Le samedi 25 février 2023, le maire de la commune de Fameck (57290) a annoncé sa décision de déprogrammer un spectacle co-écrit par Pierre Palmade dont la représentation devait avoir lieu le 10 mars[1].
Mais est-ce bien légal ?
OUI… mais pas n’importe comment
L’interdiction préventive d’un spectacle écrit ou joué par Pierre Palmade ne peut être fondée que sur un strict motif d’ordre public, comme un appel de manifestants à venir perturber la soirée en nombre, car le juge administratif est très sensible à la protection des libertés comme la liberté de réunion et d’expression. Or en l’état, le maire de la commune où doit se tenir le spectacle le 10 mars a invoqué le motif de « la lutte contre le trafic de stupéfiants » pour l’interdire, ce qui paraît inadéquat et insuffisant. Saisi en référé liberté, le juge pourrait ordonner le maintien de la représentation et déjuger le maire.
La représentation d’un spectacle est à la croisée de plusieurs libertés fondamentales : liberté de réunion, liberté d’expression, liberté du commerce et de l’industrie, etc.
À l’inverse, l’interdiction d’une représentation est une mesure de police administrative attentatoire à ces libertés pour une raison d’ordre public.
En droit français, la conciliation entre l’exercice des libertés fondamentales et la protection nécessaire de l’ordre public peut être résumée par l’adage « La liberté est la règle, la restriction de police l’exception »[2].
Le système français est donc équilibré de la manière suivante : les libertés publiques doivent être protégées de manière absolue ; néanmoins, l’exercice de ces libertés ne saurait pouvoir troubler l’ordre public établi par la loi. C’est la traduction juridique de la célèbre maxime « La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres ».
La limitation proportionnée de l’exercice d’une liberté ne peut ainsi se justifier que par une stricte raison d’ordre public[3].
Un maire ne peut donc interdire la représentation d’un spectacle prévu sur le territoire de sa commune que pour une raison liée à la sauvegarde de l’ordre public, c’est-à-dire le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques[4].
L’autorité de police doit toujours être en mesure de démontrer que la mesure restrictive de liberté n’est pas excessive par rapport au risque de trouble à l’ordre public, sous le contrôle du juge administratif. En définitive, pour qu’une mesure de police soit légale, il faut ainsi qu’elle tende à maintenir l’ordre public par les moyens les moins rigoureux possibles[5].
L’accident dramatique causé par Pierre Palmade le 10 février 2023, qui a entraîné la mort d’un enfant à naître, a suscité une forte émotion nationale[6]. Dans ce contexte, il est compréhensible que la représentation d’un spectacle co-écrit par l’humoriste puisse susciter la polémique dans une commune de taille moyenne. Cependant, l’émotion ne suffit pas pour interdire légalement un spectacle : il faut qu’un vrai risque de trouble à l’ordre public soit caractérisé.
L’interdiction préventive du spectacle du 10 mars pourrait se justifier si le maire mettait en avant un risque fort de manifestations destinées à interrompre ou troubler la représentation au nom, pourquoi pas, de la sécurité routière ou pour faire parler du sujet. Surtout, le maire doit disposer d’éléments précis à cet effet, c’est-à-dire d’un appel à manifester, ou de messages publiés sur les réseaux sociaux appelant à troubler la représentation. En absence d’éléments précis en ce sens, l’interdiction est illégale. C’est ce qu’a déjà jugé le Conseil d’État à propos des spectacles de l’humoriste controversé Dieudonné en 2015[7].
Or, dans une interview du samedi 25 février 2023, le maire de Fameck a préféré mettre un avant « la lutte contre le trafic de stupéfiants » pour justifier l’interdiction préventive du spectacle co-écrit par Pierre Palmade sur le territoire de sa commune[8]. Une telle justification apparaît très fragile et insuffisante compte tenu des règles strictes posées par la loi et la jurisprudence pour interdire un spectacle. En l’absence d’éléments précis permettant de caractériser un vrai risque de trouble à l’ordre public à Fameck le 10 mars, l’interdiction prise par le maire semble excessive. Le juge administratif est en effet très sensible à la protection de la liberté d’expression, qui est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés.
Si les organisateurs du spectacle co-écrit par Pierre Palmade souhaitent contester la mesure d’interdiction préventive prise par le maire de Fameck, ils disposent de la possibilité de saisir le juge administratif en urgence en référé liberté[9]. Le juge se prononcera alors dans les 48 heures pour ordonner ou non le maintien de la représentation. En l’état des justifications avancées par le maire, le juge pourrait dans ce cadre ordonner le maintien de la pièce.
Face à de tels événements tragiques, revient toujours l’éternel questionnement : faut-il séparer l’homme de l’artiste ?
[2] CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855
[3] CE, 19 mai 1933, Benjamin, n°17413, 17520
[5] CE, 21 janvier 1994, Commune de Dammarie-Les-Lys, n° 120043
[7] CE, réf., 6 févr. 2015, n° 387726 ; CE 9 nov. 2015, n° 376107
Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon
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