Expulsion de l’imam Iquioussen : ce qu’a jugé le Conseil d’État

mardi, 30 août 2022 15:19
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Par une ordonnance du 30 août 2022, le Conseil d’État a validé l’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen vers le Maroc qui avait été décidée par le ministre de l’Intérieur.

En première instance, le tribunal administratif de Paris avait suspendu l’exécution de cette mesure d’éloignement au nom du droit à mener une vie familiale normale, compte tenu des nombreuses attaches en France de l'imam.

Mais le Conseil d’État a retenu une position inverse et plus sévère lui permettant de valider l’expulsion de l’imam.

Saisi d’un litige relatif à une mesure d’expulsion du territoire français, le juge administratif doit concilier les exigences de la protection de la sûreté de l’État et de la sécurité publique avec la liberté fondamentale que constitue le droit à mener une vie familiale normale.

Le juge doit donc procéder à une analyse en deux temps :

  • Existe-t-il un ou plusieurs motifs d’expulsion caractérisés permettant de prendre une décision d’éloignement du territoire national compte tenu de la situation particulière de l’individu ?
  • Nonobstant ces motifs d’expulsion, le droit à mener une vie familiale normale fait-il obstacle à l’éloignement de l’individu ?

Le juge doit donc se livrer à une conciliation des impératifs de l’ordre public avec la protection nécessaire des libertés fondamentales.

En premier lieu, de nombreux motifs d’expulsion avaient été avancés par le ministre de l’Intérieur pour justifier l’éloignement de l’imam Iquioussen. Comme les premiers juges, le Conseil d’État ne les a toutefois pas tous retenus.

Le Conseil d’État a retenu contre l’imam Iquioussen :

  • Des propos antisémites proférés entre 2003 et 2005 puis en dernier lieu en 2014. Le tribunal administratif de Paris avait relevé que l’intéressé était revenu sur ses propos en condamnant l’antisémitisme dans une vidéo du 19 février 2015. Mais le Conseil d’État considère que cette prise de position n’est intervenue qu’en réaction à l’émotion créée par son discours et ne comporte pas de réfutation explicite des propos antisémites précédemment tenus. L'antisémitisme est donc bien retenu contre l'imam Iquioussen.
  • Un discours promouvant la discrimination envers les femmes. Dans une vidéo largement diffusée et toujours visible sur sa chaîne Youtube l'imam Iquioussen avait déclaré que la place de la femme était dans sa cuisine. Au cours d’une conférence tenue le 16 septembre 2018 à la mosquée de Rosny-sous-Bois, l'imam Iquioussen avait également déclaré que l’homme ne devait pas laisser sa femme sortir seule du foyer. Ces propos avaient déjà été retenus par le TA de Paris contre l’imam Iquioussen. Mais le Conseil d’État va plus loin en jugeant explicitement que ces propos méconnaissent, au détriment des femmes, le principe constitutionnel d’égalité.

Ces motifs constituent précisément des « actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes » permettant d’expulser un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans, sur le fondement des articles L631-1 et L631-3 du CESEDA. Le Conseil d'État juge donc que l’imam doit être expulsé du territoire national sur ce fondement. Les motifs d'éloignement retenus par le Conseil d'État contre l'imam Iquioussen sont donc assez similaires à ceux retenus en première instance par le tribunal administratif de Paris.

En revanche, le Conseil d’État n’a pas retenu contre l’imam Iquioussen :

  • Un soutien à Oussama Ben Laden et à l’organisation terroriste Daech ;
  • Un discours complotiste encourageant à répondre à la violence à toute atteinte considérée comme « islamophobe » ;
  • Un rejet des lois de la République au-dessus desquelles il placerait la loi islamique ;
  • Une volonté de séparatisme.

Comme le tribunal administratif de Paris, le Conseil d'État a considéré que ces éléments avancés par le ministre de l’Intérieur ne pouvaient pas être retenus contre l'imam Iquioussen, car ils n’étaient étayés par aucune pièce du dossier.

En second lieu, le Conseil d'État a retenu  une appréciation opposée aux premiers juges sur le droit de l'imam à mener une vie familiale normale. Ce droit peut faire obstacle à l'éloignement nonobstant le trouble à l'ordre public, ce qu'avait jugé le tribunal administratif de Paris qui avait souligné que l’imam avait 5 enfants en France, de nationalité française et 15 petits-enfants.

Le tribunal administratif de Paris avait ainsi fait prévaloir en référé le droit à mener une vie familiale normale de l’imam Iquioussen sur les impératifs de protection de l’ordre public.

Mais le Conseil d'État a retenu une appréciation opposée sur la base des éléments suivants :

  • Les enfants de l'imam Iquioussen sont majeurs et ne dépendent plus de leur père ;
  • Son épouse, qui est également de nationalité marocaine, ne se trouve pas dans l’impossibilité de se déplacer au Maroc et de l’y rejoindre.

Dans ces conditions, selon le Conseil d'État, la décision d’expulsion n’apparaît pas manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise (la protection de l'ordre public).

Saisi de la situation de l’imam Iquioussen, le Conseil d’État a donc considéré  que les exigences de la protection de la sûreté de l’État et de la sécurité publique devaient prévaloir en l’espèce sur la liberté fondamentale que constitue le droit à mener une vie familiale normale.

La mesure d’expulsion de l’imam est justifiée, selon le Conseil d’État, par les actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes, à savoir les propos antisémites et misogynes de l’imam.

C’est donc une position plus sévère que les premiers juges qu’a retenue le Conseil d’État, en faisant prévaloir les exigences de la protection de la sûreté de l’État et de la sécurité publique sur la liberté fondamentale que constitue le droit à mener une vie familiale normale s’agissant de l’imam Iquioussen.

L’expulsion de l’imam du territoire national devrait donc intervenir prochainement suite à cette validation par le Conseil d’État.

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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