La tenue religieuse de baignade "burkini" pose de nombreuses questions juridiques :
Le maire est-il compétent pour décider des règles applicables aux piscines ?
Des règles interdisent-elles la baignade habillée à la piscine ?
Les arrêtés municipaux « anti-burkini » à la plage sont-ils légaux ?
Le Conseil d’État a-t-il déjà validé un arrêté municipal « anti-burkini » ?
Les baigneurs des piscines municipales sont-ils soumis à la laïcité ?
Un maire peut-il autoriser le burkini dans les piscines municipales ?
Un Président de Région peut-il couper les subventions à une commune qui autoriserait le burkini dans ses piscines ?
Le Défenseur des Droits s’est-il déjà prononcé sur le burkini ?
Qu’est-ce que le déféré-laïcité ?
Y a-t-il eu beaucoup d’affaires impliquant le burkini en France ?
OUI
Le maire, appuyé par son conseil municipal et les services de police est investi des pouvoirs de police sur le territoire de sa commune.
À ce titre, l'élu local est donc bien compétent pour édicter le règlement intérieur des piscines municipales de sa commune, c’est-à-dire de décider des règles applicables afin d’en assurer le bon fonctionnement et la bonne gestion, à l’aune des principes de bon ordre, de sûreté, de sécurité et de salubrité publiques (Article L2212-2 CGCT).
OUI
Le respect des règles d’hygiène justifie généralement l’interdiction de la baignade habillée dans le règlement intérieur des piscines publiques françaises.
Tel que le rappellent à la fois le Code du sport (L322-2) et le Code de la santé publique (L1332-1), les établissements où sont pratiquées une ou des activités physiques ou sportives doivent en effet présenter pour chaque type d'activité et d'établissement des garanties d'hygiène et de sécurité définies par voie réglementaire.
Le burkini est donc généralement interdit dans les piscines municipales françaises au nom du principe de salubrité publique dont le maire doit assurer le respect, au même titre que le short de bain pour les garçons.
C’est une situation très différente de celle que l’on peut rencontrer à la plage par exemple, car les piscines sont des bassins clos.
NON
En jurisprudence, le Conseil d’État a toujours refusé à ce jour de valider des arrêtés municipaux « anti-burkini » au nom de la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle (CE, 26 août 2016, n°402742).
Il s’agissait toutefois d’arrêtés municipaux « anti-burkini » à la plage, et non à la piscine, ce qui est très différent.
En dernier lieu, le 17 juillet 2023, le Conseil d'État a suspendu en référé la décision du maire de Mandelieu-la-Napoule (Alpes-Maritimes) d’interdire l’accès aux plages aux personnes portant une tenue manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse, telle que le burkini. Selon le Conseil d’Etat, cette interdiction porte atteinte de manière grave et illégale à la liberté d’aller et venir, à la liberté de conscience et à la liberté personnelle (CE, 17 juillet 2023, n°475636).
OUI
En août 2016, le maire de Sisco en Corse avait été contraint de prendre un arrêté municipal interdisant le port du burkini compte tenu d’une rixe liée à ce vêtement ayant fait cinq blessés et mobilisant plus de 500 personnes devant la préfecture (France24).
Dans ce cas très particulier où le port du vêtement religieux de baignade avait provoqué des rixes entre usagers sur la plage publique un arrêté municipal « anti-burkini » avait été validé au nom de l’ordre public par le Conseil d’État – CE, 14 février 2018, n°413982.
NON
Le régime juridique applicable en matière de laïcité dépend de la personne concernée.
Si les fonctionnaires sont astreints à une stricte obligation de neutralité leur interdisant de manifester leurs convictions religieuses dans le cadre du service, il n’en va pas de même des usagers du service public.
Les usagers ont en effet, a priori, tout à fait le droit d’exprimer et de manifester leurs convictions religieuses. Une femme portant le foulard peut ainsi tout à fait se présenter au guichet d’une mairie, à condition qu’il ne dissimule pas l’intégralité de son visage (loi du 11 octobre 2010).
Ce n’est que de manière exceptionnelle que la loi interdit à l’usager du service public de manifester ses convictions religieuses : c’est le cas par exemple dans les écoles, les collèges et les lycées publics sur le fondement de la loi du 15 mars 2004.
Les baigneurs, usagers des piscines municipales ne sont donc pas soumis à la laïcité.
NON
Par une ordonnance du 21 juin 2022, le Conseil d’État a jugé qu’en autorisant les tenues religieuses de baignade comme le burkini dans ses piscines municipales, la ville de Grenoble avait violé le principe d’égalité de traitement des usagers du service public et porté atteinte au bon fonctionnement de ce dernier (CE, 21 juin 2022, Commune de Grenoble, n°464648).
C’est donc la violation du principe d’égalité de traitement des usagers du service public qui a été retenue par le Conseil d’État pour interdire le burkini à la piscine municipale, dans une décision qui a fait jurisprudence sur le sujet, et pas la laïcité.
Sur la base de ce précédent jurisprudentiel, le burkini est interdit à ce jour à la piscine municipal, même s'il est autorisé à la plage.
PROBABLEMENT
Le Président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a décidé de couper toutes les subventions régionales allouées à la Ville de Grenoble en raison de l'autorisation du burkini dans ses piscines municipales.
Comme tout acte administratif, une décision venant retirer un subventionnement doit être motivée en fait et en droit.
Il est évident qu’un Président de Région ne pourrait pas couper « toutes » les subventions à une commune au seul motif qu’elle autoriserait le burkini dans ses piscines municipales. Une telle décision serait trop générale et trop absolue, il n’y aurait ainsi pas lieu de couper toutes les subventions allouées à l’eau, aux cantines, aux écoles… pour un litige limité au niveau des piscines municipales.
En revanche, un retrait des subventions allouées à la commune au titre des piscines serait plus envisageable. Si le Président de Région considère que la décision de la commune viole les règles élémentaires de salubrité publique, alors il pourrait justifier en droit un arrêt des subventions pour ces établissements.
Un retrait de subvention pour le motif de la laïcité serait plus difficile à soutenir.
Il n’en demeure pas moins qu’un subventionnement n’est jamais inconditionné, et que le bénéficiaire doit toujours respecter les conditions posées par l’autorité qui le subventionne. Si la Région est dotée d’une Charte de la laïcité conditionnant les subventionnements, alors le Président de Région pourrait fonder en droit sa décision de retirer les subventions à la commune pour violation de cette Charte.
Le Président de Région pourrait aussi tout simplement décider de ne plus allouer de subventions à l’avenir à la commune, un subventionnement ne constituant jamais un droit acquis pour son bénéficiaire.
OUI
Plusieurs fois, le Défenseur des Droits a pris des décisions favorables au burkini à la piscine municipale et dans les bases de loisirs.
Le 27 décembre 2018, saisi par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), aujourd'hui dissous pour islamisme, le Défenseur des Droits a recommandé à une piscine gérée par un établissement privé dans le cadre d’une délégation de service public de modifier son règlement intérieur afin de le rendre non-discriminatoire pour les usagers souhaitant se baigner en burkini (décision 2018-303 du 27 décembre 2018 relative au refus d’accès d’un établissement de bain à une femme musulmane portant un burkini).
Le 12 décembre 2018, le Défenseur des droits a considéré que le refus opposé à une femme musulmane de nager en burkini dans la piscine d’un village de vacances où elle séjournait pendant 15 jours caractérisait une discrimination fondée sur la religion et le genre (décision 2018-297 du 12 décembre 2018 relative au refus d’accès à la piscine d’un village de vacances à une cliente portant un burkini).
En janvier 2021, toujours saisi par le CCIF, le Défenseur des Droits a estimé que l'interdiction du burkini dans les bases de loisirs en île-de-France était discriminante.
Dans ces affaires, le Défenseur des droits en conclut que le refus d’accès opposé aux usagers des piscines et bases de loisirs du fait qu’ils portaient un burkini et l’adoption d’un règlement intérieur interdisant son port caractérisent des discriminations fondées sur la religion et le genre, au sens des articles 8 et 9 de la Convention européenne des droits de l’homme combinés avec son article 14, et de l’article 2-3 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008.
Le Préfet de l’Isère, en concertation avec le Ministère de l’Intérieur, a annoncé vouloir exercer un "déféré-laïcité" contre la décision de la Ville de Grenoble d'autoriser le burkini dans ses piscines (Le Monde).
Les actes des collectivités territoriales portant atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics peuvent faire l'objet d'un déféré préfectoral pour en demander l'annulation. Au regard de la procédure au fond qui peut toutefois durer plusieurs mois, voire plus d'un an, le déféré est souvent assorti d’une demande de suspension de l'exécution de l'acte en question.
Dans cette perspective, l'article 5 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a renforcé l'efficacité du contrôle du juge sur ces actes. Cet article a ainsi pour objet de garantir que les actes portant gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics puissent se voir appliquer le même régime de déféré suspension que les actes de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle (Instruction du Gouvernement du 31 décembre 2021 relative au contrôle de légalité des actes portant gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics).
Les nouvelles dispositions introduites au cinquième alinéa de l'article L. 2131-6 du CGCT prévoient que, lorsqu’un acte portant gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics est déféré au tribunal administratif, le juge statue sur la demande de suspension de l’exécution de l’acte dans un délai de 48 heures, comme lorsqu'un acte compromet l'exercice d'une liberté publique ou individuelle.
Ce délai court laissé au juge administratif pour se prononcer permet d'éviter que les effets produits par l'acte ne se prolongent, en particulier lorsque les atteintes graves portées aux principes de laïcité et de neutralité affectent des services publics qui accueillent des usagers dans leurs locaux (équipements sportifs, cantines, bibliothèques...).
Les conditions de recevabilité de la demande de suspension introduite par la loi du 24 août 2021 sont les suivantes :
- La demande de suspension doit nécessairement être associée à une requête au fond et déposée dans les délais de droit commun ;
- Il faut démontrer que l'acte contesté est de nature à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics. En revanche, à la différence des référés ouverts aux particuliers, l'urgence n'est pas à démontrer.
L'appréciation de la gravité de l'atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics peut être délicate, c'est pourquoi elle relève in fine du juge. La suspension n'est donc pas automatique.
Dans le cadre du burkini, il semble que le déféré-laïcité qui a été évoqué par le Préfet de l’Isère sera toutefois difficile à utiliser.
OUI
En août 2016, le maire de Villeneuve-Loubet a été le premier à prendre un arrêté municipal "anti-burkini" qui a d'abord été validé par le Tribunal administratif de Nice... (Franceinfo)
... avant d'être invalidé par le Conseil d'État, faisant jurisprudence sur le sujet (Le Monde).
En août 2016, le maire de Sisco en Corse a lui-même été contraint de prendre un arrêté municipal interdisant le port du burkini compte tenu d’une rixe liée à ce vêtement ayant fait cinq blessés et mobilisant plus de 500 personnes devant la préfecture (France24).
Cet arrêté a été exceptionnellement validé par le Conseil d'État car il entrait dans le cas très particulier du trouble à l'ordre public (rixes entre usagers sur la plage publique) (CE, 14 février 2018, Ligue des droits de l’Homme, n°413982).
En mai 2017, un rassemblement de personnes en burkini en marge du Festival de Cannes a été interdit par la préfecture de police en raison de risques de troubles à l’ordre public (L'express).
En août 2018, la Ville de Rennes a été la première à autoriser le burkini dans ses piscines municipales.
En mars 2019, le Syndicat mixte Baie de Somme Grand littoral picard a décidé de modifier le règlement intérieur de l'Aquaclub de Belle Dune à Fort-Mahon en interdisant le port du burkini, suite à une forte polémique et des tensions rencontrées sur le site (France 3).
En juin 2019, une dizaine de militantes ont occupé la piscine municipale de Grenoble dans le cadre d’une « action coup de poing » visant à imposer le port du burkini (France 3).
En juillet 2019, une forte pression a été exercée sur le maire de Villeurbanne afin de faire évoluer le règlement des piscines municipales en faveur du burkini (20 Minutes).
En septembre 2019, une quinzaine de militantes ont provoqué la fermeture d'une piscine à Paris après s'être baignées en burkini dans le cadre d’une autre opération « coup de poing » (Le Figaro).
En janvier 2021, saisi par le Collectif contre l’islamophobie en France, aujourd'hui dissous pour islamisme, le Défenseur des Droits a estimé que l'interdiction du burkini dans les bases de loisirs en île-de-France était discriminante (Le Point).
En mai 2022, la Ville de Grenoble autorise à son tour le burkini dans ses piscines municipales, suscitant une forte polémique (Le Monde).
Dans la foulée, le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a annoncé couper "toutes les subventions régionales" à la Ville de Grenoble.
Avocat Droit Public
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