activités de loisirs » ?

De grandes institutions comme l’Opéra de Paris ont déjà fait connaître leur intention d’exiger le « pass sanitaire » dès le 15 juin par exemple pour le Ballet « Roméo et Juliette » chorégraphié par Rudolf Noureev. Mais il nous semble que l’absence de référence explicite à la « culture » dans la loi relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire fragilise l’exigibilité du « pass sanitaire » en la matière.

Dans « La crise de la culture » Hannah Arendt dénonçait la marchandisation de l’art avec ces mots : « La culture se trouve détruite pour engendrer le loisir ». Au regard du principe de sécurité juridique, mais également au nom d’un véritable choix de civilisation, le législateur gagnerait à s’en souvenir en complétant la loi.

Untitled 1Les élections régionales se dérouleront les dimanche 20 et 27 juin 2021 en France Métropolitaine et Outre-mer.
 
Les opérations électorales auront pour objet de pourvoir les sièges des conseillers régionaux dans les 13 régions métropolitaines et 5 régions ultramarines françaises pour une durée de 6 ans (article L336 du Code électoral), avec une particularité pour la Corse, la Martinique et la Guyane qui, depuis la mise en place de la collectivité unique, votent dans le cadre d'une "élection territoriale" organisée toutefois selon les mêmes règles que les élections régionales.

1 910 conseillers régionaux seront élus lors de ce scrutin, au scrutin de liste à deux tours, mêlant scrutin majoritaire et représentation proportionnelle, sans adjonction ni suppression de noms (interdiction du panachage) et sans modification de l'ordre de présentation (pas de vote préférentiel) (article L338 du Code électoral).

Un nombre minimum de sièges de conseillers régionaux par département (article L338-1 du Code électoral) est fixé depuis la réforme de 2015 :

  • Un minimum de deux sièges de conseillers régionaux pour les départements de moins de 100.000 habitants,
  • Et un minimum de quatre sièges de conseillers régionaux pour les départements d’au moins 100.000 habitants.
C’est l’occasion de faire le point sur les possibilités de contester ce scrutin ou ses résultats.

1/ L’intérêt à agir

Aux termes des dispositions de l’article L361 du Code électoral « Les élections au conseil régional peuvent être contestées dans les dix jours suivant la proclamation des résultats par tout candidat ou tout électeur de la région devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux. Le même droit est ouvert au représentant de l'Etat dans la région s'il estime que les formes et conditions légalement prescrites n'ont pas été respectées ».

Il résulte de cet article que les élections régionales peuvent être contestées par :

  • Tout électeur de la région,
  • Les candidats,
  • Et le Préfet (représentant de l’Etat dans la région).
A contrario, les opérations électorales ne peuvent être contestées par les partis politiques (CE, 17 octobre 1986, Elections cantonales de Sevran, n° 70266), les associations, ou la région elle-même.

Par ailleurs, et conformément à la rédaction susvisée, un électeur ou un candidat d’une autre région ne saurait également pouvoir valablement contester le scrutin d’une région qui n'est pas la sienne.

2/ La juridiction compétente

CELa juridiction compétente pour connaître d’un recours contre un scrutin régional est le Conseil d’Etat, statuant en la matière en premier et dernier ressort (article L361 du Code électoral) (article L311-3 2° du Code de Justice Administrative).

Toute protestation contre un scrutin régional déposée devant le Tribunal Administratif sera par conséquent déclarée irrecevable.

3/ Les délais pour agir, et les modalités concrètes d’exercice du recours

S’agissant des modalités concrètes d’exercice du recours, les protestations électorales contre un scrutin régional doivent être déposées au greffe du Conseil d’Etat dans un délai maximum de 10 jours suivant la proclamation des résultats (article L361 du Code électoral), c'est-à-dire au plus tard :

  • le mercredi 30 juin 2021 pour une élection acquise au premier tour,
  • ou le mercredi 7 juillet 2021 pour une élection acquise au second tour.
Ces protestations destinées au Conseil d'Etat peuvent également être déposées à la préfecture ou à la sous-préfecture du domicile du requérant (article R773-4 CJA).

Le Préfet lui-même, s'il estime que les formes et conditions légalement prescrites n'ont pas été respectées, dispose d’un délai de 10 jours pour déférer les opérations électorales au contrôle du Conseil d’Etat (article L361 du Code électoral).

Conformément aux règles traditionnelles de la procédure administrative, le Conseil d’Etat est tenu de notifier la protestation électorale aux conseillers régionaux intéressés (article R611-1 CJA), sans toutefois qu’un délai particulier soit prévu en la matière (à l’inverse du scrutin municipal et départemental).

4/ La présentation de la requête

De manière traditionnelle s'agissant d'un contentieux administratif, la requête en contestation d'un scrutin régional devra impérativement être signée par le requérant (CE, 7 décembre 1983, commune de Briot, n° 51788), comporter ses nom, prénom, et domicile, indiquer de manière précise et non équivoque les demandes (ex: annulation du scrutin et/ou proclamation d'un autre candidat) (CE,  22 juin 1990, commune de Forbach, n° 107768) ainsi que les irrégularités relevées (CE, 9 octobre 2002, commune de Goyave, n° 235362). Le requérant visera également nommément le ou les candidats dont l'élection est contestée dans sa protestation, et on lui conseillera de justifier de sa qualité, lui donnant intérêt à agir dans ce contentieux particulier (électeur de la région, candidat).

Si le recours à un avocat est facultatif en matière électorale devant le Conseil d’Etat (article R432-2 CJA), les conseils du professionnel peuvent néanmoins être efficaces pour contester valablement le scrutin régional, dans un délai restreint.

A noter enfin que le bénéfice de l'aide juridictionnelle peut être sollicité par un justiciable pour engager un contentieux régional (réponse ministérielle, JO Sénat du 27/09/2007, page 1732).

5/ Les moyens invocables

Tout moyen peut être invoqué par les requérants pour démontrer la nullité des opérations électorales. Ainsi, à titre d’exemples, des manœuvres altérant la sincérité du scrutin (ex: diffamation) (CE, 14 novembre 2008, commune du Vauroux, n° 316708 - CE, 16 juin 1972, Élections municipales du Blanc, n° 84204), des éléments matériels démontrant la rupture d'égalité entre les candidats, de l'inscription de faux électeurs, de « l’achat » de votes, de l'absence de signature de l'un des candidats sur la déclaration de candidature (CE, Ass., 21 décembre 1990, Élections municipales Mundolsheim, n° 112221), de l'inéligibilité d'un candidat (CE, 29 juillet 2002, Élections municipales Levallois Perret, n° 240108), des infractions commises lors du déroulement du scrutin, etc.

L'annulation totale du scrutin ne sera toutefois prononcée par le Conseil d’Etat qu'en cas de vice substantiel, ou si le juge ne peut déterminer avec certitude le résultat de l'élection en raison des irrégularités commises.

Un faible écart de voix entre les candidats renforcera, en cas de manœuvres, la propension du juge à annuler le scrutin (CE, 8 juillet 1992, Élection cantonale partielle Saint-Denis-de-la-Réunion, n° 126820).

On précisera enfin que le contentieux de l'élection régionale ne saurait être l'occasion de contester, par voie d'exception, le redécoupage de la carte des régions issue de la loi du 16 janvier 2015.

6/ Les pouvoirs du juges - les conséquences du recours

Le recours exercé contre un scrutin régional est un recours objectif de plein contentieux.

En effet, le juge de l’élection dispose d’un pouvoir très large en la matière et peut notamment :

  • Apprécier la validité des procédures électorales,
  • Contrôler la validité des suffrages émis,
  • Modifier le nombre de suffrages recueillis par un candidat,
  • Rectifier le nombre de sièges obtenus par une liste,
  • Reconnaître l’inéligibilité d’un candidat,
  • Annuler de manière totale (en cas de vice substantiel) ou partielle, le scrutin,
  • Ou proclamer élus certains candidats à la place d’autres (CE 20 octobre 2004, Élections régionales de Picardie, Montès et a., n°266334).
Il conviendra donc d’apporter un soin tout particulier à la rédaction de la requête en matière de contentieux des élections régionales dans la mesure où le juge électoral est tenu par les demandes des parties et ne pourra donc, sauf moyens d’ordre public, prononcer des mesures qui ne lui ont pas été demandées par le requérant (CE, 1er décembre 1989, commune de Seraincourt, n°108998).

Ainsi, à titre d’exemple, une protestation tendant à l'annulation d'une élection régionale, lorsqu'elle est fondée sur des griefs tirés de la discordance entre le nombre de suffrages comptabilisés et le nombre d'émargements, ne saisit le juge que des écarts contestés dans les bureaux de vote mentionnés dans la protestation, et non de ceux des autres bureaux de vote (CE  1er décembre 2010, Élection des membres du conseil régional des Pays-de-Loire, n°337945).

Par ailleurs, si la protestation ne porte que sur les opérations électorales intervenues dans un des départements de la région, et qu'aucun grief n'a été invoqué dans le délai de recours à l'encontre des résultats proclamés dans les autres départements de cette région, il n'appartient pas au Conseil d'État de se saisir des résultats des opérations électorales intervenues dans ces derniers départements (CE  20 octobre 2004, Élections régionales de Picardie, Montès et a., n°266334).

Particularité du scrutin régional, liée au mode de scrutin, on notera par ailleurs que l'annulation partielle de l’élection, dans laquelle l'attribution des sièges constitue une opération indivisible, ne peut être prononcée que si les griefs présentés à l'appui de la protestation portent :

S'agissant d'un scrutin de liste, le juge administratif peut ainsi annuler un seul siège (et non l'élection toute entière). Ce siège sera alors normalement pourvu par la désignation du candidat venant immédiatement après le dernier élu de la liste qui doit disposer de ce siège, en application du Code électoral (article L360 du Code électoral). Lorsque ces dispositions ne peuvent être appliquées (en raison du nombre de voix en présence), le juge électoral constatera la vacance du siège jusqu'au prochain renouvellement du conseil régional (CE, 4 juillet 2011, Elections régionales d’Ile-de-France Mme A., M. M., n°338033).

7/ Les délais de jugement et les possibilités de recours contre la décision rendue

Aucun délai n’est posé par le Code électoral pour que le Conseil d’Etat prononce sa décision en matière de contentieux régional, qui sera notifiée aux parties intéressées.

On notera, à titre d’exemple, que le Conseil d’Etat s’est prononcé le 4 juillet 2011 sur une protestation électorale tendant à l’annulation des opérations électorales s’étant déroulées les 14 et 21 mars 2010 dans la région Ile-de-France, soit un délai de jugement de plus d’un an et demi (CE, 4 juillet 2011, Elections régionales d’Ile-de-France Mme A., M. M., n°338033).

Le conseiller régional dont l'élection est contestée reste en fonction jusqu'à ce qu'il ait été définitivement statué sur la réclamation (article L362 du Code électoral).

La décision rendue par le Conseil d’Etat ne sera susceptible d’aucun recours, hors cas particuliers (recours en révisionrecours en rectification d’erreur matérielleoppositiontierce-opposition).

Enfin, en cas d'annulation de l'ensemble des opérations électorales dans une région, il est procédé à de nouvelles élections dans cette région dans un délai de trois mois (article L363 du Code électoral).
Untitled 1Alors que ce week-end a marqué une nouvelle étape dans l'escalade du conflit israélo-palestinien, le maire de Nice Christian ESTROSI a choisi d'afficher ostensiblement son soutien à l'État d'Israël au fronton de la mairie, en y apposant le drapeau de l'État hébreu :


Mais est-ce bien légal ?

En la matière, la position de la justice administrative est très claire puisque, par un arrêt de principe « Commune de Sainte-Anne » du 27 juillet 2005 (n°259806), le Conseil d’État a décidé que :

« (...) le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques (...) »

Cette décision du Conseil d’État avait été rendue à propos d’un drapeau indépendantiste martiniquais apposé d'ailleurs sur la façade d’une mairie et a été réaffirmée par la suite par le Ministre de l’Intérieur en 2010 dans le cadre d’une réponse ministérielle :
 
« L'apposition de banderoles de revendication sur des édifices publics (...) est contraire à ce principe (de neutralité) (...) Il revient au responsable des bâtiments concernés de faire retirer ces banderoles, le cas échéant, sous le contrôle du juge administratif. »

L’initiative prise par le maire de Nice apparaît donc contestable.

En effet, la décision susvisée du Conseil d’Etat, ainsi que la législation et la réglementation s’appliquent à tous les édifices publics, donc à toutes les mairies de France.

La mairie de Nice est donc tenue, comme tout édifice public, au strict respect du principe de neutralité. Il est par conséquent interdit d’apposer sur sa façade des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques, conformément à la position constante du Conseil d’État.

Pour se défendre, le maire de Nice pourrait arguer que le drapeau israélien ne symbolise pas par lui-même la revendication d'opinions politiques. Il arrive en effet à certaines mairies d'arborer un drapeau étranger lors de commémorations, ou pour célébrer un jumelage avec une ville étrangère. Mais le juge administratif n'a pas pour habitude de décontextualiser les cas d'espèce présentés devant lui, et le maire de Nice a publiquement indiqué que l'apposition du drapeau de l'État hébreu était lié au "terrorisme du Hamas". Il y a donc fort à parier que le juge administratif, saisi en référé par tout habitant de la Ville ou par le Préfet, enjoindrait donc au maire de Nice de retirer sans délai le drapeau israélien de la façade de la mairie. 

Libre à chacun de penser ce qu'il veut du conflit israélo-palestinien et de prendre parti. Mais la façade d'une mairie n'est pas le lieu adéquat pour prendre position compte tenu du principe de neutralité applicable aux édifices publics. C'est ce principe essentiel qui protège nos bâtiments publics de toute récupération politique, philosophique ou religieuse pour les consacrer à l'intérêt général. Et c'est très bien ainsi.

Untitled 1C'est la polémique de la semaine. Comme l'a relayé le Vice-président du Rassemblement National et Député européen Jordan Bardella sur les réseaux sociaux, une candidate se présente voilée aux élections départementales de juin 2021 sous l'étiquette du parti présidentiel "La République en Marche", voile qu’elle porte sur la photo officielle de campagne :


La réaction de Stanislas Guerini, Député LREM de Paris et Délégué Général du parti a été immédiate et sans appel :
Mais est-ce interdit juridiquement ?

La question est tranchée en jurisprudence. Aux élections régionales de 2010, le NPA avait en effet déjà présenté une candidate voilée sur sa liste en PACA, qu’Olivier Besancenot présentait alors comme « féministe, laïque et voilée » (Le Figaro).

Saisi en référé-liberté par une association pour la « promotion des droits des femmes originaires du monde arabe » (AWSA), le Conseil d’État a toutefois considéré que rien n’interdisait à la candidate de faire campagne et d’apparaître voilée sur la photo officielle de campagne (CE, 1er mars 2010, n°337079) ce qu'il a confirmé par la suite au fond (CE, 23 décembre 2010, n°337899).

Selon le Conseil d’État, la présence sur une liste électorale d'une personne portant le voile islamique ne porte en effet pas atteinte à la liberté de conscience, à l'égalité des droits et au droit à la sûreté, au principe de laïcité, ni à la loi sur la séparation des Églises et de l'État de 1905.

La solution est logique, puisque la candidate au scrutin local n’a ni la qualité d’agent public ni la qualité d’usager de certains services publics et qu’aucune règle juridique ne va donc à l’encontre de son droit de manifester ses convictions religieuses, même ostensiblement. On note d’ailleurs qu’un parti politique comme le Parti chrétien-démocrate a, pour les mêmes raisons, tout à fait la possibilité de revendiquer sur ses affiches de campagne ses convictions religieuses chrétiennes.

En poussant le raisonnement, on pourrait même considérer que rien ne s’opposerait à ce que la candidate concernée manifeste ses convictions religieuses au sein du conseil départemental si elle était toutefois élue, mais c’est un autre sujet.

Il en résulte qu’une candidate aux départementales comme la candidate LREM de Montpellier peut donc juridiquement tout à fait faire campagne voilée et apparaître voilée sur la photo officielle de campagne, en l'état actuel de la jurisprudence.

Untitled 1
Nonobstant l’état d’urgence sanitaire et la persistance de l’épidémie de covid-19 sur le territoire national, le maire de Perpignan Louis Alliot a pris le 8 février 2021 quatre arrêtés municipaux autorisant la réouverture des musées dans sa ville, sous condition d’un protocole sanitaire renforcé.

Le même jour, le préfet des Pyrénées-Orientales a saisi en urgence le tribunal administratif de Montpellier, lui demandant de suspendre l’exécution de ces arrêtés municipaux (procédure spéciale de déféré suspension du préfet) qui concernaient précisément le musée des monnaies et médailles Joseph Puig, le muséum d’histoire naturelle, le musée Hyacinthe Rigaud et le musée de la Casa Pairal.

Par une ordonnance du 15 février 2021, le tribunal administratif de Montpellier a donné raison au représentant de l’État en prononçant la suspension immédiate de l’exécution des arrêtés de Louis Alliot.

Pour parvenir à cette décision, le juge des référés a rappelé que les musées concernés de la ville de Perpignan constituaient tous juridiquement des établissements recevant du public relevant de la catégorie Y.

Or l’article 45 du décret du Premier ministre du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire est très clair. Il prévoit précisément une fermeture au public jusqu’à nouvel ordre de tous établissements relevant de la catégorie Y, sur tout le territoire national :

« Les établissements (…) figurant ci-après ne peuvent accueillir du public : (…) 4° Établissements de type Y : Musées, salles destinées à recevoir des expositions à vocation culturelle (scientifique, technique ou artistique, etc.), ayant un caractère temporaire ».

Les arrêtés du maire de Perpignan se heurtaient donc en l’espèce à deux règles juridiques fondamentales :

  • La hiérarchie des normes, à savoir qu’un arrêté municipal ne peut pas méconnaître les dispositions d’un décret ministériel ;
  • Et le parallélisme des formes, qui implique que le maire de Perpignan ne peut pas lui-même changer une règle édictée par le Premier ministre pour tout le territoire national, même si elle ne lui convient pas.

On comprend en creux que le juge des référés n’est pas nécessairement en désaccord avec la position du maire de Perpignan, puisqu’il prend la peine de souligner en fin d’ordonnance que la mise en place de stricts protocoles sanitaires ou une évolution favorable du contexte sanitaire pourraient justifier une réouverture des musées à l'avenir.

Mais la décision rendue est fondée en droit sur l’incompétence de Louis Alliot : le premier édile de Perpignan n’a pas la compétence juridique pour se substituer au Premier ministre et rouvrir lui-même les musées de sa ville, comme le rappelle le juge :

« (…) dès lors qu’il est constant que (les musées) constituent des établissements relevant de la catégorie Y, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par les arrêtés contestés du 8 février 2021 qui autorisent leur ouverture est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions, sans qu’y fasse obstacle la mise en place de protocoles sanitaires particulièrement stricts diminuant ainsi fortement le risque de transmission du virus dans ces établissements ou une évolution favorable du contexte sanitaire, qui, si elles sont susceptibles de remettre en cause l’appréciation portée par le Premier ministre sur la fermeture de ce type d’établissement, ne peuvent permettre à un maire de procéder lui-même à cette ouverture (…) ».

Le raisonnement du tribunal administratif de Montpellier est logique et imparable. On touche ici aux limites de la décentralisation qui, si elle confère des responsabilités élargies aux collectivités territoriales et donc aux maires, doit se concilier avec la déconcentration et l’unité du pouvoir politique de l’État : la France n’est pas un État fédéral. Si elle est critiquable, c’est la logique de l’égalité républicaine qui impose la même règle étatique sur l’ensemble du territoire national.

D’autant plus que le Conseil d’État a très fortement limité les pouvoirs de police du maire récemment dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire :

« Les articles L. 2212 1 et L. 2212 2 du code général des collectivités territoriales (…) autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État » (CE, 17 avril 2020, n° 440057).


Pour résumer, les maires ne disposent donc pas à ce jour de la compétence juridique pour décider de l’ouverture de tel ou tel lieu de culture fermé par l’État pendant l’état d’urgence sanitaire et ne peuvent pas alléger les mesures d’interdiction étatique au titre de leur pouvoir de police, compte tenu de la situation sanitaire.

Les musées comme tous les lieux de culture sont donc suspendus au bon vouloir de l’État : ils resteront tous fermés ou rouvriront tous en même temps, sans entre-deux. Pour la santé de nos âmes, espérons une réouverture nationale au plus vite.

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On apprend aujourd’hui que le Président de la République Emmanuel Macron a été testé positif à la Covid-19, ce qui démontre une nouvelle fois que le virus circule activement sur le territoire national et que personne n’est à l’abri du risque, pas même le chef de l’État (Franceinfo).

C’est l’occasion de s’intéresser à la situation de « vacance de la Présidence de la République » qui, comme je l’explique souvent à mes étudiants, ne doit pas être confondue avec une villégiature au Fort de Brégançon.

La vacance du pouvoir se caractérise par un empêchement définitif du Président de la République à l’exercice de ses fonctions. Il s’agit donc de la situation d’une maladie grave ou, dans la pire des situations, d’un décès.

L’article 7 de notre Constitution fixe alors des règles très simples :

  • C’est le Conseil constitutionnel qui constate la vacance de la Présidence de la République ;
  • Le mandat du Président prend immédiatement fin de manière anticipée ;
  • Les fonctions du Président sont provisoirement exercées par le Président du Sénat ;
  • Le scrutin pour l'élection du nouveau Président a lieu 20 jours au moins et 50 jours au plus après l'ouverture de la vacance.

La vacance de la Présidence de la République n’a pas de conséquence directe immédiate sur les mandats des députés ou sur les autres institutions. Si la logique commande une dissolution concomitante de l’Assemblée Nationale pour conférer une nouvelle majorité au Président, les textes ne l’obligent pas, interdisant même explicitement la dissolution opérée par le Président par intérim.

Historiquement, la situation de vacance de la Présidence de la République s’est présentée deux fois sous la Vème République, suite à la démission du Général de Gaulle le 28 avril 1969 et suite au décès du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974. C’est le Président du Sénat Alain Poher qui, par deux fois, a alors assuré la Présidence de la République par intérim.

Dans la pire des situations, à savoir celle d’une forme grave de Covid-19 pour le Président Macron, ou pire, c’est le Président du Sénat Gérard Larcher qui assurerait donc l’intérim de la Présidence de la République pendant au moins 20 jours, jusqu’à convocation des électeurs aux urnes.

Une forme légère de Covid-19 n’implique enfin aucune vacance de la Présidence de la République, qui peut continuer à assurer ses fonctions pendant sa convalescence. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

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« Nous qui n'avons le droit de nous mêler que des choses de ce monde, nous pouvons donc permettre la liberté des cultes, et dormir en paix. » (Mirabeau)

En cas d’épidémie, le Premier ministre est habilité par la loi à prendre par décret motivé des mesures proportionnées aux risques courus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population.

Le chef du gouvernement peut ainsi notamment (article L3131-15 du code de la santé publique) :

  • Limiter ou interdire les rassemblements et réunions de toute nature,
  • Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, des établissements recevant du public (ERP) ainsi que des lieux de réunion.

Ce faisant, le Premier ministre peut légalement porter atteinte, de manière mesurée, aux libertés fondamentales au nom de l’impératif de protection de la santé publique, composante sanitaire de l’ordre public.

Dans ce cadre, compte tenu de la persistance du nouveau coronavirus (covid-19) particulièrement contagieux sur le territoire national, le Premier ministre a pris un décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020 modifiant un précédent décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 venant encadrer de manière particulièrement stricte la réouverture des établissements de culte (ERP de catégorie V) :

« Les établissements de culte, relevant de la catégorie V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit à l'exception des cérémonies religieuses dans la limite de 30 personnes. ».

Considérant que ce décret portait atteinte à la liberté de culte en posant une limite de 30 personnes seulement pour les cérémonies religieuses, des associations religieuses catholiques ont saisi le Conseil d’État en urgence, lui demandant d’en suspendre l’exécution et d’enjoindre au Premier ministre de modifier cette limite pour tous les cultes.

La procédure de référé-liberté permet en effet au juge des référés de se prononcer très rapidement sous 48H et d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale » à condition qu’il lui soit démontré (article L521-2 du code de justice administrative) :

  • Une situation d’urgence,
  • Et une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Par une ordonnance du 29 novembre 2020, le Conseil d’État a donné raison aux requérants en enjoignant au Premier ministre de modifier, dans un délai maximum de 3 jours le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, afin d’encadrer de manière proportionnée les rassemblements et réunions dans les établissements de culte, et non pas de fixer une limite fixe de 30 personnes pour tous les lieux de culte.

C’est une décision bienvenue.

Pour parvenir à une telle solution, la Haute juridiction a pris en compte et rappelé de nombreux éléments.

En premier lieu, le Conseil d’État a considéré que la condition d’urgence était remplie compte tenu :

  • De l’amélioration de la situation sanitaire ayant justifié l’allègement du confinement,
  • Et de l’impossibilité pour les fidèles de se réunir à plus de 30 personnes pour des cérémonies religieuses au sein des établissements de culte.

De manière surprenante, et à l’instar d’un précédent contentieux similaire en date du 18 mai 2020, les pouvoirs publics n’avaient même pas contesté cette situation d’urgence dans le cadre de leur défense.

En deuxième lieu, le Conseil d’État a confirmé une nouvelle fois, comme le 18 mai 2020, que la liberté du culte présentait le caractère d’une liberté fondamentale pouvant justifier un référé-liberté, ce qui n’est pas nouveau dans sa jurisprudence (CE, ord., 16 février 2004, Benaissa, n°264314).

La Haute juridiction a rappelé à nouveau que cette liberté ne se limitait pas au droit de tout individu d’exprimer individuellement les convictions religieuses de son choix, mais qu’elle comportait également, parmi ses « composantes essentielles », le droit de « participer collectivement (…) à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte ».

Par le passé, le Conseil d’État avait d’ailleurs déjà pu juger que la « possibilité d'exprimer dans des formes appropriées ses convictions religieuses » constituait une liberté fondamentale (CE, ord., 7 avril 2004, Kilicikesen, n°266085).

En troisième lieu, confrontant les principes à la situation d’espèce, le Conseil d’État a considéré que le Premier ministre avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte par son décret du 27 novembre 2020.

Le Conseil d’État n’a pas nié la nécessité pour le Premier ministre d’encadrer les rassemblements au sein des établissements de culte compte tenu de la persistance de l’épidémie, mais lui reproche d’avoir posé une jauge de 30 personnes disproportionnée et non-justifiée dans le nouveau contexte issu de l’allègement du confinement.

Dans un État de droit, la liberté est la règle, et la restriction de police l’exception (CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855). Les pouvoirs publics doivent donc toujours concilier l’exercice des libertés fondamentales avec l’impératif de protection de l’ordre public en trouvant un point d’équilibre. Pour qu’une mesure de police soit légale, il faut ainsi qu’elle tende à maintenir l’ordre public par les moyens les moins rigoureux possible (CE, 21 janvier 1994, Commune de Dammarie-Les-Lys, n° 120043) et qu’elle ne porte pas une atteinte excessive aux libertés fondamentales (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413).

Le Conseil d’État a jugé que l’intervention du Premier Ministre était nécessaire pour encadrer la fréquentation des établissements de culte dans la mesure où :

  • Les cérémonies religieuses exposent les participants à un risque de contamination qui est d'autant plus élevé qu'elles ont lieu dans un espace clos, de taille restreinte, pendant une durée importante, avec un grand nombre de personnes, qu'elles s'accompagnent de prières récitées à haute voix ou de chants, de gestes rituels impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d'échanges entre les participants, y compris en marge des cérémonies elles-mêmes et, enfin, que les règles de sécurité appliquées sont insuffisantes ;
  • Le nombre toujours élevé des patients hospitalisés et en réanimation du fait de la covid-19, respectivement 28 648 et 3 883 à la date du 27 novembre 2020, continue à mettre en tension l'ensemble du système de santé.

Mais dans le même temps le Conseil d’État a jugé que le décret du Premier Ministre était excessif dans la mesure où :

  • La limite de 30 personnes maximum pour les cérémonies religieuses n’est pas justifiée par des risques qui seraient propres à ces cérémonies ;
  • Aucune autre activité autorisée n'est soumise à une jauge de limitation absolue à 30 personnes maximum fixée indépendamment de la superficie des locaux en cause ;
  • Le fait que les cérémonies religieuses seraient interdites ou soumises à une limitation en valeur absolue du nombre de participants dans plusieurs autres pays européens est sans incidence ;
  • La circonstance que certains établissements recevant du public autres que les lieux de culte restent toujours fermés malgré l'allègement du confinement est sans incidence dans la mesure où les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et que les libertés fondamentales en jeu ne sont pas les mêmes.

Il en résulte, selon le Conseil d’État, que la limite de 30 personnes maximum pour les cérémonies religieuses imposée par le décret contesté présente un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique. Cette interdiction constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de la composante en cause de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.

Dans ces conditions, le Conseil d’État enjoint au Premier ministre de modifier, dans un délai particulièrement bref de 3 jours maximum le décret initial n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, afin d’encadrer de manière proportionnée les rassemblements et réunions dans les établissements de culte, et non pas de fixer une limite fixe de 30 personnes pour tous les lieux de culte.


***


C’est un signal fort envoyé par le Conseil d’État aux pouvoirs publics par cette décision.

En rappelant à nouveau le principe de la proportionnalité de la mesure de police, même en période exceptionnelle d’épidémie, le Conseil d’État remet une nouvelle fois l’Église au milieu du village.

En rappelant une nouvelle fois que la liberté de culte ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer individuellement les convictions religieuses de son choix, mais qu’elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement à des cérémonies, le Conseil d’État fait également œuvre utile.

Enfin, on se gardera d’analyser la décision commentée comme un blanc-seing donné par le Conseil d’État à tous les rassemblements dans les établissements de culte, dans n’importe quelles conditions. Un strict protocole sanitaire avec une jauge de participants exprimée en pourcentage de la superficie des locaux et non plus en valeur absolue permettrait aux pouvoirs publics de contenir l’épidémie dans le respect de l’exercice de la liberté de culte. Ils ont 3 jours maximum pour ce faire.

Décision commentée : CE, ord., 29 novembre 2020, Association Civitas et autres, n°446930 et suivants

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Leur inquiétude est légitime. Alors que la France se reconfine, des milliers de petits commerçants craignent pour la pérennité de leur commerce fermé par l’État et crient à l’injustice puisque les grandes surfaces et magasins de e-commerce sont eux autorisés à rester ouverts. Invoquant le principe d’égalité de traitement et de loyauté de la concurrence, plusieurs maires ont pris des arrêtés municipaux autorisant l’ouverture de tous les commerces sur leur territoire, malgré le reconfinement national. Mais est-ce bien légal ?

Le maire de Chalon-sur-Saône a été un des premiers à prendre un arrêté municipal autorisant la réouverture de « l’ensemble des commerces non alimentaires de la ville » malgré le reconfinement national, suivi du maire de Béziers qui a pris la même mesure. Par effet boule de neige, les arrêtés municipaux de même nature se multiplient actuellement :


Sur le fond, l’argumentation des petits commerçants portée par les maires pourrait se défendre. Le principe d’égalité, de valeur constitutionnelle en droit français, implique en effet que toutes les personnes placées dans une situation identique soient traitées de la même manière. Ainsi, seules des différences de situation objectives peuvent justifier une inégalité de traitement entre les personnes (CE Sect., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, n°88032).

On voit mal, dans ce cadre, en quoi les petits commerçants français comme les libraires ou les fleuristes seraient placés dans une situation objectivement différente de celle des grandes surfaces qui vendent des fleurs et des livres, ou pire encore, des géants du e-commerce. Pourquoi donc les uns devraient impérativement fermer, et les autres pourraient rester ouverts pendant le reconfinement ? L’inégalité de traitement discriminatoire au détriment des petits commerçants pourrait donc se défendre sur le principe pour obtenir du juge leur réouverture. Mais notre droit est subtil et tenace. En effet, la jurisprudence considère depuis longtemps qu’un motif d’intérêt général peut justifier de déroger par exception au principe d’égalité (CE, 15 mai 2000, Barroux, n° 200903). La situation sanitaire actuelle pourrait aisément constituer un tel motif permettant de passer outre le principe d’égalité.

Voilà pour le fond. Mais pour la forme, c’est pire encore. En effet, si le maire dispose traditionnellement d’un pouvoir de police lui permettant d’aggraver les mesures prises par les autorités supérieures comme l’État, il ne peut en revanche en aucun cas utiliser ce pouvoir pour alléger ces mêmes mesures. Ainsi la vitesse de circulation est limitée par l’État à 50 km/h dans les agglomérations, et si le maire peut tout à fait aggraver la mesure pour porter l’interdiction à 30 km/h dans sa ville il ne pourrait en aucun cas l’alléger, pour porter la vitesse à 70 km/h en agglomération par exemple. Le raisonnement est le même pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. Le pouvoir de police du maire ne lui permet ainsi pas de déroger aux règles de fermeture des commerces édictées par l’État dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire pour le reconfinement : le maire ne peut pas alléger les interdictions d’ouverture prises par l’État pour décider que tel et tel commerce pourrait finalement rester ouvert, en contradiction avec la doctrine étatique.

D’autant plus que le Conseil d’État a très fortement limité les pouvoirs de police du maire récemment dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire :

« Les articles L. 2212 1 et L. 2212 2 du code général des collectivités territoriales (…) autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État » (CE, 17 avril 2020, n° 440057).


Pour résumer, les maires ne disposent donc pas à ce jour de la compétence juridique pour décider de l’ouverture de tel ou tel commerce fermé par l’État pendant l’état d’urgence sanitaire et ne peuvent pas alléger les mesures d’interdiction étatique au titre de leur pouvoir de police même au nom du principe d’égalité, compte tenu de la situation sanitaire.

Nous partageons les craintes et le sentiment d’injustice des petits commerçants. Mais il n’en demeure pas moins que les arrêtés municipaux édictés récemment pour rouvrir des petits commerces pendant le reconfinement sont en l’état tous illégaux.

Les maires n’ont pas toute latitude pour agir, leurs actes étant soumis au contrôle de légalité de l’État via le Préfet. Il y a donc fort à parier que les déférés préfectoraux, permettant de porter des arrêtés municipaux illégaux devant le juge administratif, vont se multiplier. Dans ce cadre, même si certains tribunaux administratifs pourraient peut-être s’autoriser quelques libertés en première instance, le Conseil d’État maintiendra rapidement les interdictions d’ouverture des commerces décidées par l’État dans le cadre du reconfinement au détriment des petits commerçants sans qu’une rupture d’égalité puisse y faire obstacle. De la même manière, les référés libertés qui seront sans doute exercés dans les jours qui viennent par des commerçants souhaitant rouvrir seront rejetés par le juge administratif compte tenu des règles rappelées.

L'état du droit applicable, tel qu'interprété par les juges, ne joue donc pas en faveur des petits commerçants, auxquels nous adressons toute notre solidarité et notre sympathie dans ces temps difficiles. 

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