Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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samedi, 26 janvier 2019 13:06

Le conseil municipal à huis clos

Untitled 1Les impératifs démocratiques les plus élémentaires commandent que les séances du conseil municipal soient publiques. L’article L. 2121-18 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) pose toutefois, en la matière, un principe et une exception :

  • Le principe : les séances des conseils municipaux sont publiques,
  • L’exception : néanmoins, sur la demande de trois membres ou du maire, le conseil municipal peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu’il se réunit à huis clos.
La loi ne limite pas de manière générale la possibilité de recourir au huis clos (1). Toutefois, le juge administratif exerce un contrôle restreint sur la décision de délibérer à huis clos (2), une stricte procédure devant être suivie (3).

I. La loi ne limite pas de manière générale la possibilité de recourir au huis clos

L’article L. 2121-18  du CGCT ne limite pas les possibilités de décider du huis clos, et aucune autre disposition législative ou réglementaire ne limite de manière générale cette possibilité.

Par conséquent, les délibérations à huis clos peuvent porter sur toute question relevant de la compétence du conseil municipal (CE 17 octobre 1986 Commune de Saint-Léger-en-Yvelines, n°74694).

Le huis clos peut toutefois être prohibé par une disposition législative spéciale, la seule disposition applicable en l’état actuel du droit étant l’article 432-12 du Code Pénalprohibant le huit clos concernant le « rapport d’intérêt autorisé » des maires, adjoints et conseillers municipaux des communes de 3500 habitants au plus avec la commune (transfert de biens mobiliers ou immobiliers, fourniture de services, acquisition d’une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle, etc.). Cette prohibition du huis clos vise bien entendu à écarter en la matière le risque de prise illégale d’intérêts (pour un exemple, voir CE 27 septembre 2010 SCI Planet n°320905).

II. Le juge administratif exerce toutefois un contrôle restreint sur la décision de délibérer à huis clos

Le juge administratif exerce un contrôle restreint sur la décision de délibérer à huis clos :

« Considérant qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’une requête tendant à l’annulation d’une délibération adoptée par le conseil municipal à l’issue d’une séance à huis clos, de contrôler que la décision de recourir au huis clos, autorisée par les dispositions précitées de l’article L. 2121-18 du code général des collectivités territoriales, ne repose pas sur un motif matériellement inexact et n’est pas entaché d’erreur de droit, d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir » (CE 19 mai 2004, Commune de Vincly, n°248577). 

Puisque le principe et celui de la publicité des débats, et que le huis clos est l’exception, la décision de recourir au huis clos doit donc nécessairement reposer sur un motif, qui est donc contrôlé par le juge.

Le huis clos peut ainsi être décidé, à titre d’exemple :

Mais, le plus souvent, la commune invoquera les nécessités de l’ordre public ou le caractère particulièrement sensible de l’ordre du jour pour décider du huis clos. L’existence du contrôle du juge vise ainsi simplement à lui permettre de sanctionner le recours abusif au huis clos et d’interdire par exemple qu’un conseil municipal ne siège systématiquement à huis clos, ou qu’il ne décide de siéger ainsi chaque fois que du public se présente (conclusions de Monsieur Guillaume Goulard, rapporteur public, sous CE 19 mai 2004, Commune de Vincly, n°248577).

Ainsi si en théorie, tout motif peut justifier un huis clos à condition qu’il soit exact et rende indispensable le huis clos, en pratique c’est le plus souvent l’ordre public qui viendra justifier le recours au huis clos.

Dans la décision d’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de principe CE 19 mai 2004, Commune de Vincly, n°248577,  le conseil municipal avait décidé de procéder par un vote à huis-clos pour approuver le budget primitif. Selon la commune, le huis clos était motivé par des troubles à l’ordre public, une personne du public agitant un livre sans cesse en criant « J’ai le code des communes ». Toutefois, cette version des faits a été démentie par les pièces du dossier, et les juges ont donc considéré que la réalité des faits ayant motivés le huis clos (troubles à l’ordre public) n’était pas établie par les pièces du dossier (CAA Douai 24 avril 2002, Commune de Vincly, n° 98DA01835).

Ainsi le huis clos ne saurait être décidé à titre purement préventif, en prévision d’un éventuel trouble à l’ordre public, il faut disposer de véritables éléments prouvant que le risque de trouble à l’ordre public est réel et non hypothétique (TA Limoges, 29 octobre 2009, Mme Marinette Beuze et autres C/ Commune de Domeyrot, n° 0801440, « eu égard au caractère récurrent des décisions de recourir au huis-clos et à la circonstance qu’elles ont été votées avant l’examen de l’ordre du jour des séances, de telles décisions n’ont pu être prises qu’à titre préventif et non pour remédier aux troubles allégués, dont la commune ne justifie pas en outre de la réalité »).

Pour un autre exemple sur le motif d’ordre public, voir CE 14 décembre 1992, Commune de Toul, n°128646 :

« Considérant qu’aux termes de l’article L. 121-15 du code des communes : «Les séances des conseils municipaux sont publiques. Néanmoins, sur la  demande de trois membres ou du maire, le conseil municipal par assis et  levé, sans débat, décide qu’il se forme en comité secret » ; et qu’aux  termes de l’article L. 121-16 du même code : « Le maire a seul la qualité  de police de l’assemblée. Il peut faire expulser de l’auditoire ou arrêter  tout individu qui trouble l’ordre » ; qu’il appartient au maire, en  application de ces dispositions, de prendre les mesures destinées à  empêcher que soit troublé le déroulement des séances publiques du conseil  municipal, y compris en faisant interdire, pour des raisons de sécurité et  d’ordre publics, l’accès de la salle aux personnes dont le comportement  traduit l’intention de manifester et de perturber les travaux de  l’assemblée municipale ; 

Considérant que si le maire de Toul a fait contrôler, le 17 décembre 1990,  l’entrée de la salle dans laquelle se réunissait habituellement le conseil  municipal et où il était convoqué pour tenir une séance ce jour-là, il  résulte des pièces du dossier que l’accès a été refusé à un groupe de  personnes, dont certaines portaient des pancartes et du matériel sonore,  et qui, par la suite, ont fait irruption dans la salle par une autre  issue, et ont empêché, par leurs manifestations bruyantes, le déroulement  normal de la séance ; qu’en faisant ainsi interdire l’accès de la salle  des délibérations à ces personnes, afin de prévenir le renouvellement  d’incidents qui avaient eu lieu lors de la précédente séance et en avaient  perturbé la tenue, le maire n’a pas, dans les circonstances de l’espèce,  fait irrégulièrement usage de ses pouvoirs de police, et n’a pas, en  faisant effectuer ce contrôle, méconnu le principe de publicité des  séances ; que, dans ces conditions, la décision de se former en comité  secret, prise par le conseil municipal au cours de la séance, est bien  intervenue lors d’une séance publique ; qu’il en résulte que la Ville de Toul est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué,  le tribunal administratif de Nancy a annulé les délibérations du 17  décembre 1990, au motif que le conseil municipal les aurait adoptées au  cours d’un comité secret décidé en violation des dispositions précitées de  l’article L. 121-15 du code des communes ».

III. La procédure à suivre

Concernant la procédure à suivre, l’article L. 2121-18 du CGCT prévoit que, sur la demande de trois membres ou du maire, le conseil municipal peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu’il se réunit à huis clos.

La demande de huis clos (initiative) doit donc émaner du maire ou de trois conseillers municipaux au moins. Aucun formalisme n’est imposé pour cette demande mais ce préalable indispensable est sanctionné par la nullité de la délibération prise en huis clos (CE 16 juin 1978, M. Robert X., n°05197).

Le conseil municipal doit également impérativement se prononcer par un vote public sur le huis clos, et le maire ne peut donc pas décréter le huis clos seul (CE 4 mars 1994, Regoin, n°91179). La preuve de cette décision peut être faite par tous moyens (TA Limoges, 8 juin 1989, Chauvat). Cette décision constitue un acte préparatoire de la délibération qui va être prise, et en tant que tel, est inattaquable directement en excès de pouvoir (REP) (TA Nancy, 24 mai 2011, Mme Damienne Villaume, n°1100479).

La chronologie à suivre est la suivante :

  • le conseil municipal doit commencer à siéger en audience publique,
  • prendre la décision de siéger à huis clos (soit au tout début du conseil, soit en cours de séance),
  • puis se réunir à huis clos.
Les modalités de fonctionnement des séances sont les mêmes que pour les réunions en séance publique (CE 25 mars 1966, Ville de Royan, n°46504), à la différence que lorsque le huis clos est décidé, la présence de personnes étrangères au conseil constitue une irrégularité (sauf le secrétaire de mairie CE 28 janvier 1972, Election du maire et d’un adjoint de Castetner, Pyrénées-Atlantiques, n°83128).

Il est par ailleurs toujours possible, dans le cadre d’une séance où le huis clos a été décidé, de retourner au régime de la séance publique, sans vote préalable. Une telle décision ne doit pas nécessairement faire l’objet d’un vote public préalable, mais elle doit respecter le parallélisme des formes et compétences, et donc recueillir l’assentiment de la majorité absolue des élus présents ou représentés. Cette décision ne doit pas être le résultat d’une pression extérieure émanant par exemple du public (CE 14 décembre 1992, commune de Toul, n° 128659).

Le retour au régime de la séance publique est même parfois obligatoire : un conseil municipal qui décide un huis clos motivé par une seule affaire inscrite à son ordre du jour, mais profite ensuite du huis clos pour voter 21 délibérations commet une erreur manifeste d’appréciation sanctionnée par le juge (CAA Douai, 23 juin 2005, M. Paul Cherdon, N°04DA00503).

Par ailleurs, la circonstance qu’une séance se déroule à huis clos ne dispense pas de mentionner au PV et au registre des délibérations l’ensemble des questions abordées au cours de cette séance, dans les mêmes conditions qu’en cas de séance publique (CE 27 avril 1994, Commune de Rance c/ Coronado, n° 145597). A priori toutefois, et logiquement, les opinions émises lors du huis clos ne figureront pas dans ce PV.

Enfin le huis clos doit rester l’exception, le principe posé par l’article L. 2121-18 du CGCT étant la séance publique. Il n’y a donc pas lieu pour un conseil municipal de siéger à huis clos à chaque séance.

Untitled 1Certes il est plus facile, pour s’attirer les sympathies du plus grand nombre, d’affirmer haut et fort qu’il n’est pas possible de manifester en France, que l’État brime ce droit fondamental pour des raisons politiques et qu’il est d’ailleurs aux mains des plus puissants. C’est ce qu’affirment beaucoup de « gilets jaunes », mouvement pour lequel je n’ai ni sympathie ni antipathie particulière, qui ont même saisis le Défenseur des droits pour « atteinte à la liberté de manifester » (France TV).

Mais la réalité est toute autre. En effet, la liberté de manifester et l’exercice de ce droit font l’objet d’un régime très protecteur et très équilibré en droit français, ce que d’ailleurs beaucoup d’autres États nous envient. 

Comme toute liberté, la liberté de manifester est un droit qui s’exerce dans les limites de la loi et de la protection de l’ordre public. Il est facile de comprendre que cette liberté ne peut pas être absolue : si toute manifestation sauvage était permise, cela ouvrirait la porte à tous les excès. Le mois de décembre 2018 nous a donné de bien tristes exemples, semaine après semaine, du danger d’une liberté de manifester qui ne serait pas tempérée par les impératifs de l’ordre public. In fine, l’exercice de la liberté de manifester de quelques-uns porte, dans cette configuration, atteinte à la sécurité et aux libertés de tous (libertés des commerçants, liberté d’aller et de venir des passants, etc.). 

Par conséquent, toute manifestation sur la voie publique implique en France une déclaration préalable aux autorités compétentes, à savoir le maire, ou le Préfet (en fonction de l’ampleur de l’événement envisagé) 3 jours francs au moins et 15 jours francs au plus avant la date de la manifestation (deux mois avant à Paris) (Articles L211-1 à 4 du Code de la sécurité intérieure).

Cette déclaration doit comporter :

  • Une lettre de demande précisant le but de la manifestation, l’emplacement et le nombre de personnes attendues,
  • Une liste des membres de l’équipe d’organisation,
  • Et l’itinéraire prévu (défilé, cortège, etc.).
La demande fait alors l’objet d’une instruction par les pouvoirs publics, qui s’assurent que l’événement intervienne dans le respect de l’ordre public (s’agissant notamment de la sécurité des biens, des personnes, des services de secours mis en place, des assurances nécessaires, etc.).

Puis les autorités compétentes délivrent à l’organisateur de l’événement une autorisation qui peut impliquer des obligations (quant aux parcours, aux horaires, etc.), l’interdiction de la manifestation ne pouvant être justifiée que par le respect de l’ordre public.

Il faut insister sur le fait que le contrôle exercé par les pouvoirs publics sur l’événement n’est pas un contrôle politique, ou sur le bien-fondé des revendications portées par les manifestants. C’est l’amalgame qui est souvent fait par ceux qui noircissent l’état des libertés publiques en France. Le contrôle est strictement limité aux nécessités de l’ordre public. Ainsi, une manifestation nocturne ne sera par exemple pas autorisée, prenant en considération les impératifs de tranquillité publique et de sécurité des personnes et des biens. On invitera dans ce cadre les organisateurs à préférer une manifestation en journée sans interdire purement et simplement l’événement. 

Bien évidemment, des sanctions sont prévues pour ceux qui refusent de se soumettre à l’ordre public républicain : le fait d’organiser une manifestation publique sans autorisation est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende (Article 431-9 du Code Pénal).

On voit donc que c’est un régime protecteur et équilibré qui est mis en place, la déclaration préalable aux pouvoirs publics permettant justement de s’assurer de l’exercice de la liberté de manifester pour tous, dans les meilleures conditions possibles pour l’ordre public. C’est le rôle de la puissance publique, qui doit sans cesse trouver le juste et subtil équilibre entre l’exercice des libertés publiques et l’ordre public. C’est ce qu’ont bien compris les milliers d’associations qui organisent des manifestations partout en France chaque week-end, se soumettant sans difficulté au régime protecteur mis en place. Revendiquer comme certains « gilets jaunes » une liberté absolue de manifester, sans contrôle et sans déclaration préalable, c’est ouvrir la porte à l’émeute voire à la Révolution.  Dénoncer une « atteinte à la liberté de manifester » dans ce cadre, c’est pratiquer une désinformation qui abîme notre démocratie.

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Quatre associations (Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France) ont récemment décidé, au nom de l’intérêt général, d’attaquer l’Etat français en justice pour qu’il respecte ses engagements climatiques. La pétition lancée en ligne "l'Affaire du Siècle" a déjà recueilli un nombre record de plus de 2 millions de signatures. Si chacun peut constater la dégradation sans précédent de la qualité de l'air, comme à Lyon par exemple, ou la multiplication des évènements climatiques comme la canicule (devenue banale en France), il est intéressant de se demander si la responsabilité de l’Etat peut réellement être engagée pour inaction climatique, comme le prétendent les associations à l'origine de "l'Affaire du Siècle". L'exemple révélateur de la qualité de l'air nous servira de base de raisonnement.   

1/ L’obligation pour l’Etat de prendre des mesures de police pour protéger la qualité de l'air

La police administrative est une activité de service public dont le seul but est d’assurer l’ordre public, qui recoupe notamment les impératifs de santé publique. Si l’édiction de mesures de police administrative est le plus souvent une possibilité pour l’autorité compétente, qui en apprécie l’opportunité, elle est aussi parfois une obligation.

En matière de pollution atmosphérique, les fondements de l’obligation d’agir qui incombe aux pouvoirs publics (surtout l’Etat) reposent tout d’abord sur la Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle qui dispose en son article premier que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Par ailleurs, un certain nombre d’engagements européens et internationaux de la France (issus notamment de la COP21) imposent à l’Etat d’agir.

Enfin, la loi pose un principe d’obligation :

  • Par l’intermédiaire de l’impératif de protection de l’ordre public de l’article L.2212-2 du CGCT,
  • Et par l’article L221-7 du Code de l’environnement, qui dispose que « L'Etat coordonne les travaux d'identification des facteurs de pollution ainsi que l'évaluation des expositions et des risques sanitaires relatifs à la qualité de l'air dans les environnements clos. Il élabore les mesures de prévention et de gestion destinées à réduire l'ampleur et les effets de cette pollution. Il informe le public des connaissances et travaux relatifs à cette pollution ».
À court terme, les pouvoirs publics, au premier rang desquels, le Préfet (qui représente l’Etat), disposent d’un panel de mesures de police pouvant être mises en œuvre en urgence, afin de limiter au maximum la pollution de l’air dans l’hypothèse d’un dépassement des seuils autorisés :

  • Limitation de la vitesse maximale autorisée,
  • Mise en place de la circulation alternée,
  • Restrictions de circulation pour les poids lourds en ville, et aux abords immédiats,
  • Gratuité des transports publics,
  • Interdiction du trafic automobile en ville (sauf transports publics, professions autorisées et dérogations pour les véhicules de secours et d’urgence),
  • Mise en place de contournements routiers,
  • Gratuité du stationnement urbain.
À long terme, l’autorité de police est tenue de prendre les mesures nécessaires à l’application des législations et réglementations environnementales édictées (la jurisprudence considérant qu'il s'agit là d'une obligation CE, 23 juin 1976, Latty). Que l’on pense par exemple à l’ensemble des normes édictées pour limiter les émissions de dioxyde de carbone des industries, et des particuliers.

La mesure de police devient indispensable dès lors qu’elle est nécessaire pour faire cesser un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour l’ordre public (CE, 14 décembre 1959, Doublet), ce qui est indéniablement le cas de la pollution atmosphérique.

Il est donc clair que les fondements juridiques ne manquent pas pour démontrer que l’Etat est tenu de prendre, à court terme comme à long terme, des mesures permettant efficacement de protéger la qualité de l'air, et plus généralement de l'environnement.

2/ L’inertie de l’Etat engage sa responsabilité

Or l’inertie des pouvoirs publics est susceptible d’engager leur responsabilité.

En effet, en matière de police administrative toute carence dans l’édiction ou la mise en œuvre d’une mesure de police est fautive. En tant que telle, elle engage la responsabilité de l’autorité compétente.

On peut donc imaginer que tout citoyen résidant dans une zone impactée par un épisode de pollution est en droit de demander réparation à l’Etat à ce titre. De la même manière, on peut donc tout à fait envisager que des associations de protection de l'environnement attaquent l'État en justice pour inaction climatique dans le cadre de "l'Affaire du Siècle"

Comme en matière de responsabilité civile, il conviendra toutefois de démontrer un préjudice, et un lien de causalité.

Le préjudice se démontrera sur le fondement de certificats médicaux ou d'études sérieuses attestant d'un impact réel sur la santé des personnes (maladie respiratoire, pulmonaire, ou cardiovasculaire, par exemple). À défaut, il se démontrera sur le fondement du risque (mise en danger), ou du préjudice futur pour la population. 

Le lien de causalité entre la faute (carence fautive de l’Etat dans la mise en œuvre de mesures de police permettant de lutter contre la pollution) et le préjudice (impact sur la santé de la population) devra également être démontré. C'est sans doute le point juridique le plus délicat. Au regard de l’ensemble des mesures disponibles, et qui n’ont pas été mises en œuvre par l'État (interdiction du diesel, mise en place de péages urbains, renouvellement du parc automobile, interdiction du chauffage au bois, décarbonisation de l’économie et transition écologique, etc.) il ne sera toutefois pas impossible de le démontrer, sans que la force majeure, ou l’obligation de moyens ne permettent à l'État d'échapper à sa responsabilité. 

Pour "l'Affaire du Siècle", le litige sera porté devant le Tribunal administratif de Paris. Une demande indemnitaire préalable précise, chiffrée et fondée juridiquement devra à cette fin être adressée aux Ministres et / ou aux Préfets, afin de lier le contentieux, au besoin en cours d’instance.

Le plus intéressant sera toutefois de solliciter du juge administratif qu'il fasse usage de son pouvoir d'injonction pour contraindre l'État à respecter ses engagements et son obligation de protection de la santé publique de ses administrés, au besoin sous astreinte. Contrairement à ce qu'a indiqué non sans humour le ministre de l'environnement Rugy, la justice administrative dispose bel et bien de la capacité de contraindre juridiquement l'État à agir, via ses pouvoirs d'injonction et d'astreinte :


Dans le cadre de "l'Affaire du Siècle", un calendrier de procédure a déjà été établi :

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L'action juridique des associations qui portent "l'Affaire du Siècle" est donc intéressante et pourrait porter ses fruits, compte tenu de l’obligation d’agir qui incombe à l'État en matière d'environnement. Au regard de la catastrophe annoncée, l'heure n'est plus à la discussion, mais à l'action urgente. Notre responsabilité à l’égard des enfants, et des générations futures est historique. C'est bien l'affaire du siècle. 

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Les violences insoutenables qui ont émaillé Paris et plusieurs villes de France samedi après samedi ont choqué le monde entier. Elles sont le fait de certains gilets jaunes qui se sont radicalisés. L’heure n’est plus à la stupéfaction ni à la stupeur, mais à la recherche d’une solution efficace pour rétablir d’urgence et fermement l’ordre public. La solution miracle n’existe pas, et elle ne sera jamais juridique dans un tel contexte. Néanmoins, un outil est envisageable pour renforcer notre arsenal juridique en la matière : la création d’une interdiction administrative individuelle de manifester. Il est plus qu’urgent de l’intégrer dans notre législation et de l’utiliser pour neutraliser individuellement les casseurs et les meneurs dans les manifestations ou les évènements à risque.
 
Si tous les français sont attachés à la liberté de manifester, protégée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ils ont conscience que comme toute liberté, cette dernière s’exerce dans les limites du risque de trouble à l’ordre public, apprécié par l’autorité administrative sous le contrôle de son juge.

Les pouvoirs publics peuvent ainsi interdire une manifestation si elle est de nature à troubler l’ordre public (A. L211-4 du Code de la sécurité intérieure).

Toutefois, et comme tout un chacun a pu le constater ces dernières semaines, cette interdiction est dépourvue d’effet puisqu’elle est aisément contournée par les manifestants eux-mêmes, qui entreprennent des manifestations sauvages comme les gilets jaunes aux Champs-Élysées, qui dégénèrent d’autant plus rapidement.

L’interdiction préalable d’une manifestation dans son ensemble est donc sans effet sur les groupes de casseurs, qui n’en sont que plus galvanisés.

Plus efficace semble devoir être l’interdiction administrative individuelle de manifester, qui n’existe pas à ce jour dans notre droit français : c’est l’idée de donner la possibilité aux Préfets d’interdire à un ou plusieurs individus identifiés de manifester ou de se rendre dans une zone, pour une durée déterminée, sans qu’ils n’aient jamais été nécessairement condamnés sur le plan pénal.
 
On pense ici à des individus identifiés par les pouvoirs publics comme appartenant à des mouvances extrémistes (à titre d’exemple, la mouvance « black blocs » d’ultragauche) qui n’auraient jamais été sanctionnés pénalement et s’apprêteraient à participer à une manifestation, même sauvage, pour semer le chaos comme samedi aux Champs-Élysées à Paris.

Un rapport parlementaire de 2015 avait pour la première fois proposé au législateur l’introduction dans le droit français d’un tel dispositif préalable d’interdiction administrative individuelle de manifester, en l’absence de toute infraction pénale.

Il s’agirait concrètement pour l’autorité préfectorale d’apprécier si une personne identifiée par nos services de renseignements comme un casseur ou un meneur constitue une menace pour l’ordre public, en utilisant le faisceau d’indices suivant :

  • L’individu a déjà été nominativement condamné (le cas échéant), ou est « connu en tant que casseur violent » (sans nécessairement avoir été condamné) ;
  • Des risques sérieux et manifestes de trouble à l’ordre public sont existants ;
  • Des indices matériels faisant redouter la commission d’une infraction à l’occasion de la manifestation ou de l’événement à venir ont été relevés.
L’arrêté préfectoral emporterait alors interdiction préalable pour la personne identifiée, de pénétrer, pendant une durée déterminée, au sein d’un périmètre spécifique comme celui d’une manifestation (on pense par exemple aux alentours de l’Arc de Triomphe).

On pourrait alors imaginer un système de pointage en commissariat ou gendarmerie à l’occasion de chaque événement ou manifestation, à l’instar de la procédure prévue pour les hooligans interdits de stade, obligés de pointer le jour de chaque rencontre sportive de leur équipe, afin de s’assurer de la neutralisation des individus identifiés comme des casseurs.

Cette nouvelle interdiction préalable est en phase avec la jurisprudence tant du Conseil Constitutionnel (Décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995), que du Conseil d’Etat (ordonnance du 9 janvier 2014, Ministre de l’intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508). Elle est par ailleurs déjà fréquemment utilisée en Belgique et en Allemagne, avec efficacité selon le rapport parlementaire susmentionné.

Il nous apparaît plus qu’urgent, au regard des graves violences de certains gilets jaunes radicalisés, de réactiver cette piste de la création d’une interdiction administrative individuelle de manifester. Bien utilisée, elle aurait pour avantage de neutraliser des casseurs ou des meneurs en amont de manifestations ou d’événements identifiés comme à risque et donc de limiter le risque de violence.

Nous avons conscience que cette mesure n’est pas seule à même de répondre à la menace et que le droit ne peut pas tout face au réel. Elle a toutefois le mérite de constituer une piste intéressante d’évolution de notre droit, aux fins de préserver partout et fermement l’ordre public républicain face aux casseurs radicalisés.

SisypheAvocatsL’absurdité du titre de cet article prêterait à rire si l’on n’avait pas appris ce jour que le maire de la commune de Morbecque (Nord) avait réellement pris l’initiative de déployer un gilet jaune géant sur la façade de sa mairie (Le Figaro du 16/11/18).

Selon les propres dires de l'élu local, cette démarche tend à défendre le mouvement dit des « gilets jaunes », de soutien aux véhicules et à l’essence.

D’aucuns peuvent dès lors s’interroger sur la légalité de cette fantaisie municipale.

En la matière, la position de la justice administrative est très claire puisque, par un arrêt de principe « Commune de Sainte-Anne » du 27 juillet 2005 (n°259806), le Conseil d’État a décidé que :

« (...) le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques (...) »

Cette décision du Conseil d’État avait été rendue à propos d’un drapeau indépendantiste martiniquais apposé d'ailleurs sur la façade d’une mairie et a été réaffirmée par la suite par le Ministre de l’Intérieur en 2010 dans le cadre d’une réponse ministérielle :
 
« L'apposition de banderoles de revendication sur des édifices publics (...) est contraire à ce principe (de neutralité) (...) Il revient au responsable des bâtiments concernés de faire retirer ces banderoles, le cas échéant, sous le contrôle du juge administratif. »

L’initiative prise par le maire de la commune de Morbecque et son gilet jaune géant est donc indéniablement illégale.

En effet, la décision susvisée du Conseil d’Etat, ainsi que la législation et la réglementation s’appliquent à tous les édifices publics, donc à toutes les mairies de France.

La mairie de la commune de Morbecque est donc tenue, comme tout édifice public, au strict respect du principe de neutralité. Il est par conséquent interdit d’apposer sur sa façade des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques, conformément à la position constante du Conseil d’État.

Cantonné jusqu’alors à la sécurité routière, il est désormais incontestable que le gilet jaune puisse être considéré comme un « signe symbolisant la revendication d'opinions politiques » au regard du mouvement du même nom, de défense de l’automobile et de l’essence.

Le principe de neutralité trouve donc application et fait obstacle à la possibilité de l’afficher sur la façade de tout édifice public.

Tout administré disposant d’un intérêt à agir (comme un habitant de la commune) est donc légitime à solliciter sans délai le Préfet du Nord (12, rue Jean sans Peur CS 20003 59039 Lille Cedex ; Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.) pour lui demander d’enjoindre au maire de retirer sans délai le gilet jaune géant qu’il a apposé sur la façade de sa mairie. Une action contentieuse dirigée contre le maire, assortie le cas échéant d’un référé est par ailleurs parfaitement envisageable.

On note enfin que l’illégalité est double en l’espèce puisque le symbole apposé sur la façade de la mairie vient soutenir un mouvement lui-même illégal : l’action dite des « gilets jaunes » est en effet un coup de force qui se situe hors-la-loi puisqu’aucune association ne vient le structurer et qu’aucune déclaration préalable n’a été déposée en préfectures et en mairies alors que plus de 1 500 rassemblements sont prévus pour le 17 novembre. Destiné principalement à troubler l’ordre public, le mouvement pourrait par ailleurs être appréhendé pénalement comme une incitation à l’émeute, par des personnes prétendant se substituer à la représentation nationale.

 
SisypheAvocatsC’est une nouvelle polémique qui a éclaté ce week-end entre Christine Boutin et François de Rugy, la première reprochant au second d’avoir apposé un drapeau homosexuel sur la façade de l’Assemblée nationale à l’occasion de la fête dite « des fiertés ».

La Présidente d’honneur du parti chrétien-démocrate a estimé que cette mise en scène était contraire au principe de neutralité applicable aux édifices publics :
De son côté, le Président de l’Assemblée nationale a fait valoir que sa décision était légale dans la mesure où l’assemblée était régie par « ses propres règles » et que le bâtiment ne relèverait pas du service public :
En la matière, la position de la justice administrative est très claire puisque, par un arrêt de principe « Commune de Sainte-Anne » du 27 juillet 2005 (n°259806), le Conseil d’État a décidé que :

« (...) le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques (...) »

On note d’ailleurs que cette décision du Conseil d’État a été rendue à propos d’un drapeau indépendantiste martiniquais apposé sur une mairie.

Cette décision jurisprudentielle a été réaffirmée par le Ministre de l’Intérieur en 2010 dans le cadre d’une réponse ministérielle :

« L'apposition de banderoles de revendication sur des édifices publics (...) est contraire à ce principe (de neutralité) (...) Il revient au responsable des bâtiments concernés de faire retirer ces banderoles, le cas échéant, sous le contrôle du juge administratif. »

La position du Président de l’Assemblée nationale nous semble dès lors critiquable sur cette base. Du moins ne peut-il pas être si affirmatif.

En effet il ne fait aucun doute que l’Assemblée nationale n’est aucunement régie par « ses propres règles » mais que les décisions du Conseil d’État ainsi que la législation et la réglementation s’appliquent à elle comme à toute institution républicaine.

Par ailleurs, M. de Rugy ne saurait pouvoir soutenir que l’Assemblée nationale ne serait le siège d’aucun service public pour faire obstacle à l’application de la décision susvisée du Conseil d’Etat qui s’applique à tous les édifices publics.

Dans la mesure où le Palais Bourbon est propriété définitive de l’Etat depuis 1827, il est acquis que l’Assemblée nationale est tenue, comme tout édifice public, au principe de neutralité.

Il est par conséquent interdit d’apposer sur sa façade des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques, conformément à la position constante du Conseil d’État.

On touche dès lors au seul problème de droit sérieux soulevé en l’espèce : le drapeau homosexuel peut-il être considéré comme un « signe symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques » ? Dans l’affirmative, le principe de neutralité s’applique et fait obstacle à la possibilité de l’afficher sur la façade de tout édifice public.

Nous pouvons aisément écarter le drapeau homosexuel comme signe de revendication d’opinions religieuses.

Néanmoins, la portée philosophique et / ou politique d’un tel signe est plus incertaine. Il ne fait en effet aucun doute que cet étendard est fréquemment brandi comme signe d’appartenance identitaire par le mouvement LGBTI+, que ce soit lors de la marche dite « des fiertés » ou lors de manifestations politiques (on pense, par exemple aux manifestations en faveur du « mariage pour tous », très marquées politiquement). Il n’est pas rare par ailleurs de voir flotter des drapeaux homosexuels lors de meetings politiques, comme lors de la campagne présidentielle de François Hollande en 2012, ou plus récemment de Benoît Hamon.

Des éléments pourraient donc être avancés devant la justice administrative pour faire valoir que le drapeau homosexuel constitue un signe de revendication d’opinions politiques et / ou philosophiques.

En l’absence de décision du Conseil d’État sur ce point à ce jour, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude comme François de Rugy que l’apposition du drapeau homosexuel sur la façade de l’Assemblée nationale serait parfaitement légale. Bien au contraire, des éléments plaident pour l’inverse au regard du principe de neutralité applicable aux édifices publics.

Une décision de la Haute juridiction administrative serait bienvenue pour clore ce sujet polémique.

medine
Soyons honnêtes : outre quelques initiés, personne n’avait entendu parler avant la semaine dernière de Médine, rappeur français confidentiel loin de l’envergure médiatique d’un Booba ou d’un Orelsan. La programmation de deux dates de concert de l’artiste les 19 et 20 octobre prochains au Bataclan crée pourtant aujourd’hui le malaise. L’un des albums de Médine s’intitule en effet « Jihad » et d’aucuns l’accusent de jouer subtilement avec l’iconographie djihadiste, comme en atteste notamment le sabre qu’il empoigne sur la pochette du disque, ou ses rapports troubles avec l’islamologue controversé Tarik Ramadan. Certaines paroles du rappeur gagnent par ailleurs à être connues : "Je porte la barbe j'suis de mauvais poil. Porte le voile t'es dans de beaux draps. Crucifions les laïcards comme à Golgotha. Le polygame vaut bien mieux que l'ami Strauss-Kahn".

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Pochette de l'album de Médine "Djihad" (2005)

Une chose est certaine : le Bataclan est maître de sa programmation. Mais au-delà de l’opportunité d’un tel choix par la salle de spectacles elle-même qui interpelle nécessairement, il est possible de se demander si les concerts de cet artiste peuvent juridiquement être interdits avant même qu’ils aient lieu. Des voix transpartisanes qui ont la République en commun s’élèvent en effet pour s’opposer aux représentations, assimilées à une profanation d’une salle devenue lieu de mémoire nationale.

La philosophie du système français se comprend aisément : les libertés publiques (comme la liberté d’expression et de réunion) doivent être protégées de manière absolue, néanmoins leur exercice ne saurait pouvoir troubler l’ordre public établi par la loi (bon ordre, sûreté, sécurité et salubrité publiques). Par conséquent, seule la sauvegarde de l’ordre public peut justifier la limitation proportionnée de l’exercice d’une liberté (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n°17413, 17520).

C’est donc à l’autorité administrative qu’il revient d’apprécier si les conditions sont réunies pour qu’un concert (matérialisation de la liberté d’expression et de réunion) puisse avoir lieu. Ceci implique que l’ordre public puisse être maintenu avant, pendant et après la représentation musicale.

Il ne fait aucun doute que la présence du rappeur Médine au sein du Bataclan, ses affiches, ses paroles ou son public ne créent pas par eux-mêmes un trouble à l’ordre public justifiant l’interdiction des spectacles.

Néanmoins, l’émotion soulevée par la présence programmée du rappeur au sein de la funeste salle de concert fait craindre le pire. En effet, des appels sont relayés sur les réseaux sociaux par les groupes identitaires pour empêcher les concerts, par tous moyens, notamment en se rendant sur les lieux chercher l’affrontement. C’est là que réside le risque de trouble à l’ordre public. C’est cette probabilité d’une rixe entre fans du rappeur et identitaires qui peut constituer un risque de trouble à l’ordre public suffisant pour justifier l’interdiction préventive des spectacles à venir par l’autorité administrative, d’autant plus que la mobilisation peut s’amplifier dans les quatre mois à venir.

manifestationAppel des identitaires à manifester contre les concerts du rappeur Médine au Bataclan

Ce raisonnement peut surprendre car les partisans de Médine insistent sur le fait qu’aucun trouble à l’ordre public n’est caractérisé côté artiste : mais le risque de trouble à l’ordre public est généré non pas par celui qui souhaite exercer sa liberté (Médine), mais par ses adversaires qui souhaitent l’en empêcher (les identitaires). En appelant à empêcher les spectacles, ils créent un risque de trouble à l’ordre public suffisant pour l’empêcher (prophétie autoréalisatrice).

Nous avions dénoncé en son temps cet inversement du paradigme en matière d’exercice des libertés publiques (article : "Quand la liberté devient l'exception"). Il n’est pourtant pas inédit, et nous analysons le droit tel qu’il est, pas tel qu’il devrait être.

On se rappelle en effet que le 24 novembre 2017, la préfecture de police de Paris avait interdit une manifestation du groupe « Génération identitaire » au motif d’un risque de trouble à l’ordre public induit par la seule annonce, par une association d’extrême-gauche, d’une contre-manifestation « antifa(sciste) » prévue pour perturber la première : 

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Extrait de l'arrêté préfectoral d'interdiction

Saisi en référé, le tribunal administratif de Paris avait validé le 25 novembre 2017 la décision de la préfecture, confirmant donc l’interdiction de la manifestation. Aucun trouble à l’ordre public n’était pourtant matériellement établi ni constaté puisque nous nous situons avant la manifestation. Le trouble n’était donc que potentiel, et était créé par les adversaires de la manifestation (les groupes d’extrême-gauche). La manifestation n’en avait pas moins été interdite préventivement.

Sauf à constater un deux poids deux mesures, il semble que ce qui a joué hier contre les identitaires pourrait demain jouer en leur faveur.

Le sélectionneur national Didier Deschamps a officialisé jeudi 17 mai dernier la liste des 23 joueurs sélectionnés pour la Coupe du Monde 2018 en Russie. Toute liste de sélection nationale étant par définition limitative, certains joueurs ont pu légitimement être déçus de ne pas être retenus ou de figurer parmi les suppléants. C'est le cas d'Adrien Rabiot, qui a écrit à la Fédération pour signifier son refus d'être suppléant pour cette compétition selon les informations du "Parisien".

SisypheAvocats

On se rappelle également que la compagne de Samir Nasri avait insulté le sélectionneur en 2014, contestant par la vulgarité la non-sélection de son conjoint.

anara2

C'est l'occasion de se demander s'il est possible de contester juridiquement la sélection nationale. 

La liste des joueurs sélectionnés en équipe nationale ne constitue ni un acte de gouvernement ni une mesure d’ordre intérieur, par principe, elle n’échappe donc pas au contrôle du juge.

  • Il est juridiquement possible de contester devant le juge administratif une décision de sélection prise par une fédération sportive
En application de l’article L. 131-14 du Code du sport, la fédération française de football (FFF), association loi 1901, est délégataire de service public. En cette qualité, la fédération organise les compétitions sportives, procède aux sélections correspondantes et propose l’inscription sur les listes de sportifs, d’entraîneurs, d’arbitres et juges de haut niveau (Article L. 131-15 du code du sport et article 1 des statuts de la FFF).

C’est donc en agissant en tant que délégataire de service public que la fédération française de football, par l’intermédiaire de son sélectionneur, a arrêté la liste des 23 joueurs français présélectionnés pour participer au prochain mondial en Russie.

Dès 1938, le Conseil d’État avait admis que des personnes morales de droit privé pouvaient gérer des missions de service public et que les actes pris dans le cadre de cette gestion étaient susceptibles d’être contestés devant le juge administratif (CE 13 mai 1938, Caisse primaire Aide et Protection).

Concernant les fédérations sportives, le Conseil d’État a considéré que « dans le cadre de l’exécution de leur mission de service public, les décisions prises par les délégataires mentionnés à l’article L. 131-14 sont des décisions administratives dès lors qu’elles procèdent de la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique conférées à cette personne pour l’accomplissement de la mission de service public qui lui a été confiée » (CE 8 avril 2013, Fédération française des sports de glace, n° 351735).

Différents actes pris par les fédérations et qui se rattachent à l’exercice de leur mission de service public sont donc attaquables devant le juge administratif.

  • Les sanctions prises par une fédération sportive à l’encontre d’un de ses licenciés peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif
C’est ainsi que Leonardo, ancien directeur sportif du Paris Saint-Germain a pu contester devant le tribunal administratif de Paris la sanction par laquelle la commission supérieure d’appel de la Fédération française de football avait prononcé sa suspension jusqu’au 30 juin 2014 de toute activité sportive dans la discipline du football en France.

Par un arrêt du 28 avril 2014, le Conseil d’État a suspendu la décision de la fédération française de football au motif que l’ancien directeur sportif du Paris Saint Germain n’était tout simplement pas titulaire d’une licence délivrée par la fédération (CE 28 avril 2014, Fédération française de football, n° 373051).

  • Le choix de l’équipementier de l’Equipe de France a pu également être contesté
Le juge administratif a sanctionné la disposition du règlement de la fédération française de football (FFF) obligeant équipes participant à la Coupe de France de revêtir les tenues de l’équipementier partenaire de la fédération (CE 3 avril 2006, Société Nike, n° 271885).

Il a considéré à cet effet que l’exclusivité ainsi octroyée à un équipementier n’était pas justifiée par un intérêt général au regard de la mission de service public confiée à la FFF et qu’elle constituait alors un détournement de pouvoir. C’est ainsi qu’à compter de l’édition 2006-2007, les clubs ont pu disputer la Coupe de France avec leurs propres partenaires techniques, sans nécessairement revêtir des maillots « Adidas ».

  • Concernant les décisions sportives proprement dites, le juge refuse de s’immiscer dans l’appréciation technique du jeu
Les décisions prises en matière d’arbitrage sont insusceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir (CE 26 juillet 1985, Association sportive d’Erstein, n° 51625). Le contrôle du juge ne saurait contrôler dans l’appréciation des règles du jeu tant des arbitres que des organes de la fédération (CE 29 septembre 2003, Société UMS Pontault-Combault Handball, n° 248140).
 
En revanche, le choix des joueurs appelés en sélection nationale n’est pas étranger à tout contrôle du juge.

Par un arrêt du 8 avril 2013, le Conseil d’État a considéré que les décisions prises par les fédérations délégataires sur le fondement de l’article L. 131-14 du code du sport « relatives à la sélection des sportifs dans les équipes nationales, qu’elles aient pour effet de permettre cette sélection ou d’y faire obstacle, procèdent de la mise en œuvre des prérogatives de puissance publique qui ont été conférées à ces fédérations pour l’accomplissement de leur mission de service public et présentent, par suite, le caractère d’actes administratifs » (CE 8 avril 2013, Fédération française des sports de glace, n° 351735).

Dans cette affaire, le Conseil d’État était saisi par un sportif sollicitant de sa fédération l’autorisation de quitter l’équipe de France de bobsleigh pour pouvoir participer aux compétitions sportives internationales au sein de l’équipe présentée par la fédération monégasque.

Saisi d’un acte administratif, le juge a pu annuler le refus de la fédération française des sports de glace de retirer l’intéressé de la sélection nationale.

Cette demande était adressée sur le fondement de l’article 3 du règlement de septembre 2007 de la fédération internationale de bobsleigh et de tobogganning aux termes duquel un athlète ne peut représenter qu’une seule nation durant n’importe quelle saison de compétition.

Si l’annulation contentieuse d’une telle décision est possible, en revanche, les mérites sportifs des sélectionnés ne sont pas invocables. Si le juge peut contrôler que la fédération s’est appuyée sur des critères sportifs pour procéder à sa sélection, en revanche, il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’appréciation qu’elle porte dans le cadre de l’examen des critères de sélection (CAA Paris, 18 février 2013, Fédération française des sports de glace, n° 11PA01618).

  • En tout état de cause, le recours pour excès de pouvoir, s’il devait aboutir à l’encontre de la liste des joueurs français sélectionnés pour partir en Russie s’avérerait particulièrement inefficace
La FIFA ayant demandé que la pré-liste de 35 joueurs maximum soit communiquée le 14 mai dernier au plus tard, tandis que la liste définitive devra être remise le 4 juin, l’annulation éventuelle de la sélection par le juge ne permettrait pas de faire parvenir une nouvelle liste à la FIFA.
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Toutefois, il convient de souligner que les décisions que prennent les fédérations dans l’exercice de prérogatives de puissance publique peuvent entraîner la mise en cause de leur responsabilité (CAA Paris, 8 avril 2003, Fédération française de handball, n° 02PA03458).

Ainsi, à supposer que des irrégularités fussent commises dans la sélection établie, un préjudice résultant de la perte d’une chance d’être sélectionné en qualité de membre de l’équipe de France serait indemnisable.

Il pourrait être invoqué par exemple le recours à des critères de sélection étrangers à l’appréciation de la valeur sportive d’un joueur ayant entraîné pour l’un d’entre eux une perte de chance d’être sélectionné. C’est ainsi que dans un tweet du 13 mai 2014, le sélectionneur national avait été accusé de racisme dans la composition de l’équipe. L’allégation demeure néanmoins particulièrement délicate à prouver, notons que le Conseil d’Etat a récemment considéré dans une affaire que le moyen tiré de ce que la non-sélection d’un sportif était motivée par ses origines n’était pas de nature à permettre l’admission d’un pourvoi (CE 5 mars 2014, M. Marie-Calixte, n° 374165).

Dès lors, outre le fait générateur, il ne reste plus qu’à déterminer pour les requérants potentiels comme Adrien Rabiot un lien de causalité et la teneur de cette perte de chance.

Article en partenariat avec Maître Stanislas François, Avocat au Barreau de Lyon
SisypheAvocatsDans la nuit du 29 décembre 2017, une jeune femme de 22 ans, Mme Naomi Musenga est tragiquement décédée suite à un défaut de prise en charge rapide par le SAMU. Il résulte d’un enregistrement audio glaçant de l’échange entre Mme Musenga et le service d’urgence que ce dernier n’aurait pas pris au sérieux sa pathologie (défaillance multi viscérale sur choc hémorragique) allant même jusqu’en plaisanter :

"- J'ai mal au ventre, j'ai mal partout, je vais mourir...",
"- Oui, vous allez mourir, certainement un jour comme tout le monde (rires)"

Le défaut de déclenchement rapide des secours a conduit au décès de la jeune femme, qui vivait seule chez elle : ayant d’abord joint le centre d’appels des pompiers qui ne l’a pas prise au sérieux, elle a été renvoyée vers le SAMU, qui s’est moqué d’elle, puis vers SOS Médecins. Autant de temps perdu qui a scellé son sort.

C’est l’occasion de s’intéresser aux différentes responsabilités identifiables, et aux actions dont disposent aujourd’hui les ayants droit de la victime pour agir en justice.

Le cadre général de ce dramatique événement concerne la fonction publique hospitalière, puisque la jeune femme a contacté le SAMU qui dépend juridiquement d’un CHU. En la matière, la responsabilité est traditionnellement fondée (TC, 30 juillet 1873, Pelletier, n°00035) :

  • Soit sur la faute du service, à savoir un défaut d’organisation du SAMU (dysfonctionnement du service de secours) ayant conduit au drame,
  • Soit sur la faute personnelle d’un agent du SAMU dans l’exercice de ses fonctions,
  • Soit sur un cumul des deux fautes (CE, 3 février 1911, Anguet, n°34922).
De la caractérisation de la faute dépend le régime juridique applicable en matière de responsabilité :

  • La faute de service engage la seule responsabilité du service (le CHU dont dépend le SAMU) devant le juge administratif,
  • La faute personnelle engage la responsabilité personnelle du praticien devant le juge judiciaire.
Juridiquement, l’opératrice téléphonique du SAMU ayant cyniquement plaisanté sur le cas de Mme Musenga doit être regardée comme un assistant de régulation médicale (ARM) relevant statutairement de la fonction publique hospitalière. Il semble assez clair à ce stade, au regard des éléments dont nous disposons, qu’une faute personnelle de cet agent puisse aisément être caractérisée au cas d’espèce. En effet, au regard de la jurisprudence applicable, la faute personnelle peut notamment être celle qui se détache du service en raison de sa particulière gravité.

En ne prenant pas au sérieux l’appel d’une patiente et en s’en moquant au mépris de toute déontologie, il semble établi que l’assistant de régulation médicale du SAMU s’est rendu coupable d’une faute personnelle détachable du service en raison de sa particulière gravité, puisque la faute a conduit au décès de Mme Musenga. La violation flagrante du Code de déontologie médicale conduit également fréquemment à la caractérisation d’une faute personnelle détachable du service.

À l’inverse, il semble difficile de reconnaître une faute de service en la matière, dans la mesure où ce n’est pas le SAMU en tant que service d’urgence qui a dysfonctionné, mais bien l’un de ses agents pris isolément.

Néanmoins, un lien avec le service est existant puisque l'agent étant en poste au SAMU lorsqu'il a commis sa faute. Le système de responsabilité français est assez souple, dans l’intérêt des victimes et leurs ayants droit (TC, 19 mai 2014, Commune de Ventabren, n°C3939). Ainsi, même si le SAMU n’a commis aucune faute, puisqu'un lien même infime avec le service existe, les ayants droit de Mme Musenga auront le choix :
 
  • Soit d’engager la responsabilité du service (CHU dont dépend le SAMU) devant le tribunal administratif,
  • Soit d’engager la responsabilité de l’agent in personam devant le tribunal de grande instance.
Par le jeu des actions récursoires, et dans l’hypothèse où une faute personnelle détachable du service en raison de sa gravité serait caractérisée (ce qui est probable), la seule responsabilité de l’agent fautif du SAMU sera retenue in fine par le Tribunal saisi : le SAMU se retournera juridiquement contre l’agent fautif (CE, 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, n°04032) pour se décharger de responsabilité.

Rien ne répare le décès d’un proche, et les larmes n’ont pas de prix. Mais dans une optique d’indemnisation rapide et de solvabilité, il est préférable pour les ayants droit de la victime d’agir contre le CHU dont dépend le SAMU en question devant le juge administratif. Classiquement, un tel recours sera précédé d’une demande préalable d’indemnisation adressée au directeur du CHU, afin de lier le contentieux.

Les situations similaires à celle rencontrée par Mme Naomi Musenga sont heureusement rares. Dans une décision du 30 juin 2017, le Tribunal administratif de Nantes a toutefois récemment reconnu la responsabilité d’un CHU en raison d’un retard du SAMU dans la prise en charge d’un patient : le médecin régulateur avait considéré que la personne était ivre ou dépressive et n’avait pas mobilisé les moyens médicaux adéquats, ce qui avait eu pour conséquence d’aggraver le préjudice de la victime (Tribunal administratif de Nantes, 30 juin 2017, n° 1410488).

Bien évidemment, les ayants droit de la victime disposent en parallèle de la possibilité d’engager la responsabilité pénale de l’assistant de régulation médicale devant le tribunal correctionnel de ressort sur le fondement de la non-assistance à personne en danger (A. 223-6 du Code Pénal) voire de l’homicide involontaire (A. 221-6 du Code Pénal), outre l’action Ordinale.

Afin de voir sa responsabilité partagée (donc diminuée), l’assistant de régulation médicale mis en cause pourra toutefois engager une action récursoire contre le centre d’appels des pompiers, qui a été le premier à prendre l’appel de Mme Musenga. Il semble en effet que le service des pompiers aurait été le premier à dire « La dame que j'ai au bout du fil, elle me dit qu'elle va mourir. Si si, ça s'entend, elle va mourir » (L’Obs). Cet élément pourrait induire un partage de responsabilité puisqu’il pourrait être démontré que le centre d’appels des pompiers a influencé la prise en charge par l’assistant de régulation médicale du SAMU.

De la même manière, l’assistant de régulation médicale pourrait mettre en cause le médecin régulateur du SAMU, qui est seul en capacité de déclencher l’intervention des secours et qui semble avoir réagi tardivement en l’espèce.

Ce fait divers tragique peut surtout être l'occasion d'une refonte globale des services d'urgence, afin d'éviter toute réitération. 


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Faisant suite aux violents incidents qui ont émaillé Paris ce samedi 28 novembre 2020 au cours de la manifestation contre la loi de sécurité globale, d’aucuns se sont interrogés sur la réponse de l’État face aux « black blocs », ce groupe d’extrême gauche responsable des affrontements. Si le droit ne peut pas tout et qu’il est difficile de se prémunir de tout risque, trois pistes méritent toutefois d’être sérieusement envisagées.

1/ Peut-on juridiquement interdire les blacks blocs ?

L’article L212-1 du Code de la sécurité intérieure prévoit sept cas de figure dans lesquels le gouvernement peut dissoudre toutes les associations ou groupements de fait, et notamment :

  • S’ils provoquent à des manifestations armées dans la rue ;
  • S’ils présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;
  • Ou s’ils ont pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement.
La dissolution de l’association ou du groupement de fait prend la forme d’un simple décret en conseil des ministres.

Si les évènements du samedi 28 novembre se limitent à la destruction du mobilier urbain et de biens privés, ainsi que des faits de violence contre des représentants des forces de l'ordre, le gouvernement semble toutefois légitimement fondé, en théorie, à prononcer la dissolution des « black blocs » compte tenu de la situation insurrectionnelle rencontrée.

Néanmoins, un décret ministériel pris en ce sens n’aurait aucune incidence sur le réel. En effet, la mouvance « black blocs » est un groupement de fait, sans organisation, sans représentant, transnational et bien évidemment sans la moindre existence juridique. On touche alors aux limites de la puissance du droit : fût-il pris en conseil des ministres, un décret n’a pas la capacité de détruire un regroupement d’individus qui n’existe que ponctuellement, pour disparaître et se reconstituer aussitôt.

Juridiquement, les « black blocs » semblent donc insaisissables en tant que groupement, puisque le droit ne peut pas agir sur ce qui n’existe pas dans l’ordonnancement juridique.

2 / Peut-on sanctionner individuellement les blacks blocs ?

Sur le plan pénal, l’arsenal juridique semble suffisant pour sanctionner individuellement les « black blocs ».

En effet, comme nous l’avons d’ailleurs constaté ce 28 novembre, les individus identifiés comme casseurs au sein de la manifestation peuvent être rapidement interpellés par les forces de l’ordre, placés en garde à vue puis déférés rapidement devant le Procureur de la République ou le juge d’instruction.

Dans ce cadre, outre les sanctions pénales pouvant aller jusqu’à la prison (en fonction des infractions commises) une interdiction de manifester pourra être prononcée à leur endroit sous la forme d’une peine complémentaire prévue à l’article L. 211-13 du Code de la sécurité intérieure qui dispose que :

« Les personnes s’étant rendues coupables, lors du déroulement de manifestations sur la voie publique [de certaines infractions] encourent également la peine complémentaire d’interdiction de participer à des manifestations sur la voie publique, dans des lieux fixés par la décision de condamnation, pour une durée ne pouvant excéder trois ans. […] Le fait pour une personne de participer à une manifestation en méconnaissance de cette interdiction est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »

Cette interdiction pénale de manifester est toutefois prononcée a posteriori, alors que le mal est déjà fait dans cette hypothèse. Elle limitera le risque de récidive, mais n’aura aucun effet, par nature, sur les dégâts déjà occasionnés.

On touche alors à une limite de notre droit, mais également à une évolution possible : c’est la création d’une interdiction administrative individuelle de manifester, en amont de toute infraction, qui constitue une troisième piste.

3/ La création d’une interdiction administrative individuelle de manifester

Tous les français sont attachés à la liberté de manifester, protégée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Comme toute liberté, cette dernière s’exerce dans les limites du risque de trouble à l’ordre public, apprécié par l’autorité administrative sous le contrôle du juge. Les pouvoirs publics peuvent ainsi interdire une manifestation si elle est de nature à troubler l’ordre public (A. L211-4 du Code de la sécurité intérieure).
 
Néanmoins, on constate que les « black blocs » se greffent toujours sur des manifestations existantes, en cours de défilé sans jamais en être à l’origine. L’interdiction préalable d’une manifestation dans son ensemble est donc sans effet sur ces groupes de casseurs.
 
Plus efficace semble être l’interdiction administrative individuelle de manifester, qui n’existe pas à ce jour dans notre droit : c’est l’idée de donner la possibilité aux Préfets d’interdire à un ou plusieurs individus identifiés de manifester, pour une durée déterminée, sans qu’ils n’aient jamais été nécessairement condamnés sur le plan pénal.

On pense ici à des individus identifiés par les pouvoirs publics comme appartenant à la mouvance « black blocs » qui n’auraient jamais été sanctionnés pénalement et s’apprêteraient à participer à une manifestation pour semer le chaos.

C’est dans le cadre d’un rapport parlementaire de 2015 qu’avait été proposée au législateur l’introduction dans le droit français d’un tel dispositif préalable d’interdiction administrative de manifester, en l’absence de toute infraction pénale.

L’autorité préfectorale devrait alors apprécier si la personne concernée constitue une menace pour l’ordre public, en utilisant le faisceau d’indices suivant :

  • L’individu a déjà été nominativement condamné (le cas échéant), ou est « connu en tant que casseur violent » (sans nécessairement avoir été condamné) ;
  • Des risques sérieux et manifestes de trouble à l’ordre public sont existants ;
  • Des indices matériels faisant redouter la commission d’une infraction à l’occasion de la manifestation ont été relevés.
L’arrêté emporterait alors interdiction préalable pour la personne identifiée, de pénétrer, pendant une durée déterminée, au sein d’un périmètre spécifique comme celui d’une manifestation.

On pourrait imaginer un système de pointage en commissariat ou gendarmerie à l’occasion de chaque grande manifestation, à l’instar de la procédure prévue pour les hooligans interdits de stade, obligés de pointer le jour de chaque rencontre sportive de leur équipe, afin de s’assurer de la neutralisation des individus identifiés comme « black blocs ».

Mais, alors que cette nouvelle mesure proportionnée et très efficace avait été votée en première lecture par le Parlement dans le cadre de la très médiatique loi "anti-casseurs", c'est le Conseil constitutionnel qui a empêché son entrée en vigueur par sa décision contestable du 4 avril 2019 au nom du droit de toute personne à la "libre expression collective des idées et des opinions".

L'interdiction administrative de manifester est pourtant par ailleurs déjà fréquemment utilisée en Belgique et en Allemagne, avec efficacité selon le rapport parlementaire susmentionné.

Il semble, au regard des violences du 28 novembre, que la piste de la création d’une interdiction administrative de manifester doive être aujourd'hui réactivée. Bien utilisée, elle aurait pour avantage de neutraliser des « black blocs » en amont de manifestations identifiées comme à risque et donc de limiter le risque de violence. N'en déplaise au Conseil constitutionnel, la liberté d'expression n'est pas la liberté de casser. 

Cette mesure n’est pas seule à même de répondre à la menace « black blocs » et le droit ne peut pas tout face au réel. Elle a toutefois le mérite de constituer une piste intéressante d’évolution de notre droit, aux fins de préserver partout l’ordre républicain.

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