Dans la soirée du 16 mars 2022, un homme est tragiquement décédé suite à un défaut de prise en charge rapide par le CHRU de Strasbourg (
RTL). L'homme atteint d'une hémorragie digestive aurait attendu plus de 14 heures dans la salle d'attente des urgences de Strasbourg avant d'être pris en charge. Autant de temps perdu qui a scellé son sort.
Des responsabilités sont identifiables dans ce dramatique accident.
Le cadre juridique applicable concerne la fonction publique hospitalière. En la matière, la responsabilité est traditionnellement fondée (TC, 30 juillet 1873,
Pelletier, n°00035) :
- Soit sur la faute du service, à savoir un défaut d’organisation du CHU (dysfonctionnement du service de secours) ayant conduit au drame,
- Soit sur la faute personnelle d’un agent du CHU dans l’exercice de ses fonctions,
- Soit sur un cumul des deux fautes (CE, 3 février 1911, Anguet, n°34922).
De la caractérisation de la faute dépend le régime juridique applicable en matière de responsabilité :
- La faute de service engage la seule responsabilité du service (le CHU) devant le juge administratif,
- La faute personnelle engage la responsabilité personnelle du praticien devant le juge judiciaire.
Compte tenu des éléments disponibles à ce stade, il semble que le défaut de prise en charge du malade résulte d'un manque de lits disponibles, ayant retardé considérablement le début des soins (
RTL). C'est le CHU en tant que service d’urgence qui a dysfonctionné et pas l’un de ses agents pris isolément. Il semble donc assez clair qu'une faute de service puisse être caractérisée (mauvaise organisation).
Les ayants droit de la victime pourront donc agir contre le CHU devant le juge administratif. Un tel recours sera précédé d’une demande préalable d’indemnisation adressée au directeur du CHU, afin de lier le contentieux.
Dans l'hypothèse où un professionnel de santé aurait également commis une faute (mauvais diagnostic ou désinvolture ayant conduit au retard de prise en charge), la faute de service pourrait se doubler d'une faute personnelle. Dans ce cas là, les ayants droit de la victime pourront également engager la responsabilité de l’agent
in personam devant le tribunal judiciaire. Par le jeu des actions récursoires, le CHU pourra alors se retourner juridiquement contre l’agent fautif (CE, 28 juillet 1951,
Laruelle et Delville, n°04032) pour se décharger de responsabilité.
Les ayants droit de la victime disposent en parallèle de la possibilité d’engager la responsabilité pénale du praticien devant le tribunal correctionnel de ressort sur le fondement de la non-assistance à personne en danger (
A. 223-6 du Code Pénal) voire de l’homicide involontaire (
A. 221-6 du Code Pénal), outre l’action Ordinale.
Les situations similaires sont heureusement rares. Dans une décision du 30 juin 2017, le Tribunal administratif de Nantes a toutefois récemment reconnu la responsabilité d’un CHU en raison d’un retard du SAMU dans la prise en charge d’un patient : le médecin régulateur avait considéré que la personne était ivre ou dépressive et n’avait pas mobilisé les moyens médicaux adéquats, ce qui avait eu pour conséquence d’aggraver le préjudice de la victime (
Tribunal administratif de Nantes, 30 juin 2017, n° 1410488). L'affaire Naomi Musenga a également fait apparaître des dysfonctionnements graves des services d'urgence (
lire notre article "Qui est responsable juridiquement de la mort de Naomi Musenga ?").
Ce fait divers tragique peut surtout être l'occasion d'une refonte globale des services d'urgence, afin d'éviter toute réitération.
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