La requête des enseignants-chercheurs était appuyée par le ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, qui concluait aux mêmes fins que les requérants.
Ils faisaient notamment valoir que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 était contraire :
En défense, un certain nombre de collectifs étudiants (AGE-UNEF, CJES, Solidaires Etudiants Paris 1) et de syndicats (CGT) concluaient au rejet de la requête.
Ils estimaient que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 était parfaitement légale compte tenu du contexte particulier de l’épidémie de covid-19, faisant notamment valoir que l’inégalité numérique entre les étudiants rendait impossible l’égalité de traitement entre les candidats.
Par une ordonnance du 20 mai 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours des enseignants-chercheurs de l’université Paris 1, en considérant que le doute sérieux quant à la légalité des délibérations de la CFVU n’était pas établi en l’espèce.
Pour parvenir à cette décision, le juge administratif a considéré que les circonstances liées à la pandémie de covid-19 ne permettaient pas l’organisation d’examens en présentiel mais, et c’est plus surprenant, pas non plus à distance.
Cette appréciation portée par le juge administratif repose principalement sur une enquête interne menée à l’université Paris I qui démontrerait que de nombreux étudiants n’auraient pas encore accès aux moyens leur permettant de bénéficier de l’enseignement à distance : « seuls 73 % des étudiants disposent d’un équipement informatique personnel et 40 % ne s’estiment pas en mesure de subir des épreuves à distance en un temps réduit ».
Par ailleurs, le juge a balayé d’une phrase les autres moyens soulevés par les requérants : « les moyens tirés (…) de la méconnaissance du principe d’indépendance des jurys et leur souveraineté, ainsi que de la méconnaissance du principe à valeur constitutionnelle d’indépendance des enseignants-chercheurs ne sont pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des délibérations contestées ».
Cette solution n’avait pourtant rien d’évident.
Il faut en effet rappeler, et c’est très important, qu’en matière de référé, le doute sérieux sur la légalité d’une décision administrative suffit au juge pour ordonner la suspension de la mesure, et non pas la preuve définitive de l’illégalité.
A minima, le Tribunal administratif de Paris aurait pu considérer qu’un doute sérieux était caractérisé en l’espèce quant à la légalité des délibérations contestées de la CFVU.
La neutralisation des notes inférieures à 10/20 pose en effet une vraie question juridique, qu’il appartiendra au juge administratif de trancher au fond, et si la question n’a pas encore été réglée en jurisprudence, les moyens avancés par les enseignants-chercheurs apparaissent comme sérieux.
Le moyen tiré de la violation de l’article L. 613-1 du code de l’éducation, selon lequel les modalités de contrôle des aptitudes et d'acquisition des connaissances ne peuvent pas être modifiées en cours d’année universitaire était facile à écarter, l’ordonnance n°2020-351 du 27 mars 2020 ayant précisément pour objet de déroger à cette disposition compte tenu de l’épidémie de covid-19.
Mais en revanche, est solidement ancré en jurisprudence le principe de souveraineté des jurys d’examen : les jurys délibèrent souverainement à partir de l'ensemble des résultats obtenus par les candidats, ce qui implique, en amont de la délibération, un pouvoir souverain de notation de la part de l'enseignant. L’appréciation portée par un jury d’examen sur les mérites des candidats ne peut ainsi pas être utilement discutée au contentieux (CE, 17 juillet 2009, n°311972 ; CE, 8 octobre 2008, n°309017). Il est indéniable que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 à l’université interfère avec ce principe de souveraineté du jury d’examen.
Par ailleurs, la motivation de la décision rendue par le Tribunal administratif en référé apparaît juridiquement faible, car reposant sur une seule enquête interne à l’université dépourvue par nature de toute valeur juridique. Précisément, le résultat d’un sondage selon lequel certains étudiants « ne s’estiment pas » en mesure de subir des épreuves à distance ne permet pas de fonder juridiquement une délibération de neutralisation de toutes les notes inférieures à 10/20 : il n’appartient pas aux étudiants de décider eux-mêmes des modalités de contrôle des aptitudes et d'acquisition des connaissances à l’université, encore moins via un sondage.
Les conclusions de la seule enquête interne sur laquelle s’est appuyé le juge administratif pour rendre sa décision surprenante sont par ailleurs très contestables, dans la mesure où de très nombreuses universités françaises ont pu valablement organiser des examens à distance pendant l’épidémie de covid-19 et que chaque enseignant a pu constater la grande facilité avec laquelle les étudiants ont pu suivre les cours et préparer leurs exercices à distance : les nouveaux outils numériques d’enseignement sont indénombrables, d’une facilité d’utilisation déconcertante et un simple smartphone suffit.
D'autant plus que l'ordonnance "covid-19" prévoit précisément la possibilité d'organiser des examens dématérialisés à distance, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats : "S'agissant des épreuves des examens ou concours, ces adaptations peuvent porter, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats, sur leur nature, leur nombre, leur contenu, leur coefficient ou leurs conditions d'organisation, qui peut notamment s'effectuer de manière dématérialisée" (article 2 de l'ordonnance).
La neutralisation des notes inférieures à la moyenne est enfin peu compréhensible :
Elle introduit en outre une discrimination difficilement acceptable entre les étudiants en fonction des résultats obtenus, au détriment des étudiants ayant obtenu une note supérieure à 10/20. Cette inégalité de traitement entre les étudiants est susceptible d’entacher d’illégalité les délibérations qui étaient contestées.
Le doute sérieux sur la légalité de la neutralisation des notes inférieures à 10/20 à l’université Paris-1 paraissait donc a minima établi, et le Tribunal administratif de Paris aurait donc pu par prudence suspendre l’exécution des délibérations contestées.
L’affaire va en tout état de cause prochainement rebondir et revenir devant le juge administratif.
Par un arrêté du 25 mai 2020, le recteur de la région académique d’Île-de-France a en effet suspendu l’exécution des délibérations contestées, et annoncé saisir lui-même le Tribunal administratif au visa de l'article L. 719-7 du code de l 'éducation (procédure rare de déféré rectoral). Cet article lui permet en effet de saisir le juge d'une demande tendant à l'annulation des décisions ou délibérations des autorités des universités qui lui paraissent entachées d'illégalité, le tribunal devant alors statuer « d'urgence ».
En parallèle, le recours en cassation dirigé contre l’ordonnance de référé du Tribunal administratif de Paris du 20 mai 2020 est possible dans les 15 jours devant le Conseil d'État, qui doit alors statuer « dans les meilleurs délais ».
Espérons que le juge administratif pourra trancher cette question sur des bases juridiques plus solides que la décision surprenante rendue en référé par le Tribunal administratif de Paris, dans l’intérêt de tous les étudiants, qui ont tous et tout à perdre à la dévalorisation de leur diplôme.
Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon
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