Après la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République, les prochaines élections législatives se dérouleront les dimanches 30 juin et 7 juillet 2024. C’est l’occasion de faire le point sur les possibilités de recours en la matière.
Explications en 10 points :
Qui peut contester ?
Quel juge saisir ?
Dans quel délai peut-on contester les résultats ?
Comment faire son recours ?
Comment le Conseil constitutionnel traite-t-il les recours ?
Le recours peut-il être déclaré irrecevable ?
Quels sont les arguments permettant d'annuler le scrutin ?
Un simple post Facebook peut-il faire annuler un scrutin ?
Quels sont les pouvoirs du Conseil constitutionnel en la matière ?
Existe-t-il des délais de jugement et des possibilités de recours ?
1/ Qui peut contester ?
Le droit de contester le scrutin législatif appartient, circonscription par circonscription :
Le scrutin législatif d’une circonscription ne peut par ailleurs pas être contesté par un électeur d’une autre circonscription.
2/ Quel juge saisir ?
Il résulte de l’
article 59 de la Constitution que
le Conseil constitutionnel est seul compétent pour connaître de la régularité des élections législatives :
« Le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs ».
Un recours contre le scrutin législatif porté devant le Tribunal Administratif ou le Conseil d’Etat sera donc irrecevable.
3/ Dans quel délai peut-on contester les résultats ?
Ainsi, les recours contre les élections législatives anticipées de 2024 devront être déposés au secrétariat général du Conseil constitutionnel au plus tard :
- Le mercredi 10 juillet 2024 à 18 H pour une élection acquise au premier tour,
- Ou le mercredi 17 juillet 2024 à 18 H pour une élection acquise au second tour.
On note toutefois que les résultats sont généralement proclamés le lundi qui suit le tour de scrutin au terme duquel l’élection est acquise, ce qui porte le délai de recours aux jeudis 11 et 18 juillet 2024, mais il convient d’être prudent en la matière.
4/ Comment faire son recours ?
Toutes les personnes ayant intérêt à agir contre le scrutin ont le choix d’adresser leur requête :
- Directement au Secrétariat général du Conseil constitutionnel,
- Ou indirectement, au Préfet, qui assurera lui-même la transmission au Conseil constitutionnel.
On conseillera toutefois aux requérants de préférer la voie directe, en adressant leur requête au Secrétariat général du Conseil constitutionnel par LRAR (afin de conserver la preuve de l’envoi dans les délais). L’intermédiaire du Préfet pourrait en effet poser difficultés en matière de computation des délais (en cas de litige) et n’apporte pas de plus-value supplémentaire sur la requête.
Le Conseil constitutionnel ne peut être saisi que par une requête
écrite adressée au secrétariat général du Conseil ou au représentant de l'Etat.
De manière traditionnelle s’agissant d’un contentieux administratif, la requête en contestation d’un scrutin législatif devra impérativement :
- Être signée par le requérant,
- Comporter ses nom, prénom, domicile, et qualité (électeur / candidat vaincu),
- Indiquer de manière précise et non équivoque le nom des élus dont l’élection est attaquée,
- Mentionner les irrégularités relevées (seuls les griefs pouvant exercer une influence sur les résultats de l’élection seront examinés par le Conseil).
La requête n'a pas d'effet suspensif : le député proclamé élu continue d’exercer son mandat tant qu’aucune décision d’annulation n’a été rendue.
5/ Comment le Conseil constitutionnel traite-t-il les recours ?
Il convient donc de prêter une attention particulière à la rédaction de la requête pour ne pas risquer l’irrecevabilité, et le rejet sans instruction par le Conseil constitutionnel.
Dans l’hypothèse d’une requête recevable, le Conseil constitutionnel avise le député dont l’élection est contestée du recours, et lui donne un délai de son choix pour produire des observations écrites, dans le respect du contradictoire.
Dès réception de ces observations ou à l'expiration du délai imparti pour les produire, l'affaire est rapportée devant le Conseil qui statue par une décision motivée. Cette décision est notifiée à l'Assemblée nationale.
Cette procédure rappelle ici encore l’importance de la bonne rédaction de la requête initiale, puisque le Conseil constitutionnel est en capacité juridique de statuer sur la base de cette seule requête, et de la réponse adverse, sans attendre de mémoire complémentaire.
Dans le cadre de l’instruction, le Conseil constitutionnel peut, si besoin, ordonner une enquête et se faire communiquer tous documents et rapports ayant trait à l'élection (notamment les comptes de campagne établis par les candidats intéressés). Il peut également procéder à l’audition des parties et entendre des témoins. En 2012, le Conseil a procédé à huit auditions et en 2017 à quatorze auditions.
6/ Le recours peut-il être déclaré irrecevable ?
OUI
L’irrecevabilité peut d’abord résulter du caractère prématuré de la requête. En effet, contester les résultats au soir du premier tour pour une élection acquise au second tour est inutile : la requête sera irrecevable. Il convient donc de bien veiller à attaquer le scrutin après le second tour (le cas échéant), en invoquant éventuellement à l’appui de la requête des moyens liés à l’irrégularité du premier tour de scrutin.
Pour des exemples, voir :
- Décision n° 2012-4546, (Français établis hors de France, 11e),
- Décision n° 2012-4547, (Hauts-de-Seine, 7e),
- Décision n° 2012-4548, (Hauts-de-Seine, 6e),
- Décision n° 2012-4550, (Paris, 2e).
L’irrecevabilité peut également résulter de la tardiveté de la requête. On veillera donc à bien respecter les délais pour agir (voir les délais supra). En 2012, de nombreuses requêtes ont été irrecevables pour tardiveté :
En 2022, le Conseil constitutionnel a été saisi de 99 recours contestant les résultats des élections législatives. Il a rejeté immédiatement plus de la moitié de ces recours pour irrecevabilité ou au regard de leur caractère manifestement infondé.
La requête sera aussi irrecevable si elle est
déposée auprès d’une autorité incompétente pour la recevoir comme le Tribunal administratif. Pour un exemple, voir la Décision n°
2012-4582 (Nord, 9e).
Enfin, l’irrecevabilité sera constatée lorsque la requête contient uniquement des moyens ne tendant pas réellement à l’annulation de l’élection du député : il s’agit de griefs insusceptibles d’exercer une influence sur l’issue du scrutin.
À titre d’exemples :
- Le fait de diffuser des documents de propagande présentant une similarité avec les documents de communication municipaux sans que ceux-ci soient annexés (Décision n° 2017-5084, Val-de-Marne, 9e),
- Le fait pour un maire candidat d'avoir fait de la promotion sur sa gestion locale lors de la cérémonie des voeux, compte tenu d'un écart de voix important (Décision n° 2017-5046, Pas-de-Calais, 7e),
- La seule présence d’un candidat au premier tour (Décision n°2012-4562, Nord, 13e),
- Le seul contenu d'affiches électorales (Décision n°2012-4573, Seine-Maritime, 10e).
Une bonne rédaction de la requête permettra d’éviter toute irrecevabilité.
7/ Quels sont les arguments permettant d'annuler le scrutin ?
Tout moyen peut être invoqué par les requérants pour démontrer la nullité du scrutin (ex : irrégularités des affiches électorales, tracts, démarchage irrégulier sur internet ou par téléphone, fausses procurations, comptes de campagnes, pressions par intimidation ou corruption, différences de signatures d’électeurs entre le premier et le second tour, vices des opérations électorales, etc.).
En 2024, les arguments généraux relatifs à la dissolution seront inopérants, c’est-à-dire insusceptibles de faire annuler les élections législatives dans une circonscription. Le contentieux de l’organisation des élections législatives dans son ensemble, dirigé contre le
décret n° 2024-527 du 9 juin 2024 portant convocation des électeurs pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale est un contentieux distinct des litiges portant sur les opérations électorales dans chaque circonscription. Il ne sera donc pas pertinent de contester la dissolution dans le cadre d’un recours contre les opérations électorales dans une circonscription, même si le raccourcissement du temps de campagne sera certainement pris en compte par le Conseil constitutionnel dans l’examen des recours.
On conseillera surtout aux équipes de campagne des candidats de bien surveiller et relever toutes les irrégularités constatées, surtout pendant les opérations électorales, quitte à faire le tri au lendemain de l’élection. Le constat par huissier de justice est à privilégier.
L’annulation du scrutin ne sera toutefois encourue qu’en cas de griefs précis, démontrés, établis en fait, et susceptibles d’exercer une influence sur l’issue du scrutin en raison d’un faible écart de voix (apprécié au cas par cas).
Il n'appartient en effet pas au juge de l'élection de sanctionner toutes les irrégularités, mais seulement celles qui ont pu affecter la sincérité du scrutin.
En 2012, le Conseil constitutionnel a été saisi de 108 requêtes, et n’a prononcé que 7 annulations.
En 2017, le Conseil constitutionnel a été saisi de 298 requêtes, et n’a prononcé que 8 annulations.
En 2022, le Conseil constitutionnel a été saisi de 99 requêtes et n’a prononcé que 7 annulations.
À titre d’exemples :
- En 2022, dans deux circonscriptions des Français établis hors de France, le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales en raison des dysfonctionnements intervenus lors du vote électronique (Décision n° 2022-5813/5814 AN et Décision n° 2022-5760 AN)
- En 2022, l’élection de la 2e circonscription de la Marne a été annulée par le Conseil constitutionnel, car les bulletins de vote d’une candidate faisaient apparaître la mention « La candidate officielle d’Emmanuel Macron ». Or les bulletins de vote ne peuvent pas comporter d’autres noms que le candidat et son suppléant (Décision n°2022-5768 AN)
- En 2022, dans la première circonscription de l’Ariège le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales en raison d’un mélange de bulletins entre deux candidats dans les bureaux de vote, avec un écart de 8 voix seulement (Décision n° 2022-5751 AN)
- En 2022, le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales qui se sont déroulées dans la huitième circonscription des Français établis hors de France, à l’issue desquelles M. Meyer HABIB avait été élu. Le Conseil constitutionnel a considéré que des messages diffusés sur différents réseaux sociaux le jour du second tour de scrutin et des manœuvres de démarchage téléphonique ont été susceptibles d’influencer un nombre significatif d’électeurs (Décision n° 2022-5773 AN)
- En 2022, l’utilisation irrégulière d’un véhicule comportant un affichage électoral pendant la campagne électorale a été pris en compte par le Conseil constitutionnel (Décision n°2023-31 ELEC)
- En 2017, dans la 1ère circonscription du département du Territoire de Belfort, le Conseil a considéré que le fait de diffuser des tracts imprimés à 10 000 et 15 000 exemplaires dont la présentation matérielle les faisait faussement apparaître comme émanant respectivement d'un parti concurrent constituait une manœuvre de nature à avoir créé une confusion dans l'esprit d'une partie des électeurs et à avoir influé sur le résultat du scrutin. Eu égard à l'ampleur de la diffusion tardive de ces tracts ainsi qu'au faible écart de voix séparant les deux candidats du second tour, le Conseil a annulé les opérations électorales contestées (Décision n° 2017-5067 AN du 8 décembre 2017),
- En 2017, dans la 2ème circonscription de la Guyane, le Conseil a considéré que l'absence d'assesseur dans deux bureaux de vote a entaché d'illégalité le scrutin compte tenu du faible écart de voix séparant les deux candidats du second tour - 56 voix - (Décision n° 2017-5091 AN du 8 décembre 2017),
- En 2017, dans la 6ème circonscription de l’Hérault, le Conseil a invalidé 23 procurations, et annulé par conséquent l’élection acquise avec une avance de dix voix (Décision n° 2012-4590 A.N., 24 octobre 2012, Hérault 6e circ.),
- En 2017, dans l’Oise, la diffusion tardive d’un tract a altéré la sincérité du scrutin et invalidé ce dernier, acquis avec 63 voix d’écart (Décision n° 2012-4594 A.N., 25 janvier 2013, Oise 2e circ.),
- En 2017, dans les Hauts-de-Seine, l’élection a été annulée car le suppléant du candidat élu était déjà le remplaçant d’un sénateur élu (Décision n° 2012-4563/4600 A.N., 18 octobre 2012, Hauts-de-Seine 13e circ.).
Plus l’écart de voix sera faible, plus l’hypothèse d’un recours devra donc être sérieusement envisagée par les candidats.
8/ Un simple post Facebook peut-il faire annuler un scrutin ?
OUI
Si l'écart de voix entre les candidats est faible, un post Facebook irrégulier peut faire annuler l'élection.
C'est ce qu'a déjà jugé le Conseil constitutionnel à l'occasion du contentieux des élections législatives 2017 (Décision n°
2017-5092 AN du 18 décembre 2017) mais également en 2022 en raison de posts sur les réseaux sociaux du candidat Meyer HABIB le jour du second tour de scrutin (
Décision n° 2022-5773 AN).
Dans la 4ème circonscription du département du Loiret l'élection a été annulée le 18 décembre 2017 au motif qu'un candidat avait publié, le dimanche du second tour à 15 heures 52 sur la page « Facebook » dédiée à ses fonctions de maire une photo le représentant prononçant un discours à l'occasion de la cérémonie commémorant l'Appel du 18 juin, et faisant état de l'affluence à cette commémoration officielle.
Par ailleurs, un adjoint de ce même candidat avait publié le même jour à 11 heures 42 sur sa page « Facebook » personnelle des éléments de propagande électorale dont la diffusion était prohibée à cette date (un message invitant les électeurs à « choisir l'expérience face à l'aventure »).
Le Conseil constitutionnel a considéré que, compte tenu du faible écart de voix (7 voix), ces éléments étaient suffisants pour annuler l'ensemble des opérations électorales dans cette circonscription.
Dans le cas du candidat Meyer HABIB en 2022, le Conseil constitutionnel a annulé les opérations électorales de la huitième circonscription des Français établis hors de France en considérant que des messages diffusés sur différents réseaux sociaux le jour du second tour de scrutin et des manœuvres de démarchage téléphonique ont été susceptible d’influencer un nombre significatif d’électeurs, avec un faible écart de voix.
9/ Quels sont les pouvoirs du Conseil constitutionnel en la matière ?
Le Conseil constitutionnel dispose d’un pouvoir très large en matière électorale et peut notamment :
- Rejeter la requête et valider l’élection,
- Annuler l’élection (dans la circonscription concernée),
- Réformer les résultats et proclamer élu un autre candidat.
L’annulation du scrutin législatif dans une circonscription est loin d’être exceptionnelle, le Conseil constitutionnel ayant déjà prononcé 71 annulations en la matière depuis sa création en 1958.
On note toutefois que le Conseil constitutionnel n’a jamais encore proclamé élu un candidat à la place d’un autre, bien qu’il ait tout à fait pouvoir pour ce faire. La tendance est donc plutôt à l’annulation du scrutin en cas d’irrégularités et à laisser les électeurs se prononcer à nouveau.
Lorsqu’un scrutin est annulé par le Conseil constitutionnel, une nouvelle élection législative partielle doit être organisée dans la circonscription concernée
dans un délai de trois mois (
Article LO178 du Code électoral).
10/ Existe-t-il des délais de jugement et des possibilités de recours ?
NON
Aucun délai n’est fixé au Conseil constitutionnel pour rendre sa décision. Le délai de jugement variera donc en fonction de la complexité des irrégularités relevées.
Il convient de rappeler que le député élu restera en place jusqu’à l’éventuelle décision d’annulation.
En application de l’
article 62 de la Constitution, l’autorité de la décision rendue par le Conseil constitutionnel est absolue :
aucun recours n’est possible.
Enfin, la décision du juge constitutionnel n'a d'effet juridique qu'en ce qui concerne l'élection dont il est saisi (uniquement la circonscription concernée par le recours).