Le ministre de l'Éducation nationale peut-il interdire l'abaya à l'école ?

lundi, 28 août 2023 10:00
Untitled 1Gabriel Attal a annoncé dimanche 27 août 2023 son intention d’interdire l’abaya à l’école. Mais est-ce vraiment possible juridiquement ?

C’est la loi du 15 mars 2004 qui fixe à ce jour le cadre juridique général de l’interdiction du port de signes ou tenues religieuses à l’école par les élèves (1). Le ministre de l'Éducation nationale a la compétence juridique pour prendre une circulaire précisant les contours de cette loi pour y inclure l’abaya (1). Mais si cette circulaire est imprécise, elle sera inutile, voire annulée par le juge administratif (2).

1/ La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou tenues religieuses à l’école par les élèves et laisse les chefs d’établissement décider au cas par cas


De prime abord, la loi du 15 mars 2004[1] est assez claire : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ».

Mais la loi ne donne aucune liste précise des signes et tenues interdites, car elle fixe la règle générale et n’est pas faite pour s’adapter à toutes les modes. 

Pour certains signes religieux comme le voile islamique, la kippa ou le turban sikh, l’interdiction est évidente sur le fondement de la loi.

Mais pour d’autres tenues, c’est plus compliqué. En effet, des jeunes filles peuvent se présenter à l’école vêtues de longues robes sombres, d’abaya ou de bandanas. Est-ce bien autorisé ?

Dans le silence de la loi de 2004, la responsabilité est à ce jour laissée à chaque chef d’établissement qui doit apprécier, au cas par cas, si la tenue d’un élève peut être qualifiée de manifestation ostensible d’une appartenance religieuse, ce qui n’est pas chose aisée.

En pratique, le chef d’établissement tient compte du comportement de l’élève, en mettant en œuvre la phase de dialogue prévue à l'article L. 141-5-1 du code de l’éducation. Les questions suivantes lui permettent d’arriver à une conclusion sur chaque situation particulière, au cas par cas :

  • Le couvre-chef ou la tenue litigieuse peuvent-ils être qualifiés de discret(s) ?
  • Sont-ils portés en permanence, ou occasionnellement par l’élève à l'intérieur des locaux scolaires ?
  • Peuvent-ils être qualifiés de simples accessoires de mode ou à finalité purement esthétique ?
  • Relève-t-on une intransigeance et une détermination par lesquelles l’élève et/ou sa famille ont persisté dans leur refus de renoncer à ce couvre-chef ?
  • Le port de la coiffe ou de la tenue litigieuse s'est-il accompagné d'un acte revendicatif, de discours ou d'attitudes de contestation de la laïcité, ou de prosélytisme ?

Suivant les réponses, la tenue de l’élève sera autorisée ou pas, avec mise en œuvre d’une procédure disciplinaire le cas échéant.

Le Conseil d’État ne s’est jamais prononcé sur le sujet de l’abaya à ce jour par une jurisprudence de principe. En revanche, il a déjà validé une sanction d'exclusion définitive d’un établissement scolaire prononcée à l'encontre d’une élève qui refusait systématiquement d’ôter son bandana à l’entrée de l’école en considérant que ce comportement révélait une volonté de l’élève d’utiliser ce couvre-chef comme la manifestation d’une appartenance religieuse à l’école[2].

Sur le sujet de l’abaya, la situation n’est donc pas idéale pour les chefs d’établissement à ce jour, puisqu’ils doivent décider au cas par cas suivant chaque situation, sans harmonisation nationale donnée par le ministre de tutelle.

C’est ce qui peut changer avec la déclaration du ministre de l'Éducation nationale dimanche 27 août 2023.

2/ Le ministre de l'Éducation nationale peut préciser par circulaire les modalités d’application de la loi du 15 mars 2004 pour y inclure l’abaya


De jurisprudence constante, le ministre dispose en qualité de chef de service d’un pouvoir réglementaire lui permettant, en l’absence de toute habilitation par une loi ou un décret, de prendre toutes mesures nécessaires à l’organisation de ses services[3].

C’est ce pouvoir qui permet notamment aux ministres de prendre des circulaires d’interprétation de textes législatifs.

Gabriel Attal a annoncé dimanche 27 août 2023 son intention d’interdire l’abaya à l’école. Juridiquement, le ministre a la compétence pour prendre une circulaire en ce sens, sur le fondement de la loi du 15 mars 2004.

Il s’agira sans doute, pour le ministre, de donner clairement consigne aux chefs d’établissement dans le cadre de sa nouvelle circulaire de considérer l’abaya comme une tenue religieuse interdite en tant que telle par la loi du 15 mars 2004, comme le voile islamique, la kippa ou le turban sikh par exemple.

Ce serait donc la fin du cas par cas et tous les chefs d’établissements auraient consigne impérative de n’autoriser aucune abaya au sein des écoles, collèges et lycées publics.

Toutes les circulaires ne sont pas susceptibles de recours contentieux, notamment celles ne faisant que rappeler l’état du droit applicable. Mais si une circulaire était prise par le ministre pour interdire l’abaya à l’école, elle pourra être contestée devant le juge administratif, car elle contiendra des dispositions impératives[4].

Les groupements comme les syndicats de l'Éducation nationale ou les associations de parents d’élèves pourraient disposer d’un intérêt à agir suffisant pour contester directement la légalité d’une telle circulaire devant le Conseil d’État.

En revanche, un élève ne pourrait contester la légalité de cette circulaire que s’il faisait lui-même l’objet d’une procédure disciplinaire liée au port de l’abaya.

Saisi par un élève ou un groupement, le juge administratif devrait alors se prononcer sur la légalité de l’interdiction de l’abaya à l’école, voire sur sa constitutionnalité.

3/ Si la circulaire du ministre de l'Éducation nationale est imprécise, elle sera inutile, voire annulée par le juge administratif


Le ministre s’est à ce jour contenté d’annoncer son intention d’interdire l’abaya à l’école, sans qu’une circulaire n’ait encore été publiée en ce sens.

Il faudra être attentif à la rédaction de la circulaire à intervenir. C’est le point essentiel.

En effet, en l’absence de disposition législative en ce sens, il est interdit même au ministre de l'Éducation nationale d’encadrer de manière générale les tenues des élèves à l’école. Aucune loi n’impose en effet le port de l’uniforme à ce jour dans les établissements scolaires. Il n’est donc pas possible pour le ministre d’interdire par exemple aux filles le port de toutes les jupes longues et sombres à l’école. Une telle interdiction serait trop générale et trop absolue pour être autorisée.

La circulaire du ministre devra donc être précise et expliquer ce qui distingue l’abaya d’une longue robe sombre. À défaut, la circulaire sera inutile, puisqu’elle n’ajoutera rien à l’état du droit applicable à date.

Si la circulaire est trop vague, elle sera inutile. Si elle est trop large, elle sera annulée par le juge.

Le chemin est donc étroit pour le ministre de l'Éducation nationale qui devra expliquer en quoi l’abaya est une tenue spécifique qui la distingue de la longue robe sombre et la fait entrer dans le champ de la loi du 15 mars 2004.

Formulé autrement, le ministre devra expliquer concrètement ce qu’est une abaya dans sa circulaire pour que cette dernière ait une réelle portée juridique et modifie l’état du droit applicable sur ce sujet.

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a fait savoir en juin 2023 que l’abaya ne devait pas être considérée comme une tenue cultuelle, mais culturelle[5]. Mais une déclaration du CFCM ne lie pas le ministre et ne constitue même pas une source de droit opposable. Le ministre et le juge administratif sont donc libres de leur appréciation sur ce sujet.

En l’état des textes applicables, rien ne s’oppose à ce que le ministre de l'Éducation nationale considère que l’abaya est une tenue religieuse interdite dans les établissements scolaires sur le fondement de la loi du 15 mars 2004, à condition qu’il donne précisément la définition de la religiosité de ce vêtement dans sa circulaire à intervenir.

Si tel est le cas, la circulaire du ministre sera à la fois légale et constitutionnelle, la Constitution rappelant en son article premier que la France est une République laïque et la loi du 15 mars 2004 interdisant sur ce fondement les tenues religieuses des élèves à l’école.

 

[1] Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics

[2] CE, 5 décembre 2007, n°295671

[3] CE, 7 février 1936, Jamart, n° 43321

[4] CE, 18 décembre 2002, Mme Duvignères, n° 233618 ; CE, 12 juin 2020, Groupe d’information et de soutien des immigrés, n° 418142

[5] BFMTV

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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