Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

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Untitled 1C’est devenu un sport national. Dès l’instant où l’été arrive, des personnes mal intentionnées vandalisent les bouches à incendie, transformant les rues en piscine géante. Ce phénomène que l’on surnomme le « street pooling » ne doit ni faire rire ni être pris à la légère. À Saint-Denis, un enfant de 6 ans a été récemment violemment projeté en l’air par le puissant geyser, le laissant entre la vie et la mort sur le bitume (Le Figaro). En outre, cette pratique est un crime contre l’environnement puisqu’elle provoque le gaspillage de milliers de m3 d'eau à chaque ouverture, et endommage les installations électriques avoisinantes (LCI). Veolia avait ainsi estimé en 2017 que 600 000 mètres cubes d’eau avaient été gaspillés en Ile-de-France en moins d'un mois, soit 240 piscines olympiques (Dossier Familial). Extrêmement dangereuse pour la sécurité routière, elle porte enfin gravement atteinte aux services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) en les mobilisant inutilement, en vidant les réserves d’eau et en endommageant les installations.
 
Bien souvent, les élus locaux se retrouvent démunis pour lutter contre ce phénomène, amplifié par les périodes caniculaires et la bêtise de ses auteurs. Sur la seule journée de jeudi 27 juin 2019 (pic caniculaire), une centaine d’ouvertures sauvages de bouches à incendie ont ainsi été recensées dans le Nord-est parisien (Le Parisien).
 
La pratique du « street pooling » tombe sous le coup de l’article 322-3 8° du code pénal qui sanctionne de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende la détérioration, la dégradation ou la destruction d’un bien destiné à l'utilité publique et appartenant à une personne publique.

Mais l’effet dissuasif d’une peine ne repose que sur sa valeur d’exemple et la certitude de la sanction. Or bien souvent les poursuites pénales sont abandonnées ou ne débouchent que sur des peines symboliques si les auteurs ne sont pas appréhendés en flagrant délit.
 
Un arrêté municipal bien rédigé sera une arme bien plus efficace pour les collectivités souhaitant lutter contre le phénomène. Le texte constituera en effet une base juridique solide permettant d’adresser la facture d’eau publique gaspillée aux auteurs des faits ou leurs ayants droits (parents). Il faut en effet se rappeler que si le délinquant n’est pas sanctionné pour ce gaspillage, ce sera au contribuable local de régler cette ardoise. Un envoi systématique de l’addition à ceux qui s’adonnent à une telle pratique irresponsable pourra ainsi permettre de lutter contre cette mode dangereuse. Une amende forfaitaire de 9 000 euros peut s’envisager, car elle correspond au chiffrage du coût moyen des m3 d’eau gaspillés par ouverture illicite de bouches d’incendie.

La formulation suivante pourra être retenue, sur la base d’arrêtés déjà adoptés par certaines collectivités diligentes : 

Vu le Code général des collectivités territoriales, et notamment ses articles L 2212-1, L. 2212-2 et suivants relatifs aux pouvoirs de police du maire ;

Vu le Code pénal et notamment ses articles 311-1, 311-2, 322-1 et suivants ;

Considérant que la prévention des incendies fait partie des missions de sécurité publique qui incombent au Maire en vertu de ses pouvoirs de police ;

Considérant que la responsabilité du Maire peut être engagée en cas de carence et qu’il doit, en conséquence, prendre toutes mesures tendant à maintenir en permanence en parfait état le réseau, les bornes, les bouches et poteaux d'incendie, et veiller à la disponibilité et au fonctionnement de ces points d'eau ;

Considérant que l'usage des bornes, des bouches et poteaux d'incendie est réservé au service de lutte, d'aide et de secours contre les incendies et qu'il est de droit et sans restriction pour les personnels de ces services dans l'exercice de leurs fonctions ;

Considérant, en revanche que leur usage est interdit à toute autre personne que celles susvisées ;

Considérant que toute occupation ou utilisation irrégulière d'une dépendance du domaine public constitue une faute obligeant l'intéressé à réparer le dommage causé au gestionnaire ;

Considérant par ailleurs que la dégradation des bornes, des bouches et des poteaux d'incendie par toute personne physique est une dégradation de bien public au sens des articles 311-1 et 322-2 et suivants du Code pénal ;

Considérant de même que tout prélèvement d'eau sur ces installations par des personnes non autorisées est considéré comme un vol au sens des articles 311-1 et 311-2 du code pénal ;

Considérant enfin que les bornes d'incendie ne sont pas destinées à provoquer des geysers d'eau permettant aux habitants de se rafraîchir en cas de fortes chaleurs ;

Considérant qu'il appartient à l'autorité municipale d'assurer la sécurité des personnes et des biens ;

Considérant que la ville est régulièrement confrontée à l'ouverture sauvage de bornes, bouches et poteaux d'incendie ;

ARRÊTE :

Article 1 : Le prélèvement d'eau sur les bornes et poteaux d'incendie est interdit à toute personne non autorisée.

Article 2 : L'ouverture d'une borne ou d'un poteau d'incendie dans le but de permettre la libération d'eau est considérée comme un prélèvement sans autorisation au sens de l'article 1°' du présent arrêté et est soumise à la même interdiction.

Article 3 : Tout prélèvement et/ouverture et toute dégradation sur les bornes et poteaux d'incendie sont constitutifs d'une infraction et feront l'objet d'un constat et d'un procès-verbal d'infraction transmis au Procureur de la République. Ils seront passibles des peines prévues par les articles 311-1, 311-2, 322-1 et suivants du code pénal.

Article 4 : Les infractions au présent arrêté seront poursuivies et l’auteur des faits fera l’objet d’une demande d’indemnisation en dédommagement des coûts à la charge de la collectivité (frais de réparations, de remise en état du matériel, intervention des services municipaux, coût des m3 d’eau gaspillés, etc.) et indépendamment des poursuites engagées.

Article 5 : Le présent arrêté peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de ressort dans un délai de deux mois à compter de sa publication.

Article 6 : Le présent arrêté sera publié et affiché en mairie et en tout lieu qui sera jugé utile.

Article 7 : Une copie du présent arrêté sera adressée à :
- M. le Préfet ;
- M. le Commissaire de Police ;
- M. le Directeur Général des Services ;
qui sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêté.

Fait à (lieu), le (date)

(voir notamment : Ville de Clichy)  
On conseillera donc aux maires de ne pas hésiter à envoyer l'addition à ces délinquants qui s'affranchissent de toutes les règles pendant l'été. Elle leur rappelera qu'il n'y a pas qu'à la mer que l'eau est salée. 

Untitled 1Dans le cadre de l’examen du projet de loi Blanquer pour l’école de la confiance, le Sénat a adopté un amendement visant à interdire les signes religieux ostentatoires lors des sorties scolaires (amendement LR adopté contre l’avis du gouvernement par 186 voix contre 100 et 159 abstentions).
 
Concrètement, cet amendement tend à interdire aux mamans voilées (comme à toutes les autres religions) d’accompagner une sortie scolaire, si toutefois elles portent le voile pendant la sortie.

Un certain flou juridique règne en effet sur ce sujet en l’état du droit, que l’amendement veut clarifier. En l’absence de texte clair, les juridictions administratives de première instance ont ainsi pris des positions divergentes :

- Le tribunal administratif de Montreuil a le premier estimé que le principe de neutralité de l’école laïque faisait obstacle à ce que les parents d’élèves manifestent, dans le cadre de l’accompagnement des sorties scolaires, par leur tenue ou par leur propos, leurs convictions religieuses (tout comme politiques ou philosophiques). Pour le TA de Montreuil, l’interdiction est donc absolue ;

- Le tribunal administratif de Nice a pour sa part estimé que seules des « considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service» pouvaient fonder une interdiction d’accompagner une sortie scolaire opposée à un parent manifestant par sa tenue ou par ses propos, des convictions religieuses. Selon le TA de Nice, une interdiction est donc possible, mais elle est relative.

Il faut rappeler que le droit applicable dépend de la qualité du sujet auquel il s’applique. Ainsi, pour rendre sa décision, le TA de Montreuil a regardé juridiquement les parents d’élèves accompagnateurs de sorties scolaires comme des « collaborateurs occasionnels du service public » quand le TA de Nice les a considérés comme des « usagers du service public » (les règles juridiques, notamment de laïcité, étant plus strictes pour le collaborateur occasionnel du service public, qui participe par définition au service, que pour l’usager).

Le Conseil d’État s’est pour sa part prononcé sur le sujet dans le cadre d’un simple avis en 2013 en indiquant que si les mamans accompagnatrices devaient être considérées juridiquement comme des usagers du service public, les « exigences liées au bon fonctionnement du service public de l'éducation ou au respect de l'ordre public » pouvaient conduire l'autorité compétente à « recommander de s'abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses ».

En l’état actuel des textes, c’est donc au chef d’établissement d’apprécier au cas par cas s’il convient d’interdire aux mamans voilées d’accompagner une sortie scolaire, mais seulement si des exigences liées au bon fonctionnement du service public ou à l’ordre public le justifient (on pense notamment au prosélytisme).

L’amendement proposé au projet de loi Blanquer aurait pour avantage de clarifier cette question et de décharger les chefs d’établissement du poids de la décision en interdisant purement et simplement tous les signes religieux ostentatoires lors des sorties scolaires.

La nouvelle rédaction de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation assimilerait dans ce cadre les parents accompagnateurs de sorties scolaires à des collaborateurs occasionnels du service public qui seraient en tant que tels astreints à une obligation de stricte neutralité.

Bien que le gouvernement se soit prononcé contre cet amendement dans le cadre du débat parlementaire, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer avait déclaré fin 2017 qu'un parent accompagnant une sortie scolaire devait être considéré comme un « collaborateur bénévole du service public » et ne devrait « normalement » pas porter de signe religieux (BFMTV) ce qui va dans le sens de l’amendement proposé aujourd'hui à son texte.

Ce débat intervient dans le cadre de vives polémiques en matière de laïcité puisque des collectifs de mamans voilées ont déjà fait connaître leur opposition au texte (France 3) et que des militantes islamistes tentent à Grenoble d’imposer le burkini à la piscine municipale (Le Figaro).

Il convient désormais d’attendre la fin du débat parlementaire pour savoir si l’amendement en question sera in fine maintenu. Interrogées par France 3, des mamans voilées ont indiqué que dans certains quartiers, si l’interdiction du port du voile était appliquée, plus aucune sortie scolaire ne serait matériellement possible.

Untitled 1C’est l’événement du jour. Au moins 197 députés et sénateurs d'opposition ont fait connaître leur intention de provoquer un référendum d’initiative partagée pour empêcher, selon eux, la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) prévue par la loi Pacte. Si l’immense majorité des français semble opposée à cette privatisation, ce n’est certainement pas cette procédure qui parviendra toutefois à la bloquer.

Les conditions de recours à cette votation populaire, jamais utilisée depuis sa création en 2007, sont en effet si strictes qu’il est hautement improbable que cette voie référendaire débouche dans la pratique sur une quelconque consultation des citoyens sur le sujet d’ADP.

La procédure suppose en effet dans un premier temps une initiative d’au moins 1/5 des membres du Parlement (soit 185 parlementaires au moins), qui doivent d’abord déposer une proposition de loi d’initiative référendaire sur le bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat (A. 1 LO du 06/12/13). Cette étape semble acquise à ce stade s’agissant d’ADP au regard de la coalition hétéroclite de circonstances PS LR, PCF et Libertés et territoires pour provoquer la consultation.

Néanmoins, la proposition de loi doit, dans un deuxième temps, être transmise au Conseil constitutionnel par le président de l'assemblée saisie, qui va opérer un contrôle obligatoire très poussé (A. 1 LO du 06/12/13), en vérifiant qu'elle :

  • a bien été initialement portée par 1/5 des membres du Parlement,
  • entre strictement dans les matières référendaires de l’article 11 alinéa 1 de la Constitution,
  • n’a pas pour objet l’abrogation d’un texte promulgué depuis moins d’un an,
  • n’a pas un objet identique à celui d’une proposition déjà rejetée par les électeurs depuis moins de deux ans,
  • n’est pas contraire à la Constitution (dans le délai d’un mois),
  • et ne conduit pas à la diminution de ressources publiques ou à la création / aggravation d’une charge publique.
Le strict contrôle obligatoire opéré par le Conseil constitutionnel en la matière constitue un frein supplémentaire spécifique à cette procédure. D’autant plus que, si le Parlement adopte la loi Pacte avant l’organisation du référendum envisagé sur ADP (ce qui est hautement probable), ce vote fera directement obstacle à la possibilité d’organiser un référendum sur le sujet (la consultation serait alors interdite comme portant sur l’abrogation d’un texte promulgué depuis moins d’un an).

Si malgré tout la proposition de loi passait le filtre du Conseil constitutionnel et que la loi Pacte n’était pas adoptée par le Parlement dans l’intervalle, s’ouvrirait une période de 9 mois pendant laquelle elle devrait recueillir le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit 4,6 millions d’électeurs environ.

Il faut toutefois relever que le soutien est recueilli sous forme électronique sur le site internet https://www.referendum.interieur.gouv.fr (via ordinateur, smartphone, tablette, etc.) (A. 5 LO du 06/12/13) et que la liste des électeurs qui soutiennent une demande de référendum est publiée dans son intégralité, par ordre alphabétique sur le site internet dédié. Elle peut donc être consultée par toute personne se rendant sur le site (A. 7 LO du 06/12/13). Pire encore, la liste doit préciser pour chaque électeur soutenant la proposition de loi (A. 4 décret du 11/12/14) :

  • son nom,
  • son prénom,
  • sa commune, son village ou son consulat d'inscription sur les listes électorales.
Cette diffusion de données personnelles sur internet pourrait être de nature à dissuader un certain nombre de citoyens d’apporter leur soutien à la proposition de loi référendaire (de crainte de voir leurs opinions politiques portées sur la place publique) d’autant plus que tout soutien apporté ne peut plus être retiré.

Mais ce n’est pas tout !

Si la proposition de loi passait tous ces premiers filtres, elle retournerait ensuite devant les Assemblées qui devraient obligatoirement l’examiner au moins une fois dans un délai de 6 mois à compter de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel.

Enfin, et c’est le plus important, si le texte n’était pas adopté par le Parlement dans ce délai (ce qui est probable au regard de la majorité en présence) c’est le Président de la République qui serait in fine seul compétent pour décider souverainement de soumettre, ou pas, la proposition au vote des électeurs par référendum, sans que l’on puisse envisager de moyen de l’y contraindre (A. 9 LO du 06/12/13), ni de soumettre au juge la décision prise.

Calendrier du référendum d’initiative partagée (extrait rapport parlementaire)
Calendrier du référendum d’initiative partagée (extrait rapport parlementaire)

L’examen attentif de la procédure applicable démontre donc qu’un référendum d’initiative partagée sur la privatisation d’ADP est bien loin de voir le jour, comme sur tout autre sujet d’ailleurs. L’outil du référendum d’initiative partagée demeure pourtant intéressant, d’autant plus qu’il a déjà coûté à ce jour un total de 5 millions d’euros au contribuable sans jamais avoir été utilisé…

Untitled 1De nombreux gilets jaunes blessés par des tirs de lanceur de balles de défense (LBD) ont fait connaître leur intention d’engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir réparation.

La règle est très simple : engager la responsabilité de l’État pour un tir malheureux de LBD suppose de démontrer une faute du tireur, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Mais la plupart des commentateurs oublient une dernière étape du raisonnement : même dans l’hypothèse d’une faute de sa part, l’État peut être exonéré de responsabilité s’il est démontré une faute de la victime, ou si cette dernière s’est elle-même placée en situation de risque accepté lors de la survenance du dommage.

Force est de constater que certains gilets jaunes comme l’emblématique Jérôme Rodriguez ont été blessés depuis le début de la crise sociale, et que leur préjudice est directement lié à un tir de LBD.

Toutefois, la faute de l’État, qui ne peut résulter que d’une violation des conditions d’engagement par le tireur ou d’un défaut de formation préalable à cette arme par le service, sera le plus souvent écartée puisque la plupart des tirs de LBD ont été réguliers face à des individus ultra-violents. Ces tirs constituaient ainsi le plus souvent une réponse « proportionnée » à la violence déployée par les émeutiers, dans une situation « d’absolue nécessité » conformément aux conditions d’engagement de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure.

L’utilisation de cette arme, qui constitue un intermédiaire indispensable avant l’arme létale a d’ailleurs été validée par principe par le Conseil d’État dans une décision très récente

Dans de rares cas, certains tirs pourraient néanmoins être considérés comme fautifs, dans la confusion de samedis de grande tension. Mais même dans cette hypothèse, et alors même que les trois conditions traditionnelles d’engagement de sa responsabilité seraient remplies, l’État n’aurait pas grand-chose à craindre.

De jurisprudence constante, la victime d’un fait dommageable imputable à l’administration n’a en effet aucun droit à réparation si elle était en situation illégitime, c’est à dire illégale, lors de la survenance du dommage (CE, 7 mars 1980, SARL cinq-sept). En outre, le préjudice résultant d’une situation à laquelle la victime s’est sciemment exposée, c’est-à-dire la situation de risque accepté, ne lui ouvre pas de droit à réparation (CE, 10 juillet 1996, Meunier).
 
La faute de la victime ou l’exception de risque accepté sera ainsi facilement opposable aux gilets jaunes participant à des attroupements interdits, comme sur les Champs-Élysées, ou qui se sont rendus coupables de violences envers les forces de l’ordre. Mais plus encore, la jurisprudence administrative a déjà reconnu par le passé que le simple fait de se trouver au sein d’un attroupement interdit, sans même commettre de violences, et de rester à proximité des auteurs de violences sans s’en éloigner constitue une faute de nature à exonérer l’État de responsabilité, au moins partiellement (TA Nantes, 28 novembre 2016, n°1403983 ; CAA Nantes, 5 juillet 2018, n°17NT00411 - arrêts concernant spécifiquement l’usage de LBD).
 
Il est facile pour certains gilets jaunes de faire beaucoup de bruit médiatique autour de blessures de LBD, en omettant leur propre responsabilité. Mais il leur sera bien plus délicat d’obtenir une quelconque réparation devant la justice administrative compte tenu de leur position fautive lors de la survenance du dommage.

vendredi, 08 février 2019 11:34

Vive la loi anti-casseurs !

Untitled 1Il est dans l’air du temps de s’insurger contre la loi « anti-casseurs » votée en première lecture par l’Assemblée Nationale en invoquant avec solennité les libertés publiques et les droits de l’Homme. À écouter ses détracteurs, c’est la République qui serait menacée, et la dictature qui s’installerait insidieusement. Il faudrait donc entrer en résistance contre ce pouvoir fasciste, no pasarán ! Mais la réalité est toute autre, pour qui veut examiner les faits avec sérieux, calme et recul.
 
Le système juridique actuel repose sur la sanction pénale des casseurs. Il s’agit donc de laisser les casseurs casser, et de les sanctionner après la casse par une peine prononcée par le juge pénal. Ce mécanisme est insuffisant en tant qu’il intervient après les faits, mais n’empêche pas leur commission. De nombreux casseurs (en réalité la plupart) échappent de surcroît à toute sanction, car ils ne sont pas interpellés après les faits. La lacune de ce système est évidente : la casse a eu lieu, et la réparation par la peine n’y changera rien.
 
La philosophie de la nouvelle loi « anticasseurs » est inverse, puisqu’il s’agit d’empêcher les casseurs de casser. L’interdiction administrative individuelle de manifester permet en effet de neutraliser les casseurs avant qu’ils ne se rendent à la manifestation (pour casser). L’avantage est donc d’empêcher la casse, ce qui change tout.
 
Ceux qui s’élèvent contre ce nouveau mécanisme se drapent de bons sentiments, en agitant des chiffons rouges. La loi mettrait ainsi en péril l’État de droit et la liberté de manifester, protégée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Mais ils confondent manifestants et casseurs ! Les premiers n’auront rien à craindre dans la mesure où la décision d’interdiction prise par le Préfet ne visera que les personnes représentant une menace sérieuse pour l’ordre public :

  • L’individu a déjà été condamné (le cas échéant) ou est « connu en tant que casseur violent » par les services de renseignements pour avoir cassé lors de précédentes manifestations ;
  • Des risques sérieux et manifestes de trouble à l’ordre public sont existants ;
  • Des indices matériels faisant redouter la commission d’une infraction à l’occasion de la manifestation ou de l’événement à venir ont été relevés à son encontre.

De surcroît, la décision préfectorale pourra être contestée par son destinataire devant le juge administratif des référés, qui statuera en urgence en 48H. Le texte de la loi prévoit ainsi précisément que la décision d'interdiction doit être notifiée au moins 48H avant son entrée en vigueur, ce qui permet à l'intéressé de la contester en urgence devant le juge des référés. Le contrôle sera systématique. Les garde-fous sont donc nombreux, et il est faux d’affirmer qu’aucun juge ne sera amené à se prononcer sur la mesure d’interdiction.
 
Il est plus facile, de nos jours, d’affirmer la voix tremblante que les libertés seraient menacées. Mais il n’en est rien. Ce sont les casseurs qui sont menacés par la loi « anti-casseurs ». Ce sont eux qui ne passeront plus. No pasarán !

Untitled 1à propos de CE, 21 juin 2013, « Communauté d’agglomération du pays de Martigues » (n°352427)

Le statut du rapporteur public en contentieux administratif a subi des bouleversements considérables ces dernières années, ce qui a pu être de nature à déconcerter les justiciables.

Traditionnellement désigné sous l’appellation « commissaire du gouvernement » (depuis une décision du Conseil d’Etat du 1er juin 1849, voir RFDA 2000, p. 1207), le ministère public près les juridictions administratives a été renommé « rapporteur public », depuis le 7 janvier 2009 (Décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l’audience devant ces juridictions). L’ancienne dénomination, abandonnée sous impulsion notable de la Cour européenne des droits de l’homme, était en effet de nature à induire en erreur les justiciables sur la véritable fonction du rapporteur public (on notera toutefois que la nouvelle appellation de « rapporteur public » peut faire naître une confusion avec le rapporteur de la formation de jugement, aux yeux des justiciables).

Ce changement de dénomination est allé de pair avec une modification du rôle du rapporteur public, induite notamment par la possibilité, pour les parties, de présenter de brèves observations après le prononcé de ses conclusions (articles R. 732-1 et R. 733-1 du Code de Justice Administrative [CJA]).

On notera également le Décret n° 2011-1950 du 23 décembre 2011 modifiant le Code de justice administrative, ayant offert la possibilité de dispenser les rapporteurs publics de prononcer des conclusions dans certains contentieux (notamment en matière de permis de conduire et de contentieux des étrangers), et modifiant plus encore le rôle du rapporteur public (voir les articles L. 732-1 et R. 732-1-1 du CJA).

Par une décision « Communauté d’agglomération du pays de Martigues » du 21 juin 2013 (n°352427), le Conseil d’Etat a explicité, de manière très pédagogique, le nouveau statut du rapporteur public dans le procès administratif. Cette décision présente un grand intérêt pour les justiciables, dans la mesure où elle éclaire le rôle atypique de ce magistrat quelque peu particulier.

Le Conseil d’Etat a rappelé les dispositions du Code de Justice Administrative relatives au rôle du rapporteur public, à savoir :

  • L’article L.7 du CJA, qui dispose qu’un membre de la juridiction, chargé des fonctions de rapporteur public, expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent ;
  • L’article R.711-2 du CJA, qui dispose que l’avis d’audience doit mentionner les modalités selon lesquelles les parties ou leurs mandataires peuvent prendre connaissance du sens des conclusions du rapporteur public ;
  • Ainsi que l’article R. 711-3 du CJA, qui dispose que le jugement de l’affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, et que les parties ou leurs mandataires doivent mis en mesure de connaître, avant la tenue de l’audience, le sens de ces conclusions sur l’affaire qui les concerne.
La Haute juridiction administrative a ensuite détaillé précisément le rôle du rapporteur public en contentieux administratif, et ses relations avec les parties à l’instance.

1/ Le rôle du rapporteur public dans le procès administratif

Le Conseil d’Etat a réitéré sa traditionnelle position issue des arrêts « Gervaise », du 10 juillet 1957 (n° 26517, rec. p. 466) et « Mme Esclatine », du 29 juillet 1998 (n° 179635 et 180208), en  indiquant que le rapporteur public a pour mission :

  • d’exposer les questions que présente à juger le recours sur lequel il conclut,
  • de faire connaître, en toute indépendance, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables,
  • et d’indiquer son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient.
Le rapporteur public prononce ses conclusions après la clôture de l’instruction à laquelle il a été procédé contradictoirement.

S’étant publiquement prononcé sur l’affaire, le rapporteur public ne peut prendre part au délibéré :

  • en vertu de l’article R. 732-2 du CJA, il n’assiste pas au délibéré devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel ;
  • selon l’article R. 733-3 du CJA, il y assiste, sauf demande contraire d’une partie, sans y prendre part, au Conseil d’Etat.
2/ La communication aux parties du sens des conclusions du rapporteur public avant l’audience

La communication aux parties du sens des conclusions (article R. 711-3 du CJA), a pour objet :

  • de mettre les parties en mesure d’apprécier l’opportunité d’assister à l’audience publique ;
  • de préparer, le cas échéant, les observations orales qu’elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l’appui de leur argumentation écrite ;
  • et d’envisager, si elles l’estiment utile, la production, après la séance publique, d’une note en délibéré.
En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l’audience, l’ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d’adopter, à l’exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l’application de l’article L. 761-1 du CJA. Cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public.

En pratique, le sens des conclusions du rapporteur public est communiqué aux parties avant l’audience par l’intermédiaire du site internet « Sagace ». Un code confidentiel lié à l’instance les concernant est ainsi communiqué aux justiciables, qui leur permettra de consulter le sens des conclusions dès la mise en ligne, ainsi que l’état de l’instruction du dossier.

Sur ce point, il convient de souligner le fait que le Conseil d’Etat s’est abstenu, à dessein, de définir ce qu’il faut entendre par « délai raisonnable avant l’audience » s’agissant de la communication du sens des conclusions du rapporteur public. Il est dès lors plus qu’opportun, pour les justiciables, de porter une attention toute particulière en la matière avant l’audience, dans la mesure où le Conseil d’Etat a précisé, comme il a été vu, que cette exigence s’impose à peine d’irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. En pratique, il est possible de penser qu’un minimum d’une demi-journée avant l’audience pourra être considéré comme « délai raisonnable » pour la mise en ligne du sens des conclusions.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a précisé, dans une décision « Société Stanley International Betting Limited », du 10 juillet 2013 (n° 357359) rendue sous le visa des articles R.834-1 et R.712-1 alinéa 5 du CJA, que l’absence de communication du sens des conclusions du rapporteur public à la partie qui en fait la demande avant l’audience constitue un cas d’ouverture du recours en révision.

La Haute juridiction administrative a également précisé qu’il appartient au rapporteur public, dans le cadre de la communication du sens de ses conclusions, de préciser, en fonction de l’appréciation qu’il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu’appelle, selon lui, le litige, et notamment :
 
  • d’indiquer, lorsqu’il propose le rejet de la requête, s’il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond,
  • et, de mentionner, lorsqu’il conclut à l’annulation d’une décision, les moyens qu’il propose d’accueillir.
La communication de ces informations n’est toutefois pas prescrite à peine d’irrégularité de la décision.

Enfin, par une décision intéressante du 15 décembre 2015 « Département de la Seine-Saint-Denis » (n°380634), le Conseil d’État a décidé que lorsqu’une affaire relève de l’un des cas de dispense possible de conclusions prévus par le CJA, l’avis d’audience doit indiquer, à peine d’irrégularité de la procédure, si cette dispense de conclusions a été décidé par la juridiction, ou pas.

3/ La communication aux parties des conclusions elles-mêmes

L’exercice de la fonction de rapporteur public n’est pas soumis au principe du caractère contradictoire de la procédure applicable à l’instruction. Par suite, les conclusions du rapporteur public, qui peuvent d’ailleurs ne pas être écrites, n’ont à faire l’objet d’une communication préalable aux parties (il en va de même de la note du rapporteur, ou du projet de décision).

Le Conseil d’Etat a ainsi réitéré, sur ce point, sa position issue de sa décision « Mme Esclatine », du 29 juillet 1998 (n° 179635 et 180208), en indiquant que les conclusions du rapporteur public en elles-mêmes (et non plus leur sens) n’ont pas à être communiquées aux parties. Il convient de rappeler en la matière que les conclusions du rapporteur public n’ont pas le caractère d’un document administratif communicable au sens de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal (voir sur ce point CE, 20 janvier 2005, « M. René Georges A », n°276625). Il est toutefois toujours loisible aux justiciables d’en solliciter la communication auprès du rapporteur public qui a porté la parole à l’audience, lequel restera cependant libre d’apprécier la suite à donner à une pareille demande (même décision). En pratique, les formalités à accomplir pour une telle demande de communication figurent toujours sur le site internet des juridictions (pour un exemple, voir cette rubrique du site internet du Conseil d’Etat).

Enfin cette position sus-rappelée du Conseil d’Etat, confirmant sans équivoque que les conclusions du rapporteur public peuvent tout à fait ne pas être écrites, doit être remarquée. Par suite, si les parties ne sont pas tenues d’assister à l’audience en contentieux administratif, on leur conseillera toutefois toujours de s’y rendre, ou de s’y faire représenter par avocat, afin de prendre connaissance de l’intégralité des conclusions du rapporteur public, souvent très intéressantes pour comprendre le schéma de pensée de la juridiction avant le prononcé de la décision. Cette compréhension de la logique du juge, par l’intermédiaire des conclusions du rapporteur public, pourra servir, le cas échéant, à contester pertinemment la décision rendue en usant d’une voie de recours.

4/ La possibilité pour les parties, de réagir aux conclusions du rapporteur public

Le Conseil d’Etat a précisé que, conformément aux dispositions du CJA, les parties au litige ont la possibilité, après le prononcé des conclusions lors de la séance publique, de présenter des observations :

  • soit oralement à l’audience,
  • soit au travers d’une note en délibéré.
Ainsi, les conclusions du  rapporteur public doivent permettre aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier, de connaître la lecture qu’en fait la juridiction et de saisir la réflexion de celle-ci durant son élaboration tout en disposant de l’opportunité d’y réagir avant que la juridiction ait statué.

5/ La modification de la position du rapporteur public après la communication du sens des conclusions aux parties

Enfin, le Conseil d’État a indiqué que le rapporteur public peut tout à fait modifier ses conclusions, même après en avoir communiqué le sens aux parties.

Dans une telle hypothèse, il est toutefois tenu de mettre les parties à même de connaître ce changement.

Dans une décision récente du 4 mai 2016 « Delay c/ Ministre de la Ville, de la jeunesse et des sports » (n°380548), le Conseil d’État a ainsi jugé que le rapporteur public qui modifie le sens de ses conclusions sous « Sagace » (en ajoutant des lignes), sans prévenir les parties de ce changement entache la décision prise d’irrégularité, sur le fondement de l’article R. 711-3 du CJA. Cette modification doit toutefois impérativement être soulevée lors de l’audience, ou dans le cadre d’une note en délibéré, pour que l’irrégularité invoquée puisse être tenue pour établie par la suite (CE, 1er octobre 2015, « M. et Mme C. c/ commune de Rueil-Malmaison », n°366538).

On conseillera donc aux justiciables ou à leurs représentants, de veiller, lors de l’audience, à l’absence de divergence entre les conclusions prononcées et le sens des conclusions qui avait été mis en ligne, et de soulever immédiatement cette discordance. Le cas échéant, l’irrégularité de la décision rendue par la juridiction serait encourue.

samedi, 26 janvier 2019 13:06

Le conseil municipal à huis clos

Untitled 1Les impératifs démocratiques les plus élémentaires commandent que les séances du conseil municipal soient publiques. L’article L. 2121-18 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) pose toutefois, en la matière, un principe et une exception :

  • Le principe : les séances des conseils municipaux sont publiques,
  • L’exception : néanmoins, sur la demande de trois membres ou du maire, le conseil municipal peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu’il se réunit à huis clos.
La loi ne limite pas de manière générale la possibilité de recourir au huis clos (1). Toutefois, le juge administratif exerce un contrôle restreint sur la décision de délibérer à huis clos (2), une stricte procédure devant être suivie (3).

I. La loi ne limite pas de manière générale la possibilité de recourir au huis clos

L’article L. 2121-18  du CGCT ne limite pas les possibilités de décider du huis clos, et aucune autre disposition législative ou réglementaire ne limite de manière générale cette possibilité.

Par conséquent, les délibérations à huis clos peuvent porter sur toute question relevant de la compétence du conseil municipal (CE 17 octobre 1986 Commune de Saint-Léger-en-Yvelines, n°74694).

Le huis clos peut toutefois être prohibé par une disposition législative spéciale, la seule disposition applicable en l’état actuel du droit étant l’article 432-12 du Code Pénalprohibant le huit clos concernant le « rapport d’intérêt autorisé » des maires, adjoints et conseillers municipaux des communes de 3500 habitants au plus avec la commune (transfert de biens mobiliers ou immobiliers, fourniture de services, acquisition d’une parcelle d’un lotissement communal pour y édifier leur habitation personnelle, etc.). Cette prohibition du huis clos vise bien entendu à écarter en la matière le risque de prise illégale d’intérêts (pour un exemple, voir CE 27 septembre 2010 SCI Planet n°320905).

II. Le juge administratif exerce toutefois un contrôle restreint sur la décision de délibérer à huis clos

Le juge administratif exerce un contrôle restreint sur la décision de délibérer à huis clos :

« Considérant qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi d’une requête tendant à l’annulation d’une délibération adoptée par le conseil municipal à l’issue d’une séance à huis clos, de contrôler que la décision de recourir au huis clos, autorisée par les dispositions précitées de l’article L. 2121-18 du code général des collectivités territoriales, ne repose pas sur un motif matériellement inexact et n’est pas entaché d’erreur de droit, d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir » (CE 19 mai 2004, Commune de Vincly, n°248577). 

Puisque le principe et celui de la publicité des débats, et que le huis clos est l’exception, la décision de recourir au huis clos doit donc nécessairement reposer sur un motif, qui est donc contrôlé par le juge.

Le huis clos peut ainsi être décidé, à titre d’exemple :

Mais, le plus souvent, la commune invoquera les nécessités de l’ordre public ou le caractère particulièrement sensible de l’ordre du jour pour décider du huis clos. L’existence du contrôle du juge vise ainsi simplement à lui permettre de sanctionner le recours abusif au huis clos et d’interdire par exemple qu’un conseil municipal ne siège systématiquement à huis clos, ou qu’il ne décide de siéger ainsi chaque fois que du public se présente (conclusions de Monsieur Guillaume Goulard, rapporteur public, sous CE 19 mai 2004, Commune de Vincly, n°248577).

Ainsi si en théorie, tout motif peut justifier un huis clos à condition qu’il soit exact et rende indispensable le huis clos, en pratique c’est le plus souvent l’ordre public qui viendra justifier le recours au huis clos.

Dans la décision d’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de principe CE 19 mai 2004, Commune de Vincly, n°248577,  le conseil municipal avait décidé de procéder par un vote à huis-clos pour approuver le budget primitif. Selon la commune, le huis clos était motivé par des troubles à l’ordre public, une personne du public agitant un livre sans cesse en criant « J’ai le code des communes ». Toutefois, cette version des faits a été démentie par les pièces du dossier, et les juges ont donc considéré que la réalité des faits ayant motivés le huis clos (troubles à l’ordre public) n’était pas établie par les pièces du dossier (CAA Douai 24 avril 2002, Commune de Vincly, n° 98DA01835).

Ainsi le huis clos ne saurait être décidé à titre purement préventif, en prévision d’un éventuel trouble à l’ordre public, il faut disposer de véritables éléments prouvant que le risque de trouble à l’ordre public est réel et non hypothétique (TA Limoges, 29 octobre 2009, Mme Marinette Beuze et autres C/ Commune de Domeyrot, n° 0801440, « eu égard au caractère récurrent des décisions de recourir au huis-clos et à la circonstance qu’elles ont été votées avant l’examen de l’ordre du jour des séances, de telles décisions n’ont pu être prises qu’à titre préventif et non pour remédier aux troubles allégués, dont la commune ne justifie pas en outre de la réalité »).

Pour un autre exemple sur le motif d’ordre public, voir CE 14 décembre 1992, Commune de Toul, n°128646 :

« Considérant qu’aux termes de l’article L. 121-15 du code des communes : «Les séances des conseils municipaux sont publiques. Néanmoins, sur la  demande de trois membres ou du maire, le conseil municipal par assis et  levé, sans débat, décide qu’il se forme en comité secret » ; et qu’aux  termes de l’article L. 121-16 du même code : « Le maire a seul la qualité  de police de l’assemblée. Il peut faire expulser de l’auditoire ou arrêter  tout individu qui trouble l’ordre » ; qu’il appartient au maire, en  application de ces dispositions, de prendre les mesures destinées à  empêcher que soit troublé le déroulement des séances publiques du conseil  municipal, y compris en faisant interdire, pour des raisons de sécurité et  d’ordre publics, l’accès de la salle aux personnes dont le comportement  traduit l’intention de manifester et de perturber les travaux de  l’assemblée municipale ; 

Considérant que si le maire de Toul a fait contrôler, le 17 décembre 1990,  l’entrée de la salle dans laquelle se réunissait habituellement le conseil  municipal et où il était convoqué pour tenir une séance ce jour-là, il  résulte des pièces du dossier que l’accès a été refusé à un groupe de  personnes, dont certaines portaient des pancartes et du matériel sonore,  et qui, par la suite, ont fait irruption dans la salle par une autre  issue, et ont empêché, par leurs manifestations bruyantes, le déroulement  normal de la séance ; qu’en faisant ainsi interdire l’accès de la salle  des délibérations à ces personnes, afin de prévenir le renouvellement  d’incidents qui avaient eu lieu lors de la précédente séance et en avaient  perturbé la tenue, le maire n’a pas, dans les circonstances de l’espèce,  fait irrégulièrement usage de ses pouvoirs de police, et n’a pas, en  faisant effectuer ce contrôle, méconnu le principe de publicité des  séances ; que, dans ces conditions, la décision de se former en comité  secret, prise par le conseil municipal au cours de la séance, est bien  intervenue lors d’une séance publique ; qu’il en résulte que la Ville de Toul est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué,  le tribunal administratif de Nancy a annulé les délibérations du 17  décembre 1990, au motif que le conseil municipal les aurait adoptées au  cours d’un comité secret décidé en violation des dispositions précitées de  l’article L. 121-15 du code des communes ».

III. La procédure à suivre

Concernant la procédure à suivre, l’article L. 2121-18 du CGCT prévoit que, sur la demande de trois membres ou du maire, le conseil municipal peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu’il se réunit à huis clos.

La demande de huis clos (initiative) doit donc émaner du maire ou de trois conseillers municipaux au moins. Aucun formalisme n’est imposé pour cette demande mais ce préalable indispensable est sanctionné par la nullité de la délibération prise en huis clos (CE 16 juin 1978, M. Robert X., n°05197).

Le conseil municipal doit également impérativement se prononcer par un vote public sur le huis clos, et le maire ne peut donc pas décréter le huis clos seul (CE 4 mars 1994, Regoin, n°91179). La preuve de cette décision peut être faite par tous moyens (TA Limoges, 8 juin 1989, Chauvat). Cette décision constitue un acte préparatoire de la délibération qui va être prise, et en tant que tel, est inattaquable directement en excès de pouvoir (REP) (TA Nancy, 24 mai 2011, Mme Damienne Villaume, n°1100479).

La chronologie à suivre est la suivante :

  • le conseil municipal doit commencer à siéger en audience publique,
  • prendre la décision de siéger à huis clos (soit au tout début du conseil, soit en cours de séance),
  • puis se réunir à huis clos.
Les modalités de fonctionnement des séances sont les mêmes que pour les réunions en séance publique (CE 25 mars 1966, Ville de Royan, n°46504), à la différence que lorsque le huis clos est décidé, la présence de personnes étrangères au conseil constitue une irrégularité (sauf le secrétaire de mairie CE 28 janvier 1972, Election du maire et d’un adjoint de Castetner, Pyrénées-Atlantiques, n°83128).

Il est par ailleurs toujours possible, dans le cadre d’une séance où le huis clos a été décidé, de retourner au régime de la séance publique, sans vote préalable. Une telle décision ne doit pas nécessairement faire l’objet d’un vote public préalable, mais elle doit respecter le parallélisme des formes et compétences, et donc recueillir l’assentiment de la majorité absolue des élus présents ou représentés. Cette décision ne doit pas être le résultat d’une pression extérieure émanant par exemple du public (CE 14 décembre 1992, commune de Toul, n° 128659).

Le retour au régime de la séance publique est même parfois obligatoire : un conseil municipal qui décide un huis clos motivé par une seule affaire inscrite à son ordre du jour, mais profite ensuite du huis clos pour voter 21 délibérations commet une erreur manifeste d’appréciation sanctionnée par le juge (CAA Douai, 23 juin 2005, M. Paul Cherdon, N°04DA00503).

Par ailleurs, la circonstance qu’une séance se déroule à huis clos ne dispense pas de mentionner au PV et au registre des délibérations l’ensemble des questions abordées au cours de cette séance, dans les mêmes conditions qu’en cas de séance publique (CE 27 avril 1994, Commune de Rance c/ Coronado, n° 145597). A priori toutefois, et logiquement, les opinions émises lors du huis clos ne figureront pas dans ce PV.

Enfin le huis clos doit rester l’exception, le principe posé par l’article L. 2121-18 du CGCT étant la séance publique. Il n’y a donc pas lieu pour un conseil municipal de siéger à huis clos à chaque séance.

Untitled 1Certes il est plus facile, pour s’attirer les sympathies du plus grand nombre, d’affirmer haut et fort qu’il n’est pas possible de manifester en France, que l’État brime ce droit fondamental pour des raisons politiques et qu’il est d’ailleurs aux mains des plus puissants. C’est ce qu’affirment beaucoup de « gilets jaunes », mouvement pour lequel je n’ai ni sympathie ni antipathie particulière, qui ont même saisis le Défenseur des droits pour « atteinte à la liberté de manifester » (France TV).

Mais la réalité est toute autre. En effet, la liberté de manifester et l’exercice de ce droit font l’objet d’un régime très protecteur et très équilibré en droit français, ce que d’ailleurs beaucoup d’autres États nous envient. 

Comme toute liberté, la liberté de manifester est un droit qui s’exerce dans les limites de la loi et de la protection de l’ordre public. Il est facile de comprendre que cette liberté ne peut pas être absolue : si toute manifestation sauvage était permise, cela ouvrirait la porte à tous les excès. Le mois de décembre 2018 nous a donné de bien tristes exemples, semaine après semaine, du danger d’une liberté de manifester qui ne serait pas tempérée par les impératifs de l’ordre public. In fine, l’exercice de la liberté de manifester de quelques-uns porte, dans cette configuration, atteinte à la sécurité et aux libertés de tous (libertés des commerçants, liberté d’aller et de venir des passants, etc.). 

Par conséquent, toute manifestation sur la voie publique implique en France une déclaration préalable aux autorités compétentes, à savoir le maire, ou le Préfet (en fonction de l’ampleur de l’événement envisagé) 3 jours francs au moins et 15 jours francs au plus avant la date de la manifestation (deux mois avant à Paris) (Articles L211-1 à 4 du Code de la sécurité intérieure).

Cette déclaration doit comporter :

  • Une lettre de demande précisant le but de la manifestation, l’emplacement et le nombre de personnes attendues,
  • Une liste des membres de l’équipe d’organisation,
  • Et l’itinéraire prévu (défilé, cortège, etc.).
La demande fait alors l’objet d’une instruction par les pouvoirs publics, qui s’assurent que l’événement intervienne dans le respect de l’ordre public (s’agissant notamment de la sécurité des biens, des personnes, des services de secours mis en place, des assurances nécessaires, etc.).

Puis les autorités compétentes délivrent à l’organisateur de l’événement une autorisation qui peut impliquer des obligations (quant aux parcours, aux horaires, etc.), l’interdiction de la manifestation ne pouvant être justifiée que par le respect de l’ordre public.

Il faut insister sur le fait que le contrôle exercé par les pouvoirs publics sur l’événement n’est pas un contrôle politique, ou sur le bien-fondé des revendications portées par les manifestants. C’est l’amalgame qui est souvent fait par ceux qui noircissent l’état des libertés publiques en France. Le contrôle est strictement limité aux nécessités de l’ordre public. Ainsi, une manifestation nocturne ne sera par exemple pas autorisée, prenant en considération les impératifs de tranquillité publique et de sécurité des personnes et des biens. On invitera dans ce cadre les organisateurs à préférer une manifestation en journée sans interdire purement et simplement l’événement. 

Bien évidemment, des sanctions sont prévues pour ceux qui refusent de se soumettre à l’ordre public républicain : le fait d’organiser une manifestation publique sans autorisation est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende (Article 431-9 du Code Pénal).

On voit donc que c’est un régime protecteur et équilibré qui est mis en place, la déclaration préalable aux pouvoirs publics permettant justement de s’assurer de l’exercice de la liberté de manifester pour tous, dans les meilleures conditions possibles pour l’ordre public. C’est le rôle de la puissance publique, qui doit sans cesse trouver le juste et subtil équilibre entre l’exercice des libertés publiques et l’ordre public. C’est ce qu’ont bien compris les milliers d’associations qui organisent des manifestations partout en France chaque week-end, se soumettant sans difficulté au régime protecteur mis en place. Revendiquer comme certains « gilets jaunes » une liberté absolue de manifester, sans contrôle et sans déclaration préalable, c’est ouvrir la porte à l’émeute voire à la Révolution.  Dénoncer une « atteinte à la liberté de manifester » dans ce cadre, c’est pratiquer une désinformation qui abîme notre démocratie.

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Quatre associations (Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France) ont récemment décidé, au nom de l’intérêt général, d’attaquer l’Etat français en justice pour qu’il respecte ses engagements climatiques. La pétition lancée en ligne "l'Affaire du Siècle" a déjà recueilli un nombre record de plus de 2 millions de signatures. Si chacun peut constater la dégradation sans précédent de la qualité de l'air, comme à Lyon par exemple, ou la multiplication des évènements climatiques comme la canicule (devenue banale en France), il est intéressant de se demander si la responsabilité de l’Etat peut réellement être engagée pour inaction climatique, comme le prétendent les associations à l'origine de "l'Affaire du Siècle". L'exemple révélateur de la qualité de l'air nous servira de base de raisonnement.   

1/ L’obligation pour l’Etat de prendre des mesures de police pour protéger la qualité de l'air

La police administrative est une activité de service public dont le seul but est d’assurer l’ordre public, qui recoupe notamment les impératifs de santé publique. Si l’édiction de mesures de police administrative est le plus souvent une possibilité pour l’autorité compétente, qui en apprécie l’opportunité, elle est aussi parfois une obligation.

En matière de pollution atmosphérique, les fondements de l’obligation d’agir qui incombe aux pouvoirs publics (surtout l’Etat) reposent tout d’abord sur la Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle qui dispose en son article premier que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Par ailleurs, un certain nombre d’engagements européens et internationaux de la France (issus notamment de la COP21) imposent à l’Etat d’agir.

Enfin, la loi pose un principe d’obligation :

  • Par l’intermédiaire de l’impératif de protection de l’ordre public de l’article L.2212-2 du CGCT,
  • Et par l’article L221-7 du Code de l’environnement, qui dispose que « L'Etat coordonne les travaux d'identification des facteurs de pollution ainsi que l'évaluation des expositions et des risques sanitaires relatifs à la qualité de l'air dans les environnements clos. Il élabore les mesures de prévention et de gestion destinées à réduire l'ampleur et les effets de cette pollution. Il informe le public des connaissances et travaux relatifs à cette pollution ».
À court terme, les pouvoirs publics, au premier rang desquels, le Préfet (qui représente l’Etat), disposent d’un panel de mesures de police pouvant être mises en œuvre en urgence, afin de limiter au maximum la pollution de l’air dans l’hypothèse d’un dépassement des seuils autorisés :

  • Limitation de la vitesse maximale autorisée,
  • Mise en place de la circulation alternée,
  • Restrictions de circulation pour les poids lourds en ville, et aux abords immédiats,
  • Gratuité des transports publics,
  • Interdiction du trafic automobile en ville (sauf transports publics, professions autorisées et dérogations pour les véhicules de secours et d’urgence),
  • Mise en place de contournements routiers,
  • Gratuité du stationnement urbain.
À long terme, l’autorité de police est tenue de prendre les mesures nécessaires à l’application des législations et réglementations environnementales édictées (la jurisprudence considérant qu'il s'agit là d'une obligation CE, 23 juin 1976, Latty). Que l’on pense par exemple à l’ensemble des normes édictées pour limiter les émissions de dioxyde de carbone des industries, et des particuliers.

La mesure de police devient indispensable dès lors qu’elle est nécessaire pour faire cesser un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour l’ordre public (CE, 14 décembre 1959, Doublet), ce qui est indéniablement le cas de la pollution atmosphérique.

Il est donc clair que les fondements juridiques ne manquent pas pour démontrer que l’Etat est tenu de prendre, à court terme comme à long terme, des mesures permettant efficacement de protéger la qualité de l'air, et plus généralement de l'environnement.

2/ L’inertie de l’Etat engage sa responsabilité

Or l’inertie des pouvoirs publics est susceptible d’engager leur responsabilité.

En effet, en matière de police administrative toute carence dans l’édiction ou la mise en œuvre d’une mesure de police est fautive. En tant que telle, elle engage la responsabilité de l’autorité compétente.

On peut donc imaginer que tout citoyen résidant dans une zone impactée par un épisode de pollution est en droit de demander réparation à l’Etat à ce titre. De la même manière, on peut donc tout à fait envisager que des associations de protection de l'environnement attaquent l'État en justice pour inaction climatique dans le cadre de "l'Affaire du Siècle"

Comme en matière de responsabilité civile, il conviendra toutefois de démontrer un préjudice, et un lien de causalité.

Le préjudice se démontrera sur le fondement de certificats médicaux ou d'études sérieuses attestant d'un impact réel sur la santé des personnes (maladie respiratoire, pulmonaire, ou cardiovasculaire, par exemple). À défaut, il se démontrera sur le fondement du risque (mise en danger), ou du préjudice futur pour la population. 

Le lien de causalité entre la faute (carence fautive de l’Etat dans la mise en œuvre de mesures de police permettant de lutter contre la pollution) et le préjudice (impact sur la santé de la population) devra également être démontré. C'est sans doute le point juridique le plus délicat. Au regard de l’ensemble des mesures disponibles, et qui n’ont pas été mises en œuvre par l'État (interdiction du diesel, mise en place de péages urbains, renouvellement du parc automobile, interdiction du chauffage au bois, décarbonisation de l’économie et transition écologique, etc.) il ne sera toutefois pas impossible de le démontrer, sans que la force majeure, ou l’obligation de moyens ne permettent à l'État d'échapper à sa responsabilité. 

Pour "l'Affaire du Siècle", le litige sera porté devant le Tribunal administratif de Paris. Une demande indemnitaire préalable précise, chiffrée et fondée juridiquement devra à cette fin être adressée aux Ministres et / ou aux Préfets, afin de lier le contentieux, au besoin en cours d’instance.

Le plus intéressant sera toutefois de solliciter du juge administratif qu'il fasse usage de son pouvoir d'injonction pour contraindre l'État à respecter ses engagements et son obligation de protection de la santé publique de ses administrés, au besoin sous astreinte. Contrairement à ce qu'a indiqué non sans humour le ministre de l'environnement Rugy, la justice administrative dispose bel et bien de la capacité de contraindre juridiquement l'État à agir, via ses pouvoirs d'injonction et d'astreinte :


Dans le cadre de "l'Affaire du Siècle", un calendrier de procédure a déjà été établi :

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***

L'action juridique des associations qui portent "l'Affaire du Siècle" est donc intéressante et pourrait porter ses fruits, compte tenu de l’obligation d’agir qui incombe à l'État en matière d'environnement. Au regard de la catastrophe annoncée, l'heure n'est plus à la discussion, mais à l'action urgente. Notre responsabilité à l’égard des enfants, et des générations futures est historique. C'est bien l'affaire du siècle. 

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Les violences insoutenables qui ont émaillé Paris et plusieurs villes de France samedi après samedi ont choqué le monde entier. Elles sont le fait de certains gilets jaunes qui se sont radicalisés. L’heure n’est plus à la stupéfaction ni à la stupeur, mais à la recherche d’une solution efficace pour rétablir d’urgence et fermement l’ordre public. La solution miracle n’existe pas, et elle ne sera jamais juridique dans un tel contexte. Néanmoins, un outil est envisageable pour renforcer notre arsenal juridique en la matière : la création d’une interdiction administrative individuelle de manifester. Il est plus qu’urgent de l’intégrer dans notre législation et de l’utiliser pour neutraliser individuellement les casseurs et les meneurs dans les manifestations ou les évènements à risque.
 
Si tous les français sont attachés à la liberté de manifester, protégée par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ils ont conscience que comme toute liberté, cette dernière s’exerce dans les limites du risque de trouble à l’ordre public, apprécié par l’autorité administrative sous le contrôle de son juge.

Les pouvoirs publics peuvent ainsi interdire une manifestation si elle est de nature à troubler l’ordre public (A. L211-4 du Code de la sécurité intérieure).

Toutefois, et comme tout un chacun a pu le constater ces dernières semaines, cette interdiction est dépourvue d’effet puisqu’elle est aisément contournée par les manifestants eux-mêmes, qui entreprennent des manifestations sauvages comme les gilets jaunes aux Champs-Élysées, qui dégénèrent d’autant plus rapidement.

L’interdiction préalable d’une manifestation dans son ensemble est donc sans effet sur les groupes de casseurs, qui n’en sont que plus galvanisés.

Plus efficace semble devoir être l’interdiction administrative individuelle de manifester, qui n’existe pas à ce jour dans notre droit français : c’est l’idée de donner la possibilité aux Préfets d’interdire à un ou plusieurs individus identifiés de manifester ou de se rendre dans une zone, pour une durée déterminée, sans qu’ils n’aient jamais été nécessairement condamnés sur le plan pénal.
 
On pense ici à des individus identifiés par les pouvoirs publics comme appartenant à des mouvances extrémistes (à titre d’exemple, la mouvance « black blocs » d’ultragauche) qui n’auraient jamais été sanctionnés pénalement et s’apprêteraient à participer à une manifestation, même sauvage, pour semer le chaos comme samedi aux Champs-Élysées à Paris.

Un rapport parlementaire de 2015 avait pour la première fois proposé au législateur l’introduction dans le droit français d’un tel dispositif préalable d’interdiction administrative individuelle de manifester, en l’absence de toute infraction pénale.

Il s’agirait concrètement pour l’autorité préfectorale d’apprécier si une personne identifiée par nos services de renseignements comme un casseur ou un meneur constitue une menace pour l’ordre public, en utilisant le faisceau d’indices suivant :

  • L’individu a déjà été nominativement condamné (le cas échéant), ou est « connu en tant que casseur violent » (sans nécessairement avoir été condamné) ;
  • Des risques sérieux et manifestes de trouble à l’ordre public sont existants ;
  • Des indices matériels faisant redouter la commission d’une infraction à l’occasion de la manifestation ou de l’événement à venir ont été relevés.
L’arrêté préfectoral emporterait alors interdiction préalable pour la personne identifiée, de pénétrer, pendant une durée déterminée, au sein d’un périmètre spécifique comme celui d’une manifestation (on pense par exemple aux alentours de l’Arc de Triomphe).

On pourrait alors imaginer un système de pointage en commissariat ou gendarmerie à l’occasion de chaque événement ou manifestation, à l’instar de la procédure prévue pour les hooligans interdits de stade, obligés de pointer le jour de chaque rencontre sportive de leur équipe, afin de s’assurer de la neutralisation des individus identifiés comme des casseurs.

Cette nouvelle interdiction préalable est en phase avec la jurisprudence tant du Conseil Constitutionnel (Décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995), que du Conseil d’Etat (ordonnance du 9 janvier 2014, Ministre de l’intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508). Elle est par ailleurs déjà fréquemment utilisée en Belgique et en Allemagne, avec efficacité selon le rapport parlementaire susmentionné.

Il nous apparaît plus qu’urgent, au regard des graves violences de certains gilets jaunes radicalisés, de réactiver cette piste de la création d’une interdiction administrative individuelle de manifester. Bien utilisée, elle aurait pour avantage de neutraliser des casseurs ou des meneurs en amont de manifestations ou d’événements identifiés comme à risque et donc de limiter le risque de violence.

Nous avons conscience que cette mesure n’est pas seule à même de répondre à la menace et que le droit ne peut pas tout face au réel. Elle a toutefois le mérite de constituer une piste intéressante d’évolution de notre droit, aux fins de préserver partout et fermement l’ordre public républicain face aux casseurs radicalisés.

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