Avocat Droit Public
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À la suite de l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement a annoncé mercredi 15 mai 2024 sa décision de couper TikTok sur l’ensemble de l’île.
Vendredi 17 mai 2024, les associations militantes « La Quadrature du Net » et « La ligue des droits de l’Homme » ont déposé un référé liberté contre cette mesure devant le Conseil d’État.
Alors est-ce bien légal ? Le gouvernement peut-il à sa guise « couper TikTok » ?
La #LDH attaque en référé-liberté l'interdiction et le blocage de #TikTok sur le territoire de la #NouvelleCalédonie pour défendre la liberté de communication des idées et des opinions. pic.twitter.com/7c2NVSfcIg
— LDH France (@LDH_Fr) May 17, 2024
L’exercice des libertés publiques ne se conçoit en France que dans le respect de l’ordre public. En cas de trouble à l’ordre public, l’exécutif peut limiter légalement les libertés publiques, pour une durée limitée jusqu’au retour au calme.
L'état d'urgence est entré en vigueur sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie le 15 mai 2024 à 20 heures, heure de Paris.
La déclaration d’état d’urgence emporte application des dispositions exceptionnelles de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, modifiée régulièrement depuis lors.
L’article 11 II de cette loi dispose que « Le ministre de l'Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie ».
TikTok doit être regardé comme un « service de communication au public en ligne » au sens de la loi sur l’état d’urgence.
Cette application peut donc être coupée par décision du ministre de l’Intérieur s’il est démontré que le service est utilisé par des émeutiers pour provoquer à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.
Compte tenu des évènements récents en Nouvelle-Calédonie, il semble clair que l’application TikTok a servi de support principal aux émeutiers pour provoquer à la commission de violences dirigées contre l’État, les personnes et les biens et en faire l’apologie.
Les exemples en ligne étaient nombreux sur l’application, jusqu’à ce que le signal soit coupé par le ministre de l’Intérieur.
Il est très probable que les associations militantes vont contester la nature de « terrorisme » des actes documentés par l’État lui permettant de justifier la coupure temporaire de l’application sur le « Caillou ».
En défense, l’État devra être en mesure de fournir des exemples précis de messages et vidéos TikTok d’émeutiers provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, ce qui ne devrait pas poser de grandes difficultés.
Dans la mesure où les violences sont dirigées contre la souveraineté de l’État, la qualification de « terrorisme » est en effet encourue, même s’il y aura probablement un débat juridique sur ce point de droit.
Le référé liberté sera audiencé prochainement par le Conseil d’État. Il faut s’attendre à un rejet de ce recours par le juge administratif, qui contrôlera la proportionnalité de la mesure prise par l’État.
La coupure temporaire d’une application de loisir n’est en effet pas une atteinte grave aux libertés publiques, surtout face à des troubles majeurs à l’ordre public ayant déjà fait plusieurs morts. C’est ce que dira probablement le Conseil d’État prochainement dans ce dossier.
La loi sur l’état d’urgence du 3 avril 1955, récemment modifiée par les parlementaires, constitue donc une base légale solide pour couper de manière temporaire l’application TikTok en Nouvelle-Calédonie, jusqu’au retour au calme.
Pour le recours en ligne, le dépôt est toujours possible jusqu’au dernier jour du délai de deux mois.
Mais pour l’envoi du recours par voie postale, la justice administrative retenait jusqu’à présent la date de réception par la juridiction, c’est-à-dire le tampon du greffe, pour calculer si le délai de recours était respecté par le justiciable.
Il fallait donc prendre garde à ce que le courrier contenant le recours soit bien arrivé au tribunal au plus tard au jour de l’expiration du délai de deux mois, en anticipant donc sa date de dépôt à la poste de quelques jours…
Le Conseil d’État a décidé le 13 mai 2024 de changer cette règle importante en retenant pour toute la justice administrative la nouvelle règle du « cachet de la poste faisant foi ».
Lorsqu’il est saisi d’un recours par voie postale, le juge administratif devra donc désormais regarder le cachet de la poste, c’est-à-dire la date de dépôt du courrier postal à la poste pour calculer si le requérant a bien respecté le délai de recours de deux mois.
Il est donc désormais possible de déposer son recours à la poste le dernier jour de l’expiration du délai de recours, avant la levée postale.
Peu importe donc désormais la date de réception du recours au greffe de la justice administrative : c’est le cachet de la poste qui fait foi.
Cette nouvelle règle importante posée par le Conseil d’État le 13 mai 2024 irrigue immédiatement toute la justice administrative et s’applique donc à compter de cette date à tous les tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et, bien entendu, au Conseil d’État lui-même.
Il faut donc retenir que le justiciable peut désormais poster son recours contentieux au plus tard le dernier jour du délai de recours, avant la levée postale.
Quand elle ne défile pas dans les rues de Paris, l'extrême droite se planque dans les distributions alimentaires.
— Emmanuel Grégoire (@egregoire) May 15, 2024
Et dénature ainsi cet admirable geste de solidarité par un racisme sans équivoque.
Avec @leafiloche, nous avons saisi @prefpolice @NunezLaurent.
Évidemment. https://t.co/MIo1nJjkkm
[2] CE, avis, 22 novembre 2000, Société L&P Publicité, n°223645 ; CE, 3 novembre 1997, Société Million et Marais, n°169907
[3] Article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales
[4] CE, 19 mai 1933, Benjamin, n°17413, n°17520
[5] CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855
[6] CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n°136727
[7] CE, 9 janvier 2014, Ministre de l'intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508
À retenir :
***
Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans[1].
C’est ce que l’on appelle communément le droit du sol.
En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil[2], c’est-à-dire la loi française. Aucun traité international ni aucune disposition constitutionnelle ne protègent ce droit en France et le Conseil constitutionnel a refusé à ce jour de consacrer ce principe comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)[3].
Le droit du sol a donc une valeur législative en France.
Oui.
Le droit du sol a été spécifiquement durci à Mayotte depuis la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.
Cette loi « asile et immigration » a ajouté une condition spécifique supplémentaire pour bénéficier du droit du sol à Mayotte : l’enfant né à Mayotte devra prouver, au moment de sa demande que l’un de ses parents était légalement sur le territoire français depuis au moins trois mois au moment de sa naissance pour pouvoir bénéficier de la nationalité française.
La Loi prévoit donc une condition supplémentaire pour bénéficier de la nationalité française par le droit du sol à Mayotte.
Oui.
Les règles du droit du sol sont plus strictes à Mayotte qu’en métropole. Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose le principe d’égalité des citoyens devant la loi qui doit être « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, tous les citoyens étant égaux à ses yeux »[4].
La question de la conformité à la Constitution du durcissement du droit du sol à Mayotte pouvait donc se poser.
Mais l’article 73 de la Constitution pose également depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer : « Dans les départements et les régions d'Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer permet donc de prévoir des dérogations aux conditions initiales du droit du sol spécifiques à Mayotte.
Oui.
La question de la suppression du droit du sol à Mayotte est aussi sensible politiquement que délicate juridiquement. De nombreuses personnalités politiques ont en effet déjà proposé cette suppression par le passé, et en dernier lieu le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer le 11 février 2024, mais la question est juridiquement compliquée.
En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil[5], c’est-à-dire la loi française. Le droit du sol n’est donc pas protégé par la Constitution à ce jour. Or suivant le principe du parallélisme des formes, ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Il suffirait donc que le législateur modifie le Code civil sur ce sujet.
Mais cette modification pourrait se heurter au Conseil constitutionnel, qui pourrait profiter de cette modification législative pour faire évoluer sa jurisprudence sur le droit du sol. Le Conseil constitutionnel a en effet toujours refusé à ce jour de consacrer le droit du sol comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)[6]. Mais une nouvelle saisine sur une nouvelle loi offrirait la possibilité au Conseil constitutionnel de faire monter le droit du sol à l’échelon constitutionnel et de censurer la loi sur ce motif.
Seule une révision constitutionnelle permettrait donc de supprimer le droit du sol à Mayotte. Sur le plan théorique, rien ne s’oppose à ce que le constituant choisisse de réviser la Constitution en ce sens.
Oui, mais…
La suppression du droit du sol à Mayotte pourrait se heurter à un principe constitutionnel.
En effet, l’article 73 de la Constitution pose depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer : « Dans les départements et les régions d'Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
En l’état actuel de la rédaction du texte, les « adaptations » possibles ne semblent pas pouvoir inclure la suppression pure et simple du droit du sol. Cette suppression semble en effet aller bien au-delà de la seule « adaptation » visée dans le texte et, partant, viole l’article 73 de la Constitution.
La différenciation territoriale en Outre-mer ne semble donc pas pouvoir aller en l’état actuel de la rédaction de la Constitution jusqu’à la suppression du droit du sol à Mayotte.
Toutefois, et c’est le plus important, même si la suppression du droit du sol à Mayotte se heurte à ce principe constitutionnel, une révision de la Constitution, qui ne fera pas l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, pourrait permettre d’outrepasser ce blocage.
Non.
Aucune loi, disposition constitutionnelle, principes généraux du droit ou traités internationaux signés par la France ne lui interdit à ce jour juridiquement de créer des apatrides. La question est donc davantage morale, que juridique.
Si la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée sous forme de résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en 1948 prévoit l’interdiction de l’apatridie, ce texte n’a pas de valeur juridique contraignante en France.
L’interdiction de l’apatridie ne peut donc pas bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte en l’état des textes applicables.
Non.
L’inscription de la suppression du droit du sol à Mayotte dans la Constitution française permettrait précisément de contourner le Conseil constitutionnel.
En effet, le Conseil constitutionnel n’intervient pas dans la procédure de révision de la Constitution prévue à l’article 89. Autrement formulé, la Constitution ne prévoit pas de contrôle de constitutionnalité automatique des projets de loi de révision constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel considère d’ailleurs à ce sujet que « le pouvoir constituant est souverain » et qu’il ne lui appartient donc pas de s’y substituer[10].
Les lois constitutionnelles échappent donc au contrôle de constitutionnalité.
La seule limite est fixée par le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution qui dispose que « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision », mais ceci ne concerne en rien la suppression du droit du sol à Mayotte.
Saisi d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil constitutionnel se déclarerait donc nécessairement incompétent à statuer sur cette question. La décision d’incompétence qui serait rendue pourrait toutefois donner l’opportunité au Conseil constitutionnel d’alerter sur les risques d’atteinte à l’identité constitutionnelle de la France et aux droits garantis par la Constitution, mais ne pourrait pas faire obstacle à la décision prise par le pouvoir constituant souverain.
Saisi pour avis d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil d'État ne se gênerait pas de la même manière pour alerter l'exécutif sur ces mêmes risques, sans toutefois disposer de la possibilité juridique de bloquer l'adoption du texte puisque l'avis du Conseil d'État ne lie pas le constituant...
[1] Article 21-7 du Code civil
[2] Article 21-7 du Code civil
[3] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993
[4] Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
[5] Article 21-7 du Code civil
[6] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993
[7] Article 61 de la Constitution
[8] Article 61-1 de la Constitution
[9] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993
[10] Conseil constitutionnel, Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992
En premier lieu, le Conseil d’État a rappelé que les registres des baptêmes tenus par l'Église catholique sont destinés à conserver la trace d'un événement qui, pour elle, constitue l'entrée dans la communauté chrétienne.
Le baptême, qui est la condition requise par l'Église catholique pour accéder notamment au mariage, ne peut être reçu, selon la foi catholique et l'organisation interne propre à ce culte, qu'une seule fois dans la vie d'une personne.
Or le juge administratif considère que l'effacement définitif de l'enregistrement d’un baptême pourrait faire obstacle au contrôle de cette exigence par l’Église dans l'hypothèse où l'intéressé, après avoir obtenu cet effacement, souhaiterait réintégrer la communauté chrétienne et notamment se marier religieusement.
L’Église est donc fondée à refuser l’effacement du registre paroissial sur ce premier fondement. Par ailleurs, le refus d’effacement du registre des baptêmes ne viole pas le RGPD européen selon le Conseil d’État.
En deuxième lieu, le Conseil d’État considère qu’une demande d’effacement de baptême ne rentre dans aucune des hypothèses prévues par le RGPD européen permettant aux particuliers d’obtenir un effacement de leurs données personnelles.
Le RGPD européen permet aux particuliers qui s’en prévalent d’obtenir un effacement de leurs données personnelles :
Le Conseil d’État considère que les données figurant sur les registres des baptêmes ne font pas l’objet d’un traitement illicite et que leur conservation est nécessaire à l’Église. Ces documents non dématérialisés ne sont en effet accessibles qu'aux intéressés pour les mentions qui les concernent, ainsi qu'aux ministres du culte et aux personnes œuvrant sous leur autorité, dans une finalité de suivi du parcours religieux des personnes baptisées et de l'établissement éventuel d'actes ultérieurs dans le cadre de l'administration du culte catholique.
Ces données ne sont pas accessibles à des tiers et les registres sont conservés dans un lieu clos, avant, au terme d'un délai de 120 ans, d'être versés aux archives historiques du diocèse.
Par ailleurs, le Conseil d’État a indiqué que la mention des données personnelles sur le registre des baptêmes n'est pas fondée sur le consentement de la personne baptisée et qu’une demande d’effacement de baptême ne peut donc pas se fonder sur un retrait de ce consentement.
Enfin, le Conseil d’État a jugé que l'intérêt qui s'attache, pour l'Église, à la conservation des données personnelles relatives au baptême figurant dans le registre, doit être regardé comme un motif légitime impérieux, prévalant sur l'intérêt moral du demandeur à demander que ces données soient définitivement effacées.
En définitive, le Conseil d’État considère que l’apposition sur le registre des baptêmes d’une mention selon laquelle la personne baptisée a fait valoir sa volonté de renoncer à tout lien avec la religion catholique est suffisante pour assurer le respect de ses données personnelles et que la mention du baptême intervenu par le passé est indispensable à la vie de l’Église.
Celui qui, comme Jésus, a été baptisé (Matthieu 3, 11-17) ne peut donc pas obtenir en justice de contraindre l’Église à effacer son nom du registre des baptêmes.
INTERVENtions PRESSE