La grève des éboueurs empire à Paris avec plus de 10 000 tonnes de déchets entassés sur les trottoirs le 16 mars 2023. Après le refus de la maire de Paris de faire procéder à l’enlèvement des ordures ménagères sur sa commune, le préfet de police a annoncé qu’il allait procéder à la réquisition des personnels en grève.
On fait le point en la matière avec 10 questions juridiques autour de la grève des éboueurs :
1 / Qui est responsable de l’enlèvement des ordures ménagères sur une commune ?
2/ Quelles conséquences si l’enlèvement des ordures ménagères n’est pas effectué dans une commune ?
3/ Peut-on faire procéder de force à l’enlèvement des ordures ménagères ?
4/ Comment s’opère concrètement la réquisition du personnel nécessaire à l’enlèvement des ordures ménagères ?
5/ La réquisition n’est-elle pas un obstacle illégal au droit de grève ?
6/ Est-ce que tous les agents du service municipal d’enlèvement des ordures ménagères peuvent être réquisitionnés ?
7/ Un agent peut-il s’opposer à sa réquisition ?
8/ La réquisition est-elle juridiquement contestable ?
9/ Existe-t-il un service minimum d’enlèvement des ordures ménagères ?
10/ Peut-on révoquer un maire défaillant en matière d’enlèvement des ordures ménagères ?
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Paris, le mercredi 15 mars 2023
Le maire est responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune. La salubrité publique fait partie de l’ordre public[1]. C’est donc le maire qui est garant de la salubrité de sa commune et doit mettre en œuvre tous ses pouvoirs en ce sens.
Le non-enlèvement des ordures ménagères dans une commune fait naître un risque de salubrité publique. La responsabilité de la survenance de ce risque incombe au maire, garant de l’ordre public, pour carence fautive dans l’exercice de ses pouvoirs de police.
En cas de carence fautive du maire dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police, le préfet peut s’y substituer en procédant à des réquisitions de personnels[2].
L’exercice du droit de réquisition suppose deux conditions : l'inaction du maire et une mise en demeure préalable demeurée infructueuse.
Le préfet peut procéder à la réquisition du personnel nécessaire à l’enlèvement des ordures ménagères après une mise en demeure adressée au maire sans résultat.
Il n’existe pas de délai prévu par les textes pour cette mise en demeure, qui peut donc être très brève.
Lorsqu’il met en œuvre la réquisition, le préfet exerce alors ce pouvoir au nom et pour le compte de la commune et engage la responsabilité de la commune, et non de l'État, en cas de dommages[3].
Non. La Constitution dispose que le droit de grève n’est pas absolu, mais qu’il s’exerce « dans le cadre des lois qui le réglementent »[4].
Le droit de grève doit donc être concilié avec les impératifs de l’ordre public, où il trouve sa limite.
Dans la mesure où les réquisitions ne concernent pas tous les agents, mais seulement un petit contingent nécessaire pour assurer un service minimum, elle est compatible avec le droit de grève.
Le Conseil constitutionnel a même déjà jugé qu’il appartient au législateur d’apporter au droit de grève les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public, et que « ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays »[5].
Non. En pratique, la réquisition s’opère par arrêté préfectoral listant les personnels réquisitionnés. Le préfet ne réquisitionne pas tous les agents, mais seulement un contingent nécessaire pour assurer un minimum de service.
Si la réquisition est trop large, elle risque en effet de porter atteinte à l’exercice du droit de grève. Le droit de grève et les impératifs de l’ordre public doivent être conciliés, sans que l’un empiète trop sur l’autre.
Non. Le fait pour un agent de faire obstacle à sa réquisition est passible de sanctions disciplinaires et pénales.
Oui. Le tribunal administratif de ressort peut être saisi d’un recours contre l’arrêté préfectoral portant réquisition de personnels. S’agissant d’une liberté fondamentale (le droit de grève) un recours en référé liberté est envisageable.
La décision est alors rendue par le juge dans un délai très bref de 48H[6].
Non, il n’existe pas de service minimum d’enlèvement des ordures ménagères. Il n’existe pas de loi générale sur le service minimum, mais simplement des textes sectoriels le prévoyant de manière exceptionnelle, comme en matière de transports publics[7] ou d’écoles maternelles[8].
Il serait possible d’instaurer un service minimum d’enlèvement des ordures ménagères par la loi.
En cas de manquements graves et répétés aux obligations qui s’attachent aux fonctions de maire, le premier édile peut être suspendu par arrêté ministériel motivé ou révoqué par décret motivé pris en conseil des ministres.[9]
Un maire défaillant en matière d’enlèvement des ordures ménagères ne pourrait donc pas être immédiatement révoqué, mais en cas de manquements graves et répétés à ses obligations de maintien de l’ordre public, dont l’enlèvement des ordures ménagères fait partie, la sanction devient possible.
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Lire aussi :
- "10 questions sur le service minimum en France"
- "Pourquoi le service minimum dans les transports publics ne fonctionne pas en France"
- "Banderole contre la réforme des retraites sur la Mairie de Paris : c’est totalement illégal"
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[1] Article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales
[2] Article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales
[3] CE 16 févr. 1979, Mallisson
[4] Alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946
[5] Conseil constitutionnel, Décision n° 87-230 DC du 28 juillet 1987
[6] Article L. 521-2 du code de justice administrative
[7] Article L. 1222-1 et suivants du code des transports
[8] Loi n° 2008-790 du 20 août 2008 instituant un droit d'accueil pour les élèves des écoles maternelles et élémentaires pendant le temps scolaire
[9] Article L. 2122-16 du code général des collectivités territoriales
Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon
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