Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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Untitled 1C'est la polémique de la semaine. Comme l'a relayé le Vice-président du Rassemblement National et Député européen Jordan Bardella sur les réseaux sociaux, une candidate se présente voilée aux élections départementales de juin 2021 sous l'étiquette du parti présidentiel "La République en Marche", voile qu’elle porte sur la photo officielle de campagne :


La réaction de Stanislas Guerini, Député LREM de Paris et Délégué Général du parti a été immédiate et sans appel :
Mais est-ce interdit juridiquement ?

La question est tranchée en jurisprudence. Aux élections régionales de 2010, le NPA avait en effet déjà présenté une candidate voilée sur sa liste en PACA, qu’Olivier Besancenot présentait alors comme « féministe, laïque et voilée » (Le Figaro).

Saisi en référé-liberté par une association pour la « promotion des droits des femmes originaires du monde arabe » (AWSA), le Conseil d’État a toutefois considéré que rien n’interdisait à la candidate de faire campagne et d’apparaître voilée sur la photo officielle de campagne (CE, 1er mars 2010, n°337079) ce qu'il a confirmé par la suite au fond (CE, 23 décembre 2010, n°337899).

Selon le Conseil d’État, la présence sur une liste électorale d'une personne portant le voile islamique ne porte en effet pas atteinte à la liberté de conscience, à l'égalité des droits et au droit à la sûreté, au principe de laïcité, ni à la loi sur la séparation des Églises et de l'État de 1905.

La solution est logique, puisque la candidate au scrutin local n’a ni la qualité d’agent public ni la qualité d’usager de certains services publics et qu’aucune règle juridique ne va donc à l’encontre de son droit de manifester ses convictions religieuses, même ostensiblement. On note d’ailleurs qu’un parti politique comme le Parti chrétien-démocrate a, pour les mêmes raisons, tout à fait la possibilité de revendiquer sur ses affiches de campagne ses convictions religieuses chrétiennes.

En poussant le raisonnement, on pourrait même considérer que rien ne s’opposerait à ce que la candidate concernée manifeste ses convictions religieuses au sein du conseil départemental si elle était toutefois élue, mais c’est un autre sujet.

Il en résulte qu’une candidate aux départementales comme la candidate LREM de Montpellier peut donc juridiquement tout à fait faire campagne voilée et apparaître voilée sur la photo officielle de campagne, en l'état actuel de la jurisprudence.

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Nonobstant l’état d’urgence sanitaire et la persistance de l’épidémie de covid-19 sur le territoire national, le maire de Perpignan Louis Alliot a pris le 8 février 2021 quatre arrêtés municipaux autorisant la réouverture des musées dans sa ville, sous condition d’un protocole sanitaire renforcé.

Le même jour, le préfet des Pyrénées-Orientales a saisi en urgence le tribunal administratif de Montpellier, lui demandant de suspendre l’exécution de ces arrêtés municipaux (procédure spéciale de déféré suspension du préfet) qui concernaient précisément le musée des monnaies et médailles Joseph Puig, le muséum d’histoire naturelle, le musée Hyacinthe Rigaud et le musée de la Casa Pairal.

Par une ordonnance du 15 février 2021, le tribunal administratif de Montpellier a donné raison au représentant de l’État en prononçant la suspension immédiate de l’exécution des arrêtés de Louis Alliot.

Pour parvenir à cette décision, le juge des référés a rappelé que les musées concernés de la ville de Perpignan constituaient tous juridiquement des établissements recevant du public relevant de la catégorie Y.

Or l’article 45 du décret du Premier ministre du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire est très clair. Il prévoit précisément une fermeture au public jusqu’à nouvel ordre de tous établissements relevant de la catégorie Y, sur tout le territoire national :

« Les établissements (…) figurant ci-après ne peuvent accueillir du public : (…) 4° Établissements de type Y : Musées, salles destinées à recevoir des expositions à vocation culturelle (scientifique, technique ou artistique, etc.), ayant un caractère temporaire ».

Les arrêtés du maire de Perpignan se heurtaient donc en l’espèce à deux règles juridiques fondamentales :

  • La hiérarchie des normes, à savoir qu’un arrêté municipal ne peut pas méconnaître les dispositions d’un décret ministériel ;
  • Et le parallélisme des formes, qui implique que le maire de Perpignan ne peut pas lui-même changer une règle édictée par le Premier ministre pour tout le territoire national, même si elle ne lui convient pas.

On comprend en creux que le juge des référés n’est pas nécessairement en désaccord avec la position du maire de Perpignan, puisqu’il prend la peine de souligner en fin d’ordonnance que la mise en place de stricts protocoles sanitaires ou une évolution favorable du contexte sanitaire pourraient justifier une réouverture des musées à l'avenir.

Mais la décision rendue est fondée en droit sur l’incompétence de Louis Alliot : le premier édile de Perpignan n’a pas la compétence juridique pour se substituer au Premier ministre et rouvrir lui-même les musées de sa ville, comme le rappelle le juge :

« (…) dès lors qu’il est constant que (les musées) constituent des établissements relevant de la catégorie Y, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions par les arrêtés contestés du 8 février 2021 qui autorisent leur ouverture est, en l’état de l’instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de ces décisions, sans qu’y fasse obstacle la mise en place de protocoles sanitaires particulièrement stricts diminuant ainsi fortement le risque de transmission du virus dans ces établissements ou une évolution favorable du contexte sanitaire, qui, si elles sont susceptibles de remettre en cause l’appréciation portée par le Premier ministre sur la fermeture de ce type d’établissement, ne peuvent permettre à un maire de procéder lui-même à cette ouverture (…) ».

Le raisonnement du tribunal administratif de Montpellier est logique et imparable. On touche ici aux limites de la décentralisation qui, si elle confère des responsabilités élargies aux collectivités territoriales et donc aux maires, doit se concilier avec la déconcentration et l’unité du pouvoir politique de l’État : la France n’est pas un État fédéral. Si elle est critiquable, c’est la logique de l’égalité républicaine qui impose la même règle étatique sur l’ensemble du territoire national.

D’autant plus que le Conseil d’État a très fortement limité les pouvoirs de police du maire récemment dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire :

« Les articles L. 2212 1 et L. 2212 2 du code général des collectivités territoriales (…) autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État » (CE, 17 avril 2020, n° 440057).


Pour résumer, les maires ne disposent donc pas à ce jour de la compétence juridique pour décider de l’ouverture de tel ou tel lieu de culture fermé par l’État pendant l’état d’urgence sanitaire et ne peuvent pas alléger les mesures d’interdiction étatique au titre de leur pouvoir de police, compte tenu de la situation sanitaire.

Les musées comme tous les lieux de culture sont donc suspendus au bon vouloir de l’État : ils resteront tous fermés ou rouvriront tous en même temps, sans entre-deux. Pour la santé de nos âmes, espérons une réouverture nationale au plus vite.

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On apprend aujourd’hui que le Président de la République Emmanuel Macron a été testé positif à la Covid-19, ce qui démontre une nouvelle fois que le virus circule activement sur le territoire national et que personne n’est à l’abri du risque, pas même le chef de l’État (Franceinfo).

C’est l’occasion de s’intéresser à la situation de « vacance de la Présidence de la République » qui, comme je l’explique souvent à mes étudiants, ne doit pas être confondue avec une villégiature au Fort de Brégançon.

La vacance du pouvoir se caractérise par un empêchement définitif du Président de la République à l’exercice de ses fonctions. Il s’agit donc de la situation d’une maladie grave ou, dans la pire des situations, d’un décès.

L’article 7 de notre Constitution fixe alors des règles très simples :

  • C’est le Conseil constitutionnel qui constate la vacance de la Présidence de la République ;
  • Le mandat du Président prend immédiatement fin de manière anticipée ;
  • Les fonctions du Président sont provisoirement exercées par le Président du Sénat ;
  • Le scrutin pour l'élection du nouveau Président a lieu 20 jours au moins et 50 jours au plus après l'ouverture de la vacance.

La vacance de la Présidence de la République n’a pas de conséquence directe immédiate sur les mandats des députés ou sur les autres institutions. Si la logique commande une dissolution concomitante de l’Assemblée Nationale pour conférer une nouvelle majorité au Président, les textes ne l’obligent pas, interdisant même explicitement la dissolution opérée par le Président par intérim.

Historiquement, la situation de vacance de la Présidence de la République s’est présentée deux fois sous la Vème République, suite à la démission du Général de Gaulle le 28 avril 1969 et suite au décès du Président Georges Pompidou le 2 avril 1974. C’est le Président du Sénat Alain Poher qui, par deux fois, a alors assuré la Présidence de la République par intérim.

Dans la pire des situations, à savoir celle d’une forme grave de Covid-19 pour le Président Macron, ou pire, c’est le Président du Sénat Gérard Larcher qui assurerait donc l’intérim de la Présidence de la République pendant au moins 20 jours, jusqu’à convocation des électeurs aux urnes.

Une forme légère de Covid-19 n’implique enfin aucune vacance de la Présidence de la République, qui peut continuer à assurer ses fonctions pendant sa convalescence. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.

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« Nous qui n'avons le droit de nous mêler que des choses de ce monde, nous pouvons donc permettre la liberté des cultes, et dormir en paix. » (Mirabeau)

En cas d’épidémie, le Premier ministre est habilité par la loi à prendre par décret motivé des mesures proportionnées aux risques courus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population.

Le chef du gouvernement peut ainsi notamment (article L3131-15 du code de la santé publique) :

  • Limiter ou interdire les rassemblements et réunions de toute nature,
  • Ordonner la fermeture provisoire et réglementer l'ouverture, y compris les conditions d'accès et de présence, des établissements recevant du public (ERP) ainsi que des lieux de réunion.

Ce faisant, le Premier ministre peut légalement porter atteinte, de manière mesurée, aux libertés fondamentales au nom de l’impératif de protection de la santé publique, composante sanitaire de l’ordre public.

Dans ce cadre, compte tenu de la persistance du nouveau coronavirus (covid-19) particulièrement contagieux sur le territoire national, le Premier ministre a pris un décret n° 2020-1454 du 27 novembre 2020 modifiant un précédent décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 venant encadrer de manière particulièrement stricte la réouverture des établissements de culte (ERP de catégorie V) :

« Les établissements de culte, relevant de la catégorie V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit à l'exception des cérémonies religieuses dans la limite de 30 personnes. ».

Considérant que ce décret portait atteinte à la liberté de culte en posant une limite de 30 personnes seulement pour les cérémonies religieuses, des associations religieuses catholiques ont saisi le Conseil d’État en urgence, lui demandant d’en suspendre l’exécution et d’enjoindre au Premier ministre de modifier cette limite pour tous les cultes.

La procédure de référé-liberté permet en effet au juge des référés de se prononcer très rapidement sous 48H et d’ordonner « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale » à condition qu’il lui soit démontré (article L521-2 du code de justice administrative) :

  • Une situation d’urgence,
  • Et une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Par une ordonnance du 29 novembre 2020, le Conseil d’État a donné raison aux requérants en enjoignant au Premier ministre de modifier, dans un délai maximum de 3 jours le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, afin d’encadrer de manière proportionnée les rassemblements et réunions dans les établissements de culte, et non pas de fixer une limite fixe de 30 personnes pour tous les lieux de culte.

C’est une décision bienvenue.

Pour parvenir à une telle solution, la Haute juridiction a pris en compte et rappelé de nombreux éléments.

En premier lieu, le Conseil d’État a considéré que la condition d’urgence était remplie compte tenu :

  • De l’amélioration de la situation sanitaire ayant justifié l’allègement du confinement,
  • Et de l’impossibilité pour les fidèles de se réunir à plus de 30 personnes pour des cérémonies religieuses au sein des établissements de culte.

De manière surprenante, et à l’instar d’un précédent contentieux similaire en date du 18 mai 2020, les pouvoirs publics n’avaient même pas contesté cette situation d’urgence dans le cadre de leur défense.

En deuxième lieu, le Conseil d’État a confirmé une nouvelle fois, comme le 18 mai 2020, que la liberté du culte présentait le caractère d’une liberté fondamentale pouvant justifier un référé-liberté, ce qui n’est pas nouveau dans sa jurisprudence (CE, ord., 16 février 2004, Benaissa, n°264314).

La Haute juridiction a rappelé à nouveau que cette liberté ne se limitait pas au droit de tout individu d’exprimer individuellement les convictions religieuses de son choix, mais qu’elle comportait également, parmi ses « composantes essentielles », le droit de « participer collectivement (…) à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte ».

Par le passé, le Conseil d’État avait d’ailleurs déjà pu juger que la « possibilité d'exprimer dans des formes appropriées ses convictions religieuses » constituait une liberté fondamentale (CE, ord., 7 avril 2004, Kilicikesen, n°266085).

En troisième lieu, confrontant les principes à la situation d’espèce, le Conseil d’État a considéré que le Premier ministre avait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte par son décret du 27 novembre 2020.

Le Conseil d’État n’a pas nié la nécessité pour le Premier ministre d’encadrer les rassemblements au sein des établissements de culte compte tenu de la persistance de l’épidémie, mais lui reproche d’avoir posé une jauge de 30 personnes disproportionnée et non-justifiée dans le nouveau contexte issu de l’allègement du confinement.

Dans un État de droit, la liberté est la règle, et la restriction de police l’exception (CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855). Les pouvoirs publics doivent donc toujours concilier l’exercice des libertés fondamentales avec l’impératif de protection de l’ordre public en trouvant un point d’équilibre. Pour qu’une mesure de police soit légale, il faut ainsi qu’elle tende à maintenir l’ordre public par les moyens les moins rigoureux possible (CE, 21 janvier 1994, Commune de Dammarie-Les-Lys, n° 120043) et qu’elle ne porte pas une atteinte excessive aux libertés fondamentales (CE, 19 mai 1933, Benjamin, n° 17413).

Le Conseil d’État a jugé que l’intervention du Premier Ministre était nécessaire pour encadrer la fréquentation des établissements de culte dans la mesure où :

  • Les cérémonies religieuses exposent les participants à un risque de contamination qui est d'autant plus élevé qu'elles ont lieu dans un espace clos, de taille restreinte, pendant une durée importante, avec un grand nombre de personnes, qu'elles s'accompagnent de prières récitées à haute voix ou de chants, de gestes rituels impliquant des contacts, de déplacements, ou encore d'échanges entre les participants, y compris en marge des cérémonies elles-mêmes et, enfin, que les règles de sécurité appliquées sont insuffisantes ;
  • Le nombre toujours élevé des patients hospitalisés et en réanimation du fait de la covid-19, respectivement 28 648 et 3 883 à la date du 27 novembre 2020, continue à mettre en tension l'ensemble du système de santé.

Mais dans le même temps le Conseil d’État a jugé que le décret du Premier Ministre était excessif dans la mesure où :

  • La limite de 30 personnes maximum pour les cérémonies religieuses n’est pas justifiée par des risques qui seraient propres à ces cérémonies ;
  • Aucune autre activité autorisée n'est soumise à une jauge de limitation absolue à 30 personnes maximum fixée indépendamment de la superficie des locaux en cause ;
  • Le fait que les cérémonies religieuses seraient interdites ou soumises à une limitation en valeur absolue du nombre de participants dans plusieurs autres pays européens est sans incidence ;
  • La circonstance que certains établissements recevant du public autres que les lieux de culte restent toujours fermés malgré l'allègement du confinement est sans incidence dans la mesure où les activités qui y sont exercées ne sont pas de même nature et que les libertés fondamentales en jeu ne sont pas les mêmes.

Il en résulte, selon le Conseil d’État, que la limite de 30 personnes maximum pour les cérémonies religieuses imposée par le décret contesté présente un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique. Cette interdiction constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de la composante en cause de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière.

Dans ces conditions, le Conseil d’État enjoint au Premier ministre de modifier, dans un délai particulièrement bref de 3 jours maximum le décret initial n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, afin d’encadrer de manière proportionnée les rassemblements et réunions dans les établissements de culte, et non pas de fixer une limite fixe de 30 personnes pour tous les lieux de culte.


***


C’est un signal fort envoyé par le Conseil d’État aux pouvoirs publics par cette décision.

En rappelant à nouveau le principe de la proportionnalité de la mesure de police, même en période exceptionnelle d’épidémie, le Conseil d’État remet une nouvelle fois l’Église au milieu du village.

En rappelant une nouvelle fois que la liberté de culte ne se limite pas au droit de tout individu d’exprimer individuellement les convictions religieuses de son choix, mais qu’elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement à des cérémonies, le Conseil d’État fait également œuvre utile.

Enfin, on se gardera d’analyser la décision commentée comme un blanc-seing donné par le Conseil d’État à tous les rassemblements dans les établissements de culte, dans n’importe quelles conditions. Un strict protocole sanitaire avec une jauge de participants exprimée en pourcentage de la superficie des locaux et non plus en valeur absolue permettrait aux pouvoirs publics de contenir l’épidémie dans le respect de l’exercice de la liberté de culte. Ils ont 3 jours maximum pour ce faire.

Décision commentée : CE, ord., 29 novembre 2020, Association Civitas et autres, n°446930 et suivants

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Leur inquiétude est légitime. Alors que la France se reconfine, des milliers de petits commerçants craignent pour la pérennité de leur commerce fermé par l’État et crient à l’injustice puisque les grandes surfaces et magasins de e-commerce sont eux autorisés à rester ouverts. Invoquant le principe d’égalité de traitement et de loyauté de la concurrence, plusieurs maires ont pris des arrêtés municipaux autorisant l’ouverture de tous les commerces sur leur territoire, malgré le reconfinement national. Mais est-ce bien légal ?

Le maire de Chalon-sur-Saône a été un des premiers à prendre un arrêté municipal autorisant la réouverture de « l’ensemble des commerces non alimentaires de la ville » malgré le reconfinement national, suivi du maire de Béziers qui a pris la même mesure. Par effet boule de neige, les arrêtés municipaux de même nature se multiplient actuellement :


Sur le fond, l’argumentation des petits commerçants portée par les maires pourrait se défendre. Le principe d’égalité, de valeur constitutionnelle en droit français, implique en effet que toutes les personnes placées dans une situation identique soient traitées de la même manière. Ainsi, seules des différences de situation objectives peuvent justifier une inégalité de traitement entre les personnes (CE Sect., 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, n°88032).

On voit mal, dans ce cadre, en quoi les petits commerçants français comme les libraires ou les fleuristes seraient placés dans une situation objectivement différente de celle des grandes surfaces qui vendent des fleurs et des livres, ou pire encore, des géants du e-commerce. Pourquoi donc les uns devraient impérativement fermer, et les autres pourraient rester ouverts pendant le reconfinement ? L’inégalité de traitement discriminatoire au détriment des petits commerçants pourrait donc se défendre sur le principe pour obtenir du juge leur réouverture. Mais notre droit est subtil et tenace. En effet, la jurisprudence considère depuis longtemps qu’un motif d’intérêt général peut justifier de déroger par exception au principe d’égalité (CE, 15 mai 2000, Barroux, n° 200903). La situation sanitaire actuelle pourrait aisément constituer un tel motif permettant de passer outre le principe d’égalité.

Voilà pour le fond. Mais pour la forme, c’est pire encore. En effet, si le maire dispose traditionnellement d’un pouvoir de police lui permettant d’aggraver les mesures prises par les autorités supérieures comme l’État, il ne peut en revanche en aucun cas utiliser ce pouvoir pour alléger ces mêmes mesures. Ainsi la vitesse de circulation est limitée par l’État à 50 km/h dans les agglomérations, et si le maire peut tout à fait aggraver la mesure pour porter l’interdiction à 30 km/h dans sa ville il ne pourrait en aucun cas l’alléger, pour porter la vitesse à 70 km/h en agglomération par exemple. Le raisonnement est le même pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. Le pouvoir de police du maire ne lui permet ainsi pas de déroger aux règles de fermeture des commerces édictées par l’État dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire pour le reconfinement : le maire ne peut pas alléger les interdictions d’ouverture prises par l’État pour décider que tel et tel commerce pourrait finalement rester ouvert, en contradiction avec la doctrine étatique.

D’autant plus que le Conseil d’État a très fortement limité les pouvoirs de police du maire récemment dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire :

« Les articles L. 2212 1 et L. 2212 2 du code général des collectivités territoriales (…) autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État » (CE, 17 avril 2020, n° 440057).


Pour résumer, les maires ne disposent donc pas à ce jour de la compétence juridique pour décider de l’ouverture de tel ou tel commerce fermé par l’État pendant l’état d’urgence sanitaire et ne peuvent pas alléger les mesures d’interdiction étatique au titre de leur pouvoir de police même au nom du principe d’égalité, compte tenu de la situation sanitaire.

Nous partageons les craintes et le sentiment d’injustice des petits commerçants. Mais il n’en demeure pas moins que les arrêtés municipaux édictés récemment pour rouvrir des petits commerces pendant le reconfinement sont en l’état tous illégaux.

Les maires n’ont pas toute latitude pour agir, leurs actes étant soumis au contrôle de légalité de l’État via le Préfet. Il y a donc fort à parier que les déférés préfectoraux, permettant de porter des arrêtés municipaux illégaux devant le juge administratif, vont se multiplier. Dans ce cadre, même si certains tribunaux administratifs pourraient peut-être s’autoriser quelques libertés en première instance, le Conseil d’État maintiendra rapidement les interdictions d’ouverture des commerces décidées par l’État dans le cadre du reconfinement au détriment des petits commerçants sans qu’une rupture d’égalité puisse y faire obstacle. De la même manière, les référés libertés qui seront sans doute exercés dans les jours qui viennent par des commerçants souhaitant rouvrir seront rejetés par le juge administratif compte tenu des règles rappelées.

L'état du droit applicable, tel qu'interprété par les juges, ne joue donc pas en faveur des petits commerçants, auxquels nous adressons toute notre solidarité et notre sympathie dans ces temps difficiles. 

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C’est la nouvelle polémique. Le lundi 14 septembre, toutes les lycéennes de France étaient appelées par des collectifs féministes à s’habiller de manière « indécente » pour aller à l’école, appel véhiculé sous les hashtags #Balancetonbahut et #lundi14septembre pour « lutter contre le sexisme » (France bleu).

Hier, c’est le Ministre de l’Éducation nationale lui-même qui lançait en réponse un appel à la pudeur, suggérant le port par les élèves d’une « tenue républicaine » (Ouest-France). De manière étrange, c’est la tenue « crop top », emblème démodé des années 90 qui a été au cœur des débats (Madame Figaro).

C’est la question de la tenue appropriée pour la vie scolaire qui se pose, et sa réglementation par les établissements. Alors comment doit-on s’habiller pour aller à l’école ? Et surtout, un établissement peut-il encadrer la tenue vestimentaire des élèves ?

Jadis, l’obligation de l’uniforme partout et pour tous permettait d’éviter les écueils rencontrés aujourd’hui par les établissements scolaires. Mais cette obligation n’a plus cours de nos jours en France, du moins dans l’enseignement public, et les élèves sont donc libres de s’habiller comme ils le souhaitent.

Libres ? Pas tout à fait...

En effet, la loi fixe d’abord certaines limites, la plus connue étant la loi du 15 mars 2004 qui encadre, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. C’est en application de ce texte que le voile islamique est par exemple interdit dans tous les établissements scolaires français (mais pas à l’université).

Mais, outre le cas particulier des tenues religieuses, la loi est silencieuse sur les tenues vestimentaires « appropriées » pour les élèves. C’est là qu’intervient le règlement intérieur. Chaque établissement doit en effet se doter d’un règlement intérieur qui fixe l'ensemble des règles de vie, de civilité et de comportement dans l'établissement (article R421-5 du code de l’éducation).

Le texte est préparé par la direction du collège ou du lycée et voté par le conseil d’administration. Dans ce cadre, les instances de l’établissement disposent d’une certaine latitude pour fixer et adapter les règles en fonction des circonstances particulières, c’est-à-dire juridiquement d’un « pouvoir d’appréciation », sous le contrôle du rectorat.

C’est par l’intermédiaire du règlement intérieur que les établissements peuvent ainsi réglementer, dans une certaine mesure, les tenues ou comportements des élèves. On peut penser par exemple à l’obligation de nouer ses cheveux, ou de porter une tenue adaptée dans les cours de physique-chimie avec utilisation du bec bunsen, ce qui se comprend parfaitement.

En définitive, les obligations et limitations posées par le règlement intérieur doivent être adaptées à la configuration scolaire : on acceptera le maillot de bain pendant les heures de natation à l’EPS, mais pas dans la salle de classe.

Mais pas d’excès ni de caricature ! Les exemples cocasses sont multiples, comme cette collégienne visée dans l’Isère par une procédure disciplinaire pour un débardeur trop « provocant » (Franceinfo) ou l’interdiction par un lycée des Yvelines du port du jogging dans l’enceinte de l’établissement (Le Point).

La liberté reste toutefois toujours la règle, et l’interdiction l’exception. On peut donc conclure qu’un établissement peut tout à fait imposer aux élèves une tenue appropriée et adaptée à la vie scolaire dans le cadre de son règlement intérieur, sans toutefois pouvoir aller spécifiquement jusqu’à l’interdiction de telle ou telle tenue comme le « crop top ».

Un règlement intérieur qui poserait une telle interdiction serait excessif et pourrait toujours être contesté devant le rectorat ou le juge administratif (on sait depuis la décision CE, 2 novembre 1992, « Kherouaa » que les règlements des établissements scolaires ne sont plus des mesures d’ordre intérieur, mais des décisions exécutoires faisant grief, pouvant dès lors être déférées à la censure du juge de l’excès de pouvoir).

Ou commencer par apprendre aux élèves que "l'apparence est le vêtement de la personnalité" (Galienni).

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Le Conseil constitutionnel a censuré, ce jeudi 18 juin 2020, la quasi-totalité de la loi « Avia » contre les contenus haineux sur Internet (décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020). Après une telle censure, le véhicule législatif est vidé de toute substance : il ne reste rien de la loi « Avia », et c’est tant mieux.

La décision du Conseil constitutionnel, très claire et très pédagogique n’a pas surpris les juristes. En quelque sorte, le juge constitutionnel a rappelé que la fin ne justifiait pas tous les moyens.

Le Conseil constitutionnel a tout d’abord réaffirmé solennellement le principe de libre communication des pensées et des opinions (A. 11 DDHC) : à l’ère numérique, ce droit implique la liberté de chacun d'accéder aux réseaux sociaux et de pouvoir s'y exprimer librement.

Le Conseil constitutionnel rappelle toutefois que la liberté d'expression n’est pas absolue, les citoyens devant répondre de tout abus de cette liberté dans les conditions déterminées par la loi (A. 11 DDHC).

Sur cette base, le juge constitutionnel a affirmé que le législateur était légitime à intervenir pour faire cesser les abus de l'exercice de la liberté d'expression et de communication qui portent atteinte à l'ordre public et aux droits des tiers (A. 34 de la Constitution). Le Conseil constitutionnel a donc reconnu la légitimité de la loi « Avia » dans sa finalité... mais a sanctionné les modalités excessives qu’elle prévoyait pour y parvenir.

Le juge constitutionnel a en effet considéré que les atteintes portées à l'exercice de la liberté d'expression et de communication par la loi « Avia » n’étaient ni nécessaires ni adaptées ni proportionnées à l'objectif poursuivi de lutte contre les abus :

  • En laissant à des opérateurs privés de plateforme en ligne la responsabilité de juger du caractère haineux ou sexuel d’un contenu sur simple dénonciation (et non au juge) et de les retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de 24H seulement sous peine de sanction pénale, la loi est excessive ;
  • En conférant à la seule administration (et non au juge) l’appréciation du caractère terroriste ou pédopornographique d'un contenu, la loi est excessive ;
  • Le délai d'une heure seulement laissé par la loi à l'éditeur ou l'hébergeur du site pour retirer ou rendre inaccessible le contenu visé est trop court, car il ne lui permet pas d'obtenir une décision du juge avant d'être contraint de le retirer ;
  • Les sanctions prévues pour les éditeurs et hébergeurs de sites sont excessives (un an d'emprisonnement et 250 000 euros d'amende).

Le Conseil constitutionnel a donc particulièrement insisté sur l’absence du juge dans les mécanismes de contrôle prévus par la loi « Avia », à laquelle il reproche donc la privatisation du contrôle de la liberté d’expression. Pour le Conseil constitutionnel, le pouvoir judiciaire doit donc conserver le monopole du contrôle de cette liberté, qui ne peut pas être délégué à des opérateurs privés comme les gestionnaires de réseaux sociaux.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel constate le caractère impraticable de la loi « Avia », avec des délais trop courts et des sanctions déraisonnables dès le premier manquement. Ces mécanismes excessifs ne peuvent en effet que conduire à un excès de prudence des opérateurs de plateforme en ligne à retirer tous les contenus qui leur seraient signalés, qu'ils soient ou non manifestement illicites selon le juge constitutionnel : la loi « Avia » portait en son sein un risque d’atteintes généralisées à la liberté d’expression.

Cette décision doit nous amener à réfléchir sur la place du juge constitutionnel dans le processus législatif, dans le respect de la séparation des pouvoirs. Combien d’heures et de jours perdus par le législateur pour une loi finalement balayée par le juge constitutionnel ? La loi « Avia » devra nous servir collectivement de contre-exemple. Une réflexion sur la saisine pour avis du Conseil constitutionnel en amont du travail parlementaire sur les lois ordinaires pourrait être très utile.

jeudi, 11 juin 2020 13:17

Le Président peut-il démissionner ?

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Mes étudiants de première année écrivent souvent dans leurs copies « Le Président a le pouvoir de se dissoudre »... que je corrige immédiatement en leur indiquant que c’est inexact : le Président a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée Nationale ou de démissionner lui-même ce qui, chacun en conviendra, est différent de la première hypothèse envisagée.

Le Figaro nous apprend aujourd’hui que le Président Macron envisagerait sérieusement de démissionner pour provoquer une élection présidentielle anticipée dans le contexte de l'après-covid et profiter de l’absence d’opposition.

Mais est-ce vraiment possible ?

Rien ne s’oppose dans les textes à la démission du Président de la République. Bien au contraire, la Constitution prévoit ce cas de figure de « vacance de la Présidence de la République » en son article  7 avec des règles assez simples :

  • C’est le Conseil constitutionnel qui constate la vacance de la Présidence de la République ;
  • Le mandat du Président prend immédiatement fin de manière anticipée ;
  • Les fonctions du Président sont provisoirement exercées par le Président du Sénat ;
  • Le scrutin pour l'élection du nouveau Président a lieu 20 jours au moins et 50 jours au plus après l'ouverture de la vacance.
Bien entendu, rien n’interdit au Président démissionnaire de se présenter à nouveau aux suffrages des électeurs. De la même manière, la démission d’un Président n’a pas de conséquence directe sur les mandats des députés. Bien que la logique commande une dissolution concomitante de l’Assemblée Nationale pour conférer une nouvelle majorité au Président, les textes ne l’obligent pas, interdisant même explicitement la dissolution opérée par le Président par intérim.

Historiquement, la situation s’est présentée une seule fois avec la célèbre démission du Général de Gaulle le 28 avril 1969 suite au référendum perdu sur la régionalisation, et l’élection subséquente de Georges Pompidou :

DC280469
Le Conseil constitutionnel prend acte de la démission du Général de Gaulle

Politiquement, la manœuvre peut s’avérer payante : en anticipant de deux années la fin de ses fonctions, le Président peut repartir pour 5 ans si les électeurs lui font confiance, dans un contexte favorable et en prenant de cours l’opposition.

Elle peut aussi se retourner contre son auteur : si le cas de figure est différent, on se souvient de la dissolution ratée de Jacques Chirac en 1997 qui amputa dans les faits très sérieusement son mandat.

Le Président Macron aime jouer avec le feu en disant souvent qu’il « prend son risque ». Attention toutefois au retour de flamme.

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De manière très surprenante, le Tribunal administratif de Paris a écarté en référé une demande de suspension de la neutralisation des notes inférieures à 10/20 décidée par l’université Paris-1 au motif de l’épidémie de covid-19. Mais l’affaire reviendra prochainement devant le juge administratif qui a été immédiatement saisi par le recteur de la région académique d’Île-de-France, suspendant également lui-même l’exécution de la mesure polémique.

Alors peut-on décider de la neutralisation automatique de toutes les notes inférieures à 10/20 à l’université ?

Par deux délibérations du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020, la commission de la formation et de la vie universitaire (CFVU) du conseil académique de l’université Paris I, Panthéon-Sorbonne, a adopté les conditions dans lesquelles seront évaluées les connaissances des étudiants de l’université, sur le fondement de l’article L. 712-6-1 du code de l’éducation.

En pratique, la commission a ainsi permis à l’université de neutraliser les notes des étudiants inférieures à 10/20 au motif de l’épidémie de covid-19 qui n’aurait pas permis de poursuivre les enseignements ni de faire passer les examens dans des conditions satisfaisantes.

Par une requête en référé enregistrée le 7 mai 2020, un certain nombre d’enseignants-chercheurs à l’université Paris 1 ont saisi le Tribunal administratif de Paris, lui demandant de suspendre en urgence l’exécution des délibérations de la CFVU du 16 avril 2020 et du 5 mai 2020, et d’enjoindre à l’université d’adopter sous huitaine de nouvelles règles relatives aux examens et à l'évaluation des enseignements.

La procédure de référé-suspension permet en effet au juge administratif de se prononcer rapidement et d’ordonner la suspension d’une décision administrative à condition qu’il lui soit démontré (article L. 521-1 du code de justice administrative) :

  • Une situation d’urgence,
  • Et un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

La requête des enseignants-chercheurs était appuyée par le ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, qui concluait aux mêmes fins que les requérants.

Ils faisaient notamment valoir que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 était contraire :

  • Aux principes de souveraineté et d’indépendance des jurys d’examen,
  • Au principe à valeur constitutionnelle d’indépendance des enseignants-chercheurs,
  • Au principe d’égalité entre les étudiants,
  • Et au principe selon lequel les modalités de contrôle des aptitudes et d'acquisition des connaissances ne peuvent pas être modifiées en cours d’année universitaire (article L. 613-1 du code de l’éducation).

En défense, un certain nombre de collectifs étudiants (AGE-UNEF, CJES, Solidaires Etudiants Paris 1) et de syndicats (CGT) concluaient au rejet de la requête.

Ils estimaient que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 était parfaitement légale compte tenu du contexte particulier de l’épidémie de covid-19, faisant notamment valoir que l’inégalité numérique entre les étudiants rendait impossible l’égalité de traitement entre les candidats.

Par une ordonnance du 20 mai 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours des enseignants-chercheurs de l’université Paris 1, en considérant que le doute sérieux quant à la légalité des délibérations de la CFVU n’était pas établi en l’espèce.

Pour parvenir à cette décision, le juge administratif a considéré que les circonstances liées à la pandémie de covid-19 ne permettaient pas l’organisation d’examens en présentiel mais, et c’est plus surprenant, pas non plus à distance.

Cette appréciation portée par le juge administratif repose principalement sur une enquête interne menée à l’université Paris I qui démontrerait que de nombreux étudiants n’auraient pas encore accès aux moyens leur permettant de bénéficier de l’enseignement à distance : « seuls 73 % des étudiants disposent d’un équipement informatique personnel et 40 % ne s’estiment pas en mesure de subir des épreuves à distance en un temps réduit ».

Par ailleurs, le juge a balayé d’une phrase les autres moyens soulevés par les requérants : « les moyens tirés (…) de la méconnaissance du principe d’indépendance des jurys et leur souveraineté, ainsi que de la méconnaissance du principe à valeur constitutionnelle d’indépendance des enseignants-chercheurs ne sont pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des délibérations contestées ».

Cette solution n’avait pourtant rien d’évident.

Il faut en effet rappeler, et c’est très important, qu’en matière de référé, le doute sérieux sur la légalité d’une décision administrative suffit au juge pour ordonner la suspension de la mesure, et non pas la preuve définitive de l’illégalité.

A minima, le Tribunal administratif de Paris aurait pu considérer qu’un doute sérieux était caractérisé en l’espèce quant à la légalité des délibérations contestées de la CFVU.

La neutralisation des notes inférieures à 10/20 pose en effet une vraie question juridique, qu’il appartiendra au juge administratif de trancher au fond, et si la question n’a pas encore été réglée en jurisprudence, les moyens avancés par les enseignants-chercheurs apparaissent comme sérieux.

Le moyen tiré de la violation de l’article L. 613-1 du code de l’éducation, selon lequel les modalités de contrôle des aptitudes et d'acquisition des connaissances ne peuvent pas être modifiées en cours d’année universitaire était facile à écarter, l’ordonnance n°2020-351 du 27 mars 2020 ayant précisément pour objet de déroger à cette disposition compte tenu de l’épidémie de covid-19.

Mais en revanche, est solidement ancré en jurisprudence le principe de souveraineté des jurys d’examen : les jurys délibèrent souverainement à partir de l'ensemble des résultats obtenus par les candidats, ce qui implique, en amont de la délibération, un pouvoir souverain de notation de la part de l'enseignant. L’appréciation portée par un jury d’examen sur les mérites des candidats ne peut ainsi pas être utilement discutée au contentieux (CE, 17 juillet 2009, n°311972 ; CE, 8 octobre 2008, n°309017). Il est indéniable que la neutralisation des notes inférieures à 10/20 à l’université interfère avec ce principe de souveraineté du jury d’examen.

Par ailleurs, la motivation de la décision rendue par le Tribunal administratif en référé apparaît juridiquement faible, car reposant sur une seule enquête interne à l’université dépourvue par nature de toute valeur juridique. Précisément, le résultat d’un sondage selon lequel certains étudiants « ne s’estiment pas » en mesure de subir des épreuves à distance ne permet pas de fonder juridiquement une délibération de neutralisation de toutes les notes inférieures à 10/20 : il n’appartient pas aux étudiants de décider eux-mêmes des modalités de contrôle des aptitudes et d'acquisition des connaissances à l’université, encore moins via un sondage.

Les conclusions de la seule enquête interne sur laquelle s’est appuyé le juge administratif pour rendre sa décision surprenante sont par ailleurs très contestables, dans la mesure où de très nombreuses universités françaises ont pu valablement organiser des examens à distance pendant l’épidémie de covid-19 et que chaque enseignant a pu constater la grande facilité avec laquelle les étudiants ont pu suivre les cours et préparer leurs exercices à distance : les nouveaux outils numériques d’enseignement sont indénombrables, d’une facilité d’utilisation déconcertante et un simple smartphone suffit.

D'autant plus que l'ordonnance "covid-19" prévoit précisément la possibilité d'organiser des examens dématérialisés à distance, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats : "S'agissant des épreuves des examens ou concours, ces adaptations peuvent porter, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats, sur leur nature, leur nombre, leur contenu, leur coefficient ou leurs conditions d'organisation, qui peut notamment s'effectuer de manière dématérialisée" (article 2 de l'ordonnance).

La neutralisation des notes inférieures à la moyenne est enfin peu compréhensible :

  • Soit l’examen à distance est possible, auquel cas toutes les notes sont valables, même celles inférieures à la moyenne,
  • Soit l’examen à distance est impossible, auquel cas il peut être annulé et les notes de contrôle continu peuvent être retenues, même celles inférieures à la moyenne.

Elle introduit en outre une discrimination difficilement acceptable entre les étudiants en fonction des résultats obtenus, au détriment des étudiants ayant obtenu une note supérieure à 10/20. Cette inégalité de traitement entre les étudiants est susceptible d’entacher d’illégalité les délibérations qui étaient contestées.

Le doute sérieux sur la légalité de la neutralisation des notes inférieures à 10/20 à l’université Paris-1 paraissait donc a minima établi, et le Tribunal administratif de Paris aurait donc pu par prudence suspendre l’exécution des délibérations contestées.

L’affaire va en tout état de cause prochainement rebondir et revenir devant le juge administratif.

Par un arrêté du 25 mai 2020, le recteur de la région académique d’Île-de-France a en effet suspendu l’exécution des délibérations contestées, et annoncé saisir lui-même le Tribunal administratif au visa de l'article L. 719-7 du code de l 'éducation (procédure rare de déféré rectoral). Cet article lui permet en effet de saisir le juge d'une demande tendant à l'annulation des décisions ou délibérations des autorités des universités qui lui paraissent entachées d'illégalité, le tribunal devant alors statuer « d'urgence ».

En parallèle, le recours en cassation dirigé contre l’ordonnance de référé du Tribunal administratif de Paris du 20 mai 2020 est possible dans les 15 jours devant le Conseil d'État, qui doit alors statuer « dans les meilleurs délais ».

Espérons que le juge administratif pourra trancher cette question sur des bases juridiques plus solides que la décision surprenante rendue en référé par le Tribunal administratif de Paris, dans l’intérêt de tous les étudiants, qui ont tous et tout à perdre à la dévalorisation de leur diplôme.

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Suite au feu vert donné par le gouvernement, les conseils municipaux élus au premier tour lors des récentes municipales de mars peuvent désormais s’installer. La date d’entrée en fonction des nouveaux élus locaux a ainsi été fixée par décret au 18 mai 2020.

La première réunion du conseil municipal est très importante, car elle a pour objet l’élection du maire et de ses adjoints.

Mais cette réunion peut rapidement tourner au casse-tête pour les nouveaux élus, qui doivent actuellement composer avec les règles de distanciation sociale liées à l’épidémie de covid-19 dans de petits locaux.

LCI rapportait ainsi récemment que la plus petite mairie de France, située en campagne normande, était installée dans un bâtiment de seulement 8m2 de surface (LCI).

En Gironde, le quotidien Sud-Ouest relevait que le maire de la ville de Gradignan avait été obligé de tenir son premier conseil municipal dans les jardins de l’hôtel de ville afin de respecter les nouvelles distances réglementaires de sécurité sanitaire (Sud-Ouest).

Mais c’est une information bien plus cocasse qui a attiré notre attention, puisque France bleu nous apprenait que le maire d’Emiéville dans le Calvados a tenu son premier conseil municipal dans l’église de sa commune justifiant sa décision par le caractère exigu de sa mairie rendant impossible toute distanciation sociale et se montrant rassurant "je ne vais quand même pas faire la messe" (France bleu).

Si cette réunion d’un conseil municipal dans une église peut faire sourire, elle n’en est pas moins parfaitement illégale.

Les règles sont en effet les suivantes (article L2121-7 du CGCT) :

  • Par principe, le conseil municipal doit se réunir et délibérer à la mairie de la commune ;
  • Par exception, le conseil municipal peut également se réunir et délibérer dans un autre lieu situé sur le territoire de la commune, dès lors que ce lieu offre les conditions d'accessibilité et de sécurité nécessaires et qu'il permet d'assurer la publicité des séances ;
  • Mais le lieu retenu ne doit pas contrevenir au principe de neutralité des édifices publics, qui a pour corollaire le principe de laïcité issu de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État.


L'ordonnance n°2020-562 du 13 mai 2020 liée à l'épidémie de covid-19 va plus loin en ajoutant que le conseil municipal peut même décider de se réunir dans un lieu situé hors du territoire de la commune compte tenu du contexte sanitaire, mais tout en rappelant que ce lieu ne doit pas contrevenir pas au principe de neutralité.

De la même manière, conformément à la loi du 25 janvier 1907 portant sur l’exercice public du culte et à la loi du 9 décembre 1905, les églises sont mises à la disposition du clergé et des fidèles et sont affectées exclusivement au culte. Tout autre usage est hors de la légalité, ce principe étant d’ordre public ce que le Conseil d’État a jugé à plusieurs reprises (CE, 1er mars 1912, Commune de Saint-Dézéry ; CE 25 août 2005 Commune de Massat, n° 284307).

La réunion d’un conseil municipal dans une église, même justifiée par un contexte extraordinaire d’épidémie contrevient donc directement aux dispositions légales applicables en matière de neutralité des édifices publics, qui a pour corollaire le principe de laïcité.

Ce que n’a pas manqué de relever le Préfet du Calvados, qui a déjà fait connaître son intention de faire annuler la première délibération issue de ce conseil municipal illégal : un déféré préfectoral sera probablement exercé afin de saisir le tribunal administratif de Caen.

Cette affaire rappelle d’autres actualités récentes que nous avions relevées, comme le maire de Morbecque qui avait apposé illégalement un gilet jaune géant sur la façade de sa commune, ou encore le président de l’Assemblée nationale qui avait de la même manière illégalement apposé un drapeau homosexuel sur la façade de l’Assemblée nationale à l’occasion de la fête dite « des fiertés ».

Le principe de neutralité applicable aux édifices publics vise précisément à éviter un tel mélange des genres et une instrumentalisation des biens communs au profit de revendications militantes.

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