Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

Ligne directe : 07.80.99.23.28

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À la suite de l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement a annoncé mercredi 15 mai 2024 sa décision de couper TikTok sur l’ensemble de l’île.

Vendredi 17 mai 2024, les associations militantes « La Quadrature du Net » et « La ligue des droits de l’Homme » ont déposé un référé liberté contre cette mesure devant le Conseil d’État faisant valoir de graves atteintes aux libertés publiques.

Le juge administratif a rejeté ce référé jeudi 23 mai 2024 : le blocage de TikTok est donc maintenu en Nouvelle-Calédonie.

À titre préalable, le Conseil d’État a rappelé le contexte dramatique sur l'île : depuis le 13 mai 2024, la Nouvelle-Calédonie connaît de très graves troubles à l’ordre public et des affrontements très violents du fait de groupe de personnes armées, qui se sont traduits par des attaques et destructions de bâtiments publics, d’infrastructures et de commerces.

Les transports et les services publics sont paralysés, l’alimentation de la population menacée. Des habitations privées ont également fait l’objet d’attaques et d’incendies criminels.

Le juge administratif a rappelé qu’au jour de sa décision, on déplore déjà six morts et plus de 170 blessés en Nouvelle-Calédonie. Ce contexte devait être pris en compte au regard des atteintes aux libertés publiques que faisaient valoir les associations requérantes.

L’exercice des libertés publiques ne se conçoit en effet en France que dans le respect de l’ordre public. En cas de trouble à l’ordre public, l’exécutif peut limiter légalement les libertés publiques, pour une durée limitée jusqu’au retour au calme.

L'état d'urgence est entré en vigueur sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie le 15 mai 2024 à 20 heures, heure de Paris.

La déclaration d’état d’urgence emporte application des dispositions exceptionnelles de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955.

Dès le 14 mai 2024, le ministre de l’Intérieur a pris la décision de couper TikTok, service de communication au public en ligne, sur l’ensemble de l’île, faisant valoir que cette application avait servi de support principal aux émeutiers pour provoquer à la commission de violences dirigées contre l’État, les personnes et les biens et en faire l’apologie.

C’est cette décision qu’a contrôlée le Conseil d’État.

La procédure du référé-liberté permet au juge des référés de se prononcer très rapidement sous 48H et d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale » à condition qu’il lui soit démontré (article L. 521-2 du code de justice administrative) :

  • Une situation d’urgence,
  • Et une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Les associations requérantes avaient dramatisé le sujet de l’utilisation de l’application TikTok, créée pour partager des vidéos de danse à destination des adolescents, en se fondant sur une longue liste de libertés : libertés d’expression, de communication, d’accéder à des services de communication en ligne, de la presse et au pluralisme d’expression des courants de pensées et d’opinions et en citant moult textes européens et internationaux en matière de libertés publiques.

Une question prioritaire de constitutionnalité avait même été soulevée dans le cadre du référé !

Mais le juge administratif a esquivé le débat de fond en rejetant la requête des associations pour défaut d’urgence.

Selon le Conseil d’État, le blocage de l’application TikTok par le gouvernement français est en effet très limité et a pour seule finalité le retour au calme dans les plus brefs délais. Par ailleurs, l’ensemble des autres réseaux sociaux et moyens de communication, la presse, les télévisions et radios ne sont en rien affectés par cette décision en Nouvelle-Calédonie.

Le juge des référés du Conseil d’État a donc balayé le recours des associations pour les trois raisons suivantes :

  • Les associations requérantes n’ont pas démontré une urgence à suspendre ce blocage, c’est-à-dire une urgence à utiliser l’application TikTok ;
  • La mesure de blocage prise par le gouvernement est limitée à TikTok ; elle présente un caractère limité et temporaire et n’affecte pas les autres services de communication au public en ligne ;
  • Un intérêt public s’attache au rétablissement de la sécurité et de la tranquillité publiques, l’application TikTok ayant contribué aux troubles à l’ordre public en Nouvelle-Calédonie.
Il faut donc retenir que le Conseil d’État a refusé de considérer qu’une urgence existait à rétablir l’application TikTok en Nouvelle-Calédonie et que son blocage temporaire ne porte pas une atteinte grave aux libertés publiques, surtout face à des troubles majeurs à l’ordre public ayant déjà fait plusieurs morts.

En rejetant le référé liberté des associations, le Conseil d’État valide donc la lecture suivant laquelle le blocage temporaire de l’application TikTok en Nouvelle-Calédonie participe au retour au calme sur l’île.

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À la suite de l’embrasement de la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement a annoncé mercredi 15 mai 2024 sa décision de couper TikTok sur l’ensemble de l’île.

Vendredi 17 mai 2024, les associations militantes « La Quadrature du Net » et « La ligue des droits de l’Homme » ont déposé un référé liberté contre cette mesure devant le Conseil d’État.

Alors est-ce bien légal ? Le gouvernement peut-il à sa guise « couper TikTok » ?


L’exercice des libertés publiques ne se conçoit en France que dans le respect de l’ordre public. En cas de trouble à l’ordre public, l’exécutif peut limiter légalement les libertés publiques, pour une durée limitée jusqu’au retour au calme.

L'état d'urgence est entré en vigueur sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie le 15 mai 2024 à 20 heures, heure de Paris.

La déclaration d’état d’urgence emporte application des dispositions exceptionnelles de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, modifiée régulièrement depuis lors.

L’article 11 II de cette loi dispose que « Le ministre de l'Intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l'interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d'actes de terrorisme ou en faisant l'apologie ».

TikTok doit être regardé comme un « service de communication au public en ligne » au sens de la loi sur l’état d’urgence.

Cette application peut donc être coupée par décision du ministre de l’Intérieur s’il est démontré que le service est utilisé par des émeutiers pour provoquer à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie.

Compte tenu des évènements récents en Nouvelle-Calédonie, il semble clair que l’application TikTok a servi de support principal aux émeutiers pour provoquer à la commission de violences dirigées contre l’État, les personnes et les biens et en faire l’apologie.

Les exemples en ligne étaient nombreux sur l’application, jusqu’à ce que le signal soit coupé par le ministre de l’Intérieur.

Il est très probable que les associations militantes vont contester la nature de « terrorisme » des actes documentés par l’État lui permettant de justifier la coupure temporaire de l’application sur le « Caillou ».

En défense, l’État devra être en mesure de fournir des exemples précis de messages et vidéos TikTok d’émeutiers provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, ce qui ne devrait pas poser de grandes difficultés.

Dans la mesure où les violences sont dirigées contre la souveraineté de l’État, la qualification de « terrorisme » est en effet encourue, même s’il y aura probablement un débat juridique sur ce point de droit.

Le référé liberté sera audiencé prochainement par le Conseil d’État. Il faut s’attendre à un rejet de ce recours par le juge administratif, qui contrôlera la proportionnalité de la mesure prise par l’État.

La coupure temporaire d’une application de loisir n’est en effet pas une atteinte grave aux libertés publiques, surtout face à des troubles majeurs à l’ordre public ayant déjà fait plusieurs morts. C’est ce que dira probablement le Conseil d’État prochainement dans ce dossier.

La loi sur l’état d’urgence du 3 avril 1955, récemment modifiée par les parlementaires, constitue donc une base légale solide pour couper de manière temporaire l’application TikTok en Nouvelle-Calédonie, jusqu’au retour au calme.

Untitled 1Décision commentée : CE, 13 mai 2024, n°466541

Le 13 mai 2024, le Conseil d’État a modifié une règle importante relative au calcul des délais de recours dans le contentieux administratif : le justiciable peut désormais poster son recours contentieux au plus tard le dernier jour du délai de recours, avant la levée postale.

Il faut connaître la règle antérieure pour comprendre cette évolution.

Prenons l’exemple d’une décision administrative banale : un arrêté municipal, une délibération d’un conseil municipal, un arrêté préfectoral, etc.

La juridiction administrative (tribunal administratif – cour administrative d’appel – Conseil d’État) ne peut être saisie d’un recours contre un tel acte que dans le délai de deux mois, dans la plupart des cas.

Le calcul de ce délai est essentiel, car un recours jugé tardif par la justice administrative sera irrecevable, sans possibilité de régularisation ultérieure. Il faut donc être très prudent.

Rien ne change à propos du point de départ du calcul de ce délai, qui commence toujours à courir à compter de la notification ou de la publication de la décision attaquée (article R. 421-1 du CJA).

En revanche, la règle a changé le 13 mai 2024 s’agissant de la date d’expiration de ce délai de recours.

Deux possibilités sont ouvertes de nos jours pour saisir le juge administratif :

  • soit la voie numérique, en utilisant la plateforme en ligne « Télérecours citoyen »,
  • soit la voie postale, en envoyant tout simplement son recours par courrier au tribunal.


Pour le recours en ligne, le dépôt est toujours possible jusqu’au dernier jour du délai de deux mois.

Mais pour l’envoi du recours par voie postale, la justice administrative retenait jusqu’à présent la date de réception par la juridiction, c’est-à-dire le tampon du greffe, pour calculer si le délai de recours était respecté par le justiciable.

Il fallait donc prendre garde à ce que le courrier contenant le recours soit bien arrivé au tribunal au plus tard au jour de l’expiration du délai de deux mois, en anticipant donc sa date de dépôt à la poste de quelques jours…

Le Conseil d’État a décidé le 13 mai 2024 de changer cette règle importante en retenant pour toute la justice administrative la nouvelle règle du « cachet de la poste faisant foi ».

Lorsqu’il est saisi d’un recours par voie postale, le juge administratif devra donc désormais regarder le cachet de la poste, c’est-à-dire la date de dépôt du courrier postal à la poste pour calculer si le requérant a bien respecté le délai de recours de deux mois.

Il est donc désormais possible de déposer son recours à la poste le dernier jour de l’expiration du délai de recours, avant la levée postale.

Peu importe donc désormais la date de réception du recours au greffe de la justice administrative : c’est le cachet de la poste qui fait foi.

Cette nouvelle règle importante posée par le Conseil d’État le 13 mai 2024 irrigue immédiatement toute la justice administrative et s’applique donc à compter de cette date à tous les tribunaux administratifs, cours administratives d’appel et, bien entendu, au Conseil d’État lui-même.

Il faut donc retenir que le justiciable peut désormais poster son recours contentieux au plus tard le dernier jour du délai de recours, avant la levée postale.

Untitled 1« On ne donne qu’aux blancs ». La mairie de Paris a demandé à la préfecture de police de Paris d’interdire les maraudes d’ultradroite révélées par un reportage de BFMTV[1] mardi 14 mai 2024.

Filmés en caméra cachée, les membres du groupement Luminis qui organise les maraudes assument ne distribuer l’aide alimentaire « qu’aux blancs » en excluant les personnes de couleur et immigrées.

Mais est-ce bien légal ?

Le premier adjoint à la mairie de Paris a demandé mercredi 15 mai 2024 au préfet de police d’interdire les maraudes organisées par le groupement Luminis réservant les distributions alimentaires aux personnes blanches dans la capitale :


Selon l’élu local, ces maraudes sont illégales et discriminatoires et peuvent donc être interdites par le préfet, titulaire du pouvoir de police.

« La liberté est la règle, la restriction de police l’exception »[2]. Les associations, groupements et particuliers sont donc libres d’organiser des distributions alimentaires de solidarité… à condition toutefois que ces dernières ne troublent pas l’ordre public encadré par la loi.

Si l’autorité de police considère qu’une maraude est de nature à troubler l’ordre public, elle peut donc l’interdire par arrêté.

Au cas d’espèce, il est évident que l’organisation des distributions alimentaires « réservées aux blancs » par le groupement Luminis à Paris percute gravement l’ordre public.

L’exclusion des personnes de couleur du bénéfice de la solidarité porte atteinte à la dignité de la personne humaine, composante de l’ordre public. Par ailleurs, cette exclusion au faciès est discriminatoire au sens de la loi pénale[3]. Enfin, l’organisation des maraudes d’ultradroite et leur médiatisation sont de nature à provoquer des heurts avec des opposants politiques.

C’est ce qu’a déjà jugé le Conseil d’État à propos des « soupes gauloises » en 2007. La haute juridiction administrative avait alors considéré que ces maraudes distribuant exclusivement des aliments contenant du porc sur la voie publique portaient atteinte à la dignité des personnes privées du secours proposé et étaient discriminatoires[4].

Le préfet de police de Paris est donc fondé à prendre un arrêté préfectoral d’interdiction des maraudes d’ultradroite « réservées aux blancs » organisées illégalement par le groupement Luminis dans la capitale.

« J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais étranger et vous m’avez accueilli » (Matthieu 25 : 35).
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Dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, le président du parti politique « La France insoumise » a annoncé l’organisation d’une « conférence sur l’actualité en Palestine » avec une candidate dans un amphithéâtre de l’université de Lille.

La veille de l’événement, le président de l’université a interdit la conférence.

En a-t-il le droit juridiquement et peut-on tenir une réunion politique dans une université ?

Les universités sont libres d’organiser des réunions politiques au sein de leurs locaux. Mais cette liberté trouve ses limites dans l’ordre public.

Le président de l’université de Lille était fondé à interdire la conférence de Monsieur Jean-Luc Mélenchon et Madame Rima Hassan sur l’actualité en Palestine au sein de ses locaux, en raison du risque de trouble à l’ordre public créé par l’affiche de l’évènement, sans atteinte à la liberté d’expression ou de réunion.

  1. La liberté d’organiser des réunions politiques au sein des locaux universitaires

L'éducation est un service public national qui est soumis en tant que tel aux grands principes applicables au service public (mutabilité, continuité, égalité).

La neutralité du service public, corollaire du principe d’égalité, interdit qu’il soit assuré de façon différenciée en fonction des convictions politiques de son personnel ou de ses usagers.

C’est la raison pour laquelle il est interdit, par principe, de distribuer des écrits de nature politique dans les locaux d’un service public, qui doit rester neutre au regard du débat politique.

Sur le même fondement, il est strictement interdit d’organiser des réunions politiques dans les écoles, les collèges et les lycées (CE, 8 novembre 1985, Rudent).

Au sein du service public de l’éducation, les établissements d’enseignement supérieur sont toutefois assujettis à des règles particulières, qui diffèrent de celles applicables aux établissements primaires et secondaires.

L’article L. 811-1 du code de l’éducation confère en effet aux universités la liberté d'information et d'expression à l'égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels.

Ce qui se comprend aisément, car l’université est le lieu du débat civilisé.

Les universités sont donc libres d’organiser des réunions politiques au sein de leurs locaux.

Mais cette liberté trouve ses limites dans l’ordre public.

  1. Les réunions politiques organisées au sein des locaux universitaires ne doivent pas troubler l’ordre public

La liberté donnée aux établissements d’enseignement supérieur d’organiser des réunions politiques au sein de leurs locaux ne doit pas troubler l’ordre public.

Cette limite est fixée par l’article L. 811-1 du code de l’éducation, qui dispose que la liberté ainsi donnée aux universités doit s’exercer dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d'enseignement et de recherche et qui ne troublent pas l'ordre public.

Un meeting politique organisé au sein d’un amphithéâtre universitaire ne sera donc autorisé que s’il n’emporte pas de trouble ou de risque de trouble à l’ordre public (sécurité, salubrité et tranquillité publiques).

Il appartient donc au chef d’établissement, en amont de l’événement, d’apprécier si un risque de trouble à l’ordre public est caractérisé, auquel cas la réunion pourra légalement être interdite, sans atteinte à la liberté d’expression ou de réunion.

En droit public, deux titans s’affrontent : d’une part, les libertés publiques et d’autre part, l’ordre public. Le point d’équilibre doit être trouvé entre ces deux géants.

Une réunion politique ne sera pas autorisée au sein d'une université si elle emporte un risque sécuritaire trop important pour les personnes et les biens.

***

À Lille, le président de l’université avait initialement autorisé la conférence de Monsieur Jean-Luc Mélenchon et Madame Rima Hassan sur l’actualité en Palestine. Cette conférence était tout à fait légale au sein d’un établissement d’enseignement supérieur.

Cependant le parti politique « La France insoumise » a diffusé une affiche relative à cet événement faisant apparaître un logo très contesté dans le contexte du conflit israélo-palestinien, générant un risque de trouble à l’ordre public.

La polémique générée par cette affiche de campagne a en effet fait peser un risque de trouble important sur cette réunion, que l’université de Lille n’était plus en mesure de sécuriser.

Le président de l’université de Lille était donc légalement fondé à interdire la conférence au sein de ses locaux, en raison du risque de trouble à l’ordre public créé par ses propres organisateurs, sans atteinte à la liberté d’expression ou de réunion.

Untitled 1Le président de la République a dévoilé dans le journal La Croix le 10 mars 2024 les grandes lignes du projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » qui a été dans la foulée transmis pour avis au Conseil d’État. Le texte devrait être présenté en Conseil des ministres au mois d’avril, pour un débat au Parlement avant l’été.

Le système est strictement encadré, cinq conditions devant être cumulativement remplies pour accéder à une « aide à mourir » : un patient majeur, doté d’un discernement plein et entier, atteint d’une maladie incurable avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme et présentant une souffrance physique ou psychologique réfractaire ou insupportable liée à son affection. 

Si toutes ces conditions sont remplies, le patient pourra présenter une demande à un professionnel de santé qui disposera d’un délai de quinze jours pour prendre sa décision, à savoir prescrire une substance létale que le patient pourra prendre lui-même ou que le médecin lui administrera.

Comme en matière d’interruption volontaire de grossesse, les professionnels de santé pourront faire valoir leur clause de conscience. Inspiré par le serment d'Hippocrate, véritable boussole déontologique – « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » - le droit du médecin de refuser des soins pour des raisons personnelles est protégé par le code de la santé publique.

Aucun médecin ne pourra donc être contraint de prendre une part active à une « aide à mourir » demandée par un patient s’il fait valoir sa clause de conscience. Cependant, et c’est important, le projet de loi prévoit qu’en cas de refus d’un médecin d’accéder à une demande d’ « aide à mourir », s’il estimait, par exemple, que les cinq conditions ne sont pas réunies pour un patient, le malade pourra saisir le tribunal administratif d’un recours.

Qu’adviendra-t-il alors ? Saisi en urgence, le juge administratif pourra-t-il ordonner aux praticiens de donner la mort ? Ce serait un grand basculement. Le juge, comme le médecin, pourra-t-il faire valoir une clause de conscience pour refuser de connaître d’un tel dossier ? Le projet de loi ne prévoit rien en ce sens à ce stade. Comme pour les professionnels de santé, il semble pourtant indispensable de prévoir une clause de conscience pour les gens de justice qui ne souhaiteraient pas participer à une telle procédure. 

Des considérations religieuses – « L'homme n'est pas maître de son souffle pour pouvoir le retenir, et il n'a aucune puissance sur le jour de la mort » (Ecclésiaste 8:8) – comme philosophiques – « Les humains sont assignés à résidence et nul n'a le droit de s'affranchir de ces liens pour s'évader » (Platon, Phédon) – peuvent en effet conduire tout professionnel, médecin comme juge, à refuser de participer à l’euthanasie. C’est un devoir impérieux pour le législateur de leur laisser cette possibilité.

Untitled 1Une agence d’organisation d’événements a annoncé qu’un « combat de nains » aura lieu le 11 avril 2024 dans la discothèque « Le Nine » à Toulouse[1].

La ministre chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées a annoncé qu’elle « condamnait fermement » cet événement au nom du gouvernement.

Mais est-ce bien légal ? Peut-on organiser librement un combat de boxe entre deux personnes de petite taille dans une discothèque ?

La réponse est non.

Le principe de la liberté du travail et la liberté du commerce et de l'industrie[2] permettent à une agence spécialisée d’organiser librement des événements récréatifs ou de divertissement au sein des discothèques, sans demander au préalable d’autorisation particulière aux pouvoirs publics.

Il est donc tout à fait possible d’organiser des soirées à thème au sein des discothèques, comme une soirée d’Halloween ou une soirée spéciale Saint-Valentin.

Cependant, la liberté d’organiser de tels évènements n’est pas infinie et trouve sa limite dans le respect de l’ordre public.

La sauvegarde de l’ordre public (bon ordre, sûreté, sécurité et salubrité publiques[3]) peut en effet justifier la limitation proportionnée de l’exercice d’une liberté en droit français[4].

C’est le maire, sous le contrôle du préfet, qui a le pouvoir d’apprécier si l’exercice d’une activité doit être limité dans la commune sur le fondement de ces considérations d’ordre public.

Plus d’un siècle de conciliation par le juge de l’exercice des libertés publiques avec la protection nécessaire de l'ordre public repose sur l’adage « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception »[5].

Par un arrêt très connu des étudiants en droit, le Conseil d'État a décidé que la dignité de la personne humaine faisait partie de l’ordre public[6]. Cet arrêt porte précisément sur l’organisation d’une attraction de « lancer de nain » dans une discothèque qui avait été interdite par les pouvoirs publics :

« Considérant que l'attraction de "lancer de nain" consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l'interdire même en l'absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération »

Le maire a donc la possibilité d’interdire un événement ou une activité sur le territoire de sa commune s’il estime qu’une atteinte est portée en la matière à la dignité de la personne humaine, composante de l’ordre public.

C’est ce qui a permis à de nombreux maires d’interdire des spectacles de l’humoriste controversé Dieudonné[7] ou très récemment encore, des concerts du sulfureux rappeur Freeze Corleone à Lyon et à Lille[8].

Le maire de Toulouse a donc le pouvoir d’interdire le « combat de nains » prévu le 11 avril 2024 dans la discothèque « Le Nine » à Toulouse au titre de ses pouvoirs de police, dans la mesure où ce spectacle est contraire à la dignité de la personne humaine, composante de l’ordre public.

Si le maire refuse d’interdire cet événement ou s’abstient de prendre la mesure, le préfet de la Haute-Garonne l’y contraindra au nom de l’État.

Le « combat de nains » prévu le 11 avril 2024 dans une discothèque de Toulouse n’aura donc pas lieu.

Dans un autre registre, des juristes s’interrogent actuellement sur la légalité des combats ultra-violents de MMA / UFC, où des hommes combattent dans des cages, compte tenu de ce même principe de dignité de la personne humaine.

 

[1] La Dépêche

[2] CE, avis, 22 novembre 2000, Société L&P Publicité, n°223645 ; CE, 3 novembre 1997, Société Million et Marais, n°169907

[3] Article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales

[4] CE, 19 mai 1933, Benjamin, n°17413, n°17520

[5] CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855

[6] CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n°136727

[7] CE, 9 janvier 2014, Ministre de l'intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508

[8] Le Monde

Untitled 1Au lendemain de la décision historique de la Cour suprême des Etats-Unis mettant fin à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) comme droit fédéral le 24 juin 2022 (Dobbs v. Jackson Women's Health Organization, 597 U.S. 2022) le Président de la République française a souhaité inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution.

Quelle procédure a été suivie en la matière ?

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française implique de réviser, c’est-à-dire modifier, le texte suprême. Cette procédure est très encadrée. La Constitution est un texte solennel qui ne doit en effet pas être modifié trop fréquemment et qui prévoit donc des limites procédurales.

Ces limites procédurales sont prévues pour éviter que le texte suprême soit modifié trop souvent, au gré des circonstances, comme l’avait théorisé Montesquieu « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare, et lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante ».

C’est l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui organise la procédure de révision constitutionnelle avec 3 étapes :

  • L’initiative,
  • L’examen parlementaire,
  • Et l’approbation définitive.
Première étape, l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement, c’est-à-dire à chaque parlementaire.

S‘agissant de l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, après une première initiative parlementaire infructueuse, le texte a fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle délibéré en conseil des ministres le 12 décembre 2023 après avis du Conseil d’État.

L’initiative d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française provient donc de l’exécutif, sous la présidence d’Emmanuel Macron : on parle d'un projet de loi constitutionnelle.

Depuis 1958, les 24 révisions constitutionnelles étaient des projets de loi constitutionnelle à l’initiative du pouvoir exécutif.

La rédaction retenue pour le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’IVG est la suivante :

Après le dix‑septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG. »

Deuxième étape, le projet de loi constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. Ceci signifie que l’Assemblée nationale et le Sénat doivent s’entendre sur un texte identique, à la virgule près et qu’une majorité doit se dégager au sein de chaque assemblée pour voter le texte.

Le groupe Renaissance ayant perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale lors du récent scrutin législatif et n’ayant pas la majorité au Sénat, une majorité doit être recherchée au sein de chaque assemblée sur le texte, avec une coalition indispensable avec d’autres groupes parlementaires.

La procédure de la commission mixte paritaire, qui est fréquemment utilisée en cas de désaccord entre les deux chambres lors de l’examen d’un texte ordinaire est interdite pour une révision constitutionnelle. Le texte doit donc faire la navette autant que nécessaire entre les deux chambres jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé, ou que le désaccord soit acté et que la procédure s’arrête.

Le 30 janvier 2024, les députés ont adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’IVG sans modification.

Le texte a été adopté dans les mêmes conditions le 28 février 2024 par les sénateurs.

Un accord a donc été trouvé par les deux chambres du Parlement sur ce texte.

Troisième et dernière étape, la révision constitutionnelle doit être adoptée définitivement. Deux procédures existent dans la Constitution : le référendum ou le Congrès, c’est-à-dire la réunion de l’ensemble des parlementaires à Versailles, dans l’hémicycle de l’aile du Midi du château.

Puisque l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution émane de l’exécutif, le Président de la République dispose d’un droit d’option : il peut soumettre le texte à référendum ou réunir le Congrès à Versailles pour le voter.

À la suite du vote concordant des deux assemblées sur le projet de loi constitutionnelle, le Président a convoqué le Congrès à Versailles pour le lundi 4 mars 2024.

Conformément à l’article 89 de la Constitution, un vote des 3/5e du Congrès devra entériner l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG au sein de l’article 34 la Constitution. Il y a 577 députés et 348 sénateurs. Le seuil de révision de la Constitution par le Congrès est donc fixé à 555 parlementaires au moins.

Si l’accord est trouvé au Congrès, l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution sera définitive. Seule une nouvelle révision constitutionnelle inverse pourrait la défaire à l’avenir.

Sous la Ve République, le référendum constituant n’a été utilisé qu’une seule fois en 2000 afin de faire passer le mandat présidentiel à cinq ans (quinquennat).

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française implique donc une procédure longue en trois étapes avec de multiples acteurs institutionnels devant tous donner leur accord et disposant chacun d’un droit de blocage : chaque chambre du Parlement et surtout les membres de l’opposition, ainsi que le Président de la République.

D’autres sujets pourraient à l’avenir donner lieu à une révision constitutionnelle sous le second quinquennat d’Emmanuel Macron : le statut de la Corse, la fin du droit du sol à Mayotte, l’extension du champ du référendum, etc.

Untitled 1Afin de répondre à la grave crise que traverse Mayotte, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin en déplacement sur place a annoncé dimanche 11 février 2024 l’intention du gouvernement d’y supprimer purement et simplement le droit du sol. Mais est-ce possible juridiquement ?

On fait le point avec 10 questions juridiques qui se posent :

  • Qu’est-ce que le droit du sol ?
  • Quelle est la valeur juridique du droit du sol en France ?
  • Les règles du droit du sol sont-elles différentes à Mayotte ?
  • Le durcissement du droit du sol à Mayotte est-il constitutionnel ?
  • Peut-on supprimer le droit du sol à Mayotte ?
  • Comment supprimer le droit du sol à Mayotte ?
  • La suppression du droit du sol à Mayotte se heurte-t-elle à un principe constitutionnel ?
  • L’interdiction de l’apatridie peut-elle bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte ?
  • Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?
  • Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?


À retenir :

La suppression du droit du sol à Mayotte pourrait intervenir par la loi ou par une révision constitutionnelle.

Si la loi supprimait le droit du sol à Mayotte, elle serait probablement censurée par le Conseil constitutionnel, car cette suppression se heurte à la Constitution.

En revanche, si la suppression du droit du sol à Mayotte faisait l’objet d’une révision constitutionnelle, le Conseil constitutionnel ne pourrait pas se prononcer sur la question, car le pouvoir constituant est souverain. Même si cette suppression heurtait des principes fondamentaux, son inscription dans la Constitution par le constituant ne serait donc pas contestable.

La question est donc davantage morale, que juridique.

***

  1. Qu’est-ce que le droit du sol ?

Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans[1].

C’est ce que l’on appelle communément le droit du sol.

  1. Quelle est la valeur juridique du droit du sol en France ?

En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil[2], c’est-à-dire la loi française. Aucun traité international ni aucune disposition constitutionnelle ne protègent ce droit en France et le Conseil constitutionnel a refusé à ce jour de consacrer ce principe comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)[3].

Le droit du sol a donc une valeur législative en France.

  1. Les règles du droit du sol sont-elles différentes à Mayotte ?

Oui.

Le droit du sol a été spécifiquement durci à Mayotte depuis la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

Cette loi « asile et immigration » a ajouté une condition spécifique supplémentaire pour bénéficier du droit du sol à Mayotte : l’enfant né à Mayotte devra prouver, au moment de sa demande que l’un de ses parents était légalement sur le territoire français depuis au moins trois mois au moment de sa naissance pour pouvoir bénéficier de la nationalité française.

La Loi prévoit donc une condition supplémentaire pour bénéficier de la nationalité française par le droit du sol à Mayotte.

  1. Le durcissement du droit du sol à Mayotte est-il constitutionnel ?

Oui.

Les règles du droit du sol sont plus strictes à Mayotte qu’en métropole. Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose le principe d’égalité des citoyens devant la loi qui doit être « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, tous les citoyens étant égaux à ses yeux »[4].

La question de la conformité à la Constitution du durcissement du droit du sol à Mayotte pouvait donc se poser.

Mais l’article 73 de la Constitution pose également depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer : « Dans les départements et les régions d'Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

Le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer permet donc de prévoir des dérogations aux conditions initiales du droit du sol spécifiques à Mayotte.

  1. Peut-on supprimer le droit du sol à Mayotte ?

Oui.

La question de la suppression du droit du sol à Mayotte est aussi sensible politiquement que délicate juridiquement. De nombreuses personnalités politiques ont en effet déjà proposé cette suppression par le passé, et en dernier lieu le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer le 11 février 2024, mais la question est juridiquement compliquée.

En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil[5], c’est-à-dire la loi française. Le droit du sol n’est donc pas protégé par la Constitution à ce jour. Or suivant le principe du parallélisme des formes, ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Il suffirait donc que le législateur modifie le Code civil sur ce sujet.

Mais cette modification pourrait se heurter au Conseil constitutionnel, qui pourrait profiter de cette modification législative pour faire évoluer sa jurisprudence sur le droit du sol. Le Conseil constitutionnel a en effet toujours refusé à ce jour de consacrer le droit du sol comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)[6]. Mais une nouvelle saisine sur une nouvelle loi offrirait la possibilité au Conseil constitutionnel de faire monter le droit du sol à l’échelon constitutionnel et de censurer la loi sur ce motif.

Seule une révision constitutionnelle permettrait donc de supprimer le droit du sol à Mayotte. Sur le plan théorique, rien ne s’oppose à ce que le constituant choisisse de réviser la Constitution en ce sens.

  1. Comment supprimer le droit du sol à Mayotte ?
Inscrire la suppression du droit du sol à Mayotte dans la Constitution française implique de réviser, c’est-à-dire modifier, le texte suprême. Cette procédure est très encadrée. La Constitution est un texte solennel qui ne doit en effet pas être modifié trop fréquemment et qui prévoit donc des limites procédurales.

C’est l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui organise la procédure de révision du texte avec 3 étapes :

  • L’initiative,
  • L’examen parlementaire,
  • Et l’approbation définitive.
Première étape, l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement, c’est-à-dire à chaque parlementaire.

Depuis 1958, les 24 révisions constitutionnelles étaient des projets de loi constitutionnelle, c’est-à-dire à l’initiative du pouvoir exécutif. Le dernier texte en date, à savoir le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) a également été adopté à l’initiative de l’exécutif. Il est également probable que le Président de la République prenne l’initiative, sur proposition du Premier ministre, de la suppression du droit du sol à Mayotte dans le cadre d’un projet de loi constitutionnelle.

Deuxième étape, le projet de loi constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. Ceci signifie que l’Assemblée nationale et le Sénat devront s’entendre sur un texte identique, à la virgule près, et qu’une majorité devra se dégager au sein de chaque assemblée pour voter le texte. Le sujet, très polémique, fera nécessairement débat au Parlement, d’autant plus qu’une majorité devra être recherchée au sein de chaque assemblée sur le texte, avec une coalition indispensable du parti présidentiel avec d’autres groupes parlementaires.

La procédure de la commission mixte paritaire, qui est fréquemment utilisée en cas de désaccord entre les deux chambres lors de l’examen d’un texte ordinaire est interdite pour une révision constitutionnelle. Le texte devra donc faire la navette autant que nécessaire entre les deux chambres jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé, ou que le désaccord soit acté et que la procédure s’arrête.

Troisième et dernière étape, la révision constitutionnelle devra enfin être adoptée définitivement. Deux procédures existent : le référendum ou le Congrès, qui est la réunion de l’ensemble des parlementaires à Versailles.

Si la suppression du droit du sol à Mayotte fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle, le Président de la République aura le choix : soit soumettre le texte à référendum ou réunir les parlementaires en Congrès à Versailles pour l'adoption définitive du texte à la majorité qualifiée des 3/5e. Ici encore, le parti présidentiel devra nécessairement trouver cette majorité en s’alliant avec d’autres groupes parlementaires, ce qui fera débat.

Si le Président de la République ne souhaite pas multiplier les réunions du Congrès, il pourra choisir de le réunir le même jour sur deux sujets, à savoir la constitutionnalisation de l’IVG et la suppression du droit du sol à Mayotte. Mais le choix est libre, et le chef de l’État pourra également soumettre l’un ou l’autre de ces sujets à référendum.

À la fin de cette procédure très encadrée, la suppression du droit du sol à Mayotte pourra être inscrite dans la Constitution française.

  1. La suppression du droit du sol à Mayotte se heurte-t-elle à un principe constitutionnel ?

Oui, mais…

La suppression du droit du sol à Mayotte pourrait se heurter à un principe constitutionnel.

En effet, l’article 73 de la Constitution pose depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer : « Dans les départements et les régions d'Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

En l’état actuel de la rédaction du texte, les « adaptations » possibles ne semblent pas pouvoir inclure la suppression pure et simple du droit du sol. Cette suppression semble en effet aller bien au-delà de la seule « adaptation » visée dans le texte et, partant, viole l’article 73 de la Constitution.

La différenciation territoriale en Outre-mer ne semble donc pas pouvoir aller en l’état actuel de la rédaction de la Constitution jusqu’à la suppression du droit du sol à Mayotte.

Toutefois, et c’est le plus important, même si la suppression du droit du sol à Mayotte se heurte à ce principe constitutionnel, une révision de la Constitution, qui ne fera pas l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, pourrait permettre d’outrepasser ce blocage.

  1. L’interdiction de l’apatridie peut-elle bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte ?

Non.

Aucune loi, disposition constitutionnelle, principes généraux du droit ou traités internationaux signés par la France ne lui interdit à ce jour juridiquement de créer des apatrides. La question est donc davantage morale, que juridique.

Si la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée sous forme de résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en 1948 prévoit l’interdiction de l’apatridie, ce texte n’a pas de valeur juridique contraignante en France.

L’interdiction de l’apatridie ne peut donc pas bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte en l’état des textes applicables.

  1. Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?
Oui.

Si la suppression du droit du sol à Mayotte est prévue par une simple modification législative du Code civil, le Conseil constitutionnel pourra être saisi :

  • Avant la promulgation de la loi par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs[7];
  • Après la promulgation de la loi, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)[8] par tout justiciable ayant un intérêt légitime à contester la loi.
À l’occasion d’une telle saisine, le Conseil constitutionnel pourrait choisir de faire évoluer sa jurisprudence en consacrant le droit du sol comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), ce qu’il a toujours refusé de faire à ce jour[9].

Si tel était le cas, la loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte serait censurée par le Conseil constitutionnel sur ce motif.

  1. Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?

Non.

L’inscription de la suppression du droit du sol à Mayotte dans la Constitution française permettrait précisément de contourner le Conseil constitutionnel.

En effet, le Conseil constitutionnel n’intervient pas dans la procédure de révision de la Constitution prévue à l’article 89. Autrement formulé, la Constitution ne prévoit pas de contrôle de constitutionnalité automatique des projets de loi de révision constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel considère d’ailleurs à ce sujet que « le pouvoir constituant est souverain » et qu’il ne lui appartient donc pas de s’y substituer[10].

Les lois constitutionnelles échappent donc au contrôle de constitutionnalité.

La seule limite est fixée par le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution qui dispose que « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision », mais ceci ne concerne en rien la suppression du droit du sol à Mayotte.

Saisi d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil constitutionnel se déclarerait donc nécessairement incompétent à statuer sur cette question. La décision d’incompétence qui serait rendue pourrait toutefois donner l’opportunité au Conseil constitutionnel d’alerter sur les risques d’atteinte à l’identité constitutionnelle de la France et aux droits garantis par la Constitution, mais ne pourrait pas faire obstacle à la décision prise par le pouvoir constituant souverain.

Saisi pour avis d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil d'État ne se gênerait pas de la même manière pour alerter l'exécutif sur ces mêmes risques, sans toutefois disposer de la possibilité juridique de bloquer l'adoption du texte puisque l'avis du Conseil d'État ne lie pas le constituant...

 

[1] Article 21-7 du Code civil

[2] Article 21-7 du Code civil

[3] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993

[4] Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

[5] Article 21-7 du Code civil

[6] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993

[7] Article 61 de la Constitution

[8] Article 61-1 de la Constitution

[9] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993

[10] Conseil constitutionnel, Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992



 

Untitled 1« Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé » (Marc 16 :16).

La débaptisation consiste, pour une personne baptisée, à renier son baptême et à demander à l’Église de revenir sur ce sacrement, généralement reçu à l’enfance. La demande, qui ne revêt pas de formalisme particulier, doit être adressée par écrit à la paroisse où le baptême a été célébré. Si l’Église catholique considère cette démarche comme un acte d’apostasie, elle ne s’y oppose pas et mentionne sur le registre de la paroisse une mention selon laquelle la personne « a renié son baptême ».

Cependant, la mention du baptême lui-même n’en est pas pour autant radiée des registres baptismaux. L’Église considère en effet le baptême comme une marque indélébile d’appartenance au Christ : s’il est possible de renier, pour des convictions personnelles, son appartenance à l’Église, il n’est pas pour autant possible d’effacer le passé, le sacrement ayant bien été reçu. Le nom de la personne baptisée figure donc pour toujours dans le registre paroissial.

Mais peut-on forcer juridiquement l’Église à effacer son nom du registre des baptêmes ? C’est la question qu’a eu à connaître le Conseil d’État le 2 février 2024.

Un particulier, M. B. a adressé au diocèse d'Angers une demande d’effacement de son nom du registre des baptêmes. Le diocèse s’étant contenté d’inscrire en marge du registre que le baptême avait été renié, l’intéressé a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d’une plainte en se fondant sur le droit d'accès aux données à caractère personnel et le RGPD européen.

La CNIL a considéré que l'apposition en marge du registre paroissial d'une mention selon laquelle M. B. ne reconnaissait pas la valeur de son baptême pouvait être regardée comme satisfaisant à l'exercice du droit de chacun d'opposition au traitement des données personnelles le concernant et a prononcé sur ce fondement la clôture de sa plainte.

M. B., très fâché contre l’Église, n’a pas souhaité en rester là et a saisi le Conseil d’État de la question.

Par une décision n°461093 du 2 février 2024 qui fera jurisprudence, le Conseil d’État a posé le principe selon lequel l’Église pouvait légalement refuser les demandes d’effacement du registre des baptêmes (CE, 2 février 2024, M. B. n°461093).

Selon le juge administratif, l’Église doit en effet pouvoir contrôler que le sacrement du baptême n’a été reçu qu’une seule fois dans la vie d’une personne (1) et le refus d’effacement du registre paroissial ne viole aucune des dispositions du RGPD européen (2).

  1. Le baptême ne peut être reçu qu'une seule fois dans la vie d'une personne, ce que l’Église doit pouvoir contrôler

En premier lieu, le Conseil d’État a rappelé que les registres des baptêmes tenus par l'Église catholique sont destinés à conserver la trace d'un événement qui, pour elle, constitue l'entrée dans la communauté chrétienne.

Le baptême, qui est la condition requise par l'Église catholique pour accéder notamment au mariage, ne peut être reçu, selon la foi catholique et l'organisation interne propre à ce culte, qu'une seule fois dans la vie d'une personne.

Or le juge administratif considère que l'effacement définitif de l'enregistrement d’un baptême pourrait faire obstacle au contrôle de cette exigence par l’Église dans l'hypothèse où l'intéressé, après avoir obtenu cet effacement, souhaiterait réintégrer la communauté chrétienne et notamment se marier religieusement.

L’Église est donc fondée à refuser l’effacement du registre paroissial sur ce premier fondement. Par ailleurs, le refus d’effacement du registre des baptêmes ne viole pas le RGPD européen selon le Conseil d’État.

  1. Le refus d’effacement du registre des baptêmes ne viole pas le RGPD européen

En deuxième lieu, le Conseil d’État considère qu’une demande d’effacement de baptême ne rentre dans aucune des hypothèses prévues par le RGPD européen permettant aux particuliers d’obtenir un effacement de leurs données personnelles.

Le RGPD européen permet aux particuliers qui s’en prévalent d’obtenir un effacement de leurs données personnelles :

  • si les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées d'une autre manière ;
  • si la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement ;
  • si la personne concernée s'oppose au traitement pour des raisons tenant à sa situation particulière, et qu'il n'existe pas de motif légitime impérieux pour le traitement prévalant sur ses intérêts et ses droits et libertés ;
  • si les données à caractère personnel ont fait l'objet d'un traitement illicite.

Le Conseil d’État considère que les données figurant sur les registres des baptêmes ne font pas l’objet d’un traitement illicite et que leur conservation est nécessaire à l’Église. Ces documents non dématérialisés ne sont en effet accessibles qu'aux intéressés pour les mentions qui les concernent, ainsi qu'aux ministres du culte et aux personnes œuvrant sous leur autorité, dans une finalité de suivi du parcours religieux des personnes baptisées et de l'établissement éventuel d'actes ultérieurs dans le cadre de l'administration du culte catholique.

Ces données ne sont pas accessibles à des tiers et les registres sont conservés dans un lieu clos, avant, au terme d'un délai de 120 ans, d'être versés aux archives historiques du diocèse.

Par ailleurs, le Conseil d’État a indiqué que la mention des données personnelles sur le registre des baptêmes n'est pas fondée sur le consentement de la personne baptisée et qu’une demande d’effacement de baptême ne peut donc pas se fonder sur un retrait de ce consentement.

Enfin, le Conseil d’État a jugé que l'intérêt qui s'attache, pour l'Église, à la conservation des données personnelles relatives au baptême figurant dans le registre, doit être regardé comme un motif légitime impérieux, prévalant sur l'intérêt moral du demandeur à demander que ces données soient définitivement effacées.

En définitive, le Conseil d’État considère que l’apposition sur le registre des baptêmes d’une mention selon laquelle la personne baptisée a fait valoir sa volonté de renoncer à tout lien avec la religion catholique est suffisante pour assurer le respect de ses données personnelles et que la mention du baptême intervenu par le passé est indispensable à la vie de l’Église.

Celui qui, comme Jésus, a été baptisé (Matthieu 3, 11-17) ne peut donc pas obtenir en justice de contraindre l’Église à effacer son nom du registre des baptêmes.

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