Le Conseil d’État se prononcera prochainement sur la légalité du port du hidjab par des footballeuses. Après le rejet d’un premier référé-liberté pour défaut d’urgence (
n°458092), des militantes pro-hidjab ont en effet saisi la Haute juridiction en novembre 2021 d’un recours au fond. Elles contestent l’interdiction par la Fédération française de football (FFF) du port de ce vêtement religieux prosélyte. Si le Conseil d’État venait à invalider cette interdiction, le port du hidjab pourrait être autorisé dans tout le sport français. Seule une loi pourrait trancher définitivement cette question.
Le régime juridique applicable dépend de la personne concernée.
Si les fonctionnaires sont astreints à une stricte obligation de neutralité leur interdisant de manifester leurs convictions religieuses dans le cadre du service, il n’en va pas de même des usagers du service public.
Les usagers ont en effet,
a priori, tout à fait le droit d’exprimer et de manifester leurs convictions religieuses. Une femme portant le foulard peut ainsi tout à fait se présenter au guichet d’une mairie, à condition qu’il ne dissimule pas l’intégralité de son visage (
loi du 11 octobre 2010).
Ce n’est que de manière exceptionnelle que la loi interdit à l’usager du service public de manifester ses convictions religieuses : c’est le cas par exemple dans les écoles, les collèges et les lycées publics sur le fondement de la
loi du 15 mars 2004.
De la même manière, seules des considérations liées au bon fonctionnement du service ou des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène peuvent permettre de fonder une interdiction du port des signes religieux ostensibles, sous le contrôle du juge administratif qui veille à la stricte nécessité des mesures prises (
circulaire ministérielle du 15 mars 2017). Le voile pourra ainsi être interdit à l’hôpital s’il entrave la qualité des soins (
Charte de la personne hospitalisée).
L’interdiction du port du voile dans le football résulte de l'article 1er des statuts de la FFF qui dispose que :
« La Fédération et ses organes déconcentrés, en tant qu'organes chargés d'une mission de service public déléguée par l'État, défendent les valeurs fondamentales de la République française et doivent mettre en œuvre les moyens permettant d'empêcher toute discrimination ou atteinte à la dignité d'une personne, en raison notamment de (...) ses convictions politiques et religieuses./ Par ailleurs, le respect de la tenue règlementaire et la règle 50 de la Charte olympique assurent la neutralité du sport sur les lieux de pratique./ A ce double titre, sont interdits, à l'occasion de compétitions ou de manifestations organisées sur le territoire de la Fédération ou en lien avec celles-ci : /(...)/- tout port de signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance (...) religieuse (...),/- tout acte de prosélytisme (...), /(...)./Toute personne contrevenant à ces dispositions fera l'objet de poursuites disciplinaires et/ou pénales./Les officiels doivent veiller au respect des dispositions susvisées ".
En l’état du droit applicable, il est possible de douter de la légalité de cet article adopté par la FFF.
Celles qui se revendiquent comme les « hidjabeuses » doivent être regardées juridiquement comme des usagers du service public.
Or, tel qu’il a été vu, l’usager du service public n’est pas soumis par principe à l’obligation de neutralité et son corollaire la laïcité.
Il nous paraît par ailleurs difficile de soutenir que le port du voile dans le football porterait atteinte au bon fonctionnement du service ou à des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène. Tout juste pourrait-on considérer que le port du voile entrave la pratique de la « tête » dans le football ou qu’il entraînerait un risque d’étranglement des joueuses pendant l’effort, mais l’argumentation est hasardeuse.
C’est donc à la loi et à la seule loi qu’il incombe de réglementer le port du voile dans le football, pour trancher la question.
En l’absence de disposition législative en ce sens, il y a fort à parier que le Conseil d’État puisse donner prochainement raison aux « hidjabeuses » contre la FFF et cette décision fera tache d’huile dans tout le sport.
Comme les convictions politiques, nous estimons que le sport n’est pas le lieu de la manifestation des convictions religieuses et du prosélytisme, mais celui de l’universalisme. Sauf à exacerber plus encore les tensions sociales, le sport doit rester, en quelque sorte, le dernier espace de liberté sans politique et sans religion. C’est le seul moyen d’en encourager la pratique auprès du plus grand nombre et de créer des évènements populaires rassemblant fraternellement la société dans son ensemble.
Sauf à créer un dangereux précédent, il est urgent que les parlementaires inscrivent donc très prochainement dans la loi l’interdiction du port des signes religieux ostensibles lors de toutes les compétitions sportives.