Quatre associations (Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France) ont récemment décidé, au nom de l’intérêt général, d’attaquer l’Etat français en justice pour qu’il respecte ses engagements climatiques. La pétition lancée en ligne
"l'Affaire du Siècle" a déjà recueilli un nombre record de plus de 2 millions de signatures. Si chacun peut constater la dégradation sans précédent de la qualité de l'air,
comme à Lyon par exemple, ou la multiplication des évènements climatiques comme la canicule (devenue banale en France), il est intéressant de se demander si la responsabilité de l’Etat peut réellement être engagée pour inaction climatique, comme le prétendent les associations à l'origine de "
l'Affaire du Siècle". L'exemple révélateur de la qualité de l'air nous servira de base de raisonnement.
1/ L’obligation pour l’Etat de prendre des mesures de police pour protéger la qualité de l'air
La police administrative est une activité de service public dont le seul but est d’assurer l’ordre public, qui recoupe notamment les impératifs de santé publique. Si l’édiction de mesures de police administrative est le plus souvent une possibilité pour l’autorité compétente, qui en apprécie l’opportunité, elle est aussi parfois une obligation.
En matière de pollution atmosphérique, les fondements de l’obligation d’agir qui incombe aux pouvoirs publics (surtout l’Etat) reposent tout d’abord sur la
Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle qui dispose en son article premier que «
Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
Par ailleurs, un certain nombre d’engagements européens et internationaux de la France (issus notamment de la
COP21) imposent à l’Etat d’agir.
Enfin, la loi pose un principe d’obligation :
- Par l’intermédiaire de l’impératif de protection de l’ordre public de l’article L.2212-2 du CGCT,
- Et par l’article L221-7 du Code de l’environnement, qui dispose que « L'Etat coordonne les travaux d'identification des facteurs de pollution ainsi que l'évaluation des expositions et des risques sanitaires relatifs à la qualité de l'air dans les environnements clos. Il élabore les mesures de prévention et de gestion destinées à réduire l'ampleur et les effets de cette pollution. Il informe le public des connaissances et travaux relatifs à cette pollution ».
À court terme, les pouvoirs publics, au premier rang desquels, le Préfet (qui représente l’Etat), disposent d’un panel de mesures de police pouvant être mises en œuvre en urgence, afin de limiter au maximum la pollution de l’air dans l’hypothèse d’un dépassement des seuils autorisés :
- Limitation de la vitesse maximale autorisée,
- Mise en place de la circulation alternée,
- Restrictions de circulation pour les poids lourds en ville, et aux abords immédiats,
- Gratuité des transports publics,
- Interdiction du trafic automobile en ville (sauf transports publics, professions autorisées et dérogations pour les véhicules de secours et d’urgence),
- Mise en place de contournements routiers,
- Gratuité du stationnement urbain.
À long terme, l’autorité de police est tenue de prendre les mesures nécessaires à l’application des législations et réglementations environnementales édictées (la jurisprudence considérant qu'il s'agit là d'une obligation
CE, 23 juin 1976, Latty). Que l’on pense par exemple à l’ensemble des normes édictées pour limiter les émissions de dioxyde de carbone des industries, et des particuliers.
La mesure de police devient indispensable dès lors qu’elle est nécessaire pour faire cesser un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour l’ordre public (CE, 14 décembre 1959, Doublet), ce qui est indéniablement le cas de la pollution atmosphérique.
Il est donc clair que les fondements juridiques ne manquent pas pour démontrer que l’Etat est tenu de prendre, à court terme comme à long terme, des mesures permettant efficacement de protéger la qualité de l'air, et plus généralement de l'environnement.
2/ L’inertie de l’Etat engage sa responsabilité
Or l’inertie des pouvoirs publics est susceptible d’engager leur responsabilité.
En effet, en matière de police administrative toute carence dans l’édiction ou la mise en œuvre d’une mesure de police est fautive. En tant que telle, elle engage la responsabilité de l’autorité compétente.
On peut donc imaginer que tout citoyen résidant dans une zone impactée par un épisode de pollution est en droit de demander réparation à l’Etat à ce titre. De la même manière, on peut donc tout à fait envisager que des associations de protection de l'environnement attaquent l'État en justice pour inaction climatique dans le cadre de
"l'Affaire du Siècle".
Comme en matière de responsabilité civile, il conviendra toutefois de démontrer un préjudice, et un lien de causalité.
Le préjudice se démontrera sur le fondement de certificats médicaux ou d'études sérieuses attestant d'un impact réel sur la santé des personnes (maladie respiratoire, pulmonaire, ou cardiovasculaire, par exemple). À défaut, il se démontrera sur le fondement du risque (mise en danger), ou du préjudice futur pour la population.
Le lien de causalité entre la faute (carence fautive de l’Etat dans la mise en œuvre de mesures de police permettant de lutter contre la pollution) et le préjudice (impact sur la santé de la population) devra également être démontré. C'est sans doute le point juridique le plus délicat. Au regard de l’ensemble des mesures disponibles, et qui n’ont pas été mises en œuvre par l'État (interdiction du diesel, mise en place de péages urbains, renouvellement du parc automobile, interdiction du chauffage au bois, décarbonisation de l’économie et transition écologique, etc.) il ne sera toutefois pas impossible de le démontrer, sans que la force majeure, ou l’obligation de moyens ne permettent à l'État d'échapper à sa responsabilité.
Pour
"l'Affaire du Siècle", le litige sera porté devant le Tribunal administratif de Paris.
Une demande indemnitaire préalable précise, chiffrée et fondée juridiquement devra à cette fin être adressée aux Ministres et / ou aux Préfets, afin de lier le contentieux, au besoin en cours d’instance.
Le plus intéressant sera toutefois de solliciter du juge administratif qu'il fasse usage de son pouvoir d'injonction pour contraindre l'État à respecter ses engagements et son obligation de protection de la santé publique de ses administrés, au besoin sous astreinte. Contrairement à ce qu'a indiqué non sans humour le ministre de l'environnement Rugy, la justice administrative dispose bel et bien de la capacité de contraindre juridiquement l'État à agir, via ses pouvoirs d'injonction et d'astreinte :
Dans le cadre de
"l'Affaire du Siècle", un calendrier de procédure a déjà été établi :
***
L'action juridique des associations qui portent
"l'Affaire du Siècle" est donc intéressante et pourrait porter ses fruits, compte tenu de l’obligation d’agir qui incombe à l'État en matière d'environnement. Au regard de la catastrophe annoncée, l'heure n'est plus à la discussion, mais à l'action urgente. Notre responsabilité à l’égard des enfants, et des générations futures est historique. C'est bien l'affaire du siècle.
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