Menus sans porc à l’école primaire : le jugement insensé du TA de Dijon

mardi, 29 août 2017 09:39
SisypheAvocatsQuelle mouche a piqué le Tribunal Administratif (TA) de Dijon ?

En mars 2015, le maire de Chalon-sur-Saône a décidé avec l'appui d'une large majorité du conseil municipal, de ne plus proposer de menu de substitution dans les restaurants scolaires de sa commune à compter de la rentrée, c’est-à-dire de ne pas proposer aux écoliers d’alternative à la viande de porc lorsqu’elle est au menu de la cantine municipale.

Dans un premier temps, le TA de Dijon, saisi par la « Ligue de défense judiciaire des musulmans » a très justement rappelé dans un jugement du 28 août 2017 que le service public de la restauration scolaire présente un caractère facultatif, et que l’obligation de proposer aux enfants un menu de substitution ne résulte d’aucune stipulation conventionnelle, d’aucune disposition constitutionnelle, législative ou réglementaire et d’aucun principe.

Mais dans un deuxième temps, et de manière très étonnante, le TA de Dijon a choisi d’annuler la décision du maire de Chalon-sur-Saône en invoquant « l’intérêt supérieur de l’enfant », au visa de l’article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE).

On peine à comprendre la motivation d’un tel jugement.

Tout d’abord, le raisonnement du TA est d’une obscure clarté : pourquoi affirmer dans un considérant de principe que l’obligation de proposer aux enfants un menu de substitution « ne résulte d’aucun principe » … si c'est sur un principe (« l’intérêt supérieur de l’enfant ») que repose, dans le même jugement, l’annulation de la décision querellée ? 

Extrait du jugement du TA de DijonExtrait du jugement du TA de Dijon
   
Mais plus encore, le fondement juridique de « l’intérêt supérieur de l’enfant » à ne pas manger de viande de porc est difficilement compréhensible. En effet, l’intérêt supérieur de l’enfant est un principe général du droit international principalement utilisé en matière de divorces contentieux, ou de protection de l’enfance en danger. La viande de porc présente-t-elle un danger particulier pour les enfants scolarisés dans les écoles de Chalon-sur-Saône, par rapport à d’autres viandes proposées ?

Trêve d’hypocrisie, c’est bien de considérations religieuses dont il s’agit là.

Si le principe de « l’intérêt supérieur de l’enfant » pourrait (éventuellement) se défendre devant une cour de justice pour contraindre une commune à proposer des menus végétariens (sans viandes) aux écoliers sur le fondement de considérations nutritionnelles (les dangers pour la santé d’un excès de consommation de viandes sont régulièrement dénoncés par les professionnels), il ne saurait pouvoir être détourné pour masquer des considérations religieuses.

La lecture du jugement du TA de Dijon met mal à l’aise. Disons les choses clairement : comment penser une seule seconde que des enfants âgés de 3 à 11 ans (en école primaire) sont en situation de faire un choix éclairé en matière de religion, et de contraintes alimentaires associées ? L’entrée en religion suppose a minima une étude intellectuelle approfondie des textes religieux, pour un choix en pleine connaissance de cause, qui est inenvisageable à un âge si précoce, quelle que soit la religion concernée. Invoquer « l’intérêt supérieur de l’enfant » et sa « liberté de conscience » pour le protéger de la viande de porc ne fait donc pas sens : c’est de l’intérêt supérieur des parents dont il est ici question en réalité. L'intérêt supérieur de l'enfant, c'est d'être protégé des influences lors de son plus jeune âge, pour être en parfaite capacité, le moment venu, de faire un choix éclairé s'il le souhaite. C'est la mission de l'école républicaine. 

La motivation de la décision du TA de Dijon paraît donc faible. Rappelons toutefois qu’il ne s’agit que d’un jugement de première instance.

En l’état actuel du droit, il est constant que l’obligation de proposer aux enfants un menu de substitution à la viande de porc n’est prévue par aucun traité international auquel la France serait partie, et n’est pas prévue par la Constitution, la loi ou le règlement.

Bien au contraire, comme le rappelle une circulaire du Ministre de l’intérieur du 16 août 2011, un ensemble de décisions jurisprudentielles existantes ne va pas dans ce sens :

  • Pour les usagers du service public, la neutralité implique que la prise en compte des différences de situation fondées sur les convictions religieuses ne peut remettre en cause le fonctionnement normal du service (CE, 14 avril 1995, Consistoire central des israélites de France, n°125148),
  • Les collectivités territoriales disposent d’une grande liberté dans l’établissement des menus, et le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités (TA Marseille, 1er octobre 1996, n°963523 et 963524),
  • La circonstance qu’une commune serve du poisson le vendredi dans ses cantines scolaires mais refuse de tenir compte des prescriptions alimentaires en vigueur dans les autres cultes ne constitue pas une atteinte aux droits fondamentaux (CE, 25 octobre 2002, Mme Renault, n°251161),
  • L'absence de repas de substitution ne meconnaît pas le principe de liberté religieuse (même décision).
Sans oublier le principe de laïcité, de neutralité du service public, et la libre administration des collectivités territoriales, de valeur constitutionnelle.

Sans doute l’heure est-elle venue d’assumer ce débat de manière dépassionnée et sans polémique (pour proposer, par exemple, des menus végétariens au choix dans les cantines, hors de toutes considérations religieuses), à condition de le porter au niveau gouvernemental et/ou parlementaire… pas devant le TA de Dijon.

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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