Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon
Ligne directe : 07.80.99.23.28
contact@sisyphe-avocats.fr
Le Conseil constitutionnel a donc particulièrement insisté sur l’absence du juge dans les mécanismes de contrôle prévus par la loi « Avia », à laquelle il reproche donc la privatisation du contrôle de la liberté d’expression. Pour le Conseil constitutionnel, le pouvoir judiciaire doit donc conserver le monopole du contrôle de cette liberté, qui ne peut pas être délégué à des opérateurs privés comme les gestionnaires de réseaux sociaux.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel constate le caractère impraticable de la loi « Avia », avec des délais trop courts et des sanctions déraisonnables dès le premier manquement. Ces mécanismes excessifs ne peuvent en effet que conduire à un excès de prudence des opérateurs de plateforme en ligne à retirer tous les contenus qui leur seraient signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites selon le juge constitutionnel : la loi « Avia » portait en son sein un risque d’atteintes généralisées à la liberté d’expression.
Cette décision doit nous amener à réfléchir sur la place du juge constitutionnel dans le processus législatif, dans le respect de la séparation des pouvoirs. Combien d’heures et de jours perdus par le législateur pour une loi finalement balayée par le juge constitutionnel ? La loi « Avia » devra nous servir collectivement de contre-exemple. Une réflexion sur la saisine pour avis du Conseil constitutionnel en amont du travail parlementaire sur les lois ordinaires pourrait être très utile.
Si le Président Emmanuel Macron venait à démissionner au cours de son second mandat, par exemple après les élections législatives anticipées ou en cas de majorité introuvable à l’Assemblée nationale et de crise politique, c’est le Conseil constitutionnel qui constaterait la vacance de la Présidence de la République.
Le second mandat du Président Macron s’achèverait donc instantanément de manière anticipée et les fonctions de Président de la République seraient temporairement exercées par le Président du Sénat Gérard Larcher.
Le scrutin pour l’élection du nouveau Président aurait alors lieu 20 jours au moins et 50 jours au plus après l’ouverture de la vacance.
D’autres conséquences peuvent être relevées :
Historiquement, la démission d’un Président de la République ne s’est présentée une seule fois avec la célèbre démission du Général de Gaulle le 28 avril 1969 à la suite du référendum perdu sur la régionalisation et l’élection subséquente de Georges Pompidou. Le Président du Sénat Alain Poher avait alors assumé les fonctions de Président de la République par intérim pendant 1 mois et 23 jours :
La requête des enseignants-chercheurs était appuyée par le ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, qui concluait aux mêmes fins que les requérants.
Ils faisaient notamment valoir que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 était contraire :
En défense, un certain nombre de collectifs étudiants (AGE-UNEF, CJES, Solidaires Etudiants Paris 1) et de syndicats (CGT) concluaient au rejet de la requête.
Ils estimaient que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 était parfaitement légale compte tenu du contexte particulier de l’épidémie de covid-19, faisant notamment valoir que l’inégalité numérique entre les étudiants rendait impossible l’égalité de traitement entre les candidats.
Par une ordonnance du 20 mai 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours des enseignants-chercheurs de l’université Paris 1, en considérant que le doute sérieux quant à la légalité des délibérations de la CFVU n’était pas établi en l’espèce.
Pour parvenir à cette décision, le juge administratif a considéré que les circonstances liées à la pandémie de covid-19 ne permettaient pas l’organisation d’examens en présentiel mais, et c’est plus surprenant, pas non plus à distance.
Cette appréciation portée par le juge administratif repose principalement sur une enquête interne menée à l’université Paris I qui démontrerait que de nombreux étudiants n’auraient pas encore accès aux moyens leur permettant de bénéficier de l’enseignement à distance : « seuls 73 % des étudiants disposent d’un équipement informatique personnel et 40 % ne s’estiment pas en mesure de subir des épreuves à distance en un temps réduit ».
Par ailleurs, le juge a balayé d’une phrase les autres moyens soulevés par les requérants : « les moyens tirés (…) de la méconnaissance du principe d’indépendance des jurys et leur souveraineté, ainsi que de la méconnaissance du principe à valeur constitutionnelle d’indépendance des enseignants-chercheurs ne sont pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des délibérations contestées ».
Cette solution n’avait pourtant rien d’évident.
Il faut en effet rappeler, et c’est très important, qu’en matière de référé, le doute sérieux sur la légalité d’une décision administrative suffit au juge pour ordonner la suspension de la mesure, et non pas la preuve définitive de l’illégalité.
A minima, le Tribunal administratif de Paris aurait pu considérer qu’un doute sérieux était caractérisé en l’espèce quant à la légalité des délibérations contestées de la CFVU.
La neutralisation des notes inférieures à 10/20 pose en effet une vraie question juridique, qu’il appartiendra au juge administratif de trancher au fond, et si la question n’a pas encore été réglée en jurisprudence, les moyens avancés par les enseignants-chercheurs apparaissent comme sérieux.
Le moyen tiré de la violation de l’article L. 613-1 du code de l’éducation, selon lequel les modalités de contrôle des aptitudes et d'acquisition des connaissances ne peuvent pas être modifiées en cours d’année universitaire était facile à écarter, l’ordonnance n°2020-351 du 27 mars 2020 ayant précisément pour objet de déroger à cette disposition compte tenu de l’épidémie de covid-19.
Mais en revanche, est solidement ancré en jurisprudence le principe de souveraineté des jurys d’examen : les jurys délibèrent souverainement à partir de l'ensemble des résultats obtenus par les candidats, ce qui implique, en amont de la délibération, un pouvoir souverain de notation de la part de l'enseignant. L’appréciation portée par un jury d’examen sur les mérites des candidats ne peut ainsi pas être utilement discutée au contentieux (CE, 17 juillet 2009, n°311972 ; CE, 8 octobre 2008, n°309017). Il est indéniable que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 à l’université interfère avec ce principe de souveraineté du jury d’examen.
Par ailleurs, la motivation de la décision rendue par le Tribunal administratif en référé apparaît juridiquement faible, car reposant sur une seule enquête interne à l’université dépourvue par nature de toute valeur juridique. Précisément, le résultat d’un sondage selon lequel certains étudiants « ne s’estiment pas » en mesure de subir des épreuves à distance ne permet pas de fonder juridiquement une délibération de neutralisation de toutes les notes inférieures à 10/20 : il n’appartient pas aux étudiants de décider eux-mêmes des modalités de contrôle des aptitudes et d'acquisition des connaissances à l’université, encore moins via un sondage.
Les conclusions de la seule enquête interne sur laquelle s’est appuyé le juge administratif pour rendre sa décision surprenante sont par ailleurs très contestables, dans la mesure où de très nombreuses universités françaises ont pu valablement organiser des examens à distance pendant l’épidémie de covid-19 et que chaque enseignant a pu constater la grande facilité avec laquelle les étudiants ont pu suivre les cours et préparer leurs exercices à distance : les nouveaux outils numériques d’enseignement sont indénombrables, d’une facilité d’utilisation déconcertante et un simple smartphone suffit.
D'autant plus que l'ordonnance "covid-19" prévoit précisément la possibilité d'organiser des examens dématérialisés à distance, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats : "S'agissant des épreuves des examens ou concours, ces adaptations peuvent porter, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats, sur leur nature, leur nombre, leur contenu, leur coefficient ou leurs conditions d'organisation, qui peut notamment s'effectuer de manière dématérialisée" (article 2 de l'ordonnance).
La neutralisation des notes inférieures à la moyenne est enfin peu compréhensible :
Elle introduit en outre une discrimination difficilement acceptable entre les étudiants en fonction des résultats obtenus, au détriment des étudiants ayant obtenu une note supérieure à 10/20. Cette inégalité de traitement entre les étudiants est susceptible d’entacher d’illégalité les délibérations qui étaient contestées.
Le doute sérieux sur la légalité de la neutralisation des notes inférieures à 10/20 à l’université Paris-1 paraissait donc a minima établi, et le Tribunal administratif de Paris aurait donc pu par prudence suspendre l’exécution des délibérations contestées.
L’affaire va en tout état de cause prochainement rebondir et revenir devant le juge administratif.
Par un arrêté du 25 mai 2020, le recteur de la région académique d’Île-de-France a en effet suspendu l’exécution des délibérations contestées, et annoncé saisir lui-même le Tribunal administratif au visa de l'article L. 719-7 du code de l 'éducation (procédure rare de déféré rectoral). Cet article lui permet en effet de saisir le juge d'une demande tendant à l'annulation des décisions ou délibérations des autorités des universités qui lui paraissent entachées d'illégalité, le tribunal devant alors statuer « d'urgence ».
En parallèle, le recours en cassation dirigé contre l’ordonnance de référé du Tribunal administratif de Paris du 20 mai 2020 est possible dans les 15 jours devant le Conseil d'État, qui doit alors statuer « dans les meilleurs délais ».
Espérons que le juge administratif pourra trancher cette question sur des bases juridiques plus solides que la décision surprenante rendue en référé par le Tribunal administratif de Paris, dans l’intérêt de tous les étudiants, qui ont tous et tout à perdre à la dévalorisation de leur diplôme.
L'ordonnance n°2020-562 du 13 mai 2020 liée à l'épidémie de covid-19 va plus loin en ajoutant que le conseil municipal peut même décider de se réunir dans un lieu situé hors du territoire de la commune compte tenu du contexte sanitaire, mais tout en rappelant que ce lieu ne doit pas contrevenir pas au principe de neutralité.
De la même manière, conformément à la loi du 25 janvier 1907 portant sur l’exercice public du culte et à la loi du 9 décembre 1905, les églises sont mises à la disposition du clergé et des fidèles et sont affectées exclusivement au culte. Tout autre usage est hors de la légalité, ce principe étant d’ordre public ce que le Conseil d’État a jugé à plusieurs reprises (CE, 1er mars 1912, Commune de Saint-Dézéry ; CE 25 août 2005 Commune de Massat, n° 284307).
La réunion d’un conseil municipal dans une église, même justifiée par un contexte extraordinaire d’épidémie contrevient donc directement aux dispositions légales applicables en matière de neutralité des édifices publics, qui a pour corollaire le principe de laïcité.
Ce que n’a pas manqué de relever le Préfet du Calvados, qui a déjà fait connaître son intention de faire annuler la première délibération issue de ce conseil municipal illégal : un déféré préfectoral sera probablement exercé afin de saisir le tribunal administratif de Caen.
Cette affaire rappelle d’autres actualités récentes que nous avions relevées, comme le maire de Morbecque qui avait apposé illégalement un gilet jaune géant sur la façade de sa commune, ou encore le président de l’Assemblée nationale qui avait de la même manière illégalement apposé un drapeau homosexuel sur la façade de l’Assemblée nationale à l’occasion de la fête dite « des fiertés ».
Le principe de neutralité applicable aux édifices publics vise précisément à éviter un tel mélange des genres et une instrumentalisation des biens communs au profit de revendications militantes.
- Le nouveau délai de recours contre les élections municipales 2020 est porté au vendredi 3 juillet 2020 au plus tard - Le recours doit être porté devant le Tribunal administratif de ressort - L'argument de l'abstention lié au contexte de covid-19 ne sera pas seul suffisant pour annuler l'élection, mais pourra être utilisé - Tous les électeurs, élus, éligibles, candidats peuvent agir Vous souhaitez contester les résultats des élections municipales 2020 dans votre commune ? Utilisez notre formulaire spécial. |
Ce faisant, le Premier ministre peut légalement porter atteinte, de manière mesurée, aux libertés fondamentales au nom de l’impératif de protection de la santé publique, composante sanitaire de l’ordre public.
Dans ce cadre, compte tenu de l’émergence du nouveau coronavirus (covid-19) particulièrement contagieux, le Premier ministre a pris un décret n°2020-548 du 11 mai 2020 venant encadrer de manière particulièrement stricte les établissements de culte (ERP de catégorie V) :
« Les établissements de culte, relevant du type V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit. / Les cérémonies funéraires sont autorisées dans la limite de vingt personnes, y compris dans les lieux mentionnés à l'alinéa précédent. ».
Le décret du 11 mai 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie de covid-19 interdisait donc de manière absolue tout rassemblement ou réunion au sein des établissements de culte jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.
Considérant que ce décret portait atteinte à la liberté de culte, des associations religieuses catholiques comme Civitas et un certain nombre de croyants ont saisi le Conseil d’État en urgence, lui demandant d’en suspendre l’exécution et d’enjoindre au Premier ministre de lever cette interdiction pour tous les cultes.
La procédure de référé-liberté permet en effet au juge des référés de se prononcer très rapidement sous 48H et d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale » à condition qu’il lui soit démontré (article L521-2 du code de justice administrative) :
Par une ordonnance du 18 mai 2020, le Conseil d’État a donné raison aux requérants en enjoignant au Premier ministre de modifier, dans un délai maximum de 8 jours le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, pour encadrer, et non pas interdire, les rassemblements et réunions dans les établissements de culte.
C’est une décision bienvenue.
Pour parvenir à une telle solution, la Haute juridiction a pris en compte et rappelé de nombreux éléments.
En premier lieu, le Conseil d’État a considéré que la condition d’urgence était remplie compte tenu :
De manière surprenante, les pouvoirs publics n’avaient même pas contesté cette situation d’urgence dans le cadre de leur défense.
En deuxième lieu, le Conseil d’État a rappelé que la liberté du culte présentait le caractère d’une liberté fondamentale pouvant justifier un référé-liberté, ce qui n’est pas nouveau dans sa jurisprudence (CE, ord., 16 février 2004, Benaissa, n°264314).
Mais plus encore, et c’est le plus important, la Haute juridiction a précisé que cette liberté ne se limitait pas au droit de tout individu d’exprimer individuellement les convictions religieuses de son choix, mais qu’elle comportait également, parmi ses « composantes essentielles », le droit de « participer collectivement (…) à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte ».
Par le passé, le Conseil d’État avait d’ailleurs déjà pu juger que la « possibilité d'exprimer dans des formes appropriées ses convictions religieuses » constituait une liberté fondamentale (CE, ord., 7 avril 2004, Kilicikesen, n°266085).
En troisième lieu, confrontant les principes à la situation d’espèce, le Conseil d’État a considéré que le Premier ministre avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte par son décret du 11 mai 2020.
Le Conseil d’État n’a pas nié la nécessité pour le Premier ministre d’encadrer les établissements de culte compte tenu de l’épidémie, mais lui reproche d’avoir posé une interdiction trop générale et trop absolue dans le nouveau contexte issu du déconfinement.
Dans un État de droit, la liberté est la règle, et la restriction de police l’exception (CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855). Les pouvoirs publics doivent donc toujours concilier l’exercice des libertés fondamentales avec l’impératif de protection de l’ordre public en trouvant un point d’équilibre. Pour qu’une mesure de police soit légale, il faut ainsi qu’elle tende à maintenir l’ordre public par les moyens les moins rigoureux possible (CE, 21 janvier 1994, Commune de Dammarie-Les-Lys, n° 120043) et qu’elle ne porte pas une atteinte excessive aux libertés fondamentales (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413).
Le Conseil d’État a jugé que l’intervention du Premier Ministre était nécessaire pour encadrer les établissements de culte dans la mesure où :
Mais dans le même temps le Conseil d’État a jugé que le décret du Premier Ministre était excessif dans la mesure où :
Il en résulte, selon le Conseil d’État, que l’interdiction générale et absolue imposée par le décret contesté de tout rassemblement ou réunion dans les établissements de culte présente un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique. Cette interdiction constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.
Dans ces conditions, le Conseil d’État enjoint au Premier ministre de modifier, dans un délai maximum de 8 jours le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, pour encadrer, et non pas interdire, les rassemblements et réunions dans les établissements de culte.
C’est un signal fort envoyé par le Conseil d’État aux pouvoirs publics par cette décision.
En rappelant le principe de la proportionnalité de la mesure de police, même en période exceptionnelle d’épidémie, le Conseil d’État remet l’Église au milieu du village.
D’autant plus qu’en défense, le ministre de l’Intérieur avait fait valoir qu’aucune atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte ne pouvait être caractérisée puisque les établissements de culte étaient autorisés par le décret contesté à rester ouverts : seuls les rassemblements et réunions en leur sein étant interdit.
En rappelant que la liberté de culte ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer individuellement les convictions religieuses de son choix, mais qu’elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement à des cérémonies, le Conseil d’État fait également œuvre utile.
On peut toutefois regretter l’analogie faite par la Haute juridiction entre la situation des établissements de culte et celle des magasins et centres commerciaux : les français ne se rendent pas à la messe comme au supermarché, et si elle est dénuée d’impact économique, la vie spirituelle n’en est pas moins essentielle pour la Nation.
Enfin, on se gardera d’analyser la décision commentée comme un blanc-seing donné par le Conseil d’État à tous les rassemblements dans les établissements de culte. Le rassemblement évangélique irresponsable de Mulhouse relevé dans la décision doit servir de leçon et de contre-exemple.
Il appartient désormais aux pouvoirs publics de trouver le juste curseur pour encadrer sous huitaine les rassemblements et réunions dans les établissements de culte afin de contenir l’épidémie, dans le respect de l’exercice de la liberté de culte.
Décision commentée : CE, ord., 18 mai 2020, M. W... et autres, n°440366 et suivants
Mais cette liberté n’est pas infinie, comme le montrent les deux limites fixées par ces articles de valeur constitutionnelle : l’ordre public établi par la loi, et l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
Historiquement, un délit d’offense au chef de l’État avait été créé par l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Puni de 45 000 euros d’amende, mais tombé en désuétude sous la Vème République, ce délit a été abrogé par la loi du 5 août 2013 suite à un arrêt célèbre de la Cour européenne des droits de l’Homme condamnant la France (affaire dite de l’affichette « Casse-toi pov' con »).
Mais l’abrogation du délit d’offense au chef de l’État n’est pas pour autant un blanc-seing donné pour insulter librement le Président depuis lors.
Les banderoles anti-Macron (ou ciblant tout autre chef d’État français en exercice) entrent en effet parfaitement dans la qualification pénale de l’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique défini à l’article 433-5 du code pénal :
« Constituent un outrage puni de 7 500 euros d'amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie. Lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique, l'outrage est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
En outre, comme le relevait le Professeur Olivier Beaud auteur d’un livre remarqué sur la question (L'Express), le chef de l’État est protégé de l’injure et de la diffamation publique comme tout citoyen ordinaire (articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). Autant de qualifications pénales pouvant être mobilisées pour sanctionner les contrevenants. Associer le nom du Président Macron à un virus responsable d'une pandémie très meurtrière relève en effet indéniablement a minima de l'injure.
D’origine législative, ces articles du code pénal et de la loi sur la liberté de la presse doivent être regardés comme des limites légitimes et indispensables à la liberté constitutionnelle d’expression, posées par la loi.
Bien évidemment, les sanctions posées par le code pénal et la loi sur la liberté de la presse constituent des plafonds rarement appliqués par les tribunaux, et destinés à être modulés en fonction du passé pénal ou des motivations des individus interpellés. Dans le cas de l’affaire « Casse-toi pov' con », le militant socialiste qui avait brandi une affichette insultant le Président Sarkozy à Laval avait par exemple été condamné à seulement 30 euros d’amende avec sursis (Le Figaro).
Alors non, il n’est pas possible juridiquement d’insulter impunément le Président de la République, même par le biais de slogans apposés à la fenêtre de son appartement, qu’on soit ou non d’accord avec la politique menée. Se garder toujours de l'écueil relevé par Paul Valéry "Qui ne peut attaquer le raisonnement attaque le raisonneur".
En revanche, l'agent qui abuse du droit de retrait en l'exerçant dans une situation qui ne le justifie pas s'expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement pour abandon de poste.
La question est donc la suivante : la reprise des classes imposée à partir du 11 mai aux enseignants constitue-t-elle une situation de danger grave et imminent justifiant leur droit de retrait compte tenu de la circulation active du coronavirus covid-19 sur notre territoire ?
Deux hypothèses semblent devoir être distinguées :
Le juge administratif examinera le cas échéant la légalité du retrait d’un agent au cas par cas au regard de l’importance et de la réalité des mesures prises par l’administration et de la pathologie invoquée.
Mais le fait d’imposer à tous les enseignants de reprendre le travail le 11 mai n’est pas sans risque pour l’État.
Il est intéressant de rapprocher la situation actuelle de reprise des classes pendant l’épidémie de coronavirus covid-19 d’un précédent jurisprudentiel rendu par le Conseil d’État le 6 novembre 1968.
Le contexte était alors le suivant : l’État maintient les classes pour tous ses agents sans distinction pendant une épidémie de rubéole qui frappe la ville de Sancerre aux mois de mai et juin 1951 et dont ont connaissance les pouvoirs publics.
Une institutrice des cours préparatoire et élémentaire à l’école des filles de Sancerre, Madame Saulze, est donc maintenue en poste comme tous les agents alors même qu’elle est enceinte. Son enfant Pierre va naître avec de graves infirmités par la suite (diminution de l’activité rétinienne et surdité). Le Conseil d’État jugera alors que :
Il en résulte que l’État peut engager sa responsabilité sans faute au regard d’agents publics qu’il aurait maintenu en fonction sans considération de leurs particularités (théorie de la « situation dangereuse » engageant la responsabilité sans faute pour risque de l’État).
Par hypothèse, la responsabilité de l’État pourrait donc être engagée si le ministre de l’Éducation nationale s’oppose à l’exercice légitime du droit de retrait d’un agent « à risque » en le maintenant coûte que coûte en classe pendant l’épidémie de coronavirus covid-19 si ce dernier venait malheureusement à contracter la maladie en service. Se posera toutefois pour l’agent ou ses ayants droit la question de la preuve puisqu’il faudra démontrer au juge le lien avec le service.
Même dans l’hypothèse d’une épidémie comme le coronavirus covid-19, le droit de retrait ne doit donc pas être exercé à la légère par les enseignants à partir du 11 mai prochain. Mal utilisé et portant atteinte au principe de continuité du service public, il expose les agents à des sanctions disciplinaires et peut ajouter de la crise à la crise en paralysant la vie sociale et économique du pays après le confinement.
En revanche, l’État devra veiller à protéger ses agents les plus vulnérables, sauf à risquer de voir sa responsabilité engagée.
INTERVENtions PRESSE