Enseignante tuée par un élève en classe : quelle responsabilité pour l’État ?

mercredi, 22 février 2023 14:06
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Le mercredi 22 février 2023 à 10H, une enseignante d’espagnol du lycée privé Saint Thomas d’Aquin de Saint-Jean-de-Luz a été mortellement poignardée par un élève en pleine classe (Le Monde). Qui est responsable juridiquement ?

La première responsabilité est celle de l’auteur des faits, qui sera recherchée sur le plan pénal. Il est néanmoins intéressant de s’intéresser à la responsabilité de l’État, qui a placé son agent dans une situation dangereuse.

Une obligation de sécurité pèse sur l’employeur public vis-à-vis de tous ses agents (1). Dans l’hypothèse de la survenance d’un événement dramatique au cours du service, le régime de responsabilité applicable est celui de la responsabilité sans faute, facile à engager pour les ayants droit, qui seront indemnisés par l’État sans avoir à prouver le manquement à son obligation de sécurité (2). Si d’autres enseignants s’estiment en danger dans ce contexte, ils peuvent exercer leur droit de retrait (3).

1/ Une obligation de sécurité de résultat pèse sur l’employeur public vis-à-vis de tous ses agents

Les enseignants des établissements privés associés à l’État ne sont pas des fonctionnaires titulaires, mais des agents contractuels de droit public. Les droits et obligations des fonctionnaires sont toutefois dans l’ensemble applicables aux agents contractuels dans la fonction publique.

Le code général de la fonction publique consacre une obligation de sécurité de l’employeur public vis-à-vis de ses agents « Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux agents publics durant leur travail »[1]. Pour l’application de ces dispositions, le code général de la fonction publique renvoie très largement aux dispositions applicables dans le code du travail.

En droit du travail, l’obligation de sécurité de l’employeur vis-à-vis de ses salariés a été assouplie par la jurisprudence, d’une stricte obligation de résultat à une obligation considérée par la doctrine comme "de moyens renforcée"[2].

Dans la sphère publique, c’est sur le chef de service que repose l’obligation de sécurité des agents[3]. L’administration doit donc prendre toutes les mesures qui s’imposent pour ne pas placer ses agents dans une situation dangereuse, avec un risque de survenance d’un dommage. Il s’agit d’une stricte obligation de résultat.

2/ Le régime de responsabilité applicable est celui de la responsabilité sans faute, facile à engager

Le manquement à l’obligation de sécurité qui incombe à l’État semble aisé à établir pour le drame du 22 février 2023, s’agissant d’un élève qui a apporté en classe un grand couteau dans son sac et dont la dangerosité n’a pas été décelée en amont. Le débat sur l’installation de portiques de sécurité obligatoires à l’entrée des établissements rebondira probablement médiatiquement.

Cependant, pour engager la responsabilité de l’État en la matière, il n’est même pas nécessaire juridiquement de prouver un dysfonctionnement de sa part.

En effet, dans l’hypothèse de la survenance d’un accident ou d’un événement dramatique au cours du service, les agents de l’administration et leurs ayants droit bénéficient d’un régime de responsabilité sans faute de l’État[4] c’est-à-dire automatique.

La responsabilité sans faute est une responsabilité pouvant être engagée de plein droit, d’ordre public, même en l’absence de faute. Ceci signifie que les ayants droit de l’enseignante tuée pendant le service n’auront même pas besoin de démontrer que l’État a manqué à son obligation de sécurité pour engager sa responsabilité : celle-ci sera, en quelque sorte automatique et découle de la simple survenance de l’événement dramatique qui sera reconnu comme un accident de service (agression sur le lieu et dans le temps de service de l’agent).

L’indemnisation des ayants droit de la victime sera donc de droit, à charge pour l’État de se retourner contre l’auteur des faits dans le cadre d’une action récursoire et nonobstant les poursuites pénales engagées contre l’auteur des faits.

3/ Si d’autres enseignants s’estiment en danger dans ce contexte, ils peuvent exercer leur droit de retrait

Dans ce contexte dramatique, si d’autres enseignants s’estiment en situation de danger, ils pourront exercer leur droit de retrait. Il faut toutefois des circonstances précises.

Le droit de retrait ne peut en effet être exercé qu’en cas de situation professionnelle présentant un danger grave et imminent pour la santé physique de l’agent.

Les textes prévoient ainsi que l'agent doit alerter immédiatement l'autorité administrative compétente de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection[5].

Il peut se retirer d'une telle situation.

L'autorité administrative ne peut alors pas demander à l'agent qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans cette situation, ni appliquer aucune sanction disciplinaire ni aucune retenue de traitement.

On peut penser en l’espèce que les enseignants du lycée privé Saint Thomas d’Aquin de Saint-Jean-de-Luz pourront exercer leur droit de retrait, mais pas tous les agents de l’éducation nationale sans circonstances locales particulières.

 

[1] Article L. 136-1 du code général de la fonction publique

[2] Soc. 8 nov. 2017, n°16-18.008, NP

[3] CE, sect., 7 février 1936, Jamart, req. n°43321

[4] CE, 21 juin 1895, Cames, req. n° 82490

[5] Décret n°82-453 du 28 mai 1982


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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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