Le Conseil constitutionnel a censuré, ce jeudi 18 juin 2020, la quasi-totalité de la loi « Avia » contre les contenus haineux sur Internet (
décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020). Après une telle censure, le véhicule législatif est vidé de toute substance :
il ne reste rien de la loi « Avia », et c’est tant mieux.
La décision du Conseil constitutionnel, très claire et très pédagogique n’a pas surpris les juristes. En quelque sorte, le juge constitutionnel a rappelé que
la fin ne justifiait pas tous les moyens.
Le Conseil constitutionnel a tout d’abord réaffirmé solennellement le
principe de libre communication des pensées et des opinions (
A. 11 DDHC) : à l’ère numérique, ce droit implique la liberté de chacun d'accéder aux réseaux sociaux et de pouvoir s'y exprimer librement.
Le Conseil constitutionnel rappelle toutefois que
la liberté d'expression n’est pas absolue, les citoyens devant répondre de tout abus de cette liberté dans les conditions déterminées par la loi (
A. 11 DDHC).
Sur cette base, le juge constitutionnel a affirmé que
le législateur était légitime à intervenir pour faire cesser les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers (
A. 34 de la Constitution). Le Conseil constitutionnel a donc reconnu la légitimité de la loi « Avia » dans sa finalité... mais a sanctionné les modalités excessives qu’elle prévoyait pour y parvenir.
Le juge constitutionnel a en effet considéré que les atteintes portées à l'exercice de la liberté d'expression et de communication par la loi « Avia » n’étaient
ni nécessaires ni adaptées ni proportionnées à l'objectif poursuivi de lutte contre les abus :
- En laissant à des opérateurs privés de plateforme en ligne la responsabilité de juger du caractère haineux ou sexuel d’un contenu sur simple dénonciation (et non au juge) et de les retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de 24H seulement sous peine de sanction pénale, la loi est excessive ;
- En conférant à la seule administration (et non au juge) l’appréciation du caractère terroriste ou pédopornographique d'un contenu, la loi est excessive ;
- Le délai d'une heure seulement laissé par la loi à l'éditeur ou l'hébergeur du site pour retirer ou rendre inaccessible le contenu visé est trop court, car il ne lui permet pas d'obtenir une décision du juge avant d'être contraint de le retirer ;
- Les sanctions prévues pour les éditeurs et hébergeurs de sites sont excessives (un an d'emprisonnement et 250 000 euros d'amende).
Le Conseil constitutionnel a donc particulièrement insisté sur l’absence du juge dans les mécanismes de contrôle prévus par la loi « Avia », à laquelle il reproche donc la privatisation du contrôle de la liberté d’expression. Pour le Conseil constitutionnel, le pouvoir judiciaire doit donc conserver le monopole du contrôle de cette liberté, qui ne peut pas être délégué à des opérateurs privés comme les gestionnaires de réseaux sociaux.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel constate le caractère impraticable de la loi « Avia », avec des délais trop courts et des sanctions déraisonnables dès le premier manquement. Ces mécanismes excessifs ne peuvent en effet que conduire à un excès de prudence des opérateurs de plateforme en ligne à retirer tous les contenus qui leur seraient signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites selon le juge constitutionnel : la loi « Avia » portait en son sein un risque d’atteintes généralisées à la liberté d’expression.
Cette décision doit nous amener à réfléchir sur la place du juge constitutionnel dans le processus législatif, dans le respect de la séparation des pouvoirs. Combien d’heures et de jours perdus par le législateur pour une loi finalement balayée par le juge constitutionnel ? La loi « Avia » devra nous servir collectivement de contre-exemple. Une réflexion sur la saisine pour avis du Conseil constitutionnel en amont du travail parlementaire sur les lois ordinaires pourrait être très utile.