Le Conseil d'État suspend en référé la dissolution des « Soulèvements de la Terre »

vendredi, 11 août 2023 15:07
Untitled 1Par une ordonnance en date du 11 août 2023[1], le Conseil d’État a suspendu la dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » prononcée par un décret en conseil des ministres du 21 juin 2023.

Comment comprendre cette décision et que faut-il en retenir ?

  • La dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre »

Le décret du 21 juin 2023 pris en conseil des ministres[2] avait prononcé la dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » sur le fondement de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

Cet article permet de dissoudre toutes les associations ou groupements de fait « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens ».

Il ne suffit pas de mentionner cet article dans un décret pour dissoudre un groupement de fait. Il faut également mentionner dans le décret des exemples précis allant dans le sens d’une provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents pour justifier de la dissolution prononcée.

En ce sens, le ministère de l’Intérieur avait étayé son dossier par une liste précise et très détaillée d’exemples à charge contre le groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » figurant au sein du décret.

Le ministère a ainsi rappelé dans le texte que le collectif « Les Soulèvements de la Terre » créé début 2021 autour d'un noyau dur de militants, tous issus de l'ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes et s’inspirant de la mouvance « black blocs » avait multiplié les actions violentes depuis lors, notamment s’agissant des « méga-bassines », de la retenue de substitution de Langon, l'occupation de plusieurs sites des groupes Lafarge et Eqiom, le sabotage des installations du port de Gennevilliers, la contestation des projets de retenues de substitution dans le marais poitevin, les affrontements à Sainte-Soline, etc.

Cette liste importante d’actions violentes menées par « Les Soulèvements de la Terre » a permis la dissolution en conseil des ministres de ce groupement de fait sur le fondement du code de la sécurité intérieure.

  • La contestation de la dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre »

Il est possible de demander au juge administratif l’annulation d’un décret de dissolution, comme de tout acte administratif faisant grief, dans un délai de deux mois à compter à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée[3].

Cependant, ce recours dit « recours au fond » ou « recours en annulation » est long à être jugé en raison de l’encombrement de la justice administrative et du temps nécessaire pour examiner sérieusement un dossier complexe.

Il est donc possible de doubler ce recours au fond d’une procédure complémentaire plus rapide appelée le « référé suspension »[4].

Dans le référé suspension, le juge des référés ne peut pas annuler l’acte attaqué, mais seulement suspendre son exécution dans l’attente du jugement au fond.

Saisi d'une demande en ce sens, le juge administratif peut ainsi ordonner la suspension de l'exécution d’une décision administrative ou de certains de ses effets :

  • Lorsque l'urgence le justifie,
  • Et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

En l’espèce, « Les Soulèvements de la Terre » ont saisi le juge d’un premier recours en annulation de leur décret de dissolution. Compte tenu du délai de jugement, ce recours sera probablement jugé en fin d'année 2023 voire plus tard.

Afin d’obtenir une décision plus rapide, ils ont doublé leur recours le 28 juillet 2023 d’un référé suspension devant le Conseil d’État, dont l’ordonnance a été rendue rapidement le 11 août 2023.

C’est dans ce cadre que « Les Soulèvements de la Terre » ont contesté la dissolution qui leur avait été infligée par décret.

  • La suspension en référé de la dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » par le Conseil d’État

Afin de statuer en référé suspension, le Conseil d’État devait apprécier si deux conditions étaient réunies :

  • Une situation d'urgence,
  • Et un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

L’atteinte portée à l’exercice d’une liberté fondamentale permet traditionnellement d’établir une situation d’urgence en référé. Le Conseil d’État a donc considéré aisément en l’espèce que l’atteinte portée à la liberté d’association par l’exécution d’un décret prononçant la dissolution d’un groupement de fait comme « Les Soulèvements de la Terre » était constitutive d’une situation d’urgence. La première condition du référé suspension était donc remplie.

C’est la seconde condition qui était plus discutée, à savoir le doute sérieux quant à la légalité du décret de dissolution des « Soulèvements de la Terre ».

La question importante à juger en la matière était de savoir si « Les Soulèvements de la Terre » avaient provoqué « à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens », ce qui permet leur dissolution en application du code de la sécurité intérieure.

Pour trancher ce point, le Conseil d’État a opéré une distinction importante en deux temps entre les violences à l’encontre des personnes et les violences à l’égard des biens :

  • D’une part, le Conseil d’État a considéré que ni les pièces versées au dossier par le ministère de l’Intérieur ni les éléments exposés à l’audience ne permettaient d’établir à ce stade que le collectif « Les Soulèvements de la Terre » cautionnait d’une quelconque façon les violences à l’encontre des personnes ;
  • D’autre part, le Conseil d’État a jugé s’agissant des violences à l’égard des biens que les « initiatives de désobéissance civile » et de « désarmement de dispositifs portant atteinte à l’environnement » du collectif « Les Soulèvements de la Terre » ont eu essentiellement un caractère symbolique, en nombre limité et avec des dommages de caractère circonscrit et de faible importance.

Selon le Conseil d’État, le groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » n’a donc pas provoqué « à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens » au sens du code de la sécurité intérieure. C'est le point essentiel, car leur dissolution n’était alors pas possible selon les juges du Palais Royal.

C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État a suspendu l’exécution du décret de dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » en référé jusqu’au jugement au fond du recours en annulation dirigé contre le décret du 21 juin 2023.

  • Analyse de la décision rendue en référé et prochaine étape du recours des « Soulèvements de la Terre » contre leur dissolution

L’ordonnance rendue ce jour en faveur du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre » par le Conseil d’État est surprenante, mais elle s’explique par la procédure applicable.

En effet, le juge des référés a très rapidement balayé l’argumentation de l’État des violences à l’encontre des personnes qui seraient cautionnées par « Les Soulèvements de la Terre », alors même que le décret de dissolution était illustré de très nombreux exemples qui ne sont pas repris au sein de l’ordonnance rendue ce jour.

De la même manière, le juge des référés a écarté les éléments de l’État destinés à démontrer les violences à l’égard des biens commises par les « Soulèvements de la Terre » par des qualifications euphémisantes comme des « initiatives de désobéissance civile » ou encore le « désarmement de dispositifs portant atteinte à l’environnement ». Ici encore, de nombreux exemples d’actions violentes chronologiquement répertoriées figuraient au sein du décret de dissolution du collectif et il est difficile de dire que toutes ces actions ont réellement été examinées par le juge de l’urgence.

La position du Conseil d’État s’explique sans doute par la nature même du référé suspension, qui est une procédure rapide ne permettant pas toujours d’aller au fond des dossiers. Elle n’en demeure pas moins surprenante, car le juge des référés a pris le risque de la suspension alors même qu’il pouvait attendre le jugement au fond. La suspension prononcée est en effet souvent plus engageante pour le juge que le simple rejet du recours : elle démontre qu’il a été convaincu par les arguments des « Soulèvements de la Terre » dans ce dossier.

Le recours au fond qui sera probablement jugé en fin d’année sur le décret de dissolution du groupement de fait les « Soulèvements de la Terre » sera l’occasion d’un examen plus approfondi des actions menées par le groupement de fait depuis sa création en 2021, qui n’a pas vraiment été mené par le juge des référés dans le cadre de son ordonnance du 11 août 2023. Il n’est pas certain que cette ordonnance soit confirmée par le juge du fond, qui tranchera définitivement et par un examen plus attentif la question de la légalité de la dissolution prononcée par l’État contre les « Soulèvements de la Terre ».

 

[1] CE, ordonnance du 11 août 2023, Les Soulèvements de la Terre et autres, n° 476385, 476396, 476409, 476948

[2] Décret du 21 juin 2023 portant dissolution d'un groupement de fait

[3] Article R. 421-1 du code de justice administrative

[4] Article L. 521-1 du code de justice administrative

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Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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