Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

Ligne directe : 07.80.99.23.28

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Il n’y aura pas de publicité pour le livre de Jordan Bardella « Ce que je cherche » dans les gares et les stations de métro françaises.

La décision a été prise lundi 28 octobre 2024 par l’entreprise Mediatransports qui gère l’affichage publicitaire. Le président du Rassemblement national a crié à la « censure » et fait part de son indignation. Mais que dit le droit en la matière ?

La question juridique est la suivante : peut-on faire de la publicité pour un livre politique dans les gares et les stations de métro ? La réponse est non… et cela concerne tous les livres politiques. Il faut toutefois s’assurer du caractère « politique » du livre en question avant d’en interdire l’affichage.

La société nationale des chemins de fer français (SNCF) et la régie autonome des transports parisiens (RATP) constituent juridiquement des organismes chargés d’une mission de service public (article L. 2101-1 du code des transports).

En application de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dite « loi séparatisme », les organismes chargés d’une mission de service public par la loi, le règlement ou un contrat de la commande publique sont tenus de veiller au respect du principe de neutralité du service public.

Le principe de neutralité implique que les agents du service public et le service public en lui-même ne puissent pas afficher ou se prévaloir de convictions politiques, religieuses, syndicales ou même philosophiques.

Puisque l’affichage publicitaire est réalisé à l’intérieur des locaux du service public, il est concerné par l’application du principe de neutralité.

La SNCF et la RATP doivent donc veiller à ce que l’affichage publicitaire au sein des gares et stations de métro françaises soit toujours neutre politiquement.

Ceci implique l’interdiction de faire de la publicité pour une réunion politique au sein d’une gare ou d’une station de métro… quel que soit le parti politique.

Il en va de même pour tout message politique, syndical, religieux ou philosophique au sein d’une publicité, qu’il appartient à l’organisme de contrôler au cas par cas.

La question est plus subtile pour les livres politiques, puisque par définition l’affichage publicitaire ne fera apparaître que la couverture de l’ouvrage ou une autre illustration et non tout son contenu.

Or la couverture d’un ouvrage et même son titre sont souvent neutres en apparence. C’est toute la question pour le livre « Ce que je cherche » du président du Rassemblement national, dont la couverture ne fait apparaître que la photo de son auteur :

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Dans l’hypothèse d’un litige, le juge saisi devra apprécier au cas par cas si l’affichage du livre en question, compte tenu de sa couverture, son titre et son auteur, présente ou pas un caractère « politique ». Or la frontière est souvent fine entre un ouvrage biographique (non politique) et un ouvrage politisé.

En l’espèce, la société Mediatransports qui gère l’affichage publicitaire pour la SNCF et la RATP a considéré que le titre du livre de Jordan Bardella « Ce que je cherche » constituait un message politique et non biographique compte tenu du mandat politique de son auteur (député européen).

Un tel message ne peut donc pas être affiché dans les gares et stations de métro françaises, car il présente un caractère politique incompatible avec le devoir de neutralité qui s’impose dans les transports publics.

Il est fréquent que le livre d’un homme politique en exercice puisse être regardé comme « politique », quel que soit son parti, compte tenu des sujets abordés en son sein. La publicité de l’ouvrage sera donc interdite dans les gares et les stations de métro. L’affichage doit toujours être neutre en ces lieux.

Il en irait différemment d’un roman rédigé par un homme politique (on pense aux ouvrages non politiques de l’ex-ministre Bruno Le Maire), d’un livre purement biographique (on pense aux mémoires d’anciens chefs d’État), d’un livre écrit par un chef d’État étranger (on pense à Barack Obama) ou d’ouvrages historiques sur d’anciens chefs d’État (on pense à Napoléon) qui seraient autorisés.

L’interdiction de l’affichage publicitaire pour le livre de Jordan Bardella « Ce que je cherche » dans les gares et les stations de métro françaises n’a donc rien à voir avec la censure et tout à voir avec le principe de neutralité du service public.

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Le 2 octobre 2024, la commission des lois de l’Assemblée nationale a rejeté une proposition de résolution visant à engager la procédure de destitution du Président de la République. Cette procédure rare est encadrée par l’article 68 de la Constitution et pilotée par le Parlement réuni en Haute Cour. Elle peut conduire à une crise de régime.

Le Président de la République est irresponsable pendant l’exercice de son mandat pour tous les actes accomplis en qualité de chef de l’État[1]. Cette irresponsabilité est absolue et permanente : elle est valable à la fois dans les domaines politique, pénal, civil et administratif. Aucune action ne peut donc être engagée contre le chef de l’État pour des actes accomplis en qualité de Président, même après la fin de son mandat.

Afin de protéger la fonction, le Président de la République bénéficie également d’une immunité temporaire ou « inviolabilité » pour les actes détachables de l’exercice de ses fonctions, qui ne peuvent pas faire l’objet de poursuites pendant le quinquennat. En revanche, un mois après la fin de ses fonctions, le Président de la République redevient un justiciable ordinaire et les poursuites peuvent reprendre. C’est ainsi que l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a pu faire l’objet de poursuites dans « l’affaire des écoutes » ou l’affaire Bygmalion par exemple.

Un Président de la République en exercice ne peut donc pas comparaître devant un tribunal.

Étant irresponsable pendant l’exercice de son mandat, à la fois pour les actes accomplis en qualité de chef de l’État (immunité totale) et pour les actes détachables de l’exercice de ses fonctions (immunité temporaire), le Président de la République est aussi inamovible. C’est-à-dire que personne ne peut contraindre le Président de la République à démissionner ou ne peut révoquer le chef de l’État pendant son mandat.

Cette règle souffre toutefois deux exceptions.

La première est l’hypothèse dans laquelle le Président de la République se rend coupable de génocide, de crime de guerre ou de crime contre l’humanité. Dans ce cas, le chef de l’État est justiciable de la Cour pénale internationale (CPI).

La seconde est l’hypothèse de la destitution du Président de la République. Cet « impeachment » à la française est prévu par l’article 68 de la Constitution qui dispose que :

« Le Président de la République ne peut être destitué qu'en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. »

Il faut relever que, depuis la révision constitutionnelle du 23 février 2007, l’article 68 ne fait plus référence à la « haute trahison » du Président de la République et que la Haute Cour de justice a été remplacée par la Haute Cour composée exclusivement des parlementaires (l’ensemble des députés et sénateurs), sans magistrat.

La destitution du Président de la République peut donc être prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour et présidée par le Président de l’Assemblée Nationale. Pour destituer le Président de la République il faut un vote à la majorité qualifiée des 2 / 3 des parlementaires. La Haute Cour doit caractériser un « manquement du Président de la République à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » qui est le point le plus délicat.

Les étapes importantes de la procédure de destitution du Président de la République sont les suivantes :

  • Les deux assemblées du Parlement doivent adopter une proposition de résolution motivée justifiant des motifs susceptibles de caractériser un « manquement du Président de la République à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat »
  • Cette proposition de résolution ne peut pas être amendée et ne peut pas faire l'objet de plus d'une lecture dans chaque assemblée
  • C’est la commission des lois de la chambre qui a pris l’initiative de la procédure qui vote l’inscription à l’ordre du jour
  • La proposition de résolution adoptée par une assemblée est immédiatement transmise à l'autre assemblée
  • Le rejet de la proposition de résolution par l'une des deux assemblées met un terme à la procédure.
  • Lorsqu'une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour a été adoptée par chacune des assemblées, le Bureau de la Haute Cour se réunit aussitôt. Le Bureau de la Haute Cour est composé de 22 membres désignés, en leur sein et en nombre égal, par le Bureau de l'Assemblée nationale et par celui du Sénat, en s'efforçant de reproduire la configuration politique de chaque assemblée. Il est présidé par le Président de la Haute Cour. Le Bureau prend les dispositions nécessaires pour organiser les travaux de la Haute Cour.
  • Une commission constituée de 6 vice-présidents de l'Assemblée nationale et de six vice-présidents du Sénat est alors chargée de recueillir toute information nécessaire à l'accomplissement de sa mission par la Haute Cour. La composition de la commission s'efforce de reproduire la configuration politique de chaque assemblée. Sur sa demande, le Président de la République ou son représentant est entendu par la commission. Il peut se faire assister par toute personne de son choix. La commission élabore, dans les 15 jours suivant l'adoption de la résolution, un rapport qui est distribué aux membres de la Haute Cour, communiqué au Président de la République et au Premier ministre et rendu public.
  • Les débats de la Haute Cour sont publics. Outre les membres de la Haute Cour, peut seul y prendre part le Président de la République
  • La Haute Cour est présidée par le président de l'Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d'un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d'effet immédiat.
  • Les décisions prises par la Haute Cour le sont à la majorité des 2/3 des membres. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.
  • La Haute Cour est dessaisie si elle n'a pas statué dans le délai d'un mois.


Sous la Ve République, deux propositions de résolution visant à réunir la Haute Cour ont été déposées contre François HOLLANDE[2] le 10 novembre 2016 et contre Emmanuel MACRON[3] le 4 septembre 2024, mais ces propositions n’ont même pas été adoptées en commission.

Dans la dernière procédure en date, la commission des lois de l’Assemblée nationale a rejeté le 2 octobre 2024 la proposition de résolution de Mme la députée Mathilde Panot visant à réunir le Parlement en Haute Cour en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République. L’article 8 de la Constitution laisse en effet la liberté au Président de la République de nommer le Premier ministre de son choix sans contreseing. Aucun manquement du Président de la République à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ne peut donc se fonder sur cet article, qui constitue un pouvoir propre du chef de l’État.

La destitution du Président de la République est donc une procédure réservée aux cas les plus graves qui peut conduire à une crise de régime. Elle ne constitue pas un troisième tour électoral. C’est la raison pour laquelle elle ne doit pas être engagée avec légèreté à des fins politiques.

 

[1] Article 67 de la Constitution

[2] Proposition de résolution de M. Christian JACOB et plusieurs de ses collègues visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et

[3] Proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour, en vue d’engager la procédure de destitution à l’encontre du Président de la République, prévue à l’article 68 de la Constitution et à la loi organique n° 2014-1392 du 24 novembre 2014

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Selon les derniers sondages disponibles, le Rassemblement national (RN) serait en mesure d’obtenir la majorité absolue des suffrages aux élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024. Si tel était le cas, la cohabitation s’imposerait au Président de la République qui serait contraint de nommer Jordan Bardella Premier ministre et de le charger de conduire la politique de la Nation.

Mais existe-t-il des contre-pouvoirs pendant la cohabitation ? Autrement formulé, le Premier ministre de cohabitation a-t-il vraiment les mains libres pour mener sa politique ?

Un Premier ministre de cohabitation est soumis à de nombreux contre-pouvoirs. Au sein même de l’exécutif, son action est limitée par les pouvoirs du Président de la République. Même s’il contrôle la majorité à l’Assemblée nationale, le Sénat intervient comme contre-pouvoir au sein du Parlement. Enfin, l’autorité judiciaire s’assure du respect de l’État de droit. Le Premier ministre ne peut pas organiser de référendum ni modifier la Constitution.

La cohabitation est la situation dans laquelle le Président de la République a perdu la majorité, et donc la confiance, de l’Assemblée nationale lors des élections législatives. Sauf à bloquer le vote de tous les textes de loi, le Président est alors contraint de nommer le chef du parti majoritaire à l’Assemblée.

Si le Président choisissait malgré tout de nommer un de ses fidèles, il s’exposerait immédiatement à une motion de censure et le gouvernement serait renversé. Dans une situation de cohabitation, le choix du Premier ministre s’impose donc au Président de la République.

Une fois nommé par le Président, le Premier ministre compose librement son gouvernement et fait entériner ses choix par le Président. Le gouvernement de cohabitation prend alors officiellement ses fonctions.

Mais le Premier ministre n’a pas les mains entièrement libres pour conduire la politique de la Nation avec son seul gouvernement, car des contre-pouvoirs sont prévus par les textes : le Président de la République (1), le Sénat (2) et l’autorité judiciaire (3).

  1. Le Président de la République, un contre-pouvoir au sein de l’exécutif 


Pendant la cohabitation, le Président de la République joue le rôle d’un contre-pouvoir au sein même de l’exécutif :

  • Il peut s’opposer à l’entrée de certains ministres au Gouvernement en refusant la proposition du Premier ministre de les nommer[1].
  • Il peut refuser de promulguer des lois votées par le Parlement[2]. Or si la loi n’est pas promulguée, c’est-à-dire signée, par le Président de la République, elle ne peut pas entrer en vigueur même si elle a été votée par le Parlement. Le Premier ministre n’a pas le pouvoir de promulguer les lois.
  • Il peut utiliser ses pouvoirs propres et son pouvoir réglementaire pour prendre des décisions seul, sans contreseing ministériel notamment en matière de politique étrangère de la France et pour nommer à certains emplois civils et militaires de l’État.
  • Il peut utiliser son droit de saisine pour faire contrôler par le Conseil constitutionnel des lois votées par une Assemblée hostile[3].
  • Il peut décider seul de faire adopter des lois directement par le peuple par référendum[4], alors que le Premier ministre n’a pas ce pouvoir.
  • Dans la situation d’une crise de régime, il peut déclencher l’article 16 de la Constitution qui lui confère les pleins pouvoirs, sans avoir à s’en justifier et sans contrôle sur cette décision.

Enfin, un an après une précédente dissolution, il peut dissoudre à nouveau la chambre basse pour essayer de récupérer par les urnes la majorité à l’Assemblée nationale et donc mettre fin à la cohabitation[5].

  1. Le Sénat, un contre-pouvoir parlementaire


Pendant la cohabitation, le Premier ministre est imposé au Président par la majorité à l’Assemblée nationale issue des élections législatives. Le Premier ministre est donc le chef de cette majorité, qu’il contrôle, au sein de la chambre basse.

L’Assemblée nationale vote donc tous les textes du Premier ministre pendant la cohabitation.

Mais le Parlement français est bicaméral, c’est-à-dire à deux chambres, et l’Assemblée nationale ne décide donc pas de tout toute seule, il faut aussi composer avec le Sénat.

La chambre haute du Parlement peut donc jouer le rôle d’un contre-pouvoir au sein du pouvoir législatif pendant la cohabitation.

Le Sénat peut donc ralentir le vote des lois rejetant les textes et en provoquant des commissions mixtes paritaires (CMP).

Pour la plupart des textes, un Premier ministre de cohabitation ne sera que retardé, et pas bloqué, par un Sénat hostile, car l’Assemblée nationale a le dernier mot dans le vote de la loi[6].

Mais cette voix prépondérante de l’Assemblée nationale ne s’applique pas pour les lois constitutionnelles qui viennent modifier la Constitution[7].

Un Premier ministre de cohabitation ne pourrait donc pas modifier la Constitution en s’appuyant uniquement sur sa majorité à l’Assemblée nationale : le Sénat dispose d’un vrai pouvoir de blocage en la matière.

Enfin, si le Président de la République démissionnait, ce serait le Président du Sénat qui assurerait l’intérim[8], plaçant ici encore la chambre haute en position de contre-pouvoir vis-à-vis d’un Premier ministre de cohabitation.

  1. La justice en tant que contre-pouvoir pendant la cohabitation


La justice joue un rôle de contre-pouvoir naturel, même en situation de fait majoritaire. C’est le principe de la séparation des pouvoirs. Mais ce rôle est encore plus poussé pendant la cohabitation.

Compte tenu des mesures polémiques qui pourraient être prises par un Premier ministre RN comme la préférence nationale ou la restriction du droit du sol, dont la constitutionnalité pose question, il est certain que le rôle du Conseil constitutionnel serait central.

Pendant la cohabitation, le Président de la République, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs d’opposition pourraient systématiquement saisir le Conseil constitutionnel de toutes les lois votées par le Parlement[9].

Or une disposition législative déclarée inconstitutionnelle ne peut être ni promulguée ni mise en application[10], ce que le Premier ministre de cohabitation ne peut pas contourner car :

  • Il n’a pas le pouvoir de déclencher un référendum,
  • Il ne peut pas modifier la Constitution sans l’accord du Sénat.

Le rôle du Conseil constitutionnel est donc essentiel pendant la cohabitation.

Enfin, le Conseil d’État pourrait être amené à contrôler la légalité, la constitutionnalité et la conventionnalité de textes réglementaires pris par le Premier ministre et son gouvernement pendant la cohabitation.

Un Premier ministre de cohabitation ne pourrait donc pas s’affranchir de l’État de droit, car ses mesures réglementaires et les lois qu’il pourrait faire voter par le Parlement seraient contrôlées et bloquées par l’autorité judiciaire si elles violaient la légalité, la Constitution ou les traités internationaux.

 

[1] Article 8 de la Constitution

[2] Article 10 de la Constitution

[3] Article 61 de la Constitution

[4] Article 11 de la Constitution

[5] Article 12 de la Constitution

[6] Article 45 de la Constitution

[7] Article 89 de la Constitution

[8] Article 7 de la Constitution

[9] Article 61 de la Constitution

[10] Article 62 de la Constitution

 
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Si le Rassemblement national (RN) obtient la majorité absolue aux élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024, Jordan Bardella sera nommé Premier ministre et conduira la politique de la Nation. Alors que le scrutin n’a pas encore eu lieu, des voix se font déjà entendre.

La secrétaire générale de la CGT Sophie Binet a déclaré vendredi 21 juin 2024 que les fonctionnaires devraient alors refuser d’appliquer le programme du RN. Dans le même sens, plus de mille signataires d’une pétition de cadres de l’Éducation nationale assurent qu’ils « n’obéiront pas » si le RN accède au pouvoir.

Alors qu’en est-il juridiquement ? Les fonctionnaires peuvent-ils vraiment refuser d’appliquer le programme du RN ?

« Préférence nationale », « Restriction du droit du sol », « Reprise en main du contenu et des modalités des enseignements », autant de mesures polémiques qui inquiètent certains fonctionnaires dans le programme du RN. Ils le disent sans ambages : ils n’appliqueraient pas ces mesures si le RN arrivait au pouvoir en juillet 2024.

Ce n’est pas si simple juridiquement.

Les agents publics sont soumis à un strict devoir d’obéissance hiérarchique, qui les oblige à mettre en œuvre les mesures décidées par leurs supérieurs sans pouvoir faire valoir de clause de conscience politique (1).

Depuis le régime de Vichy, les fonctionnaires doivent toutefois désobéir dans le cas où un ordre donné est manifestement illégal et que cet ordre est de nature à compromettre gravement un intérêt public (2).

Un fonctionnaire qui désobéit illégalement s’expose à des sanctions disciplinaires. Il a toutefois un pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre des mesures ordonnées, sans pouvoir se substituer au pouvoir politique et peut aussi choisir de démissionner (3).

  1. Le principe : le devoir d’obéissance des fonctionnaires


La loi oblige les fonctionnaires à obéir à leurs supérieurs hiérarchiques (A) sans pouvoir faire valoir une clause de conscience (B).

A) Le fonctionnaire doit obéir à ses supérieurs hiérarchiques

Le devoir d’obéissance du fonctionnaire est un principe cardinal du droit de la fonction publique.

La loi prévoit donc que l'agent public doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique[1]. Ceci s’applique à l’immense majorité des agents publics qu’ils soient enseignants, policiers ou encore agents municipaux.

Le pouvoir hiérarchique a même été érigé en principe général du droit[2], tant l’obéissance des fonctionnaires est essentielle au fonctionnement de l’administration dans son ensemble.

Seuls certains agents publics aux statuts particuliers comme les magistrats[3] ou les enseignants-chercheurs[4] jouissent d’une indépendance totale qui les dispense d’obligation d’obéissance.

Les fonctionnaires sont donc astreints à un strict devoir d’obéissance hiérarchique. Par extension, cette obligation s’applique aussi à tous les agents contractuels de la fonction publique, qui n’ont pas le statut de fonctionnaire.

B) Le fonctionnaire ne peut pas faire valoir de clause de conscience


Non seulement le fonctionnaire doit obéir à ses supérieurs hiérarchiques, mais il ne dispose pas d’une clause de conscience qu’il pourrait faire valoir.

Il est pourtant fréquent qu’un agent public se trouve devant le dilemme de ses convictions personnelles et de ses obligations statutaires.

Mais la clause de conscience politique n’existe pas dans la fonction publique.

La clause de conscience n’existe en matière de fonction publique que de manière exceptionnelle pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) : « Un médecin n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse (…) Aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu'il soit, n'est tenu de concourir à une interruption de grossesse »[5].

Un agent public qui ne serait pas d’accord avec la politique d’un gouvernement RN ne pourrait donc pas faire valoir une clause de conscience pour refuser d’appliquer les mesures : il devrait alors démissionner de la fonction publique.

  1. L’exception : le devoir de désobéissance des fonctionnaires


Par exception, la loi confère aux agents publics un droit, et même un devoir, de désobéissance dans certaines circonstances.

Cette exception a été posée par le Conseil d’État sous le régime de Vichy, afin de tirer les leçons de l’Histoire[6].

L’agent public doit ainsi désobéir à son supérieur hiérarchique[7] :

  • Dans le cas où un ordre donné est manifestement illégal,
  • Et que cet ordre est de nature à compromettre gravement un intérêt public.

Ces deux conditions cumulatives sont très strictement appréciées par le juge et très rarement retenues.

Ainsi une simple illégalité n’est pas suffisante pour donner le droit au fonctionnaire de désobéir[8] par exemple : il faut aussi que l’ordre compromette gravement un intérêt public.

Un désaccord politique est de la même manière insusceptible de justifier un refus d’obéissance.

Le refus d’obéissance est donc une hypothèse très rare en jurisprudence : un fonctionnaire à qui on ordonne de substituer une fausse pierre à une pierre précieuse placée sous scellé[9], un maire qui demande à un agent municipal d’inscrire au chômage des personnes qui ne remplissent pas les conditions pour y prétendre[10].

L’hypothèse de l’incendie des « paillotes corses » dans la nuit du 19 au 20 avril 1999 aurait également pu justifier un refus d’obéissance des gendarmes chargés illégalement par le Préfet de les incendier[11].

Ce n’est que dans l’hypothèse où le RN au pouvoir prendrait des mesures manifestement illégales, voire reconnues inconstitutionnelles par le Conseil constitutionnel, que les fonctionnaires pourraient, dans certains cas limités, refuser de les appliquer.

Enfin, le droit de retrait[12] dont dispose chaque agent public en cas de situation professionnelle présentant un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé physique ne pourra pas être invoqué par des fonctionnaires pour refuser d’appliquer des mesures prises par un gouvernement RN.

  1. Les conséquences de la désobéissance illégale d’un fonctionnaire


Les agents publics sont tenus d’obéir à leurs supérieurs hiérarchiques sauf ordre manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

La désobéissance d’un fonctionnaire à une consigne légitimement donnée par sa hiérarchie perturbe en effet gravement le fonctionnement du service public.

Un désaccord politique sur les mesures ordonnées ne suffit pas au fonctionnaire pour pouvoir désobéir.

Dans l’hypothèse d’un refus d’obéissance, l’agent s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à la révocation.

L’agent peut également librement choisir de démissionner de la fonction publique s’il ne s’estime pas en mesure d’appliquer des mesures gouvernementales.

Les fonctionnaires ne pourraient donc probablement pas refuser en bloc d’appliquer le programme d’un gouvernement RN. Ils disposent toutefois d’un pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre des mesures ordonnées, sans pouvoir se substituer totalement au pouvoir politique.

 

[1] Article L. 121-10 du Code général de la fonction publique

[2] CE, sect., 30 juin 1950, Quéralt

[3] Article 64 de la Constitution

[4] Article L. 952-2 du code de l’éducation

[5] Article L. 2212-8 du code de la santé publique

[6] CE, 10 novembre 1944, Langneur, n°71856 puis CE, 27 mai 1949, Arasse, n°93122

[7] Article L. 121-10 du Code général de la fonction publique

[8] CE, 26 juin 1989, n°94393

[9] CE, 3 mai 1961, Pouzeldues, n°48762

[10] CE, 10 novembre 1944, Langneur, n°71856

[11] Cass. Crim., 13 octobre 2003, n°03-81.763, P.

[12] Article 5-6 du Décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique

 
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Après la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République, les prochaines élections législatives se dérouleront les dimanches 30 juin et 7 juillet 2024. C’est l’occasion de faire le point sur les possibilités de recours en la matière.

Explications en 10 points :

Qui peut contester ?
Quel juge saisir ?
Dans quel délai peut-on contester les résultats ?
Comment faire son recours ?
Comment le Conseil constitutionnel traite-t-il les recours ?
Le recours peut-il être déclaré irrecevable ?
Quels sont les arguments permettant d'annuler le scrutin ?
Un simple post Facebook peut-il faire annuler un scrutin ?
Quels sont les pouvoirs du Conseil constitutionnel en la matière ?
Existe-t-il des délais de jugement et des possibilités de recours ?

1/ Qui peut contester ?

Le droit de contester le scrutin législatif appartient, circonscription par circonscription :

  • À toutes les personnes inscrites sur les listes électorales de la circonscription dans laquelle il a été procédé à l'élection,
  • Ainsi qu'aux personnes qui ont fait acte de candidature (perdants).
A contrario, les opérations électorales ne peuvent donc pas être contestées par les partis politiques, les associations, ou les personnes publiques (Article 33 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel).

Le scrutin législatif d’une circonscription ne peut par ailleurs pas être contesté par un électeur d’une autre circonscription.

2/ Quel juge saisir ?

Il résulte de l’article 59 de la Constitution que le Conseil constitutionnel est seul compétent pour connaître de la régularité des élections législatives :

« Le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs ».

Un recours contre le scrutin législatif porté devant le Tribunal Administratif ou le Conseil d’Etat sera donc irrecevable.

Les recours devront donc être adressés au 2 Rue de Montpensier, 75001 Paris.

3/ Dans quel délai peut-on contester les résultats ?
 
L'élection d'un député peut être contestée devant le Conseil constitutionnel jusqu'au dixième jour qui suit la proclamation des résultats de l'élection, au plus tard à 18 heures (Article 33 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel).

Ainsi, les recours contre les élections législatives anticipées de 2024 devront être déposés au secrétariat général du Conseil constitutionnel au plus tard :

  • Le mercredi 10 juillet 2024 à 18 H pour une élection acquise au premier tour,
  • Ou le mercredi 17 juillet 2024 à 18 H pour une élection acquise au second tour.
On note toutefois que les résultats sont généralement proclamés le lundi qui suit le tour de scrutin au terme duquel l’élection est acquise, ce qui porte le délai de recours aux jeudis 11 et 18 juillet 2024, mais il convient d’être prudent en la matière.
 
4/ Comment faire son recours ?
 
Toutes les personnes ayant intérêt à agir contre le scrutin ont le choix d’adresser leur requête :

  • Directement au Secrétariat général du Conseil constitutionnel,
  • Ou indirectement, au Préfet, qui assurera lui-même la transmission au Conseil constitutionnel.
On conseillera toutefois aux requérants de préférer la voie directe, en adressant leur requête au Secrétariat général du Conseil constitutionnel par LRAR (afin de conserver la preuve de l’envoi dans les délais). L’intermédiaire du Préfet pourrait en effet poser difficultés en matière de computation des délais (en cas de litige) et n’apporte pas de plus-value supplémentaire sur la requête.

Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que par une requête écrite adressée au secrétariat général du Conseil ou au représentant de l'Etat.

De manière traditionnelle s’agissant d’un contentieux administratif, la requête en contestation d’un scrutin législatif devra impérativement :

  • Être signée par le requérant,
  • Comporter ses nom, prénom, domicile, et qualité (électeur / candidat vaincu),
  • Indiquer de manière précise et non équivoque le nom des élus dont l’élection est attaquée,
  • Mentionner les irrégularités relevées (seuls les griefs pouvant exercer une influence sur les résultats de l’élection seront examinés par le Conseil).
La requête n'a pas d'effet suspensif : le député proclamé élu continue d’exercer son mandat tant qu’aucune décision d’annulation n’a été rendue.  

Elle est dispensée de tous frais de timbre ou d'enregistrement (Article 35 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel).

Le recours à un avocat est facultatif en matière électorale devant le Conseil constitutionnel, mais les conseils et l’expérience du professionnel s’avèrent néanmoins pertinents et efficaces pour contester valablement le scrutin législatif.

5/ Comment le Conseil constitutionnel traite-t-il les recours ?

Le Conseil constitutionnel dispose de la faculté de rejeter par décision motivée et sans instruction contradictoire préalable, les requêtes irrecevables ou ne contenant que des griefs qui ne peuvent manifestement pas avoir une influence sur les résultats de l'élection. Cette décision est immédiatement notifiée à l'Assemblée nationale (Article 38 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel).

Il convient donc de prêter une attention particulière à la rédaction de la requête pour ne pas risquer l’irrecevabilité, et le rejet sans instruction par le Conseil constitutionnel.

Dans l’hypothèse d’une requête recevable, le Conseil constitutionnel avise le député dont l’élection est contestée du recours, et lui donne un délai de son choix pour produire des observations écrites, dans le respect du contradictoire.

Dès réception de ces observations ou à l'expiration du délai imparti pour les produire, l'affaire est rapportée devant le Conseil qui statue par une décision motivée. Cette décision est notifiée à l'Assemblée nationale.

Cette procédure rappelle ici encore l’importance de la bonne rédaction de la requête initiale, puisque le Conseil constitutionnel est en capacité juridique de statuer sur la base de cette seule requête, et de la réponse adverse, sans attendre de mémoire complémentaire.  

Dans le cadre de l’instruction, le Conseil constitutionnel peut, si besoin, ordonner une enquête et se faire communiquer tous documents et rapports ayant trait à l'élection (notamment les comptes de campagne établis par les candidats intéressés). Il peut également procéder à l’audition des parties et entendre des témoins. En 2012, le Conseil a procédé à huit auditions et en 2017 à quatorze auditions.

6/ Le recours peut-il être déclaré irrecevable ?

OUI

L’irrecevabilité peut d’abord résulter du caractère prématuré de la requête. En effet, contester les résultats au soir du premier tour pour une élection acquise au second tour est inutile : la requête sera irrecevable. Il convient donc de bien veiller à attaquer le scrutin après le second tour (le cas échéant), en invoquant éventuellement à l’appui de la requête des moyens liés à l’irrégularité du premier tour de scrutin.

Pour des exemples, voir :

  • Décision n° 2012-4546, (Français établis hors de France, 11e),
  • Décision n° 2012-4547, (Hauts-de-Seine, 7e),
  • Décision n° 2012-4548, (Hauts-de-Seine, 6e),
  • Décision n° 2012-4550, (Paris, 2e).
L’irrecevabilité peut également résulter de la tardiveté de la requête. On veillera donc à bien respecter les délais pour agir (voir les délais supra). En 2012, de nombreuses requêtes ont été irrecevables pour tardiveté :

  • Décision n° 2012-4643 (Hauts-de-Seine, 6e),
  • Décision n° 2012-4644 (Alpes-Maritimes, 2e).
En 2022, le Conseil constitutionnel a été saisi de 99 recours contestant les résultats des élections législatives. Il a rejeté immédiatement plus de la moitié de ces recours pour irrecevabilité ou au regard de leur caractère manifestement infondé.

La requête sera aussi irrecevable si elle est déposée auprès d’une autorité incompétente pour la recevoir comme le Tribunal administratif. Pour un exemple, voir la Décision n° 2012-4582 (Nord, 9e).

Enfin, l’irrecevabilité sera constatée lorsque la requête contient uniquement des moyens ne tendant pas réellement à l’annulation de l’élection du député : il s’agit de griefs insusceptibles d’exercer une influence sur l’issue du scrutin.

À titre d’exemples :

  • Le fait de diffuser des documents de propagande présentant une similarité avec les documents de communication municipaux sans que ceux-ci soient annexés (Décision n° 2017-5084, Val-de-Marne, 9e),
  • Le fait pour un maire candidat d'avoir fait de la promotion sur sa gestion locale lors de la cérémonie des voeux, compte tenu d'un écart de voix important (Décision n° 2017-5046, Pas-de-Calais, 7e),
  • La seule présence d’un candidat au premier tour (Décision n°2012-4562, Nord, 13e),
  • Le seul contenu d'affiches électorales (Décision n°2012-4573, Seine-Maritime, 10e).
Une bonne rédaction de la requête permettra d’éviter toute irrecevabilité.

7/ Quels sont les arguments permettant d'annuler le scrutin ?

Tout moyen peut être invoqué par les requérants pour démontrer la nullité du scrutin (ex : irrégularités des affiches électorales, tracts, démarchage irrégulier sur internet ou par téléphone, fausses procurations, comptes de campagnes, pressions par intimidation ou corruption, différences de signatures d’électeurs entre le premier et le second tour, vices des opérations électorales, etc.).

En 2024, les arguments généraux relatifs à la dissolution seront inopérants, c’est-à-dire insusceptibles de faire annuler les élections législatives dans une circonscription. Le contentieux de l’organisation des élections législatives dans son ensemble, dirigé contre le décret n° 2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale est un contentieux distinct des litiges portant sur les opérations électorales dans chaque circonscription. Il ne sera donc pas pertinent de contester la dissolution dans le cadre d’un recours contre les opérations électorales dans une circonscription, même si le raccourcissement du temps de campagne sera certainement pris en compte par le Conseil constitutionnel dans l’examen des recours.

On conseillera surtout aux équipes de campagne des candidats de bien surveiller et relever toutes les irrégularités constatées, surtout pendant les opérations électorales, quitte à faire le tri au lendemain de l’élection. Le constat par huissier de justice est à privilégier.

L’annulation du scrutin ne sera toutefois encourue qu’en cas de griefs précis, démontrés, établis en fait, et susceptibles d’exercer une influence sur l’issue du scrutin en raison d’un faible écart de voix (apprécié au cas par cas).

Il n'appartient en effet pas au juge de l'élection de sanctionner toutes les irrégularités, mais seulement celles qui ont pu affecter la sincérité du scrutin.

En 2012, le Conseil constitutionnel a été saisi de 108 requêtes, et n’a prononcé que 7 annulations.

En 2017, le Conseil constitutionnel a été saisi de 298 requêtes, et n’a prononcé que 8 annulations.

En 2022, le Conseil constitutionnel a été saisi de 99 requêtes et n’a prononcé que 7 annulations.

À titre d’exemples :

  • En 2022, dans deux circonscriptions des Français établis hors de France, le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales en raison des dysfonctionnements intervenus lors du vote électronique (Décision n° 2022-5813/5814 AN et Décision n° 2022-5760 AN)
  • En 2022, l’élection de la 2e circonscription de la Marne a été annulée par le Conseil constitutionnel, car les bulletins de vote d’une candidate faisaient apparaître la mention « La candidate officielle d’Emmanuel Macron ». Or les bulletins de vote ne peuvent pas comporter d’autres noms que le candidat et son suppléant (Décision n°2022-5768 AN)
  • En 2022, dans la première circonscription de l’Ariège le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales en raison d’un mélange de bulletins entre deux candidats dans les bureaux de vote, avec un écart de 8 voix seulement (Décision n° 2022-5751 AN)
  • En 2022, le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées dans la huitième circonscription des Français établis hors de France, à l’issue desquelles M. Meyer HABIB avait été élu. Le Conseil constitutionnel a considéré que des messages diffusés sur différents réseaux sociaux le jour du second tour de scrutin et des manœuvres de démarchage téléphonique ont été susceptibles d’influencer un nombre significatif d’électeurs (Décision n° 2022-5773 AN)
  • En 2022, l’utilisation irrégulière d’un véhicule comportant un affichage électoral pendant la campagne électorale a été pris en compte par le Conseil constitutionnel (Décision n°2023-31 ELEC)
  • En 2017, dans la 1ère circonscription du département du Territoire de Belfort, le Conseil a considéré que le fait de diffuser des tracts imprimés à 10 000 et 15 000 exemplaires dont la présentation matérielle les faisait faussement apparaître comme émanant respectivement d'un parti concurrent constituait une manœuvre de nature à avoir créé une confusion dans l'esprit d'une partie des électeurs et à avoir influé sur le résultat du scrutin. Eu égard à l'ampleur de la diffusion tardive de ces tracts ainsi qu'au faible écart de voix séparant les deux candidats du second tour, le Conseil a annulé les opérations électorales contestées (Décision n° 2017-5067 AN du 8 décembre 2017),
  • En 2017, dans la 2ème circonscription de la Guyane, le Conseil a considéré que l'absence d'assesseur dans deux bureaux de vote a entaché d'illégalité le scrutin compte tenu du faible écart de voix séparant les deux candidats du second tour - 56 voix - (Décision n° 2017-5091 AN du 8 décembre 2017),
  • En 2017, dans la 6ème circonscription de l’Hérault, le Conseil a invalidé 23 procurations, et annulé par conséquent l’élection acquise avec une avance de dix voix (Décision n° 2012-4590 A.N., 24 octobre 2012, Hérault 6e circ.),
  • En 2017, dans l’Oise, la diffusion tardive d’un tract a altéré la sincérité du scrutin et invalidé ce dernier, acquis avec 63 voix d’écart (Décision n° 2012-4594 A.N., 25 janvier 2013, Oise 2e circ.),
  • En 2017, dans les Hauts-de-Seine, l’élection a été annulée car le suppléant du candidat élu était déjà le remplaçant d’un sénateur élu (Décision n° 2012-4563/4600 A.N., 18 octobre 2012, Hauts-de-Seine 13e circ.).
Plus l’écart de voix sera faible, plus l’hypothèse d’un recours devra donc être sérieusement envisagée par les candidats.
 
8/ Un simple post Facebook peut-il faire annuler un scrutin ?

OUI

Si l'écart de voix entre les candidats est faible, un post Facebook irrégulier peut faire annuler l'élection.

C'est ce qu'a déjà jugé le Conseil constitutionnel à l'occasion du contentieux des élections législatives 2017 (Décision n° 2017-5092 AN du 18 décembre 2017) mais également en 2022 en raison de posts sur les réseaux sociaux du candidat Meyer HABIB le jour du second tour de scrutin (Décision n° 2022-5773 AN).

Dans la 4ème circonscription du département du Loiret l'élection a été annulée le 18 décembre 2017 au motif qu'un candidat avait publié, le dimanche du second tour à 15 heures 52 sur la page « Facebook » dédiée à ses fonctions de maire une photo le représentant prononçant un discours à l'occasion de la cérémonie commémorant l'Appel du 18 juin, et faisant état de l'affluence à cette commémoration officielle.

Par ailleurs, un adjoint de ce même candidat avait publié le même jour à 11 heures 42 sur sa page « Facebook » personnelle des éléments de propagande électorale dont la diffusion était prohibée à cette date (un message invitant les électeurs à « choisir l'expérience face à l'aventure »).

Le Conseil constitutionnel a considéré que, compte tenu du faible écart de voix (7 voix), ces éléments étaient suffisants pour annuler l'ensemble des opérations électorales dans cette circonscription.

Dans le cas du candidat Meyer HABIB en 2022, le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales de la huitième circonscription des Français établis hors de France en considérant que des messages diffusés sur différents réseaux sociaux le jour du second tour de scrutin et des manœuvres de démarchage téléphonique ont été susceptible d’influencer un nombre significatif d’électeurs, avec un faible écart de voix.

9/ Quels sont les pouvoirs du Conseil constitutionnel en la matière ?

Le Conseil constitutionnel dispose d’un pouvoir très large en matière électorale et peut notamment :

  • Rejeter la requête et valider l’élection,
  • Annuler l’élection (dans la circonscription concernée),
  • Réformer les résultats et proclamer élu un autre candidat.
L’annulation du scrutin législatif dans une circonscription est loin d’être exceptionnelle, le Conseil constitutionnel ayant déjà prononcé 71 annulations en la matière depuis sa création en 1958.   

On note toutefois que le Conseil constitutionnel n’a jamais encore proclamé élu un candidat à la place d’un autre, bien qu’il ait tout à fait pouvoir pour ce faire. La tendance est donc plutôt à l’annulation du scrutin en cas d’irrégularités et à laisser les électeurs se prononcer à nouveau.

Lorsqu’un scrutin est annulé par le Conseil constitutionnel, une nouvelle élection législative partielle doit être organisée dans la circonscription concernée dans un délai de trois mois (Article LO178 du Code électoral).

10/ Existe-t-il des délais de jugement et des possibilités de recours ?

NON

Aucun délai n’est fixé au Conseil constitutionnel pour rendre sa décision. Le délai de jugement variera donc en fonction de la complexité des irrégularités relevées.

Il convient de rappeler que le député élu restera en place jusqu’à l’éventuelle décision d’annulation.

En application de l’article 62 de la Constitution, l’autorité de la décision rendue par le Conseil constitutionnel est absolue : aucun recours n’est possible.
 
Enfin, la décision du juge constitutionnel n'a d'effet juridique qu'en ce qui concerne l'élection dont il est saisi (uniquement la circonscription concernée par le recours).
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Après la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron le 9 juin 2024, toutes les options constitutionnelles semblent sur la table, y compris celle du déclenchement de l’article 16 par le Président de la République qui s’arrogerait les pleins pouvoirs.

Mais de quoi s’agit-il, et est-ce vraiment possible ?

On fait le point avec 10 questions autour de l'article 16 de la Constitution :

1/ Qu’est-ce que l’article 16 de la Constitution ?
2/ Qui peut déclencher l’article 16 de la Constitution ?
3/ Quelles sont les conditions du recours à l’article 16 de la Constitution ?
4/ Que se passe-t-il si le Président de la République déclenche l’article 16 de la Constitution alors que les conditions ne sont pas réunies ?
5/ Combien de temps dure la période des pleins pouvoirs de l’article 16 de la Constitution ?
6/ Quelles sont les conséquences du déclenchement de l’article 16 sur le Parlement ?
7/ L’article 16 de la Constitution a-t-il déjà été déclenché dans l’Histoire française ?
8/ Existe-t-il des limites au pouvoir du Président pendant l’article 16 de la Constitution ?
9/ Existe-t-il un contrôle sur les mesures prises par le Président pendant les pleins pouvoirs ?
10/ Emmanuel Macron pourrait-il déclencher l’article 16 de la Constitution après les législatives 2024 ?

*** 

  • 1/ Qu’est-ce que l'article 16 de la Constitution ?

L’article 16 de la Constitution permet au Président de la République de s’arroger les pleins pouvoirs pour faire face à une situation exceptionnelle.

Le Président dispose alors de tout le pouvoir réglementaire et tout le pouvoir législatif pendant cette période exceptionnelle et peut donc prendre toutes les mesures que l’urgence commande dans les domaines de l’article 37 et 34 de la Constitution.

L’article 16 de la Constitution dispose précisément que :

« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel. »

  • 2/ Qui peut déclencher l’article 16 de la Constitution ?

Seul le Président de la République en exercice peut déclencher l’article 16 de la Constitution. Il n’a pas à s’en justifier.

Un Président de la République par intérim (hypothèse de la démission ou de la vacance de la Présidence de la République) pourrait également mettre en œuvre l’article 16 de la Constitution, mais l’hypothèse serait constitutionnellement très hasardeuse.

  • 3/ Quelles sont les conditions du recours à l’article 16 de la Constitution ?

Les conditions du recours à l’article 16 de la Constitution sont très strictes.

Le texte pose deux conditions de fond cumulatives. Pour déclencher l’article 16 de la Constitution, il faut que :

  • Les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux soient menacés d'une manière grave et immédiate ;
  • Et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels soit interrompu.

Par ailleurs, le Président de la République doit consulter le Premier ministre, les Présidents des Assemblées ainsi que le Conseil constitutionnel avant de mettre en œuvre l’article 16 de la Constitution.

Toutefois, il décide seul et il s’agit donc d’une simple consultation.

Le Président de la République doit également informer la Nation de la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution.

Si ces conditions ne sont pas réunies, le Président de la République la Constitution interdit le déclenchement de l’article 16 de la Constitution.

Mais il faut tout de même envisager l’hypothèse où un Président de la République déclencherait tout de même l’article 16 de la Constitution alors que les conditions ne sont pas réunies.

  • 4/ Que se passe-t-il si le Président de la République déclenche l’article 16 de la Constitution alors que les conditions ne sont pas réunies ?

Si le Président de la République déclenche l’article 16 de la Constitution alors que les conditions ne sont pas réunies, sa décision serait inconstitutionnelle.

Mais par un arrêt très connu du 2 mars 1962 « Rubin de Servens », le Conseil d’État a déjà jugé que  la décision de mettre en œuvre les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 de la Constitution est un acte de gouvernement dont il n’appartient pas au juge d’apprécier la légalité ni de contrôler la durée d’application (CE, 2 mars 1962, Rubin de Servens, n°55049).

Le Conseil d’État refuse donc de contrôler le déclenchement de l’article 16 de la Constitution par le Président de la République.

Dans les faits donc, si un Président de la République déclenchait l’article 16 de la Constitution alors que les conditions n’étaient pas réunies, le Conseil d’État refuserait de censurer cette décision présidentielle.

On peut donc dire que le Président de la République est libre de sa décision de déclencher l’article 16 de la Constitution, sans contrôle du juge.

Le contrôle du juge pourrait toutefois porter ultérieurement sur les actes réglementaires et législatifs pris par le Président de la République pendant l’exercice des pleins pouvoirs de l’article 16 de la Constitution.

  • 5/ Combien de temps dure la période des pleins pouvoirs de l’article 16 de la Constitution ?

La période des pleins pouvoirs de l’article 16 de la Constitution n’est pas limitée dans le temps. Le Président de la République peut donc utiliser les pleins pouvoirs aussi longtemps que nécessaire, c’est-à-dire jusqu’au retour à l’ordre.

Les mesures prises par le Président pendant les pleins pouvoirs doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission.

Après 30 jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d'examiner si les conditions de recours à l’article 16 demeurent réunies. Le contrôle du Conseil constitutionnel est ici facultatif.

Après 60 jours d'exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel vérifie de plein droit si les conditions de recours à l’article 16 demeurent réunies. Le contrôle du Conseil constitutionnel est ici obligatoire et automatique.

Au-delà de 60 jours, le Conseil constitutionnel peut se prononcer à tout moment sur les conditions de recours à l’article 16.

  • 6/ Quelles sont les conséquences du déclenchement de l’article 16 sur le Parlement ?

Pendant les pleins pouvoirs de l’article 16, il n’y a plus de séparation des pouvoirs, c’est-à-dire que le Président de la République accapare le pouvoir législatif et peut donc prendre seul des mesures qui relèvent de l’article 34 de la Constitution.

Cependant, le Parlement peut se réunir de plein droit et le Président de la République ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale pendant cette période exceptionnelle.

  • 7/ L’article 16 de la Constitution a-t-il déjà été déclenché dans l’Histoire française ?

L’article 16 de la Constitution n’a été utilisé qu’une seule fois dans l’Histoire française, par le général de Gaulle pour répondre au coup d’État des généraux en Algérie française du 23 avril au 29 septembre 1961.

  • 8/ Existe-t-il des limites au pouvoir du Président pendant l’article 16 de la Constitution ?

La Constitution ne peut pas être révisée pendant la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution (article 89 alinéa 4 de la Constitution).

Cette limite a été fixée pour éviter la réitération du précédent du 10 juillet 1940, de triste mémoire.

Le Président de la République ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale ni empêcher le Parlement de se réunir pendant l’exercice des pleins pouvoirs.

  • 9/ Existe-t-il un contrôle sur les mesures prises par le Président pendant les pleins pouvoirs ?

Les mesures prises par le Président de la République pendant la période exceptionnelle de l’article 16 de la Constitution doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission.

La Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel est « consulté » à leur sujet. Il ne dispose donc pas d’un vrai pouvoir de blocage en urgence des mesures prises par le Président de la République.

Le Conseil d’État refuse de contrôler la décision de déclenchement de l’article 16 de la Constitution par le Président de la République (CE, 2 mars 1962, Rubin de Servens, n°55049).

En revanche, le contrôle du juge pourrait porter ultérieurement sur les actes réglementaires et législatifs pris par le Président de la République pendant l’exercice des pleins pouvoirs de l’article 16 de la Constitution.

  • 10/ Emmanuel Macron pourrait-il déclencher l’article 16 de la Constitution après les législatives 2024 ?

Il est peu probable que les strictes conditions prévues par la Constitution soient remplies après les élections législatives anticipées de juin et juillet 2024 pour permettre au Président de la République de déclencher l’article 16 de la Constitution.

Il faudrait en effet que :

  • Les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux soient menacés d'une manière grave et immédiate ;
  • Et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels soit interrompu.

Des troubles à l’ordre public ou même des émeutes urbaines sont insuffisants pour permettre au Président de déclencher les pleins pouvoirs, puisqu’il faut une vraie interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels.

Même pendant les émeutes urbaines en 2005 et 2023, les attentats en 2015, les gilets jaunes en 2018 et le virus covid-19 en 2020 l'article 16 de la Constitution n'a jamais été déclenché par le Président de la République.

L’hypothèse d’un chaos total ou d’une guerre civile, qui n’est pas souhaitable, permettrait toutefois d’envisager le déclenchement de l’article 16 de la Constitution.

Il faut toutefois rappeler que si le Président de la République déclenchait l’article 16 de la Constitution alors que les conditions n’étaient pas réunies, le Conseil d’État refuserait de censurer cette décision présidentielle et que le Conseil constitutionnel ne se prononcerait pas avant 30 jours.

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Après la dissolution surprise de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, les Français sont appelés aux urnes le 30 juin et le 7 juillet 2024 et le risque de cohabitation n’est pas exclu. La cohabitation est la situation dans laquelle le Président de la République a perdu la majorité, et donc la confiance, de l’Assemblée nationale lors des élections législatives et est obligé de nommer un Premier ministre d’opposition.

Alors comment le Président de la République peut-il continuer à présider le pays pendant la cohabitation ?

Lorsque le Président de la République perd la majorité lors des élections législatives, le choix du Premier ministre s’impose à lui :

  • Si le Rassemblement national obtient la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale les 30 juin et 7 juillet 2024, Jordan Bardella sera nommé Premier ministre ;
  • Si le Nouveau Front populaire obtient la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale les 30 juin et 7 juillet 2024, Jean-Luc Mélenchon ou un autre leader de ce groupe politique sera nommé Premier ministre.

Emmanuel Macron pourrait donc être amené à partager le pouvoir exécutif avec Jordan Bardella ou un représentant de gauche.

Si le Président de la République est très sérieusement entravé par la cohabitation, il peut toutefois continuer à présider le pays et n’est donc pas pieds et poings liés :

  • Le Président peut s’opposer à l’entrée de certains ministres au Gouvernement (1)
  • Le Président peut refuser de promulguer des lois (2)
  • Le Président peut utiliser ses pouvoirs propres et son pouvoir réglementaire pour prendre des décisions (3)
  • Le Président peut faire adopter des lois directement par le peuple par référendum (4)


*** 

  • 1/ Le Président peut s’opposer à l’entrée de certains ministres au Gouvernement 

 
En période de cohabitation, le choix du Premier ministre s’impose au Président de la République qui a perdu la majorité à l’Assemblée nationale.

Une fois nommé, le Premier ministre compose son équipe gouvernementale, mais il n’a pas le pouvoir de former son Gouvernement tout seul.

L’article 8 de la Constitution prévoit en effet que c’est le Président de la République qui nomme les membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions « sur la proposition du Premier ministre ».

La nomination des membres du Gouvernement est un pouvoir partagé entre le Premier ministre et le Président de la République.

En période de cohabitation, le Président de la République a donc un pouvoir de veto sur la nomination des ministres, notamment sur certains portefeuilles régaliens comme la Défense pour lesquels il peut refuser la proposition du Premier ministre.

Le Président peut s’opposer à l’entrée de certains ministres au Gouvernement en refusant la proposition du Premier ministre de les nommer.

Si Jordan Bardella était Premier ministre, c’est lui qui composerait son Gouvernement. Le Président Emmanuel Macron pourrait toutefois s’opposer à certaines nominations sur des portefeuilles régaliens.

C’est ce qu’avait fait François Mitterrand en 1986 en refusant certaines nominations proposées par son Premier ministre de cohabitation Jacques Chirac.

  • 2/ Le Président peut refuser de promulguer des lois 


En application de l’article 10 de la Constitution, le Président de la République garde toujours seul la compétence pour promulguer les lois dans les 15 jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée.

Le Premier ministre n’a pas de compétence constitutionnelle pour promulguer les lois et ne peut donc pas signer les textes législatifs à la place du Président de la République, qui dispose donc d’un véritable droit de veto en la matière.

Car si la loi n’est pas promulguée, c’est-à-dire signée, par le Président de la République, elle ne peut pas entrer en vigueur même si elle a été votée par le Parlement.

Un Président de la République qui souhaiterait s’opposer à une Assemblée nationale où il n’aurait pas la majorité et donc à un Premier ministre de cohabitation pourrait refuser de promulguer les lois.

Ceci ouvrirait une crise institutionnelle…

Emmanuel Macron pourrait donc refuser de promulguer des lois votées par une Assemblée nationale à majorité Rassemblement national ou « Nouveau Front populaire », ce qui ferait obstacle à leur entrée en vigueur.

  • 3/ Le Président peut utiliser ses pouvoirs propres et son pouvoir réglementaire pour prendre des décisions


Le Président de la République détient de la Constitution des pouvoirs propres qu’il exerce seul sans contreseing ministériel. Il dispose également d’un pouvoir réglementaire d’attribution qu’il peut utiliser à sa guise pour prendre des décisions.

Ces pouvoirs permettent au Président de la République de saisir seul le Conseil constitutionnel s’il estime qu’une loi votée par un Parlement où il aurait perdu la majorité viole une ou plusieurs dispositions constitutionnelles.

Le Président peut également utiliser son droit de message aux assemblées parlementaires (article 18 de la Constitution) et, dans les cas extrêmes, déclencher l’article 16 de la Constitution qui lui confère les pleins pouvoirs. Il faut toutefois que l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux soient menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics soit interrompu (hypothèse d’une guerre).

Le pouvoir réglementaire d’attribution du Président de la République lui permet de signer les textes réglementaires les plus importants, à savoir les décrets délibérés en Conseil des ministres, avec un droit de blocage, et de nommer aux emplois civils et militaires de l’État.

Enfin, même en période de cohabitation, le Président de la République garde seul le droit de déclencher un référendum.

  • 4/ Le Président peut faire adopter des lois directement par le peuple par référendum


Selon la belle formule du Général de Gaulle, le référendum fait du peuple « le législateur d’un jour ».

Un Président ayant perdu la majorité à l’Assemblée nationale peut donc toujours choisir d’avoir recours au référendum pour faire adopter des lois.

Mais le domaine du référendum est limité par l’article 11 de la Constitution et ne peut porter que sur des projets de loi portant :

  • sur l'organisation des pouvoirs publics,
  • sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent,
  • tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Emmanuel Macron pourrait donc faire adopter directement des lois par le peuple en organisant des référendums s’il perdait la majorité à l’Assemblée nationale… mais pas toutes les lois.

À l’inverse, le Premier ministre de cohabitation ne pourrait pas organiser de référendum, car il ne dispose pas de la compétence constitutionnelle pour ce faire.

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La décision inédite du Président de la République de dissoudre l'Assemblée nationale après les élections européennes a ouvert une période d'incertitude jusqu'au 30 juin 2024, premier tour des élections législatives à venir. De nombreuses questions juridiques et institutionnelles se posent. Voici toutes leurs réponses :

1/ Qu’est-ce que la dissolution ?
2/ La dissolution fait-elle tomber le gouvernement ?
3/ En attendant les législatives, comment sont votées les lois ?
4/ Combien de temps peut-on rester avec une Assemblée nationale vide ?
5/ Comment prend-on les décisions pour le pays sans Assemblée nationale ?
6/ Est-ce que le Sénat est concerné par la dissolution ?
7/ Pour qui vote-t-on aux législatives ?
8/ Les députés représentent-ils leur circonscription à l’Assemblée nationale ?
9/ Comment se déroulent les élections législatives ?
10/ Qu’est-ce qu’une triangulaire ou une quadrangulaire ?
11/ Peut-on être membre du gouvernement et candidat aux législatives ?
12/ Peut-on cumuler un mandat de député européen et de député national ?
13/ Peut-on cumuler un mandat de député européen et de ministre ou Premier ministre ?
14/ Qu’est-ce que la majorité absolue à l’Assemblée nationale ?
15/ Un parti qui a la majorité à l’Assemblée nationale peut-il voter les lois tout seul ?
16/ Le Président de la République peut-il bloquer les lois votées à l’Assemblée ?
17/ Qu’est-ce que la majorité relative à l’Assemblée nationale ?
18/ Le Président de la République peut-il faire voter des lois sans majorité à l’Assemblée nationale ?
19/ Qu’est-ce que la cohabitation ?
20/ Quel est le rôle du Président et du Premier ministre pendant la cohabitation ?
21/ Pendant la cohabitation, le Premier ministre choisit-il librement ses ministres ?
22/ Le Président doit-il démissionner s’il perd les législatives ?
23/ Le Président peut-il démissionner s’il perd les législatives ?
24/ Que se passe-t-il si le Président démissionne ?
25/ Le Président de la République peut-il effectuer 3 mandats ?

*** 

  • 1/ Qu’est-ce que la dissolution ?


Le droit de dissolution est un pouvoir propre du Président de la République fondé sur l’article 12 de la Constitution. Ceci signifie que le Président est libre de prendre cette décision à tout moment sans avoir à s’en justifier.

La dissolution met fin aux pouvoirs de l’Assemblée nationale dès la publication du décret de dissolution. Le mandat des 577 députés siégeant à l’Assemblée nationale, qui dure normalement 5 ans, s’arrête donc immédiatement de manière anticipée dès la décision présidentielle de dissolution.

La procédure implique seulement de consulter le Premier ministre et les Présidents des Assemblées (Assemblée nationale et Sénat) pour les informer de la décision prise.

La dissolution vide donc l’Assemblée nationale de ses députés jusqu’aux élections législatives et personne ne peut s’y opposer.

Le mandat des députés de la XVIe législature de la Cinquième République s’est donc arrêté le 9 juin 2024 et l’Assemblée nationale est vide depuis lors.

  • 2/ La dissolution fait-elle tomber le gouvernement ?


Non, la dissolution n’a aucun effet sur le gouvernement qui reste en place avec à sa tête le Premier ministre. Mais l’examen des textes de loi s’arrête et le gouvernement ne peut donc plus déposer de projets de loi à l’Assemblée nationale. L’examen des textes de loi en cours s’arrête d’ailleurs dès la dissolution.

Le gouvernement reste cantonné au pouvoir réglementaire qu’il détient de l’article 37 de la Constitution et ne peut s’appuyer sur le pouvoir législatif de l’article 34 de la Constitution. Son champ d’intervention est donc limité.

À partir de la dissolution, il n’y a plus de séances de questions au gouvernement possibles à l’Assemblée nationale.

Gabriel Attal reste donc Premier ministre avec son gouvernement au moins jusqu’au 7 juillet, date du second tour des élections législatives.

  • 3/ En attendant les législatives, comment sont votées les lois ?


En attendant les législatives provoquées par la dissolution, aucune loi n’est votée. L’examen de tous les textes de loi en cours, comme la loi sur la fin de vie, s’arrête et ne peut pas reprendre avant les élections.

L’utilisation de l’article 34 de la Constitution, c’est-à-dire le pouvoir législatif, est mise en pause à partir de la dissolution et jusqu’aux élections législatives.

Il n’est donc plus possible par exemple de prendre des décisions dans l’immédiat sur des sujets importants relevant de cet article comme la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions ou encore les impositions de toutes natures.

Aucune loi ne sera donc votée en France avant le 7 juillet 2024.

  • 4/ Combien de temps peut-on rester avec une Assemblée nationale vide ?


La Constitution prévoit que de nouvelles élections législatives doivent avoir lieu 20 jours au moins et 40 jours au plus après la dissolution.

Il n’est donc pas possible que le pays reste plus de 40 jours avec une Assemblée nationale vide.

Emmanuel Macron a décidé que le nouveau scrutin législatif se déroulera le 30 juin et le 7 juillet 2024.

Dans l’attente des nouvelles élections législatives, le Président de l’Assemblée et les questeurs assurent les pouvoirs d’administration générale du Bureau jusqu’à l’entrée en fonction de la nouvelle Assemblée nationale.

  • 5/ Comment prend-on les décisions pour le pays sans Assemblée nationale ?


Sous la Ve République qui est le régime constitutionnel en vigueur depuis 1958, toutes les décisions ne relèvent pas du pouvoir législatif donc de l’Assemblée nationale. Les députés ne décident donc pas de tout en France, bien au contraire.

L’intervention des députés est limitée par l’article 34 de la Constitution, qui liste les domaines pour lesquels une loi est nécessaire. Ce sont les domaines les plus importants, par exemple : les droits civiques, les libertés publiques, la nationalité, les régimes matrimoniaux, les successions, l’imposition, etc.

Mais la loi n’est pas le seul outil permettant de prendre des décisions pour le pays. Les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont en effet un caractère réglementaire : c’est l’article 37 de la Constitution qui confère le pouvoir réglementaire de droit commun à l’exécutif national.

Le Premier ministre et le Président de la République peuvent donc prendre des décisions pour la France par décret, par exemple en Conseil des ministres, sans avoir à passer par l’Assemblée nationale.

Il est donc possible de prendre des décisions pour le pays sans passer par la loi, avec une Assemblée nationale vide, en utilisant le pouvoir réglementaire, mais pas pour les domaines les plus importants.

Emmanuel Macron, Gabriel Attal et l’ensemble du gouvernement peuvent continuer à prendre des décisions pour le pays en utilisant leur pouvoir réglementaire, sans toutefois pouvoir faire voter des lois.

  • 6/ Est-ce que le Sénat est concerné par la dissolution ?


Non, la dissolution est un pouvoir que le Président de la République ne détient que sur la chambre basse, c’est-à-dire l’Assemblée nationale. Il n’est donc pas possible de dissoudre le Sénat ou le Parlement dans son ensemble, et encore moins les parlementaires eux-mêmes… La dissolution ne porte que sur l’Assemblée nationale.

Même si le Sénat ne peut pas être dissous, la coutume républicaine veut que la Chambre haute cesse ses travaux après une dissolution de l’Assemblée nationale et avant les législatives. C’est la logique du bicaméralisme rationalisé.

À la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le Sénat a d’ailleurs décidé dès le 10 juin de suspendre ses travaux jusqu’aux législatives. Mais il n’y aura pas de nouvelles élections sénatoriales.

Les sénateurs conservent donc leur siège jusqu’aux prochaines élections sénatoriales qui n’auront pas lieu avant 2026.

  • 7/ Pour qui vote-t-on aux législatives ?


Les élections législatives ont pour objet de pourvoir les 577 sièges des députés à l’Assemblée nationale.

Un député est un représentant de la Nation qui participe au pouvoir législatif et au contrôle de l’action du gouvernement.

Les députés votent donc les lois avec les sénateurs : c’est le parlementarisme.

Les députés sont élus au sein de 577 circonscriptions réparties sur tout le territoire national.

Les Français votent donc pour leurs représentants au sein de l’Assemblée nationale lors des élections législatives.

  • 8/ Les députés représentent-ils leur circonscription à l’Assemblée nationale ?


Non, c’est une erreur fréquemment commise.

Chaque député représente toute la Nation dans son ensemble : c’est la souveraineté nationale.

Les députés ne sont donc pas censés représenter leur propre circonscription à l’Assemblée nationale, mais réfléchir et participer à l’intérêt général national.

En pratique, les députés se font pourtant souvent le relais des électeurs de leur propre circonscription à l’Assemblée nationale.

  • 9/ Comment se déroulent les élections législatives ?


Le nouveau scrutin législatif se déroulera le 30 juin et le 7 juillet 2024.

Les Français inscrits sur les listes électorales sont appelés à voter dans leur bureau de vote habituel, inscrit sur leur carte électorale.

Le mode de scrutin est le scrutin majoritaire uninominal à 2 tours.

Les députés peuvent être élus au premier tour dès le 30 juin s’ils remportent la majorité absolue c’est-à-dire plus de 50% des suffrages et que ses voix représentent plus de 25% des inscrits.

Si aucun candidat n’obtient plus de 50% des suffrages au premier tour dans sa circonscription, un second tour est organisé avec tous les candidats ayant obtenu au moins 12,5% des inscrits au premier tour.

Le député élu au second tour est celui qui obtient la majorité relative, c’est-à-dire plus de voix que les autres.

  • 10/ Qu’est-ce qu’une triangulaire ou une quadrangulaire ?


Si aucun candidat n’obtient plus de 50% des suffrages au premier tour des élections législatives dans sa circonscription, un second tour est organisé avec tous les candidats ayant obtenu au moins 12,5% des inscrits au premier tour.

Au second tour peuvent donc se retrouver trois candidats pour un seul siège : c’est une triangulaire.

Le 7 juillet 2024, il pourra donc y avoir des triangulaires entre le parti Renaissance, le Rassemblement national et le Nouveau Front Populaire suivant les circonscriptions.

Dans l’hypothèse, très rare, où quatre candidats se retrouvent au second tour dans une circonscription pour un seul siège, c’est une quadrangulaire.

  • 11/ Peut-on être membre du gouvernement et candidat aux législatives ?


Il est possible d’être membre du gouvernement et candidat aux législatives… mais il n’est pas possible de siéger à l’Assemblée nationale en restant membre du gouvernement.

C’est l’article 23 de la Constitution qui pose le principe du non-cumul des mandats entre les fonctions de membre du Gouvernement et de parlementaire : c’est la séparation des pouvoirs.

Un ministre élu aux législatives doit donc choisir de rester ministre du nouveau gouvernement, si le portefeuille lui est proposé, ou de siéger comme député à l’Assemblée nationale. S’il choisit d’entrer au gouvernement, c’est son suppléant qui siégera à sa place à l’Assemblée nationale.

Si le ministre perd ultérieurement son portefeuille à l’occasion d’un remaniement, il pourra retrouver son siège de député à la place de son suppléant.

Tous les ministres du gouvernement Attal peuvent donc être candidats aux élections législatives.

  • 12/ Peut-on cumuler un mandat de député européen et un mandat de député national ?


Non.

Un député européen peut être candidat aux élections législatives… mais s’il est élu, il doit abandonner son mandat européen.

Le cumul des mandats de député européen et de parlementaire national est en effet interdit depuis 2014 (article LO 137-1 du code électoral).

Un député européen élu le 9 juin 2024 ne pourra donc pas siéger au sein de l’Assemblée nationale qui sortira des urnes les 30 juin et 7 juillet prochains.

Marion Maréchal, François-Xavier Bellamy, Manon Aubry ou encore Jordan Bardella peuvent donc se présenter aux élections législatives… mais ils devront abandonner leur mandat européen s’ils sont élus les 30 juin et 7 juillet 2024.

  • 13/ Peut-on cumuler un mandat de député européen et de ministre ou Premier ministre ?


Rien n’interdit à un eurodéputé d’être nommé ministre ou Premier ministre.

En revanche, il ne pourra plus concrètement siéger au Parlement européen pendant l’exercice de ses fonctions ministérielles et devra donc quitter le Parlement.

Si Jordan Bardella ou un autre député européen élu le 9 juin 2024 était nommé au gouvernement, il ne siégerait donc pas au Parlement européen.

  • 14/ Qu’est-ce que la majorité absolue à l’Assemblée nationale ?


La majorité absolue à l’Assemblée nationale est la situation dans laquelle un parti ou un groupe politique dispose d’au moins 289 élus à la chambre basse tout seul, c’est-à-dire sans avoir à conclure des accords avec d’autres formations politiques.

Dans ce cas, puisque l’ensemble des députés d’un groupe sont censés voter pareil en suivant la consigne de vote du parti, tous les textes de lois peuvent être adoptés très facilement.

L’exécutif qui dispose de la majorité absolue à l’Assemblée nationale peut donc faire adopter ses projets de loi sans le soutien des autres partis ni sans avoir à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.

  • 15/ Un parti qui a la majorité absolue à l’Assemblée nationale peut-il voter les lois tout seul ?


Oui.

Il faut distinguer les projets de loi, dont l’initiative appartient au pouvoir exécutif, et les propositions de loi d’initiative parlementaire.

Un parti qui dispose de la majorité absolue à l’Assemblée nationale peut voter des propositions de loi tout seul, sans disposer du soutien du Président ni du gouvernement. En revanche, l’accord du Sénat est nécessaire compte tenu du bicaméralisme.

Si le Rassemblement national ou le « Nouveau Front populaire » obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale, il disposera de toute latitude pour préparer et faire voter seul des propositions de loi.

En situation de cohabitation, il pourra même préparer et adopter les projets de loi.

Mais le Président de la République pourra bloquer ces lois au stade de la promulgation…

  • 16/ Le Président de la République peut-il bloquer les lois votées à l’Assemblée nationale ?


Oui.

En application de l’article 10 de la Constitution, le Président de la République garde toujours seul la compétence pour promulguer les lois dans les 15 jours qui suivent la transmission au Gouvernement de la loi définitivement adoptée.

Si la loi n’est pas promulguée, c’est-à-dire signée, par le Président de la République, elle ne peut pas entrer en vigueur.

Un Président de la République qui souhaiterait s’opposer à une Assemblée nationale où il n’aurait pas la majorité pourrait refuser de promulguer les lois.

Ceci ouvrirait une crise institutionnelle…

Emmanuel Macron pourrait donc refuser de promulguer des lois votées par une Assemblée nationale à majorité Rassemblement national ou « Nouveau Front populaire ».

  • 17/ Qu’est-ce que la majorité relative à l’Assemblée nationale ?


La majorité relative à l’Assemblée nationale est la situation dans laquelle aucun parti ou groupe politique ne dispose d’au moins 289 élus à la chambre basse tout seul.

Dans ce cas, le vote de chaque texte de loi est difficile, car le parti qui dispose de la majorité relative doit conclure des accords texte par texte avec d’autres formations politiques pour faire voter ses lois, qu’il ne peut pas adopter seul.

L’exécutif qui dispose de la majorité relative à l’Assemblée nationale doit donc toujours faire adopter ses projets de loi avec le soutien des autres partis.

En cas de blocage, c’est-à-dire si les autres groupes ne veulent pas voter les textes du parti majoritaire, le Premier ministre engage sa responsabilité sur le fondement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée par l’opposition.

Mais l’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution est limité à un seul texte de loi par session, sauf pour les projets de loi de finances ainsi que des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Il n’est donc pas envisageable de compter sur le seul article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter tous les textes de loi en majorité relative.

C’est ce qui a d’ailleurs conduit Emmanuel Macron à choisir de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 juin 2024.

  • 18/ Le Président de la République peut-il faire voter des lois sans majorité à l’Assemblée nationale ?


Oui.

Selon la belle formule du Général de Gaulle, le référendum fait du peuple « le législateur d’un jour ».

Un Président ayant perdu la majorité à l’Assemblée nationale pourrait donc toujours choisir d’avoir recours au référendum pour faire adopter des lois.

Mais le domaine du référendum est limité par l’article 11 de la Constitution et ne peut porter que sur l'organisation des pouvoirs publics, des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent et la ratification d'un traité.

Emmanuel Macron pourrait donc faire adopter directement des lois par le peuple en organisant des référendums s’il perdait la majorité à l’Assemblée nationale… mais pas toutes les lois.

  • 19/ Qu’est-ce que la cohabitation ?


La cohabitation est la situation dans laquelle le Président de la République a perdu la majorité, et donc la confiance, de l’Assemblée nationale lors des élections législatives.

Sauf à bloquer le vote de tous les textes législatifs, le Président est alors forcé de nommer le chef du parti majoritaire à l’Assemblée.

Si le Président choisissait malgré tout de nommer un de ses fidèles, il s’exposerait immédiatement à une motion de censure de l’Assemblée nationale et le gouvernement serait renversé.

Dans une situation de cohabitation, c’est-à-dire lorsque le Président de la République perd la majorité lors des élections législatives, le choix du Premier ministre s’impose donc au Président de la République.

Si le Rassemblement national obtient la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale les 30 juin et 7 juillet 2024, Jordan Bardella sera donc nommé Premier ministre.

Si le Nouveau Front populaire obtient la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale les 30 juin et 7 juillet 2024, Jean-Luc Mélenchon ou un autre leader de ce groupe politique sera donc nommé Premier ministre.

  • 20/ Quel est le rôle du Président et du Premier ministre pendant la cohabitation ?


Juridiquement, le Président de la République conserve pendant la cohabitation les pouvoirs propres qu’il détient sans contreseing en application de l’article 19 de la Constitution. Par exemple le droit de recourir au référendum, le feu nucléaire qu’il détient comme chef des armées, le droit de déclencher l’article 16 ou de dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale un an au moins après une précédente dissolution.

En parallèle, le Premier ministre de cohabitation détermine et conduit la politique de la nation, comme tout Premier ministre en application de l’article 20 de la Constitution.

En pratique, dans la situation exceptionnelle de la cohabitation, le Président de la République se concentre sur ses fonctions régaliennes de représentation de la France à l’international et le Premier ministre assure la présidence de fait des affaires intérieures du pays.

  • 21/ Pendant la cohabitation, le Premier ministre choisit-il librement ses ministres ?


L’article 8 de la Constitution prévoit que le Président de la République nomme les membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions « sur la proposition du Premier ministre ».

La nomination des membres du gouvernement est donc un pouvoir partagé entre le Premier ministre et le Président de la République, qui ne décide pas seul.

En période de cohabitation, c’est le Premier ministre qui compose son gouvernement et le Président de la République n’a qu’un pouvoir de veto sur certains portefeuilles régaliens, comme la Défense pour lesquels il peut refuser la proposition du Premier ministre.

Si Jordan Bardella était Premier ministre, c’est lui qui composerait son gouvernement. Le Président Emmanuel Macron pourrait toutefois s’opposer à certaines nominations sur des portefeuilles régaliens. C’est ce qu’avait fait François Mitterrand en 1986 en refusant certaines nominations proposées par son Premier ministre de cohabitation Jacques Chirac.

  • 22/ Le Président doit-il démissionner s’il perd les législatives ?


Non.

Aucune disposition n’oblige le Président de la République à démissionner s’il perd les élections législatives.

Les élections législatives portent sur le pouvoir législatif et le Président de la République est l’une des deux composantes du pouvoir exécutif. Ce sont donc deux pouvoirs bien distincts.

Emmanuel Macron ne sera donc pas contraint de démissionner s’il perd les élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024.

  • 23/ Le Président peut-il démissionner s’il perd les législatives ?


Oui.

Le Président de la République a le droit de démissionner.

Le Président de la République décide librement de sa démission, qui peut intervenir à tout moment.

Personne ne peut contraindre le Président de la République à la démission pendant son mandat.

  • 24/ Que se passe-t-il si le Président démissionne ?


La vacance du pouvoir se caractérise par un empêchement définitif du Président de la République à l’exercice de ses fonctions, comme une démission pendant son mandat.

L’article 7 de notre Constitution fixe alors les règles suivantes :

- C’est le Conseil constitutionnel qui constate la vacance de la Présidence de la République ;
- Le mandat du Président prend immédiatement fin de manière anticipée ;
- Les fonctions du Président sont provisoirement exercées par le Président du Sénat ;
- Le scrutin pour l'élection du nouveau Président a lieu 20 jours au moins et 50 jours au plus après l'ouverture de la vacance.


La vacance de la Présidence de la République n’a pas de conséquence directe immédiate sur les mandats des députés ou sur les autres institutions.

Historiquement, la situation de vacance de la Présidence de la République s’est présentée deux fois sous la Vème République, à la suite de la démission du Général de Gaulle le 28 avril 1969 et à la suite du décès du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974. C’est le Président du Sénat Alain Poher qui, par deux fois, a alors assuré la Présidence de la République par intérim.

Si le Président Macron démissionnait pendant son mandat, c’est le Président du Sénat Gérard Larcher qui assurerait donc l’intérim de la Présidence de la République pendant au moins 20 jours, jusqu’à convocation des électeurs aux urnes.

  • 25/ Le Président de la République peut-il effectuer 3 mandats ?


Oui.

L’article 6 de la Constitution française dispose que : « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. »

Alors que la limitation à deux mandats consécutifs avait été envisagée dès la réforme de 2000 sur le quinquennat présidentiel, elle n’a finalement été retenue que dans le cadre de la révision constitutionnelle de 2008.

Le texte est clair : c’est bien une limitation à deux mandats consécutifs qui est retenue.

Un Président de la République ayant déjà effectué deux mandats consécutifs pourrait donc tout à fait se représenter pour un troisième mandat… à condition de laisser temporairement sa place à un successeur pour au moins un mandat.

Emmanuel Macron pourrait donc tout à fait envisager un troisième mandat, sans toutefois pouvoir se représenter immédiatement en 2027.

Sauf si la Constitution venait à être révisée et que la limite était supprimée…
 

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Prenant acte du résultat des élections européennes, le Président de la République a annoncé à la surprise générale la dissolution de l’Assemblée nationale. Quelle est la signification de cette décision et quelles en sont les conséquences ?

  • Le droit de dissolution est un pouvoir propre du Président de la République


Le Président de la République a annoncé dimanche 9 juin 2024 la dissolution de l’Assemblée nationale.

Le droit de dissolution est un pouvoir propre du Président de la République fondé sur l’article 12 de la Constitution. Ceci signifie que le Président est libre de prendre cette décision à tout moment sans avoir à s’en justifier.

La procédure implique seulement de consulter le Premier ministre et les Présidents des Assemblées (Assemblée nationale et Sénat) pour les informer de la décision prise.

  • La dissolution met immédiatement fin, de manière anticipée, au mandat des députés


La dissolution met fin aux pouvoirs de l’Assemblée nationale dès la publication du décret de dissolution. Le mandat des 577 députés siégeant à l’Assemblée nationale s’arrête donc de manière anticipée dès la décision présidentielle de dissolution de la chambre basse.

C’est donc un retour immédiat aux urnes pour les représentants de la Nation.

  • La dissolution provoque de nouvelles élections législatives


La Constitution prévoit que de nouvelles élections législatives doivent avoir lieu 20 jours au moins et 40 jours au plus après la dissolution.

Emmanuel Macron a décidé que ce nouveau scrutin à deux tours se déroulera le 30 juin et le 7 juillet 2024, soit dans le délai prévu par la Constitution.

Les conséquences politiques de la dissolution sur le vote des Français sont difficiles à anticiper.

Il n’est pas certain que les équilibres politiques issus d’un scrutin européen soient similaires lors d’un scrutin national.

Le Président de la République ne disposait que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale depuis le scrutin législatif de 2022, obligeant le Premier ministre à engager fréquemment sa responsabilité sur le vote des textes.

De nouvelles élections législatives peuvent permettre de renforcer cette majorité, ou à l’inverse de la perdre…

  • La dissolution peut provoquer une cohabitation


En 1997, la dissolution « ratée » du Président Jacques Chirac lui avait fait perdre la majorité à l’Assemblée nationale et avait installé Lionel Jospin à Matignon, ouvrant une période de « cohabitation ».

La cohabitation est la situation dans laquelle le Président de la République a perdu la majorité, et donc la confiance, de l’Assemblée nationale.

Sauf à bloquer le vote de tous les textes législatifs, le Président est alors forcé de nommer le chef du parti majoritaire à l’Assemblée.

Dans cette situation exceptionnelle, le Président de la République se concentre alors sur ses fonctions régaliennes de représentation de la France à l’international et le Premier ministre assure la présidence de fait des affaires intérieures du pays.

  • Une dissolution en cours de mandat présidentiel décale le calendrier électoral


Le mandat présidentiel de 5 ans coïncide depuis 2002 avec le mandat des députés, ce qui conduit en pratique le Président élu à disposer systématiquement dans les faits d’une certaine majorité (relative ou absolue).

La dissolution de 2024 va provoquer une rupture dans ce calendrier électoral, puisque les nouveaux députés seront élus en juillet pour un mandat plein de 5 ans jusqu’en 2029. Or la prochaine élection présidentielle se déroulera en 2027.

Le futur Président de la République sera donc probablement amené à dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale lors de son élection. C’est le retour à l’ancien système de la non-coïncidence du mandat présidentiel et du mandat législatif.

  • Le Président de l’Assemblée nationale assure l’administration générale jusqu’aux nouvelles élections, sans vote de textes


Dans l’attente des nouvelles élections législatives, le Président et les questeurs assurent les pouvoirs d’administration générale du Bureau jusqu’à l’entrée en fonction de la nouvelle assemblée.

C’est donc une gestion courante et temporaire de l’Assemblée nationale, sans les députés, dans l’attente du renouvellement.

Aucun vote de texte législatif n’est évidemment possible pendant cette période, avec une Assemblée vide.

Le calendrier législatif est donc immédiatement mis en pause et les textes en cours d'examen comme le projet de loi sur la fin de vie ne pourront pas être adoptés dans l'immédiat.

La dissolution ne porte que sur l’Assemblée nationale et les sénateurs ne sont donc pas concernés par cette décision présidentielle.

  • Une nouvelle dissolution n’est plus possible dans l’année qui suit une dissolution


L’article 12 de la Constitution ne fixe qu’une seule limite au Président : il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit une précédente dissolution.

C’est la traduction juridique de l’adage « dissolution sur dissolution ne vaut » fixé dès 1830 en réaction aux tentatives répétées de dissolution de Charles X.

 
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Le député Sébastien Delogu (LFI) a brandi mardi 28 mai 2024 un drapeau étranger (palestinien) dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale en pleine séance des questions au gouvernement.

Est-ce bien légal ?

Non.

Si les députés disposent d’une liberté de parole absolue dans l’hémicycle et ne peuvent pas faire l’objet de poursuites judiciaires (immunité de l’article 26 de la Constitution), tout n’est pas permis en séance. 

La police de l’Assemblée est exercée, en son nom, par le Président de l'Assemblée qui veille à l’absence de débordements (Article 52 alinéa 2 du règlement de l’AN).

Il est formellement interdit de brandir tout drapeau étranger au sein de l’hémicycle. 

L’article 9 de l’instruction générale du Bureau dans l’hémicycle dispose en ce sens que :

"Dans l'hémicycle, l'expression est exclusivement orale : l'utilisation, notamment pendant les questions au Gouvernement, à l'appui d'un propos, de graphiques, de pancartes, de documents, d'objets ou instruments divers est interdite".

L’Assemblée nationale n’est en effet pas le lieu du « happening » ou de manifestations de nature à troubler la sérénité des débats.

De nombreuses sanctions sont prévues pour les députés se rendant coupable d’une violation des règles, de la plus légère à la plus lourde :

  • Le rappel à l’ordre ;
  • Le rappel à l’ordre avec inscription au procès‑verbal ;
  • La censure ;
  • La censure avec exclusion temporaire.


La sanction la plus lourde, à savoir la censure avec exclusion temporaire, entraîne l’interdiction de prendre part aux travaux de l’Assemblée et de reparaître dans le Palais jusqu’à l’expiration du 15e jour de séance qui suit celui où elle a été prononcée.

Elle comporte la privation de la moitié de l’indemnité parlementaire, pendant un délai qui peut aller jusqu’à six mois dans l’hypothèse de « l’agression contre un ou plusieurs collègues » (Article 77 du règlement de l’AN).

Le député Sébastien Delogu (LFI) qui a brandi mardi 28 mai 2024 un drapeau étranger (palestinien) dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale en pleine séance des questions au gouvernement a fait l’objet de la sanction la plus lourde, à savoir la censure avec exclusion temporaire de 15 jours.

Une telle sanction n’est pas surprenante. Elle est adaptée et proportionnée à la violation du règlement par le député. 

Il faut enfin préciser que la sanction aurait été la même si le député avait brandi un drapeau israélien dans l’hémicycle, ou tout autre drapeau étranger. 

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