Interrogé spécifiquement sur le cas des mères voilées accompagnant les sorties scolaires (
Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI), le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer a déclaré dimanche qu'un parent accompagnant une sortie scolaire devait être considéré comme un «
collaborateur bénévole du service public » et ne devrait «
normalement » pas porter de signe religieux (
BFMTV).
Quel est l’état du droit en la matière ?
Un certain flou juridique règne sur ce sujet. En effet, des juridictions administratives de première instance ont pris des positions divergentes :
Le Tribunal administratif de Montreuil a le premier estimé que le
principe de neutralité de l’école laïque faisait obstacle à ce que les parents d’élèves manifestent, dans le cadre de l’accompagnement des sorties scolaires, par leur tenue ou par leur propos, leurs convictions religieuses (tout comme politiques ou philosophiques) (TA Montreuil, 22 nov. 2011, n°
1012015). Pour le TA de Montreuil, l’interdiction est donc absolue :
Par la suite, le Tribunal administratif de Nice a pour sa part estimé que seules des «
considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service » pouvaient fonder une interdiction d’accompagner une sortie scolaire opposée à un parent manifestant par sa tenue ou par ses propos, des convictions religieuses (TA Nice, 9 juin 2015, n°
1305386). Selon le TA de Nice, une interdiction est donc possible, mais elle est relative :
Il convient à ce stade de rappeler que le droit applicable en la matière dépend de la qualité du sujet auquel il s’applique. Ainsi, pour rendre sa décision, le TA de Montreuil a regardé juridiquement les parents d’élèves accompagnateurs de sorties scolaires comme des « collaborateurs occasionnels du service public », quand le TA de Nice les a considérés comme des « usagers du service public » (les règles juridiques, notamment de laïcité, étant évidemment plus strictes pour le collaborateur occasionnel du service public, qui participe par définition au service, que pour l’usager).
Face aux hésitations des juridictions du premier degré, le Conseil d’État s’est prononcé le 23 décembre 2013 dans le cadre d’un avis (non publié) en indiquant que si les mamans accompagnatrices devaient être considérées juridiquement comme des usagers du service public, les «
exigences liées au bon fonctionnement du service public de l'éducation ou au respect de l'ordre public » pouvaient conduire l'autorité compétente à «
recommander de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses » (
Livret laïcité de l'éducation nationale, page 28).
Il résulte donc de l’état du droit applicable que l’autorité compétente (le chef d’établissement) est fondée juridiquement à interdire aux mamans voilées (comme à toutes les autres religions) d’accompagner une sortie scolaire (si elles portent le voile pendant la sortie), mais seulement si des exigences liées au bon fonctionnement du service public ou à l’ordre public le justifient.
Reste donc à définir concrètement quelles circonstances pourraient être telles, que le bon fonctionnement du service public ou l’ordre public seraient menacés par le port d’un voile islamique par une maman accompagnatrice (par exemple). Il nous semble que le curseur soit celui du prosélytisme, à appliquer donc au cas par cas.
La difficulté vient toutefois du fait que le Conseil d’État s’est prononcé sur ce sujet dans le cadre d’un simple avis, donc sans hypothèse concrète permettant d’illustrer sa prise de position, et avec une valeur juridique toute relative. Une décision contentieuse de la Haute juridiction nous paraît donc plus que souhaitable, à ce jour, pour clore ce sujet polémique.
Elle serait bienvenue.
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