Réouverture des musées : le tribunal de Montpellier juge Louis Alliot incompétent

lundi, 15 février 2021 16:53
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Nonobstant l’état d’urgence sanitaire et la persistance de l’épidémie de covid-19 sur le territoire national, le maire de Perpignan Louis Alliot a pris le 8 février 2021 quatre arrêtés municipaux autorisant la réouverture des musées dans sa ville, sous condition d’un protocole sanitaire renforcé.

Le même jour, le préfet des Pyrénées-Orientales a saisi en urgence le tribunal administratif de Montpellier, lui demandant de suspendre l’exécution de ces arrêtés municipaux (procédure spéciale de déféré suspension du préfet) qui concernaient précisément le musée des monnaies et médailles Joseph Puig, le muséum d’histoire naturelle, le musée Hyacinthe Rigaud et le musée de la Casa Pairal.

Par une ordonnance du 15 février 2021, le tribunal administratif de Montpellier a donné raison au représentant de l’État en prononçant la suspension immédiate de l’exécution des arrêtés de Louis Alliot.

Pour parvenir à cette décision, le juge des référés a rappelé que les musées concernés de la ville de Perpignan constituaient tous juridiquement des établissements recevant du public relevant de la catégorie Y.

Or l’article 45 du décret du Premier ministre du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire est très clair. Il prévoit précisément une fermeture au public jusqu’à nouvel ordre de tous établissements relevant de la catégorie Y, sur tout le territoire national :

« Les établissements (…) figurant ci-après ne peuvent accueillir du public : (…) 4° Établissements de type Y : Musées, salles destinées à recevoir des expositions à vocation culturelle (scientifique, technique ou artistique, etc.), ayant un caractère temporaire ».

Les arrêtés du maire de Perpignan se heurtaient donc en l’espèce à deux règles juridiques fondamentales :

  • La hiérarchie des normes, à savoir qu’un arrêté municipal ne peut pas méconnaître les dispositions d’un décret ministériel ;
  • Et le parallélisme des formes, qui implique que le maire de Perpignan ne peut pas lui-même changer une règle édictée par le Premier ministre pour tout le territoire national, même si elle ne lui convient pas.

On comprend en creux que le juge des référés n’est pas nécessairement en désaccord avec la position du maire de Perpignan, puisqu’il prend la peine de souligner en fin d’ordonnance que la mise en place de stricts protocoles sanitaires ou une évolution favorable du contexte sanitaire pourraient justifier une réouverture des musées à l'avenir.

Mais la décision rendue est fondée en droit sur l’incompétence de Louis Alliot : le premier édile de Perpignan n’a pas la compétence juridique pour se substituer au Premier ministre et rouvrir lui-même les musées de sa ville, comme le rappelle le juge :

« (…) dès lors qu’il est constant que (les musées) constituent des établissements relevant de la catégorie Y, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par les arrêtés contestés du 8 février 2021 qui autorisent leur ouverture est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions, sans qu’y fasse obstacle la mise en place de protocoles sanitaires particulièrement stricts diminuant ainsi fortement le risque de transmission du virus dans ces établissements ou une évolution favorable du contexte sanitaire, qui, si elles sont susceptibles de remettre en cause l’appréciation portée par le Premier ministre sur la fermeture de ce type d’établissement, ne peuvent permettre à un maire de procéder lui-même à cette ouverture (…) ».

Le raisonnement du tribunal administratif de Montpellier est logique et imparable. On touche ici aux limites de la décentralisation qui, si elle confère des responsabilités élargies aux collectivités territoriales et donc aux maires, doit se concilier avec la déconcentration et l’unité du pouvoir politique de l’État : la France n’est pas un État fédéral. Si elle est critiquable, c’est la logique de l’égalité républicaine qui impose la même règle étatique sur l’ensemble du territoire national.

D’autant plus que le Conseil d’État a très fortement limité les pouvoirs de police du maire récemment dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire :

« Les articles L. 2212 1 et L. 2212 2 du code général des collectivités territoriales (…) autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État » (CE, 17 avril 2020, n° 440057).


Pour résumer, les maires ne disposent donc pas à ce jour de la compétence juridique pour décider de l’ouverture de tel ou tel lieu de culture fermé par l’État pendant l’état d’urgence sanitaire et ne peuvent pas alléger les mesures d’interdiction étatique au titre de leur pouvoir de police, compte tenu de la situation sanitaire.

Les musées comme tous les lieux de culture sont donc suspendus au bon vouloir de l’État : ils resteront tous fermés ou rouvriront tous en même temps, sans entre-deux. Pour la santé de nos âmes, espérons une réouverture nationale au plus vite.

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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