Peut-on juridiquement interdire le "burkini" sur les plages françaises ?

vendredi, 12 août 2016 11:02
Par arrêté n°1612754 en date du 28 juillet 2016, le maire de Cannes a interdit l’accès aux plages et à la baignade sur le territoire de la commune jusqu’au 31 août 2016 à « toute personne n’ayant pas une tenue correcte, respectueuse des bonnes mœurs et de la laïcité, respectant les règles d’hygiène et de sécurité des baignades adaptées au domaine public maritime ».

Concrètement, cette interdiction, sanctionnée par une amende de 38 euros, vise le vêtement de bain destiné aux femmes musulmanes dit « burkini », qui couvre tout le corps de la tête aux pieds.

Une telle décision est-elle légale ?

L’arrêté municipal d’interdiction est motivé juridiquement sur différents fondements :

  • Le respect des règles d’hygiène sur les plages de la commune,
  • La sécurité, qui imposerait que les baigneurs ne soient pas entravés par leur tenue de baignade, et que celle-ci puisse compliquer les opérations de sauvetage en cas de noyade,
  • Les risques de troubles à l’ordre public (attroupements, échauffourées) qui seraient générés par une telle tenue de plage manifestant de manière ostentatoire une appartenance religieuse, dans un contexte d’attentats à répétition et d’état d’urgence,
  • Le principe constitutionnel de laïcité,
  • Le principe de neutralité des services publics,
  • Les bonnes mœurs,
  • Le bon ordre, la sécurité et la salubrité publics,

En premier lieu, la multiplication des fondements juridiques susceptibles de motiver l’arrêté démontre par elle-même une certaine fragilité de ce dernier.

En deuxième lieu, la plupart des motivations juridiques avancées dans l’arrêté sont fantaisistes.

Ainsi du fait que ladite tenue compliquerait les opérations de sauvetage en cas de noyade, qui prête à rire tant elle a peu de sens : le maire de Cannes envisage-t-il d’interdire également la plongée sous-marine et sa tenue associée sur le territoire de sa commune ?

Ainsi encore du principe de neutralité des services publics, qui ne s’applique pas aux usagers (sauf cas particulier de l’école publique) ou du principe constitutionnel de laïcité, qui ne peut constituer le fondement d’une interdiction de port de signe religieux dans l’espace public (hors cas particulier du voile intégral).

Nous passerons sur la notion de « bonnes mœurs », comme n’ayant pas réellement de consistance juridique en droit public de nos jours.

Le respect des règles d’hygiène est un fondement juridique plus sérieux, dans la mesure où il justifie déjà l’interdiction de la baignade habillée (donc du « burkini ») dans le règlement intérieur des piscines publiques françaises, au même titre que le short de bain pour les garçons. Il n’en demeure pas moins que s’appuyer sur les règles d’hygiène pour interdire un tel vêtement à la plage relève du non-sens le plus absolu.

En dernier lieu, le risque de trouble à l’ordre public nous apparaît comme le moyen juridique le plus sérieux quant à la légalité de l’arrêté en question. En effet, dans un contexte difficile d’attentats à répétition, le risque d’attroupements ou d'émeutes lié à une baignade en « burkini » pourrait être existant, sur des plages très fréquentées pendant l’été (par l’édiction d’un tel arrêté, et relativement au risque de trouble à l’ordre public, on peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure la cause ne devient pas l’effet). Il apparaît cependant peu probable que le juge administratif considère que le risque de trouble est tel, que seule l’interdiction du maillot de bain islamique serait susceptible de maintenir l’ordre public sur les plages cannoises (rappellons que l’autorité compétente doit toujours, avant de prendre une mesure de police, s’interroger sur le caractère excessif, ou pas, de la mesure par rapport au risque de trouble à l’ordre public  - CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413 et 17520).

On note toutefois que l’interdiction instituée est limitée dans le temps (au 31 août) et donc pas générale et absolue, ce qui pourrait plaider en faveur de l’arrêté.

Il résulte néanmoins de ce qui précède que la légalité de l’arrêté du 28 juillet 2016 du maire de Cannes est plus qu’incertaine. Saisi de la question en référé suspension ou référé liberté, le juge administratif suspendrait très certainement cet arrêté dans les 48 heures de l’introduction de la requête (une requête en référé-liberté a d'ailleurs déjà été déposée par le "Collectif contre l'islamophobie" vendredi 12 août), avant une annulation au fond.

Soyons lucides, une telle interdiction, qui monopolise l’attention des médias en cette période creuse des vacances estivales, relève davantage de la sphère politique et médiatique, que juridique.

Enfin, au-delà du caractère peu dissuasif du montant de l’amende pour port de « burkini » (38 euros), on sait déjà que de riches particuliers ou des fonds étrangers prennent en charge ces amendes pour le compte des femmes verbalisées, à l’instar de ce qui se pratique pour le voile intégral, ce qui neutralise l'effet souhaité de l'interdiction.

Si un débat sur le port de telles tenues religieuses, à la plage ou plus généralement dans l'espace public peut tout à fait s'entendre, et est même sans doute souhaitable s'il est apaisé, on regrettera que ce type d'arrêtés municipaux pris à la va-vite, et mal ficelés juridiquement donnent paradoxalement une visibilité médiatique maximale aux comportements minoritaires qu’ils sont pourtant censés dénoncer.

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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