Conseil d’État, 28 septembre 2021, n°431625Le Conseil d’État a pris prétexte d’un litige opposant des masseurs-kinésithérapeutes à une commune pour trancher une question importante :
une personne publique peut-elle légalement louer un de ses biens pour un loyer inférieur à sa valeur locative ?Le contexte est assez simple : une commune avait signé un contrat de location de locaux professionnels avec un masseur-kinésithérapeute à des conditions préférentielles, c’est-à-dire en dessous des prix pratiqués sur le marché locatif.
Or quatre autres masseurs-kinésithérapeutes ont attaqué en justice ce contrat, l’estimant illégal. Ils considéraient que ce « prix d’ami » caractérisait une concurrence déloyale à leur détriment et qu’en favorisant ainsi l’implantation d’un de leurs confrères, la commune n’avait pas respecté la loi.
Dans un premier temps, le Conseil d’État a constaté après examen des pièces du dossier que les conditions du bail conclu par la commune en question étaient en effet bien plus favorables que celles du marché compte tenu du loyer moyen au mètre carré versé par d'autres professionnels de santé pour des locaux similaires.
Dans un second temps, le Conseil d’État a posé le principe suivant : une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien,
sauf si cette location est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes.
Dans le cas qui lui était présenté, la justification pouvait par exemple être de
favoriser l’installation d’un professionnel de santé dans une zone rurale sinistrée comportant une offre insuffisante de soins pour cette profession. Mais ce n’était pas le cas concrètement en l’espèce, puisque quatre autres masseurs-kinésithérapeutes étaient présents sur le territoire concerné, et le Conseil d’État a donc statué en défaveur de la commune.
Il faut donc retenir que la commune peut tout à fait louer un de ses biens pour un loyer inférieur à sa valeur locative,
à condition de le justifier par un motif d'intérêt général et prévoir des contreparties suffisantes.
Une commune rurale sans médecin pourrait donc louer un de ses biens à un praticien à un loyer inférieur au marché en contrepartie d’un engagement du thérapeute à exercer un certain temps sur le territoire par exemple… à condition qu’il n’y ait bien aucun médecin déjà sur place (désert médical).
Cette clarification du Conseil d’État est bienvenue, car elle sécurise la prise de décision de certaines collectivités, surtout en zone rurale. Reste à savoir jusqu’où peut aller la décote ainsi opérée…