Au lendemain de la décision historique de la Cour suprême des Etats-Unis mettant fin à l’avortement comme droit fédéral (Dobbs v. Jackson Women's Health Organization, 597 U.S. 2022) les députés LREM ont déposé une proposition de loi tendant à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française (Le Figaro).
Mais quelle est la procédure à suivre en la matière ?
Puisqu'il s'agit d'une initiative parlementaire, les deux chambres du Parlement devront voter à la majorité une proposition de loi constitutionnelle dans des termes identiques, à la virgule près sans ascendant de l’une sur l’autre et sans possibilité de commission mixte paritaire. Le texte devra ensuite obligatoirement être soumis au peuple par référendum sur décision souveraine du Président de la République. Cette procédure sur initiative parlementaire n’est jamais allée au bout en France à ce jour.
Inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française implique de réviser, c’est-à-dire modifier, le texte suprême. Cette procédure est très encadrée. La Constitution est un texte solennel qui ne doit en effet pas être modifié trop fréquemment et qui prévoit donc des limites procédurales.
C’est l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui organise la procédure de révision du texte avec 3 étapes :
Première étape, l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement, c’est-à-dire à chaque parlementaire.
Les députés LREM ont donc le droit de prendre l’initiative d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française : on parle de proposition de loi constitutionnelle.
Depuis 1958, les 24 révisions constitutionnelles étaient des projets de loi constitutionnelle, c’est-à-dire à l’initiative du pouvoir exécutif. Si la proposition de loi constitutionnelle des députés LREM pour constitutionnaliser l’avortement va au bout, ce serait donc la première fois sous la Vème République qu’une révision constitutionnelle adoptée provient d’une initiative parlementaire. C’est le signe d’une reparlementarisation de la vie politique française.
Deuxième étape, la proposition de loi constitutionnelle doit être votée par les deux assemblées en termes identiques. Ceci signifie que l’Assemblée nationale et le Sénat doivent s’entendre sur un texte identique, à la virgule près et qu’une majorité doit se dégager au sein de chaque assemblée pour voter le texte.
Le groupe LREM ayant perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale lors du récent scrutin législatif et n’ayant pas la majorité au Sénat, une majorité devra être recherchée au sein de chaque assemblée sur le texte, avec une coalition indispensable avec d’autres groupes parlementaires.
La procédure de la commission mixte paritaire, qui est fréquemment utilisée en cas de désaccord entre les deux chambres lors de l’examen d’un texte ordinaire est interdite pour une révision constitutionnelle. Le texte doit donc faire la navette autant que nécessaire entre les deux chambres jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé, ou que le désaccord soit acté et que la procédure s’arrête.
Troisième et dernière étape, la révision constitutionnelle doit être adoptée définitivement. Deux procédures existent : le référendum ou le Congrès, qui est la réunion de l’ensemble des parlementaires à Versailles.
Concernant ce sujet de l’avortement et la proposition des députés LREM, le Président de la République n’a pas le choix : puisqu’il s’agit d’une proposition de loi constitutionnelle, le Président serait obligé de soumettre le texte à référendum. Cette procédure est prévue pour éviter que les parlementaires ne se prononcent deux fois dans le cadre de la même procédure.
Le Président de la République dispose toutefois d’un pouvoir de blocage, puisque personne ne peut le contraindre à enclencher la dernière étape. Toutefois, s’il décide d’aller au bout et s’agissant d’une proposition de loi constitutionnelle, un référendum sur l’avortement devra donc être organisé en France.
Sous la Vème République, ce « référendum constituant » n’a été utilisé qu’une seule fois en 2000 afin de faire passer le mandat présidentiel à cinq ans (quinquennat).
Inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française sur initiative parlementaire implique donc une procédure longue en trois étapes avec de multiples acteurs devant tous donner leur accord et disposant chacun d’un droit de blocage : chaque chambre du Parlement et surtout les membres de l’opposition, le Président de la République et enfin le peuple qui a le dernier mot avec le référendum.
Ces limites procédurales sont prévues pour éviter que le texte suprême soit modifié trop souvent, au gré des circonstances, comme l’avait théorisé Montesquieu « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare, et lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante ».
Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon
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