L’installation des crèches de Noël dans les mairies (comme dans tout autre bâtiment public) se situe à la croisée de deux impératifs :
Ces deux exigences paraissent, de prime abord, difficilement conciliables, même si le Conseil d’Etat a démontré en
2013 qu’une interdépendance les liait :
« L’exigence de neutralité religieuse du service public a pour objet de protéger la liberté de conscience des usagers de ce service ».
À l’instar des menus différenciés dans les cantines scolaires, du port ostentatoire de signes religieux dans l’espace public, ou des carrés confessionnels dans les cimetières, l’installation d’une crèche de Noël dans une mairie fait réagir.
Alors que certains voient en la matière une simple affirmation des
« racines chrétiennes de la France », qu’il conviendrait d’assumer, d’autres se sentent heurtés dans leurs propres croyances (par définition non chrétiennes), et donc exclus de la communauté républicaine qu’incarne le service public.
Caricature sur le sujet des crèches
À l’approche des fêtes de fin d’année, un point juridique sur la question nous est apparu pertinent.
1/ Que dit le Conseil d’État sur la question ?
Le Conseil d’Etat a tout d'abord rappelé le principe : la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat interdit d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur, et dans, les bâtiments publics (
Article 28).
Par conséquent, d’aucuns pourraient penser que l’installation d’une crèche de Noël (symbolisant, faut-il le rappeler, le berceau du Christ –
Évangile selon Saint Luc, chapitre 2) dans une mairie irait directement à l’encontre de cette disposition législative et serait donc prohibée.
Il n’en est rien.
En effet, selon le Conseil d’Etat, une crèche de Noël ne présente pas toujours, dans notre société contemporaine, un caractère strictement religieux.
En quelque sorte, selon la Haute juridiction administrative, la crèche de Noël peut parfois être regardée comme déchristianisée, c’est-à-dire, de nos jours, comme une simple décoration de Noël (au sens traditionnel, ou commercial), et non comme une composante d’un prosélytisme chrétien :
« […]
Une crèche de Noël est une représentation susceptible de revêtir une pluralité de significations. Il s’agit en effet d’une scène qui fait partie de l’iconographie chrétienne et qui, par là, présente un caractère religieux. Mais il s’agit aussi d’un élément faisant partie des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement, sans signification religieuse particulière, les fêtes de fin d’année […] » (
395122).
Par conséquent, et fort logiquement, le Conseil d’Etat considère que l’installation d’une crèche de Noël dans un bâtiment public n’est pas, en soi, interdite par la loi.
2/ Les réserves du Conseil d'Etat
Maniant l’art du syllogisme imparfait, le Conseil d’Etat a toutefois expliqué que si cette installation n’est pas, par nature, illégale, elle n’est pas pour autant de facto systématiquement autorisée.
En effet, selon le juge administratif, l’installation d’une crèche par une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse.
Doivent être pris en compte, pour porter cette appréciation :
- Le contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme,
- Les conditions particulières de l’installation,
- L’existence ou l’absence d’usages locaux,
- Le lieu de l’installation.
Saisi de la question au contentieux par un administré, le juge du fond (Tribunal administratif) appréciera donc, le cas échéant, comment s’inscrit la crèche de Noël au sein de l’édifice public, au regard des quatre critères susvisés :
- Installée dans un contexte trop « chrétien », la crèche de Noël sera illégale,
- Présentée comme un élément de décor des fêtes de fin d’années (déchristianisée, en quelque sorte), la crèche de Noël sera légale.
Comme l'a résumé François Baroin, Président de l'Association des maires de France, par une formule, le juge cherchera ainsi à savoir si la crèche est «
cultuelle ou culturelle » (
La Croix, 10/11/16).
On note par ailleurs, au regard de la rédaction des décisions du Conseil d’Etat, que l’appréciation du juge sera bien plus stricte lorsque la crèche sera située au sein d’un bâtiment public (ex : hall d’entrée de la mairie), qu’en extérieur (ex : sur la voie publique).
L'étude des décisions rendues par la justice administrative sur le sujet des crèches démontre une grande sévérité, et une faible cohérence. En effet, le 6 octobre 2017, la juridiction administrative décidait
le même jour qu’une crèche de Noël était
légale en Vendée, mais
illégale en Rhône-Alpes. Par ailleurs, on constate que seulement 3 crèches (celles de Vendée, Sorgues et Région Auvergne-Rhône-Alpes) ont été validées par la justice depuis les décisions du Conseil d'Etat du 9 novembre 2016 fixant la jurisprudence :
- Le 16 juillet 2015, le TA de Montpellier a validé l’installation d’une crèche de Noël à l’intérieur de l’hôtel de ville de Béziers « […] cette crèche de nativité […] constitue l'exacte reproduction figurative de la scène de la naissance de Jésus de Nazareth, telle qu'elle est décrite dans l'évangile selon Luc […] ainsi elle a une signification religieuse [cependant] l'installation de cette crèche a constamment été présentée […] comme une exposition s'inscrivant dans le cadre d'animation culturelles […], sans qu'aucun élément du dossier ne vienne révéler une intention différente et/ou la manifestation d'une préférence pour des personnes chrétiennes […] elle ne peut donc être regardée comme ayant le caractère revendiquée de symboles de la religion chrétienne […] ». La décision du TA de Montpellier a toutefois été invalidée par la CAA de Marseille le 3 avril 2017, puis le Conseil d'Etat le 9 novembre 2017 ;
- À l'inverse, alors que le TA de Nantes avait dans un premier temps invalidée la crèche de l'hôtel de Département Vendée le 14 novembre 2014, la CAA de Nantes a validé le 6 octobre 2017 la crèche de la nativité, qui constitue à ce jour la seule crèche autorisée et validée par la justice administrative : « […] Il ressort des pièces versées au dossier que la crèche en litige est, depuis l’achèvement de cet immeuble, et plus précisément depuis décembre 1990, installée chaque année, durant la période de Noël, dans le hall de l’hôtel du département de la Vendée, soit depuis plus de 20 ans à la date de la décision contestée ; qu’elle est mise en place au début du mois de décembre et est retirée aux environs du 10 janvier, dates qui sont exemptes de toute tradition ou référence religieuse, et que son installation est dépourvue de tout formalisme susceptible de manifester un quelconque prosélytisme religieux ; que cette crèche de 3 mètres sur 2 mètres est située dans un hall d’une superficie de 1000 m² ouvert à tous les publics et accueillant, notamment, les manifestations et célébrations laïques liées à la fête de Noël, en particulier l’Arbre de Noël des enfants des personnels départementaux et celui des enfants de la DDASS ; que, dans ces conditions particulières, son installation temporaire, qui résulte d’un usage culturel local et d’une tradition festive, n’est pas contraire aux exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques et ne méconnaît pas les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 […] » ;
- Le 1er décembre 2016, le TA de Lille a annulé la décision du maire d’Hénin-Beaumont d’installer une crèche au sein de l’hôtel de ville « […] Il ne ressort pas des pièces du dossier que ladite crèche, composée de sujets sans valeur historique ou artistique particulière, ait revêtu le caractère d’une exposition d’œuvres d’art » […] « il n’est pas établi que cette installation s’enracine dans une tradition locale préexistante ou qu’elle puisse être considérée comme une extension du marché de Noël qui se tient à l’extérieur du bâtiment et sans proximité immédiate avec celui-ci […] ». Cette décision a été confirmée le 16 novembre 2017 par la CAA de Douai.
Le TA de Lyon a pour sa part annulé la crèche 2016 de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, mais validé celle de 2017 :
- Le 5 octobre 2017, le TA de Lyon a annulé la décision du Président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes d’installer une crèche au sein de l’hôtel de Région « […] Du 14 décembre 2016 au 6 janvier 2017, une crèche de Noël a été installée dans le hall d’entrée de l’hôtel de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’installation de cette crèche dans l’enceinte de ce bâtiment public, siège d’une collectivité publique, résulte d’un usage local. En effet, aucune crèche de Noël n’a jamais été installée dans les locaux du siège lyonnais de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que cette installation était accompagnée d’un autre élément marquant son inscription dans un environnement culturel, artistique ou festif, alors même que la crèche a été réalisée par des artisans de la région et que l’installation permet l’exposition de leur savoir-faire. Il s’ensuit que le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes en procédant à cette installation a méconnu l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques […] » ;
- Le 22 novembre 2018, le TA de Lyon a validé la décision du Président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes d’installer une crèche au sein de l’hôtel de Région : « […] Il ressort des pièces du dossier que l’installation en litige consiste en l’exposition temporaire, dans le hall de l’hôtel de région et visible depuis l’extérieur, de deux grands décors de crèches présentant les métiers d’art et les traditions santonnières régionales dans des scènes pittoresques de la vie quotidienne, réalisés par un ornemaniste et un maître-santonnier drômois. Cette exposition présente aussi quatre vitrines de crèches réalisées par des maîtres artisans et créateurs de santons haut-savoyard, altiligérien, ardéchois et cantalien. L’installation comprend également des panneaux illustrant le travail du santonnier à travers les étapes de la fabrication d’un santon. Enfin plusieurs ateliers ont été organisés pour la découverte des métiers d’art, à destination, en particulier, des enfants. En outre à l’occasion du vernissage de cette exposition, le 4 décembre 2017, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a indiqué que son objet consiste à rendre hommage au savoir-faire et aux traditions des maîtres-santonniers régionaux, en venant enrichir le plan régional lancé en 2016 en faveur des métiers d’art. Cet objet a été rappelé également dans un communiqué, publié le 5 décembre 2017 sur le site internet de la région, informant le public de l’accueil d’une « exposition vitrine du savoir-faire régional des métiers d’art et traditions populaires ». Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que l’exposition litigieuse présente un caractère culturel, alors même qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’un usage consistant en l’exposition de crèches à la période de Noël existe en Auvergne-Rhône-Alpes […] » ;
Date de la décision |
Décision rendue |
Lieu d'installation |
Juridiction |
Références de la décision |
14/11/2014 |
Crèche illégale |
Vendée |
TA Nantes |
n°1211647 |
22/12/2014 |
Crèche légale |
Melun |
TA Melun |
n°1300483 |
08/10/2015 |
Crèche illégale |
Melun |
CAA Paris |
n°15PA00814 |
13/10/2015 |
Crèche illégale |
Vendée |
CAA Nantes |
n°14NT03400 |
16/07/2015 |
Crèche légale |
Béziers |
TA Montpellier |
n°1405625 |
03/04/2016 |
Crèche illégale |
Béziers |
CAA Marseille |
n°15MA03863 |
01/12/2016 |
Crèche illégale |
Hénin-Beaumont |
TA Lille |
n°1509979 |
09/11/2016 |
Crèche illégale |
Melun |
CE |
n°395223 |
05/10/2017 |
Crèche illégale |
Rhône-Alpes |
TA Lyon |
n°1701752 |
06/10/2017 |
Crèche légale |
Vendée |
CAA Nantes |
n°16NT03735 |
09/11/2017 |
Crèche illégale |
Béziers |
CE |
|
16/11/2017 |
Crèche illégale |
Hénin-Beaumont |
CAA Douai |
n°17DA00054 |
16/03/2018 |
Crèche illégale |
Beaucaire |
TA Nîmes |
n°1600514, 1603919, 1603925 |
16/03/2018 |
Crèche légale |
Sorgues |
TA Nîmes |
n°1701159 |
22/11/2018 |
Crèche légale |
Rhône-Alpes |
TA Lyon |
n°1709278 |
Liste non exhaustive de décisions rendues par la justice administrative sur les crèchesLa jurisprudence s'est par la suite fréquemment prononcée sur le sujet des crèches dans les mairies :
- Par une ordonnance n° 2206509 du 21 décembre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a fait droit à la demande de la Ligue des droits de l’homme d’enjoindre au maire de Perpignan de retirer la crèche de la Nativité située dans le patio de l'hôtel de ville, place de la Loge sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
- Par une décision n°22TL22249 du 13 avril 2023, la cour administrative d’appel de Toulouse a annulé sur demande de l’association « Groupe de la libre pensée de Béziers et environs » la décision de la commune de Béziers d’installer une crèche de Noël en décembre 2020 dans l’hôtel de ville. La CAA a décidé que l'installation de cette crèche de Noël dans l'enceinte de ce bâtiment public, siège d'une collectivité publique, ne résulte d'aucun usage local et aucune circonstance particulière ne permet de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif. Il s'ensuit que la décision du maire de Béziers de procéder à cette installation méconnaît les dispositions précitées de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques ;
- Par un jugement n°2204043 du 31 octobre 2023, le tribunal administratif de Nîmes a annulé la décision du maire de Beaucaire d’installer une crèche de la nativité dans l’hôtel de ville à partir du 5 décembre 2021 en considérant également que le fait pour le maire d'avoir fait procéder à cette installation dans l'enceinte d'un bâtiment public, siège d'une collectivité publique, en l'absence de circonstances particulières permettant de lui reconnaître un caractère culturel, artistique ou festif, constitue une violation des dispositions précitées de l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et les exigences attachées au principe de neutralité des personnes publiques ;
- Par une ordonnance n°2303794 du 3 juillet 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté pour défaut d’urgence le référé de la ligue des droits de l’homme tendant à contester l’arrêté du 10 mai 2023 par lequel le maire de Béziers a décidé d’installer chaque année au mois de décembre pour une période d’un mois au sein de la cour d’honneur de la mairie une crèche de Noël. Il est à noter que cette ordonnance de référé ne préjuge pas de l’issue du litige au fond. Ce litige est intéressant, car l’installation de la crèche n’est ici pas ponctuelle, mais décidée par le maire par arrêté pour toutes les années à venir ;
- Par une ordonnance du 8 décembre 2023, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sans audience pour défaut d’urgence le référé de la ligue des droits de l’homme tendant à enjoindre au maire de Perpignan de retirer le pessebre (crèche traditionnelle catalane) installé dans un chalet en bois accolé à l’Hôtel de ville. Il est à noter que cette ordonnance de référé ne préjuge pas de l’issue du litige au fond. Ce litige est intéressant, car l’installation de la scène de la nativité ne se trouve pas au sein de la mairie, mais dans un chalet en bois en dehors… et que les visiteurs ne peuvent pas apercevoir l’installation directement depuis l’extérieur, mais nécessairement en entrant d’abord dans la mairie.
On conseillera donc aux maires souhaitant installer une crèche de Noël au sein de leur mairie pour les fêtes de fin d’année de prendre en compte la position du Conseil d’Etat, et d’apprécier au préalable si leur installation présente un caractère culturel, artistique, ou festif sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse en fonction des circonstances locales particulières. Sous les réserves émises par la plus Haute juridiction administrative française, l’installation sera légale.
L'étude de la jurisprudence démontre également que la justice administrative est très sensible à
l'usage local consistant en l'installation de la crèche
chaque année dans le bâtiment public (la crèche validée de Vendée est installée dans l'hôtel de Département chaque année depuis plus de 20 ans par exemple). La période d'installation doit dépasser la simple semaine du 24/25 décembre, afin de respecter les impératifs de laïcité issus de la loi de 1905. Il faut rappeler en la matière qu'
une crèche de Noël s'installe traditionnellement le premier dimanche de l'Avent (2 décembre) et se retire le 2 février, jour de la présentation de Jésus au Temple (
Luc 2:22s).
L’examen de la jurisprudence récente conduit enfin à suivre deux situations intéressantes :
- Les maires prenaient habituellement un arrêté par année pour décider l’installation ponctuelle d’une crèche de Noël, dont la justice administrative était souvent saisie. Mais à Béziers, la décision du maire d’installer une crèche de Noël dans la mairie n’est pas ponctuelle, mais décidée par le maire par arrêté du 10 mai 2023 pour toutes les années à venir. Le Conseil d’État se prononcera sur ce litige prochainement ;
- Les crèches de Noël sont généralement installées à l’intérieur des mairies. Mais pour contourner l’interdiction, le maire de Perpignan a fait installer en 2023 un chalet en bois accolé à l’hôtel de ville à l’extérieur, que les visiteurs ne peuvent apercevoir qu’en entrant d’abord dans la mairie. Le tribunal administratif de Montpellier se prononcera prochainement sur le fond de ce litige, après le rejet d’un premier référé pour défaut d’urgence. La configuration est intéressante.
Nous regrettons que, sur ce sujet comme tant d’autres, des considérations politiques viennent troubler le juste équilibre trouvé par le juge administratif entre laïcité et respect des traditions françaises.
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