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La procédure de référé-liberté permet au juge des référés de se prononcer très rapidement sous 48H et d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale » à condition qu’il lui soit démontré[2] :
Par une ordonnance n°487891 du jeudi 7 septembre 2023, le Conseil d’État a donné raison au ministre et rejeté sur le fond, sans avoir à examiner la condition d’urgence, le référé introduit par l’association ADM[3].
Le Conseil d’État a jugé que la note de service du ministre n’emportait aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et validé la mesure en référé.
Pour parvenir à une telle solution, la haute juridiction administrative a pris en compte les éléments suivants.
L’association requérante faisait valoir que l’atteinte était caractérisée sur 3 libertés fondamentales : la vie privée, la liberté individuelle de porter une robe traditionnelle et le droit à l’éducation.
Ces moyens ont été balayés par le juge des référés.
En premier lieu, le Conseil d’État a rappelé que si la loi du 15 mars 2004 interdisait dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, elle autorisait à l’inverse le port de signes religieux « discrets » comme une croix, une main de fatma ou une étoile de David.
Dans ce cadre, le Conseil d’État a jugé que l’abaya et le qamis ne peuvent pas être regardés comme des signes religieux « discrets » au sens de la loi du 15 mars 2004 et qu’ils sont donc interdits à l’école.
En deuxième lieu, le juge administratif est allé plus loin en reprenant une définition de ces vêtements donnés à l’audience par le ministère : « les tenues de type abaya (…) un vêtement féminin couvrant l'ensemble du corps à l'exception du visage et des mains, ou qamis, son équivalent masculin ». Le Conseil d’État considère donc que la mesure prise par le ministre n’est pas imprécise, puisque les vêtements interdits sont parfaitement identifiables. Cette définition validée par le juge sera utile aux chefs d’établissements.
Enfin, le Conseil d’État s’est appuyé sur le fait que les signalements d'atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues religieux interdits dans les établissements d'enseignement publics ont connu une forte augmentation au cours de l'année scolaire 2022-2023, avec 1 984 signalements contre 617 au cours de l'année scolaire précédente. Cette évolution à la hausse étant clairement liée au port de l’abaya et du qamis à l’école selon le juge administratif.
Dans ces conditions, le Conseil d’État a pu déduire que le ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse n’avait porté aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l'éducation et au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ou au principe de non-discrimination comme le faisait valoir l’association requérante.
Le Conseil d’État a donc logiquement rejeté le référé liberté de l’association ADM.
En rejetant le référé au fond, le Conseil d’État n’a même pas eu à examiner la condition d’urgence, ce qui n’est pas surprenant.
Le Conseil d’État a donc jugé le 7 septembre 2023 que :
L’ordonnance du 7 septembre 2023 du Conseil d’État sur le sujet de l’abaya n’est pas surprenante.
En effet, de jurisprudence constante, le ministre dispose en qualité de chef de service d’un pouvoir réglementaire lui permettant, en l’absence de toute habilitation par une loi ou un décret, de prendre toutes mesures nécessaires à l’organisation de ses services[4].
C’est ce pouvoir qui permet notamment aux ministres de prendre des circulaires d’interprétation de textes législatifs.
La loi du 15 mars 2004[5] est claire, mais elle est volontairement imprécise : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
La loi fixe le cadre général et n’est pas faite pour prévoir à l’avance toutes les modes. C’est en revanche le rôle de ses textes d’application comme la note de service d’un ministre.
Par une circulaire du 18 mai 2004[6], le ministre de l’Éducation nationale avait déjà précisé que « le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive » devaient être regardés comme des signes religieux ostensibles interdits à l’école. On parle de signes religieux par nature.
Par la suite, la jurisprudence administrative a pu ajouter des interdictions sur des signes moins évidents comme un simple bandana. On parle alors de signes religieux par destination et c’est l’intention de l’élève qui prévaut :
« (…) après avoir relevé, par une appréciation souveraine des faits, que le carré de tissu de type bandana couvrant la chevelure de Mlle A était porté par celle-ci en permanence et qu'elle-même et sa famille avaient persisté avec intransigeance dans leur refus d'y renoncer, la cour administrative d'appel de Nancy a pu, sans faire une inexacte application des dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, déduire de ces constatations que Mlle A avait manifesté ostensiblement son appartenance religieuse par le port de ce couvre-chef, qui ne saurait être qualifié de discret, et, dès lors, avait méconnu l'interdiction posée par la loi (…) »[7].
Pour apprécier les intentions de l’élève, une phase de dialogue est prévue par les textes[8]. Les questions suivantes permettent aux chefs d’établissement d’arriver à une conclusion sur chaque cas particulier :
Il ne fait donc pas de doute que le ministre de l’Éducation nationale a la compétence juridique pour ajouter par note de service d’autres signes religieux par nature ou par destination dans la liste des signes interdits à l’école sur le fondement de la loi du 15 mars 2004 c’est-à-dire de la laïcité, sans violer les libertés fondamentales.
La légalité de l’interdiction de l’abaya à l’école est donc évidente sur le fondement de la loi du 15 mars 2004 telle qu’interprétée par le ministre qui a le pouvoir de compléter et préciser le texte. La procédure de dialogue prévue par le code de l’éducation permet par ailleurs que les droits des élèves et donc les libertés fondamentales soient respectées.
La réglementation du port des signes religieux à l’école est un sujet juridique assez simple en réalité, qui ne devient compliqué que quand des personnes qui, pour la plupart, ne connaissent pas les règles juridiques applicables, s’en emparent pour faire de la politique ou du prosélytisme.
L’ordonnance rendue le 7 septembre 2023 sur le sujet de l’abaya par le Conseil d’État ne clôt pas pour autant définitivement ce sujet. Il s’agit en effet d’une ordonnance rendue en référé, c’est-à-dire une décision provisoire d’urgence. Or un autre recours est possible contre la note de service du ministre : le recours au fond autrement appelé recours pour excès de pouvoir (REP) qui prend en moyenne plus d’un an à être jugé.
S’est déjà posée par le passé la question de la recevabilité d’un REP contre une note de service, qui est un texte juridique de plus faible valeur qu’un décret ou qu’une loi par exemple.
Le Conseil d’État a déjà tranché le point de la recevabilité du recours dirigé contre une note de service par une jurisprudence de principe. À l'instar de son raisonnement en matière de circulaires, le juge administratif a décidé que le recours contre une note de service est bel et bien recevable si elle contenait des dispositions impératives[9].
Il faut donc retenir que la note de service contenant des dispositions impératives est un acte susceptible d'être contesté devant le juge administratif.
Sur le sujet de l’abaya à l’école, il est certain que la note de service en date du 31 août 2023 du ministre de l'Éducation nationale contient des consignes impératives d’interdiction aux chefs d’établissement.
Un REP dirigé contre cette note de service sera donc recevable.
C’est le Conseil d’État qui sera compétent pour statuer en premier et dernier ressort en la matière, s’agissant d’un texte ministériel de portée générale et nationale[10].
À la suite du rejet de son référé liberté le 7 septembre 2023, il est probable que l’association ADM, une autre association ou même des parents d’élèves envisagent d’exercer un recours au fond contre le texte. Dans ce cas, le recours devra être exercé avant le 31 octobre 2023, le délai de recours étant de deux mois[11]. Le Conseil d’État statuera alors dans un délai assez long (sans doute plus d’un an).
Pour résumer, un recours au fond contre la note de service du ministre de l'Éducation nationale sur le sujet de l’abaya à l’école porté devant le Conseil d’État sera donc recevable sur le principe avant le 31 octobre 2023.
Ce qui ne veut pas dire que ce recours emportera l’annulation du texte…
Décision commentée : CE, ord., 7 septembre 2023, Association Action droits des musulmans, n°487891
[1] Bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse n° 32 du 31 août 2023
[2] Article L. 521-2 du code de justice administrative
[3] CE, ord., 7 septembre 2023, Association Action droits des musulmans, n°487891
[4] CE, 7 février 1936, Jamart, n° 43321
[5] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
[6] Circulaire du 18 mai 2004 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées public
[8] Article L. 141-5-1 du code de l’éducation
[9] CE, 13 octobre 2008, n°312088
[1] CE Ass. 14 décembre 2007 Planchenault n°290420 ; CE Ass. 14 décembre 2007 Garde des Sceaux ministre de la Justice c/ Boussouar n°290730
[2] CE, 18 décembre 2002, Mme Duvignères, n°233618 ; CE, 12 juin 2020, Groupe d’information et de soutien des immigrés, n°418142
De prime abord, la loi du 15 mars 2004[1] est assez claire : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».
Mais la loi ne donne aucune liste précise des signes et tenues interdites, car elle fixe la règle générale et n’est pas faite pour s’adapter à toutes les modes.
Pour certains signes religieux comme le voile islamique, la kippa ou le turban sikh, l’interdiction est évidente sur le fondement de la loi.
Mais pour d’autres tenues, c’est plus compliqué. En effet, des jeunes filles peuvent se présenter à l’école vêtues de longues robes sombres, d’abaya ou de bandanas. Est-ce bien autorisé ?
Dans le silence de la loi de 2004, la responsabilité est à ce jour laissée à chaque chef d’établissement qui doit apprécier, au cas par cas, si la tenue d’un élève peut être qualifiée de manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, ce qui n’est pas chose aisée.
En pratique, le chef d’établissement tient compte du comportement de l’élève, en mettant en œuvre la phase de dialogue prévue à l'article L. 141-5-1 du code de l’éducation. Les questions suivantes lui permettent d’arriver à une conclusion sur chaque situation particulière, au cas par cas :
Suivant les réponses, la tenue de l’élève sera autorisée ou pas, avec mise en œuvre d’une procédure disciplinaire le cas échéant.
Le Conseil d’État ne s’est jamais prononcé sur le sujet de l’abaya à ce jour par une jurisprudence de principe. En revanche, il a déjà validé une sanction d'exclusion définitive d’un établissement scolaire prononcée à l'encontre d’une élève qui refusait systématiquement d’ôter son bandana à l’entrée de l’école en considérant que ce comportement révélait une volonté de l’élève d’utiliser ce couvre-chef comme la manifestation d’une appartenance religieuse à l’école[2].
Sur le sujet de l’abaya, la situation n’est donc pas idéale pour les chefs d’établissement à ce jour, puisqu’ils doivent décider au cas par cas suivant chaque situation, sans harmonisation nationale donnée par le ministre de tutelle.
C’est ce qui peut changer avec la déclaration du ministre de l'Éducation nationale dimanche 27 août 2023.
2/ Le ministre de l'Éducation nationale peut préciser par circulaire les modalités d’application de la loi du 15 mars 2004 pour y inclure l’abaya
De jurisprudence constante, le ministre dispose en qualité de chef de service d’un pouvoir réglementaire lui permettant, en l’absence de toute habilitation par une loi ou un décret, de prendre toutes mesures nécessaires à l’organisation de ses services[3].
C’est ce pouvoir qui permet notamment aux ministres de prendre des circulaires d’interprétation de textes législatifs.
Gabriel Attal a annoncé dimanche 27 août 2023 son intention d’interdire l’abaya à l’école. Juridiquement, le ministre a la compétence pour prendre une circulaire en ce sens, sur le fondement de la loi du 15 mars 2004.
Il s’agira sans doute, pour le ministre, de donner clairement consigne aux chefs d’établissement dans le cadre de sa nouvelle circulaire de considérer l’abaya comme une tenue religieuse interdite en tant que telle par la loi du 15 mars 2004, comme le voile islamique, la kippa ou le turban sikh par exemple.
Ce serait donc la fin du cas par cas et tous les chefs d’établissements auraient consigne impérative de n’autoriser aucune abaya au sein des écoles, collèges et lycées publics.
Toutes les circulaires ne sont pas susceptibles de recours contentieux, notamment celles ne faisant que rappeler l’état du droit applicable. Mais si une circulaire était prise par le ministre pour interdire l’abaya à l’école, elle pourra être contestée devant le juge administratif, car elle contiendra des dispositions impératives[4].
Les groupements comme les syndicats de l'Éducation nationale ou les associations de parents d’élèves pourraient disposer d’un intérêt à agir suffisant pour contester directement la légalité d’une telle circulaire devant le Conseil d’État.
En revanche, un élève ne pourrait contester la légalité de cette circulaire que s’il faisait lui-même l’objet d’une procédure disciplinaire liée au port de l’abaya.
Saisi par un élève ou un groupement, le juge administratif devrait alors se prononcer sur la légalité de l’interdiction de l’abaya à l’école, voire sur sa constitutionnalité.
3/ Si la circulaire du ministre de l'Éducation nationale est imprécise, elle sera inutile, voire annulée par le juge administratif
Le ministre s’est à ce jour contenté d’annoncer son intention d’interdire l’abaya à l’école, sans qu’une circulaire n’ait encore été publiée en ce sens.
Il faudra être attentif à la rédaction de la circulaire à intervenir. C’est le point essentiel.
En effet, en l’absence de disposition législative en ce sens, il est interdit même au ministre de l'Éducation nationale d’encadrer de manière générale les tenues des élèves à l’école. Aucune loi n’impose en effet le port de l’uniforme à ce jour dans les établissements scolaires. Il n’est donc pas possible pour le ministre d’interdire par exemple aux filles le port de toutes les jupes longues et sombres à l’école. Une telle interdiction serait trop générale et trop absolue pour être autorisée.
La circulaire du ministre devra donc être précise et expliquer ce qui distingue l’abaya d’une longue robe sombre. À défaut, la circulaire sera inutile, puisqu’elle n’ajoutera rien à l’état du droit applicable à date.
Si la circulaire est trop vague, elle sera inutile. Si elle est trop large, elle sera annulée par le juge.
Le chemin est donc étroit pour le ministre de l'Éducation nationale qui devra expliquer en quoi l’abaya est une tenue spécifique qui la distingue de la longue robe sombre et la fait entrer dans le champ de la loi du 15 mars 2004.
Formulé autrement, le ministre devra expliquer concrètement ce qu’est une abaya dans sa circulaire pour que cette dernière ait une réelle portée juridique et modifie l’état du droit applicable sur ce sujet.
Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a fait savoir en juin 2023 que l’abaya ne devait pas être considérée comme une tenue cultuelle, mais culturelle[5]. Mais une déclaration du CFCM ne lie pas le ministre et ne constitue même pas une source de droit opposable. Le ministre et le juge administratif sont donc libres de leur appréciation sur ce sujet.
En l’état des textes applicables, rien ne s’oppose à ce que le ministre de l'Éducation nationale considère que l’abaya est une tenue religieuse interdite dans les établissements scolaires sur le fondement de la loi du 15 mars 2004, à condition qu’il donne précisément la définition de la religiosité de ce vêtement dans sa circulaire à intervenir.
Si tel est le cas, la circulaire du ministre sera à la fois légale et constitutionnelle, la Constitution rappelant en son article premier que la France est une République laïque et la loi du 15 mars 2004 interdisant sur ce fondement les tenues religieuses des élèves à l’école.
[1] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics
[2] CE, 5 décembre 2007, n°295671
[3] CE, 7 février 1936, Jamart, n° 43321
[4] CE, 18 décembre 2002, Mme Duvignères, n° 233618 ; CE, 12 juin 2020, Groupe d’information et de soutien des immigrés, n° 418142
Le décret du 21 juin 2023 pris en conseil des ministres[2] avait prononcé la dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.
Cet article permet de dissoudre toutes les associations ou groupements de fait « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ».
Il ne suffit pas de mentionner cet article dans un décret pour dissoudre un groupement de fait. Il faut également mentionner dans le décret des exemples précis allant dans le sens d’une provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents pour justifier de la dissolution prononcée.
En ce sens, le ministère de l’Intérieur avait étayé son dossier par une liste précise et très détaillée d’exemples à charge contre le groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » figurant au sein du décret.
Le ministère a ainsi rappelé dans le texte que le collectif « Les Soulèvements de la Terre » créé début 2021 autour d'un noyau dur de militants, tous issus de l'ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes et s’inspirant de la mouvance « black blocs » avait multiplié les actions violentes depuis lors, notamment s’agissant des « méga-bassines », de la retenue de substitution de Langon, l'occupation de plusieurs sites des groupes Lafarge et Eqiom, le sabotage des installations du port de Gennevilliers, la contestation des projets de retenues de substitution dans le marais poitevin, les affrontements à Sainte-Soline, etc.
Cette liste importante d’actions violentes menées par « Les Soulèvements de la Terre » a permis la dissolution en conseil des ministres de ce groupement de fait sur le fondement du code de la sécurité intérieure.
Il est possible de demander au juge administratif l’annulation d’un décret de dissolution, comme de tout acte administratif faisant grief, dans un délai de deux mois à compter à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée[3].
Cependant, ce recours dit « recours au fond » ou « recours en annulation » est long à être jugé en raison de l’encombrement de la justice administrative et du temps nécessaire pour examiner sérieusement un dossier complexe.
Il est donc possible de doubler ce recours au fond d’une procédure complémentaire plus rapide appelée le « référé suspension »[4].
Dans le référé suspension, le juge des référés ne peut pas annuler l’acte attaqué, mais seulement suspendre son exécution dans l’attente du jugement au fond.
Saisi d'une demande en ce sens, le juge administratif peut ainsi ordonner la suspension de l'exécution d’une décision administrative ou de certains de ses effets :
En l’espèce, « Les Soulèvements de la Terre » ont saisi le juge d’un premier recours en annulation de leur décret de dissolution. Compte tenu du délai de jugement, ce recours sera probablement jugé en fin d'année 2023 voire plus tard.
Afin d’obtenir une décision plus rapide, ils ont doublé leur recours le 28 juillet 2023 d’un référé suspension devant le Conseil d’État, dont l’ordonnance a été rendue rapidement le 11 août 2023.
C’est dans ce cadre que « Les Soulèvements de la Terre » ont contesté la dissolution qui leur avait été infligée par décret.
Afin de statuer en référé suspension, le Conseil d’État devait apprécier si deux conditions étaient réunies :
L’atteinte portée à l’exercice d’une liberté fondamentale permet traditionnellement d’établir une situation d’urgence en référé. Le Conseil d’État a donc considéré aisément en l’espèce que l’atteinte portée à la liberté d’association par l’exécution d’un décret prononçant la dissolution d’un groupement de fait comme « Les Soulèvements de la Terre » était constitutive d’une situation d’urgence. La première condition du référé suspension était donc remplie.
C’est la seconde condition qui était plus discutée, à savoir le doute sérieux quant à la légalité du décret de dissolution des « Soulèvements de la Terre ».
La question importante à juger en la matière était de savoir si « Les Soulèvements de la Terre » avaient provoqué « à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens », ce qui permet leur dissolution en application du code de la sécurité intérieure.
Pour trancher ce point, le Conseil d’État a opéré une distinction importante en deux temps entre les violences à l’encontre des personnes et les violences à l’égard des biens :
Selon le Conseil d’État, le groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » n’a donc pas provoqué « à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens » au sens du code de la sécurité intérieure. C'est le point essentiel, car leur dissolution n’était alors pas possible selon les juges du Palais Royal.
C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État a suspendu l’exécution du décret de dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » en référé jusqu’au jugement au fond du recours en annulation dirigé contre le décret du 21 juin 2023.
L’ordonnance rendue ce jour en faveur du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » par le Conseil d’État est surprenante, mais elle s’explique par la procédure applicable.
En effet, le juge des référés a très rapidement balayé l’argumentation de l’État des violences à l’encontre des personnes qui seraient cautionnées par « Les Soulèvements de la Terre », alors même que le décret de dissolution était illustré de très nombreux exemples qui ne sont pas repris au sein de l’ordonnance rendue ce jour.
De la même manière, le juge des référés a écarté les éléments de l’État destinés à démontrer les violences à l’égard des biens commises par les « Soulèvements de la Terre » par des qualifications euphémisantes comme des « initiatives de désobéissance civile » ou encore le « désarmement de dispositifs portant atteinte à l’environnement ». Ici encore, de nombreux exemples d’actions violentes chronologiquement répertoriées figuraient au sein du décret de dissolution du collectif et il est difficile de dire que toutes ces actions ont réellement été examinées par le juge de l’urgence.
La position du Conseil d’État s’explique sans doute par la nature même du référé suspension, qui est une procédure rapide ne permettant pas toujours d’aller au fond des dossiers. Elle n’en demeure pas moins surprenante, car le juge des référés a pris le risque de la suspension alors même qu’il pouvait attendre le jugement au fond. La suspension prononcée est en effet souvent plus engageante pour le juge que le simple rejet du recours : elle démontre qu’il a été convaincu par les arguments des « Soulèvements de la Terre » dans ce dossier.
Le recours au fond qui sera probablement jugé en fin d’année sur le décret de dissolution du groupement de fait les « Soulèvements de la Terre » sera l’occasion d’un examen plus approfondi des actions menées par le groupement de fait depuis sa création en 2021, qui n’a pas vraiment été mené par le juge des référés dans le cadre de son ordonnance du 11 août 2023. Il n’est pas certain que cette ordonnance soit confirmée par le juge du fond, qui tranchera définitivement et par un examen plus attentif la question de la légalité de la dissolution prononcée par l’État contre les « Soulèvements de la Terre ».
[1] CE, ordonnance du 11 août 2023, Les Soulèvements de la Terre et autres, n° 476385, 476396, 476409, 476948
[2] Décret du 21 juin 2023 portant dissolution d'un groupement de fait
Le 21 juin marque chaque année le coup d'envoi de l’été. C’est le moment d’enfiler vos claquettes-chaussettes et de foncer à la plage. Lieu de détente et de farniente, la plage est également le point de convergence de nombreuses problématiques juridiques, qu’il serait imprudent d’ignorer.
Je me propose de démêler le vrai du faux en la matière pour sécuriser vos vacances, sur la base de la série d’affirmations suivantes :
« Je peux dormir à la belle étoile sur la plage »
« Je peux faire un feu le soir sur la plage »
« Je peux faire la fête le soir sur la plage »
« Je peux bronzer topless sur la plage »
« Je peux emmener mon animal à la plage avec moi »
« J’ai le droit de m’alcooliser sur la plage »
« Je suis obligé de porter le masque à la plage »
« Je peux réserver ma place à l’avance sur la plage en déposant une serviette »
« Je peux avoir des relations sexuelles discrètes à la plage »
« Je peux utiliser librement mon drone à la plage »
« Je peux me baigner en burkini à la plage »
« On peut m'interdire l'accès à une plage sous prétexte qu'elle est privée »
« Il me faut un permis B pour louer un jet ski ou un petit bateau »
« Je peux écouter de la musique / jouer au ballon / avec un cerf-volant / avec un énorme matelas pneumatique… »
« La mairie est responsable si j'attrape une maladie à la suite d'une baignade »
« J’ai le droit de pêcher depuis la jetée / ramasser tous les coquillages trouvés sur la plage »
« Toute plage doit mettre à disposition un point d'eau douce »
« Un maître-nageur sauveteur ne peut m’interdire de me baigner, ce n’est pas dans ses attributions »
« J'ai le droit de traverser une propriété privée lors d'une promenade en bord de mer »
« Je risque une amende si je laisse des déchets/mes mégots sur le sable »
« La baignade peut être interdite en raison de la pollution »
« J’ai le droit de fumer du cannabis à la plage »
« J’ai le droit de me baigner dans le port »
« J’ai le droit de ramasser du sable, des galets et des bouts de bois sur la plage pour les ramener chez moi »
« Les douches de plage peuvent être arrêtées en raison de la sécheresse »
[2] Même article
Le Conseil constitutionnel coche toutes ces cases. Il a été créé en 1958 en même temps que la Constitution de la Ve République dont il est le gardien. Il présente toutes les garanties nécessaires à son indépendance.
L’indépendance du Conseil constitutionnel est parfaitement garantie par sa composition, puisque c’est un organe collégial de neuf membres. Si son Président a voix prépondérante en cas de partage, il ne décide pas seul de la position prise par le Conseil, votée en collégialité.
Le mandat des Sages dure neuf ans et n’est pas renouvelable[1] ce qui est un gage supplémentaire d’indépendance. La durée des fonctions excède en effet le quinquennat présidentiel et le Sage nommé n’a pas d’intérêt à chercher à plaire à l’autorité de nomination puisque ses fonctions ne peuvent pas être renouvelées.
De plus, le pouvoir de nomination est dilué, c’est-à-dire que ce n’est pas la même personne qui nomme tous les membres du Conseil constitutionnel, mais trois autorités différentes, à savoir le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat qui nomment chacun trois membres[2]. Le Conseil n’est donc à la main ni à l’image de personne, d’autant plus qu’il n’est jamais intégralement renouvelé, mais que le renouvellement des membres s’opère par tiers tous les trois ans.
Avant d’entrer en fonction, les Sages jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution, de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique et de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence du Conseil[3]. Il existe tellement d’incompatibilités de fonctions fixées par les textes[4], que les Sages doivent en pratique se consacrer uniquement à leur mandat pendant neuf ans, sans faire de politique. En cas de difficulté, la démission d’office d’un membre peut être votée en interne[5].
Certains de ses détracteurs soulignent une composition politique du Conseil constitutionnel. Il est vrai que des politiques siègent en son sein : Laurent Fabius nommé par François Hollande, Alain Juppé nommé par Richard Ferrand, Jacques Mézard et Jacqueline Gourault nommés par Emmanuel Macron. Mais ces politiques, qui ne représentent pas la majorité des Sages, représentent des sensibilités politiques différentes : le parti socialiste, les républicains, le parti radical de gauche et la République en marche. De plus, un membre du Conseil constitutionnel qui s’estimerait en situation de conflit d’intérêts, pour une loi qu’il aurait déjà eu à connaître en tant que ministre par exemple, dispose toujours de la possibilité de se déporter, c’est-à-dire de ne pas siéger lors de la séance portant sur cette loi.
La politisation du Conseil constitutionnel pourrait davantage résulter du fait que les anciens Présidents de la République en sont membres de droit à vie[6], mais la pratique a montré qu’ils s’abstenaient pour la plupart d’y siéger. Les anciens Présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande ne siégeront ainsi pas vendredi 14 avril 2023 pour la séance sur la réforme des retraites.
Les Sages de la rue Montpensier jugent en droit et ne s’occupent pas de politique, leur contrôle de la norme inférieure par rapport à la norme supérieure est dit « abstrait » c’est-à-dire de droit pur. Ils doivent ainsi confronter les dispositions législatives aux droits et libertés que la Constitution garantit, à savoir depuis 1971[7] la Constitution du 4 octobre 1958, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et la Charte de l'environnement de 2004.
Il ne leur appartient donc pas de statuer en opportunité, même si leurs décisions peuvent se teinter de conséquentialisme : « Nous prenons nos décisions sur une base juridique d'abord, mais tout en regardant leurs conséquences » a ainsi pu déclarer le Président Laurent Fabius au journal Le Monde le 18 avril 2016.
Enfin, le Conseil constitutionnel est un organe indépendant des deux ordres juridictionnels, puisque ses décisions s'imposent aux pouvoirs publics, même au Président de la République et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours[8].
L’Histoire a montré qu’il n’existe pas d’alternative sérieuse : le contrôle de constitutionnalité direct par les citoyens proposé dans la période révolutionnaire est inapplicable en pratique et populiste ; le contrôle par un organe politique comme le Sénat conservateur de la Constitution de l’an VIII et du Second Empire est biaisé par sa partialité.
Le système juridictionnel mis en place en 1958 est donc le plus efficace, dans le respect de l’État de droit. La Constitution de la Ve République garantit l’indépendance absolue de ses gardiens, qu’importe le sujet traité, et tout le reste est littérature.
[1] Article 56 de la Constitution
[2] Article 56 de la Constitution
[3] Article 3 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel
[4] Article 57 de la Constitution, Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, Décret n° 59-1292 du 13 novembre 1959 sur les obligations des membres du Conseil constitutionnel
[5] Article 8 du Décret n° 59-1292 du 13 novembre 1959 sur les obligations des membres du Conseil constitutionnel
[6] Article 56 de la Constitution
[7] Conseil Constitutionnel, Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971
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