Pierrick Gardien

Pierrick Gardien

Avocat Droit Public
Enseignant aux Universités de Lyon

Ligne directe : 07.80.99.23.28

contact@sisyphe-avocats.fr

Untitled 1Le président de la République a dévoilé dans le journal La Croix le 10 mars 2024 les grandes lignes du projet de loi « relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie » qui a été dans la foulée transmis pour avis au Conseil d’État. Le texte devrait être présenté en Conseil des ministres au mois d’avril, pour un débat au Parlement avant l’été.

Le système est strictement encadré, cinq conditions devant être cumulativement remplies pour accéder à une « aide à mourir » : un patient majeur, doté d’un discernement plein et entier, atteint d’une maladie incurable avec un pronostic vital engagé à court ou moyen terme et présentant une souffrance physique ou psychologique réfractaire ou insupportable liée à son affection. 

Si toutes ces conditions sont remplies, le patient pourra présenter une demande à un professionnel de santé qui disposera d’un délai de quinze jours pour prendre sa décision, à savoir prescrire une substance létale que le patient pourra prendre lui-même ou que le médecin lui administrera.

Comme en matière d’interruption volontaire de grossesse, les professionnels de santé pourront faire valoir leur clause de conscience. Inspiré par le serment d'Hippocrate, véritable boussole déontologique – « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » - le droit du médecin de refuser des soins pour des raisons personnelles est protégé par le code de la santé publique.

Aucun médecin ne pourra donc être contraint de prendre une part active à une « aide à mourir » demandée par un patient s’il fait valoir sa clause de conscience. Cependant, et c’est important, le projet de loi prévoit qu’en cas de refus d’un médecin d’accéder à une demande d’ « aide à mourir », s’il estimait, par exemple, que les cinq conditions ne sont pas réunies pour un patient, le malade pourra saisir le tribunal administratif d’un recours.

Qu’adviendra-t-il alors ? Saisi en urgence, le juge administratif pourra-t-il ordonner aux praticiens de donner la mort ? Ce serait un grand basculement. Le juge, comme le médecin, pourra-t-il faire valoir une clause de conscience pour refuser de connaître d’un tel dossier ? Le projet de loi ne prévoit rien en ce sens à ce stade. Comme pour les professionnels de santé, il semble pourtant indispensable de prévoir une clause de conscience pour les gens de justice qui ne souhaiteraient pas participer à une telle procédure. 

Des considérations religieuses – « L'homme n'est pas maître de son souffle pour pouvoir le retenir, et il n'a aucune puissance sur le jour de la mort » (Ecclésiaste 8:8) – comme philosophiques – « Les humains sont assignés à résidence et nul n'a le droit de s'affranchir de ces liens pour s'évader » (Platon, Phédon) – peuvent en effet conduire tout professionnel, médecin comme juge, à refuser de participer à l’euthanasie. C’est un devoir impérieux pour le législateur de leur laisser cette possibilité.

Untitled 1Une agence d’organisation d’événements a annoncé qu’un « combat de nains » aura lieu le 11 avril 2024 dans la discothèque « Le Nine » à Toulouse[1].

La ministre chargée des Personnes âgées et des Personnes handicapées a annoncé qu’elle « condamnait fermement » cet événement au nom du gouvernement.

Mais est-ce bien légal ? Peut-on organiser librement un combat de boxe entre deux personnes de petite taille dans une discothèque ?

La réponse est non.

Le principe de la liberté du travail et la liberté du commerce et de l'industrie[2] permettent à une agence spécialisée d’organiser librement des événements récréatifs ou de divertissement au sein des discothèques, sans demander au préalable d’autorisation particulière aux pouvoirs publics.

Il est donc tout à fait possible d’organiser des soirées à thème au sein des discothèques, comme une soirée d’Halloween ou une soirée spéciale Saint-Valentin.

Cependant, la liberté d’organiser de tels évènements n’est pas infinie et trouve sa limite dans le respect de l’ordre public.

La sauvegarde de l’ordre public (bon ordre, sûreté, sécurité et salubrité publiques[3]) peut en effet justifier la limitation proportionnée de l’exercice d’une liberté en droit français[4].

C’est le maire, sous le contrôle du préfet, qui a le pouvoir d’apprécier si l’exercice d’une activité doit être limité dans la commune sur le fondement de ces considérations d’ordre public.

Plus d’un siècle de conciliation par le juge de l’exercice des libertés publiques avec la protection nécessaire de l'ordre public repose sur l’adage « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception »[5].

Par un arrêt très connu des étudiants en droit, le Conseil d'État a décidé que la dignité de la personne humaine faisait partie de l’ordre public[6]. Cet arrêt porte précisément sur l’organisation d’une attraction de « lancer de nain » dans une discothèque qui avait été interdite par les pouvoirs publics :

« Considérant que l'attraction de "lancer de nain" consistant à faire lancer un nain par des spectateurs conduit à utiliser comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique et présentée comme telle ; que, par son objet même, une telle attraction porte atteinte à la dignité de la personne humaine ; que l'autorité investie du pouvoir de police municipale pouvait, dès lors, l'interdire même en l'absence de circonstances locales particulières et alors même que des mesures de protection avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que celle-ci se prêtait librement à cette exhibition, contre rémunération »

Le maire a donc la possibilité d’interdire un événement ou une activité sur le territoire de sa commune s’il estime qu’une atteinte est portée en la matière à la dignité de la personne humaine, composante de l’ordre public.

C’est ce qui a permis à de nombreux maires d’interdire des spectacles de l’humoriste controversé Dieudonné[7] ou très récemment encore, des concerts du sulfureux rappeur Freeze Corleone à Lyon et à Lille[8].

Le maire de Toulouse a donc le pouvoir d’interdire le « combat de nains » prévu le 11 avril 2024 dans la discothèque « Le Nine » à Toulouse au titre de ses pouvoirs de police, dans la mesure où ce spectacle est contraire à la dignité de la personne humaine, composante de l’ordre public.

Si le maire refuse d’interdire cet événement ou s’abstient de prendre la mesure, le préfet de la Haute-Garonne l’y contraindra au nom de l’État.

Le « combat de nains » prévu le 11 avril 2024 dans une discothèque de Toulouse n’aura donc pas lieu.

Dans un autre registre, des juristes s’interrogent actuellement sur la légalité des combats ultra-violents de MMA / UFC, où des hommes combattent dans des cages, compte tenu de ce même principe de dignité de la personne humaine.

 

[1] La Dépêche

[2] CE, avis, 22 novembre 2000, Société L&P Publicité, n°223645 ; CE, 3 novembre 1997, Société Million et Marais, n°169907

[3] Article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales

[4] CE, 19 mai 1933, Benjamin, n°17413, n°17520

[5] CE, 10 août 1917, Baldy, n°59855

[6] CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, n°136727

[7] CE, 9 janvier 2014, Ministre de l'intérieur c/ Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508

[8] Le Monde

Untitled 1Au lendemain de la décision historique de la Cour suprême des Etats-Unis mettant fin à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) comme droit fédéral le 24 juin 2022 (Dobbs v. Jackson Women's Health Organization, 597 U.S. 2022) le Président de la République française a souhaité inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution.

Quelle procédure a été suivie en la matière ?

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française implique de réviser, c’est-à-dire modifier, le texte suprême. Cette procédure est très encadrée. La Constitution est un texte solennel qui ne doit en effet pas être modifié trop fréquemment et qui prévoit donc des limites procédurales.

Ces limites procédurales sont prévues pour éviter que le texte suprême soit modifié trop souvent, au gré des circonstances, comme l’avait théorisé Montesquieu « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare, et lorsqu'il arrive, il ne faut y toucher que d'une main tremblante ».

C’est l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui organise la procédure de révision constitutionnelle avec 3 étapes :

  • L’initiative,
  • L’examen parlementaire,
  • Et l’approbation définitive.
Première étape, l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement, c’est-à-dire à chaque parlementaire.

S‘agissant de l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, après une première initiative parlementaire infructueuse, le texte a fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle délibéré en conseil des ministres le 12 décembre 2023 après avis du Conseil d’État.

L’initiative d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française provient donc de l’exécutif, sous la présidence d’Emmanuel Macron : on parle d'un projet de loi constitutionnelle.

Depuis 1958, les 24 révisions constitutionnelles étaient des projets de loi constitutionnelle à l’initiative du pouvoir exécutif.

La rédaction retenue pour le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’IVG est la suivante :

Après le dix‑septième alinéa de l’article 34 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une IVG. »

Deuxième étape, le projet de loi constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. Ceci signifie que l’Assemblée nationale et le Sénat doivent s’entendre sur un texte identique, à la virgule près et qu’une majorité doit se dégager au sein de chaque assemblée pour voter le texte.

Le groupe Renaissance ayant perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale lors du récent scrutin législatif et n’ayant pas la majorité au Sénat, une majorité doit être recherchée au sein de chaque assemblée sur le texte, avec une coalition indispensable avec d’autres groupes parlementaires.

La procédure de la commission mixte paritaire, qui est fréquemment utilisée en cas de désaccord entre les deux chambres lors de l’examen d’un texte ordinaire est interdite pour une révision constitutionnelle. Le texte doit donc faire la navette autant que nécessaire entre les deux chambres jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé, ou que le désaccord soit acté et que la procédure s’arrête.

Le 30 janvier 2024, les députés ont adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’IVG sans modification.

Le texte a été adopté dans les mêmes conditions le 28 février 2024 par les sénateurs.

Un accord a donc été trouvé par les deux chambres du Parlement sur ce texte.

Troisième et dernière étape, la révision constitutionnelle doit être adoptée définitivement. Deux procédures existent dans la Constitution : le référendum ou le Congrès, c’est-à-dire la réunion de l’ensemble des parlementaires à Versailles, dans l’hémicycle de l’aile du Midi du château.

Puisque l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution émane de l’exécutif, le Président de la République dispose d’un droit d’option : il peut soumettre le texte à référendum ou réunir le Congrès à Versailles pour le voter.

À la suite du vote concordant des deux assemblées sur le projet de loi constitutionnelle, le Président a convoqué le Congrès à Versailles pour le lundi 4 mars 2024.

Conformément à l’article 89 de la Constitution, un vote des 3/5e du Congrès devra entériner l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG au sein de l’article 34 la Constitution. Il y a 577 députés et 348 sénateurs. Le seuil de révision de la Constitution par le Congrès est donc fixé à 555 parlementaires au moins.

Si l’accord est trouvé au Congrès, l’inscription de la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution sera définitive. Seule une nouvelle révision constitutionnelle inverse pourrait la défaire à l’avenir.

Sous la Ve République, le référendum constituant n’a été utilisé qu’une seule fois en 2000 afin de faire passer le mandat présidentiel à cinq ans (quinquennat).

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française implique donc une procédure longue en trois étapes avec de multiples acteurs institutionnels devant tous donner leur accord et disposant chacun d’un droit de blocage : chaque chambre du Parlement et surtout les membres de l’opposition, ainsi que le Président de la République.

D’autres sujets pourraient à l’avenir donner lieu à une révision constitutionnelle sous le second quinquennat d’Emmanuel Macron : le statut de la Corse, la fin du droit du sol à Mayotte, l’extension du champ du référendum, etc.

Untitled 1Afin de répondre à la grave crise que traverse Mayotte, le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin en déplacement sur place a annoncé dimanche 11 février 2024 l’intention du gouvernement d’y supprimer purement et simplement le droit du sol. Mais est-ce possible juridiquement ?

On fait le point avec 10 questions juridiques qui se posent :

  • Qu’est-ce que le droit du sol ?
  • Quelle est la valeur juridique du droit du sol en France ?
  • Les règles du droit du sol sont-elles différentes à Mayotte ?
  • Le durcissement du droit du sol à Mayotte est-il constitutionnel ?
  • Peut-on supprimer le droit du sol à Mayotte ?
  • Comment supprimer le droit du sol à Mayotte ?
  • La suppression du droit du sol à Mayotte se heurte-t-elle à un principe constitutionnel ?
  • L’interdiction de l’apatridie peut-elle bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte ?
  • Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?
  • Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?


À retenir :

La suppression du droit du sol à Mayotte pourrait intervenir par la loi ou par une révision constitutionnelle.

Si la loi supprimait le droit du sol à Mayotte, elle serait probablement censurée par le Conseil constitutionnel, car cette suppression se heurte à la Constitution.

En revanche, si la suppression du droit du sol à Mayotte faisait l’objet d’une révision constitutionnelle, le Conseil constitutionnel ne pourrait pas se prononcer sur la question, car le pouvoir constituant est souverain. Même si cette suppression heurtait des principes fondamentaux, son inscription dans la Constitution par le constituant ne serait donc pas contestable.

La question est donc davantage morale, que juridique.

***

  1. Qu’est-ce que le droit du sol ?

Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il a en France sa résidence et s'il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d'au moins cinq ans, depuis l'âge de onze ans[1].

C’est ce que l’on appelle communément le droit du sol.

  1. Quelle est la valeur juridique du droit du sol en France ?

En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil[2], c’est-à-dire la loi française. Aucun traité international ni aucune disposition constitutionnelle ne protègent ce droit en France et le Conseil constitutionnel a refusé à ce jour de consacrer ce principe comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)[3].

Le droit du sol a donc une valeur législative en France.

  1. Les règles du droit du sol sont-elles différentes à Mayotte ?

Oui.

Le droit du sol a été spécifiquement durci à Mayotte depuis la Loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

Cette loi « asile et immigration » a ajouté une condition spécifique supplémentaire pour bénéficier du droit du sol à Mayotte : l’enfant né à Mayotte devra prouver, au moment de sa demande que l’un de ses parents était légalement sur le territoire français depuis au moins trois mois au moment de sa naissance pour pouvoir bénéficier de la nationalité française.

La Loi prévoit donc une condition supplémentaire pour bénéficier de la nationalité française par le droit du sol à Mayotte.

  1. Le durcissement du droit du sol à Mayotte est-il constitutionnel ?

Oui.

Les règles du droit du sol sont plus strictes à Mayotte qu’en métropole. Or la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose le principe d’égalité des citoyens devant la loi qui doit être « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse, tous les citoyens étant égaux à ses yeux »[4].

La question de la conformité à la Constitution du durcissement du droit du sol à Mayotte pouvait donc se poser.

Mais l’article 73 de la Constitution pose également depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer : « Dans les départements et les régions d'Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

Le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer permet donc de prévoir des dérogations aux conditions initiales du droit du sol spécifiques à Mayotte.

  1. Peut-on supprimer le droit du sol à Mayotte ?

Oui.

La question de la suppression du droit du sol à Mayotte est aussi sensible politiquement que délicate juridiquement. De nombreuses personnalités politiques ont en effet déjà proposé cette suppression par le passé, et en dernier lieu le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer le 11 février 2024, mais la question est juridiquement compliquée.

En l’état des textes applicables, le droit du sol n’est inscrit que dans le Code civil[5], c’est-à-dire la loi française. Le droit du sol n’est donc pas protégé par la Constitution à ce jour. Or suivant le principe du parallélisme des formes, ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Il suffirait donc que le législateur modifie le Code civil sur ce sujet.

Mais cette modification pourrait se heurter au Conseil constitutionnel, qui pourrait profiter de cette modification législative pour faire évoluer sa jurisprudence sur le droit du sol. Le Conseil constitutionnel a en effet toujours refusé à ce jour de consacrer le droit du sol comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR)[6]. Mais une nouvelle saisine sur une nouvelle loi offrirait la possibilité au Conseil constitutionnel de faire monter le droit du sol à l’échelon constitutionnel et de censurer la loi sur ce motif.

Seule une révision constitutionnelle permettrait donc de supprimer le droit du sol à Mayotte. Sur le plan théorique, rien ne s’oppose à ce que le constituant choisisse de réviser la Constitution en ce sens.

  1. Comment supprimer le droit du sol à Mayotte ?
Inscrire la suppression du droit du sol à Mayotte dans la Constitution française implique de réviser, c’est-à-dire modifier, le texte suprême. Cette procédure est très encadrée. La Constitution est un texte solennel qui ne doit en effet pas être modifié trop fréquemment et qui prévoit donc des limites procédurales.

C’est l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 qui organise la procédure de révision du texte avec 3 étapes :

  • L’initiative,
  • L’examen parlementaire,
  • Et l’approbation définitive.
Première étape, l'initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement, c’est-à-dire à chaque parlementaire.

Depuis 1958, les 24 révisions constitutionnelles étaient des projets de loi constitutionnelle, c’est-à-dire à l’initiative du pouvoir exécutif. Le dernier texte en date, à savoir le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) a également été adopté à l’initiative de l’exécutif. Il est également probable que le Président de la République prenne l’initiative, sur proposition du Premier ministre, de la suppression du droit du sol à Mayotte dans le cadre d’un projet de loi constitutionnelle.

Deuxième étape, le projet de loi constitutionnelle doit être voté par les deux assemblées en termes identiques. Ceci signifie que l’Assemblée nationale et le Sénat devront s’entendre sur un texte identique, à la virgule près, et qu’une majorité devra se dégager au sein de chaque assemblée pour voter le texte. Le sujet, très polémique, fera nécessairement débat au Parlement, d’autant plus qu’une majorité devra être recherchée au sein de chaque assemblée sur le texte, avec une coalition indispensable du parti présidentiel avec d’autres groupes parlementaires.

La procédure de la commission mixte paritaire, qui est fréquemment utilisée en cas de désaccord entre les deux chambres lors de l’examen d’un texte ordinaire est interdite pour une révision constitutionnelle. Le texte devra donc faire la navette autant que nécessaire entre les deux chambres jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé, ou que le désaccord soit acté et que la procédure s’arrête.

Troisième et dernière étape, la révision constitutionnelle devra enfin être adoptée définitivement. Deux procédures existent : le référendum ou le Congrès, qui est la réunion de l’ensemble des parlementaires à Versailles.

Si la suppression du droit du sol à Mayotte fait l’objet d’un projet de loi constitutionnelle, le Président de la République aura le choix : soit soumettre le texte à référendum ou réunir les parlementaires en Congrès à Versailles pour l'adoption définitive du texte à la majorité qualifiée des 3/5e. Ici encore, le parti présidentiel devra nécessairement trouver cette majorité en s’alliant avec d’autres groupes parlementaires, ce qui fera débat.

Si le Président de la République ne souhaite pas multiplier les réunions du Congrès, il pourra choisir de le réunir le même jour sur deux sujets, à savoir la constitutionnalisation de l’IVG et la suppression du droit du sol à Mayotte. Mais le choix est libre, et le chef de l’État pourra également soumettre l’un ou l’autre de ces sujets à référendum.

À la fin de cette procédure très encadrée, la suppression du droit du sol à Mayotte pourra être inscrite dans la Constitution française.

  1. La suppression du droit du sol à Mayotte se heurte-t-elle à un principe constitutionnel ?

Oui, mais…

La suppression du droit du sol à Mayotte pourrait se heurter à un principe constitutionnel.

En effet, l’article 73 de la Constitution pose depuis 2003 le principe de la différenciation territoriale en Outre-mer : « Dans les départements et les régions d'Outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

En l’état actuel de la rédaction du texte, les « adaptations » possibles ne semblent pas pouvoir inclure la suppression pure et simple du droit du sol. Cette suppression semble en effet aller bien au-delà de la seule « adaptation » visée dans le texte et, partant, viole l’article 73 de la Constitution.

La différenciation territoriale en Outre-mer ne semble donc pas pouvoir aller en l’état actuel de la rédaction de la Constitution jusqu’à la suppression du droit du sol à Mayotte.

Toutefois, et c’est le plus important, même si la suppression du droit du sol à Mayotte se heurte à ce principe constitutionnel, une révision de la Constitution, qui ne fera pas l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel, pourrait permettre d’outrepasser ce blocage.

  1. L’interdiction de l’apatridie peut-elle bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte ?

Non.

Aucune loi, disposition constitutionnelle, principes généraux du droit ou traités internationaux signés par la France ne lui interdit à ce jour juridiquement de créer des apatrides. La question est donc davantage morale, que juridique.

Si la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée sous forme de résolution de l'Assemblée générale des Nations unies en 1948 prévoit l’interdiction de l’apatridie, ce texte n’a pas de valeur juridique contraignante en France.

L’interdiction de l’apatridie ne peut donc pas bloquer la suppression du droit du sol à Mayotte en l’état des textes applicables.

  1. Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?
Oui.

Si la suppression du droit du sol à Mayotte est prévue par une simple modification législative du Code civil, le Conseil constitutionnel pourra être saisi :

  • Avant la promulgation de la loi par le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale, le Président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs[7];
  • Après la promulgation de la loi, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)[8] par tout justiciable ayant un intérêt légitime à contester la loi.
À l’occasion d’une telle saisine, le Conseil constitutionnel pourrait choisir de faire évoluer sa jurisprudence en consacrant le droit du sol comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR), ce qu’il a toujours refusé de faire à ce jour[9].

Si tel était le cas, la loi prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte serait censurée par le Conseil constitutionnel sur ce motif.

  1. Le Conseil constitutionnel peut-il censurer une révision constitutionnelle prévoyant la suppression du droit du sol à Mayotte ?

Non.

L’inscription de la suppression du droit du sol à Mayotte dans la Constitution française permettrait précisément de contourner le Conseil constitutionnel.

En effet, le Conseil constitutionnel n’intervient pas dans la procédure de révision de la Constitution prévue à l’article 89. Autrement formulé, la Constitution ne prévoit pas de contrôle de constitutionnalité automatique des projets de loi de révision constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel considère d’ailleurs à ce sujet que « le pouvoir constituant est souverain » et qu’il ne lui appartient donc pas de s’y substituer[10].

Les lois constitutionnelles échappent donc au contrôle de constitutionnalité.

La seule limite est fixée par le dernier alinéa de l’article 89 de la Constitution qui dispose que « La forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision », mais ceci ne concerne en rien la suppression du droit du sol à Mayotte.

Saisi d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil constitutionnel se déclarerait donc nécessairement incompétent à statuer sur cette question. La décision d’incompétence qui serait rendue pourrait toutefois donner l’opportunité au Conseil constitutionnel d’alerter sur les risques d’atteinte à l’identité constitutionnelle de la France et aux droits garantis par la Constitution, mais ne pourrait pas faire obstacle à la décision prise par le pouvoir constituant souverain.

Saisi pour avis d’un projet de révision constitutionnelle portant suppression du droit du sol à Mayotte, le Conseil d'État ne se gênerait pas de la même manière pour alerter l'exécutif sur ces mêmes risques, sans toutefois disposer de la possibilité juridique de bloquer l'adoption du texte puisque l'avis du Conseil d'État ne lie pas le constituant...

 

[1] Article 21-7 du Code civil

[2] Article 21-7 du Code civil

[3] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993

[4] Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

[5] Article 21-7 du Code civil

[6] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993

[7] Article 61 de la Constitution

[8] Article 61-1 de la Constitution

[9] Conseil constitutionnel, Décision n° 93-321 DC du 20 juillet 1993

[10] Conseil constitutionnel, Décision n° 92-312 DC du 2 septembre 1992



 

Untitled 1« Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé » (Marc 16 :16).

La débaptisation consiste, pour une personne baptisée, à renier son baptême et à demander à l’Église de revenir sur ce sacrement, généralement reçu à l’enfance. La demande, qui ne revêt pas de formalisme particulier, doit être adressée par écrit à la paroisse où le baptême a été célébré. Si l’Église catholique considère cette démarche comme un acte d’apostasie, elle ne s’y oppose pas et mentionne sur le registre de la paroisse une mention selon laquelle la personne « a renié son baptême ».

Cependant, la mention du baptême lui-même n’en est pas pour autant radiée des registres baptismaux. L’Église considère en effet le baptême comme une marque indélébile d’appartenance au Christ : s’il est possible de renier, pour des convictions personnelles, son appartenance à l’Église, il n’est pas pour autant possible d’effacer le passé, le sacrement ayant bien été reçu. Le nom de la personne baptisée figure donc pour toujours dans le registre paroissial.

Mais peut-on forcer juridiquement l’Église à effacer son nom du registre des baptêmes ? C’est la question qu’a eu à connaître le Conseil d’État le 2 février 2024.

Un particulier, M. B. a adressé au diocèse d'Angers une demande d’effacement de son nom du registre des baptêmes. Le diocèse s’étant contenté d’inscrire en marge du registre que le baptême avait été renié, l’intéressé a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d’une plainte en se fondant sur le droit d'accès aux données à caractère personnel et le RGPD européen.

La CNIL a considéré que l'apposition en marge du registre paroissial d'une mention selon laquelle M. B. ne reconnaissait pas la valeur de son baptême pouvait être regardée comme satisfaisant à l'exercice du droit de chacun d'opposition au traitement des données personnelles le concernant et a prononcé sur ce fondement la clôture de sa plainte.

M. B., très fâché contre l’Église, n’a pas souhaité en rester là et a saisi le Conseil d’État de la question.

Par une décision n°461093 du 2 février 2024 qui fera jurisprudence, le Conseil d’État a posé le principe selon lequel l’Église pouvait légalement refuser les demandes d’effacement du registre des baptêmes (CE, 2 février 2024, M. B. n°461093).

Selon le juge administratif, l’Église doit en effet pouvoir contrôler que le sacrement du baptême n’a été reçu qu’une seule fois dans la vie d’une personne (1) et le refus d’effacement du registre paroissial ne viole aucune des dispositions du RGPD européen (2).

  1. Le baptême ne peut être reçu qu'une seule fois dans la vie d'une personne, ce que l’Église doit pouvoir contrôler

En premier lieu, le Conseil d’État a rappelé que les registres des baptêmes tenus par l'Église catholique sont destinés à conserver la trace d'un événement qui, pour elle, constitue l'entrée dans la communauté chrétienne.

Le baptême, qui est la condition requise par l'Église catholique pour accéder notamment au mariage, ne peut être reçu, selon la foi catholique et l'organisation interne propre à ce culte, qu'une seule fois dans la vie d'une personne.

Or le juge administratif considère que l'effacement définitif de l'enregistrement d’un baptême pourrait faire obstacle au contrôle de cette exigence par l’Église dans l'hypothèse où l'intéressé, après avoir obtenu cet effacement, souhaiterait réintégrer la communauté chrétienne et notamment se marier religieusement.

L’Église est donc fondée à refuser l’effacement du registre paroissial sur ce premier fondement. Par ailleurs, le refus d’effacement du registre des baptêmes ne viole pas le RGPD européen selon le Conseil d’État.

  1. Le refus d’effacement du registre des baptêmes ne viole pas le RGPD européen

En deuxième lieu, le Conseil d’État considère qu’une demande d’effacement de baptême ne rentre dans aucune des hypothèses prévues par le RGPD européen permettant aux particuliers d’obtenir un effacement de leurs données personnelles.

Le RGPD européen permet aux particuliers qui s’en prévalent d’obtenir un effacement de leurs données personnelles :

  • si les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées d'une autre manière ;
  • si la personne concernée retire le consentement sur lequel est fondé le traitement ;
  • si la personne concernée s'oppose au traitement pour des raisons tenant à sa situation particulière, et qu'il n'existe pas de motif légitime impérieux pour le traitement prévalant sur ses intérêts et ses droits et libertés ;
  • si les données à caractère personnel ont fait l'objet d'un traitement illicite.

Le Conseil d’État considère que les données figurant sur les registres des baptêmes ne font pas l’objet d’un traitement illicite et que leur conservation est nécessaire à l’Église. Ces documents non dématérialisés ne sont en effet accessibles qu'aux intéressés pour les mentions qui les concernent, ainsi qu'aux ministres du culte et aux personnes œuvrant sous leur autorité, dans une finalité de suivi du parcours religieux des personnes baptisées et de l'établissement éventuel d'actes ultérieurs dans le cadre de l'administration du culte catholique.

Ces données ne sont pas accessibles à des tiers et les registres sont conservés dans un lieu clos, avant, au terme d'un délai de 120 ans, d'être versés aux archives historiques du diocèse.

Par ailleurs, le Conseil d’État a indiqué que la mention des données personnelles sur le registre des baptêmes n'est pas fondée sur le consentement de la personne baptisée et qu’une demande d’effacement de baptême ne peut donc pas se fonder sur un retrait de ce consentement.

Enfin, le Conseil d’État a jugé que l'intérêt qui s'attache, pour l'Église, à la conservation des données personnelles relatives au baptême figurant dans le registre, doit être regardé comme un motif légitime impérieux, prévalant sur l'intérêt moral du demandeur à demander que ces données soient définitivement effacées.

En définitive, le Conseil d’État considère que l’apposition sur le registre des baptêmes d’une mention selon laquelle la personne baptisée a fait valoir sa volonté de renoncer à tout lien avec la religion catholique est suffisante pour assurer le respect de ses données personnelles et que la mention du baptême intervenu par le passé est indispensable à la vie de l’Église.

Celui qui, comme Jésus, a été baptisé (Matthieu 3, 11-17) ne peut donc pas obtenir en justice de contraindre l’Église à effacer son nom du registre des baptêmes.

Untitled 1Par une décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a largement censuré la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration qui avait été adoptée dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat.

Cette décision rendue par le Conseil constitutionnel, qui censure 35 articles sur 86 soit plus d’un tiers pour des raisons de procédure et de fond, soulève de nombreuses questions :

1. Quelles sont les mesures de la loi immigration qui ont été validées ou censurées par le Conseil constitutionnel ?
2. Que vont devenir les « cavaliers législatifs » de la loi immigration censurés par le Conseil constitutionnel ?
3. Que vont devenir les 3 articles de la loi immigration censurés au fond par le Conseil constitutionnel ?
4. Que vont devenir les 2 articles de la loi immigration assortis de réserves d’interprétation ?
5. Que vont devenir les 10 articles de la loi immigration validés par le Conseil constitutionnel ?
6. La décision du Conseil constitutionnel est-elle susceptible de recours ?
7. L’exécutif peut-il passer outre la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi immigration ?
8. La décision rendue par le Conseil constitutionnel est-elle politique ?
9. La composition du Conseil constitutionnel est-elle politique ?
10. Le Conseil constitutionnel est-il devenu la troisième chambre du régime parlementaire et peut-on parler de « gouvernement des juges » ?

*** 

  1. Quelles sont les mesures de la loi immigration qui ont été validées ou censurées par le Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel a censuré 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, qui comptait 86 articles, pour un motif de procédure. C’est ce que l’on appelle des « cavaliers législatifs ».

Il a censuré en au fond, partiellement ou totalement, 3 des articles de la loi immigration.

Il a en outre assorti de réserves d’interprétation 2 autres articles de cette loi.

Enfin, il a déclaré partiellement ou totalement conformes à la Constitution 10 articles de la loi immigration.

  1. Que vont devenir les « cavaliers législatifs » de la loi immigration censurés par le Conseil constitutionnel ?

Le Conseil constitutionnel a censuré 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration en considérant qu’il s’agissait de « cavaliers législatifs ». Il s’agit, pour la plupart, des mesures qui avaient été ajoutées au texte initial par amendement par la droite au Parlement (limitation du regroupement familial, restriction sur les titres de séjour étudiants avec une nouvelle caution, restriction des prestations sociales, de l’AME, fin de l’automaticité du droit du sol pour les enfants d’étrangers nés en France, etc.).

Les cavaliers législatifs sont des dispositions étrangères, par leur nature, au domaine de la loi votée et donc irrégulièrement introduits en son sein pour des raisons d’opportunité.

Lorsqu’une disposition de la loi est considérée comme un « cavalier législatif », le Conseil constitutionnel la censure en considérant qu’elle n’avait rien à faire dans la loi en question.

C’est une raison de procédure qui a conduit le Conseil constitutionnel à considérer 32 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration comme des « cavaliers législatifs ». Les Sages ont en effet estimé que ces dispositions avaient été introduites dans la loi par des amendements, alors même qu’il n’y avait aucun lien entre l’objet de ces amendements et celui de l’une au moins des dispositions du texte initial de la loi déposé sur le bureau de la première assemblée saisie.

Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions ne pouvaient donc pas être votées au sein de la loi immigration, car elles n’avaient pas été envisagées dans le texte initial, mais rajoutées par la suite irrégulièrement dans le texte par voie d’amendement.

Mais attention, la censure de ces « cavaliers législatifs » ne préjuge pas de l’inconstitutionnalité des mesures qu’ils comportent. En effet, lorsqu’il écarte une disposition comme « cavalier législatif », il ne faut pas en déduire que le Conseil constitutionnel prononce l’inconstitutionnalité de la mesure. C’est un simple motif procédural de censure.

Les dispositions de la loi immigration écartées par le Conseil constitutionnel en tant que « cavaliers législatifs » pourraient donc tout à fait à l’avenir figurer dans un autre texte de loi voté par le Parlement… et sur lequel le Conseil constitutionnel pourrait à nouveau avoir à se prononcer.

Les 32 « cavaliers législatifs » écartés de la loi immigration par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024 pourront donc à l’avenir faire l’objet d’une nouvelle loi… à condition qu’une majorité vote le nouveau texte.

Le Président de la République pourrait également choisir de réintroduire ces mesures, mais par voie réglementaire et non législative. Le choix entre l’article 34 et l’article 37 de la Constitution n’est toutefois pas toujours possible et il faudra donc voir la rédaction modifiée, disposition par disposition, si cette option est choisie. Lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, le Président de la République a laissé entendre qu’il souhaitait privilégier la voie réglementaire à l’avenir, ne disposant plus de la majorité absolue au Parlement, donc cette option n’est pas à exclure pour certaines des dispositions censurées. Dans le cas d’un texte réglementaire qui reprendrait certaines des mesures, ce serait alors le Conseil d’État qui pourrait être amené à se prononcer sur leur constitutionnalité.

Enfin, un référendum est exclu en la matière, dans la mesure où l'article 11 de la Constitution ne prévoit pas la possibilité de soumettre au vote des français les projets de loi portant sur l'immigration... sauf à modifier la rédaction de cet article ce qui impliquerait une révision constitutionnelle.

  1. Que vont devenir les 3 articles de la loi immigration censurés au fond par le Conseil constitutionnel ?

Une disposition déclarée inconstitutionnelle au fond par le Conseil Constitutionnel ne peut être promulguée ni mise en application.

Les articles de la loi immigration qui ont été censurés au fond par le Conseil constitutionnel ne peuvent donc plus être promulgués tels quels par le Président de la République ni mis en application, à savoir :

  • l’article 1er de la loi immigration prévoyant la fixation par le Parlement du nombre d’étrangers autorisés à s’installer en France, à savoir les « quotas d’immigrés » ;
  • l’article 38 de la loi immigration autorisant le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d’un étranger sans son consentement.

Le Président de la République a donc désormais le choix entre trois possibilités :

  • soit abandonner ces dispositions ;
  • soit modifier la rédaction de ces deux articles pour les rendre conformes au bloc de constitutionnalité. Ceci implique toutefois de préparer un nouveau projet de loi et de recommencer intégralement une nouvelle procédure législative… en trouvant une majorité pour voter le texte. Il est par ailleurs loin d’être acquis qu’une nouvelle rédaction de ces dispositions serait suffisante pour les rendre constitutionnelles compte tenu de la décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 du Conseil constitutionnel ;
  • soit modifier la portée de ces deux articles et les faire adopter par voie réglementaire et non législative. Le choix entre l’article 34 et l’article 37 de la Constitution n’est toutefois pas toujours possible et il faudra donc voir la rédaction modifiée si cette option est choisie. Lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, le Président de la République a laissé entendre qu’il souhaitait privilégier la voie réglementaire à l’avenir, ne disposant plus de la majorité absolue au Parlement…
  1. Que vont devenir les 2 articles de la loi immigration assortis de réserves d’interprétation ?

Le Conseil constitutionnel a assorti de réserves d’interprétation la déclaration de conformité à la Constitution des articles 14 (restriction pendant un an des nouvelles demandes d’admission au séjour après un premier refus) et 42 (sur la durée de l’assignation à résidence) de la loi immigration.

Les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel ne bloquent pas la promulgation du texte ni son entrée en vigueur. En revanche, elles bénéficient de l’autorité de la chose interprétée et se trouvent en quelque sorte incorporées à la loi.

Les articles 14 et 42 de la loi immigration pourront donc être promulgués par le Président de la République et pourront entrer en vigueur, mais seulement dans le sens que leur a donné le Conseil constitutionnel. Ceci est en général explicité dans les circulaires d’application de la loi, qui reprennent l’interprétation impérative donnée par le Conseil constitutionnel.

  1. Que vont devenir les 10 articles de la loi immigration validés par le Conseil constitutionnel ?

La saisine du Conseil constitutionnel suspend le délai de promulgation de la loi (article 61 de la Constitution). La loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration ne pouvait donc pas être promulguée par le Président de la République jusqu’à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024.

En revanche, une fois que le Conseil constitutionnel a rendu sa décision, les articles validés par les Sages peuvent à nouveau être promulgués par le Président de la République en application de l’article 10 de la Constitution.

Le Président de la République est donc libre de promulguer les 10 articles de la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration qui ont été validés par le Conseil constitutionnel le 25 janvier 2024. La publication des 10 articles de la loi au Journal officiel de la République française (JORF) permettra ensuite leur entrée en vigueur.

  1. La décision du Conseil constitutionnel est-elle susceptible de recours ?

Non.

En application de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours.

La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est donc définitive et n’est susceptible d’aucun recours.

  1. L’exécutif peut-il passer outre la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi immigration ?

Non.

En application de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration s'impose donc dans toutes ses dispositions aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

L’exécutif ne peut donc pas passer outre la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi immigration et est tenu de la respecter.

  1. La décision rendue par le Conseil constitutionnel est-elle politique ?

Non.

La décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est fondée en droit et n’est pas politisée.

Ceci signifie qu’un motif juridique figure au sein de la décision rendue par le Conseil constitutionnel pour censurer tel ou tel article de la loi, le valider ou émettre une réserve d’interprétation.

Les censures au fond des articles de la loi immigration ont été fondées en droit par le Conseil constitutionnel :

  • l’article 1er de la loi immigration prévoyant la fixation par le Parlement du nombre d’étrangers autorisés à s’installer en France, à savoir les « quotas d’immigrés » viole selon le Conseil constitutionnel la maîtrise de l’ordre du jour par les assemblées et le Gouvernement qui résulte de l’article 48 de la Constitution
  • l’article 38 de la loi immigration autorisant le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d’un étranger sans son consentement prive selon le Conseil constitutionnel l’étranger de garanties suffisantes dans la mesure où la présence de l’avocat n’est pas prévue par le texte qui ne prévoit pas également l’autorisation nécessaire du procureur de la République ni la démonstration indispensable qu’elles constituent l’unique moyen d’identifier la personne qui refuse de s’y soumettre.

De la même manière, les censures des articles de la loi immigration pour un motif procédural « les cavaliers législatifs » sont fondés en droit sur la violation du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution qui dispose que « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ».

Ce sont donc des motifs juridiques qui ont permis au Conseil constitutionnel de censurer au fond et pour une raison de procédure des dispositions de la loi immigration.

  1. La composition du Conseil constitutionnel est-elle politique ?

Non.

Le Conseil constitutionnel ne s’occupe pas de politique. La loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est un texte de loi parmi tant d’autres sur lesquels le Conseil est amené à se prononcer.

L’indépendance du Conseil constitutionnel est parfaitement garantie par sa composition, puisque c’est un organe collégial de neuf membres d’horizons divers.

Le mandat des Sages dure neuf ans et n’est pas renouvelable ce qui est un gage supplémentaire d’indépendance (article 56 de la Constitution). La durée des fonctions excède en effet le quinquennat présidentiel et le Sage nommé n’a pas d’intérêt à chercher à plaire à l’autorité de nomination puisque ses fonctions ne peuvent pas être renouvelées.

De plus, le pouvoir de nomination est dilué, c’est-à-dire que ce n’est pas la même personne qui nomme tous les membres du Conseil constitutionnel, mais trois autorités différentes, à savoir le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat qui nomment chacun trois membres. Le Conseil n’est donc à la main ni à l’image de personne, d’autant plus qu’il n’est jamais intégralement renouvelé, mais que le renouvellement des membres s’opère par tiers tous les trois ans (article 56 de la Constitution).

Des politiques siègent au sein du Conseil constitutionnel : Laurent Fabius nommé par François Hollande, Alain Juppé nommé par Richard Ferrand, Jacques Mézard et Jacqueline Gourault nommés par Emmanuel Macron. Mais ces politiques, qui ne représentent pas la majorité des Sages, représentent des sensibilités politiques différentes : le parti socialiste, les républicains, le parti radical de gauche et la République en marche.

Les Sages de la rue Montpensier jugent en droit et ne s’occupent pas de politique, leur contrôle de la norme inférieure par rapport à la norme supérieure est dit « abstrait » c’est-à-dire de droit pur. Ils doivent ainsi confronter les dispositions législatives aux droits et libertés que la Constitution garantit, à savoir depuis 1971 la Constitution du 4 octobre 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et la Charte de l’environnement de 2004 (Conseil Constitutionnel, Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971).

La Constitution de la Ve République garantit l’indépendance absolue de ses gardiens, qu’importe le sujet traité, et tout le reste est littérature.

  1. Le Conseil constitutionnel est-il devenu la troisième chambre du régime parlementaire et peut-on parler de « gouvernement des juges » ?

Lors de la cérémonie des vœux le 8 janvier 2024, le président du Conseil constitutionnel Laurent Fabius a utilisé la formule suivante « Le Conseil constitutionnel n’est ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement, mais le juge de la constitutionnalité des lois ».

La question du Conseil constitutionnel comme une troisième chambre, de fait, du régime parlementaire peut en effet se poser. Des éléments interrogent les juristes.

Le 19 décembre 2023, lors du débat parlementaire au Sénat, le ministre de l’Intérieur a déclaré lui-même au sujet de la loi immigration, avant le vote de la loi « Des mesures sont manifestement et clairement contraires à la Constitution. Le travail du Conseil constitutionnel fera son office, mais la politique ce n’est pas être juriste avant les juristes ».

Par ailleurs, si l’article 61 de la Constitution autorise parfaitement le Président de la République à saisir lui-même le Conseil constitutionnel, ce type de saisine est rare, surtout sur son propre texte. Or le 21 décembre 2023, c’est le Président de la République lui-même qui a saisi le Conseil constitutionnel sur sa propre loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, conduisant à la décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024 prononçant une large censure.

Ces éléments font penser que l’exécutif, qui ne dispose plus de la majorité absolue au Parlement depuis les élections législatives de 2022, s’est appuyé sur la droite parlementaire pour élargir sa majorité sur le texte en acceptant des amendements qu’il savait inconstitutionnels. En censurant largement les amendements venus de la droite, pour des motifs certes juridiques, le Conseil constitutionnel a tout e même redonné à la loi immigration sa rédaction initiale, c’est-à-dire celle qui était voulue par la majorité présidentielle. Tout en restant dans son rôle de juge de la constitutionnalité des lois, le Conseil constitutionnel s’est donc de facto comporté comme une troisième chambre, en donnant sa rédaction définitive au texte de loi. Il est indéniable que l’exécutif a utilisé la saisine du juge constitutionnel pour parvenir à ce résultat, ce qui ne restera certainement pas sans conséquence.

En effet, il est incertain à l’avenir que la majorité présidentielle parvienne à trouver un accord avec l’opposition de droite pour faire voter d’autres textes législatifs, l’opposition pouvant estimer avoir été manipulée sur la loi immigration avec la censure finale de toutes les dispositions qu’elle avait proposées. Par ailleurs, l’opinion publique pourrait juger sévèrement la saisine du Conseil constitutionnel dans une finalité autre qu’un contrôle impartial de constitutionnalité et y voir un détournement de procédure. Enfin le risque d’une impression de « gouvernement des juges » n’est jamais à sous-estimer en démocratie, alors même que le Conseil constitutionnel remplit de manière exemplaire sa mission de juge de la constitutionnalité des lois, sans aucune considération politique.

Untitled 1Le mardi 19 décembre 2023, le Parlement a définitivement adopté le projet de loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration après l’accord trouvé le même jour en commission mixte paritaire.

L’adoption du texte a suscité une forte polémique. À tel point que le Président de la République a annoncé qu’il allait saisir lui-même le Conseil constitutionnel pour en contrôler la constitutionnalité dans le délai d’un mois, comme la Constitution le lui permet. Dans l’attente de la décision du Conseil, la promulgation de la loi est suspendue.

Afin de manifester leur opposition à la « loi immigration », de nombreux présidents de départements se revendiquant à gauche ont annoncé dans un communiqué qu’ils refuseraient d’en appliquer les mesures. La maire de Paris a également publié un communiqué dans le même sens.

Mais est-ce bien possible ? Les collectivités territoriales peuvent-elles s’abstenir d’appliquer la loi ?

La réponse juridique est aussi simple qu’évidente : c’est non.

La Constitution française pose le principe d’une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Si son organisation est décentralisée, elle est aussi déconcentrée. Ceci signifie que la France n’est pas un État fédéral comme les Etats-Unis et que la loi, quelle qu’elle soit, est la même pour tous sur l’ensemble du territoire.

Une collectivité territoriale ne peut donc pas s’abstenir d’appliquer une disposition législative avec laquelle elle serait en désaccord. Si tel était le cas, l’autorité déconcentrée à savoir le préfet dispose du pouvoir de l’y contraindre : c’est le contrôle de légalité. Tous les actes des collectivités territoriales doivent ainsi être conformes à la loi et à toutes les lois.

Si un conseil départemental venait à adopter un dispositif d’aides sociales contraire à la législation nationale, qui inclut désormais la loi pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration votée le 19 décembre 2023, le préfet, qui a la charge du respect des lois, pourrait déférer cette disposition locale au tribunal administratif de ressort qui annulerait la mesure. Le juge administratif pourrait également enjoindre à la collectivité de respecter la loi votée sous astreinte, voire engager sa responsabilité financière.

Il est donc clair, quel que soit le sujet, que les collectivités territoriales ne peuvent pas faire le tri dans les mesures législatives qu’elles choisiraient ou pas d’appliquer : c’est la hiérarchie des normes. Peu importe les désaccords politiques.

Il existe des précédents en la matière. Par exemple, le tribunal administratif a déjà condamné la maire de Paris qui refusait d'appliquer le régime légal des 35 heures dans sa collectivité. Le dispositif a été annulé de manière définitive par le tribunal administratif de Paris en avril 2022 (Le Monde).

D’autres dispositions existent également pour s’assurer que les collectivités territoriales appliquent bien les lois votées par le Parlement.

Un maire qui refuserait d’appliquer une loi française risque la suspension de ses fonctions par arrêté ministériel, voire la révocation par décret en conseil des ministres en application du code général des collectivités territoriales[1]. Peu importe que ce maire soit à la tête d’un petit village ou de la capitale, encore une fois, la loi est la même pour tous.

Enfin, une infraction d’échec à l’exécution de la loi existe dans le code pénal, qui dispose que « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende »[2]. Il faut tout de même relever que ce délit est difficile à caractériser et donc rarement appliqué.

Une collectivité territoriale ne peut donc pas refuser d’appliquer une mesure législative, nonobstant ses désaccords politiques avec le pouvoir législatif. C’est une question de hiérarchie des normes et de maintien du caractère unitaire de la Nation.

Depuis les vagues de décentralisation, les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. Cependant, cette autonomie ne leur permet pas de s’affranchir de l’application nationale des dispositions législatives.

Si les lois étaient d’application différenciée sur le territoire, la France basculerait dans le fédéralisme, ce qui est contraire à la Constitution.

 

[1] Article L. 2122-16 du CGCT

[2] Article 432-1 du Code pénal

Untitled 1Le maire de la ville provençale de Marignane a décidé d’imposer par une note de service le menu unique à la cantine scolaire, sans possibilité de différenciation. Ceci signifie que, lorsque la viande est au menu du jour à la cantine, les agents de restauration ont l’obligation de la servir à tous les élèves sans exception, qu’importe leur régime alimentaire ou leurs convictions religieuses (Le Figaro).

Le maire de Marignane a invoqué le principe de laïcité pour imposer le menu unique à la cantine scolaire. Mais est-ce bien légal ?

La décision du maire de Marignane d’imposer la viande à tous les élèves à la cantine scolaire lorsqu’elle est au menu du jour revient en pratique à interdire le menu de substitution. Le menu de substitution est un menu préparé pour certains élèves ne consommant pas certains aliments pour des raisons personnelles ou religieuses.

Le Conseil d’État s’est déjà prononcé sur la question des menus de substitution à la cantine scolaire, en jugeant qu’ils n’étaient ni obligatoires ni interdits (CE, 11 décembre 2020, n°426483).

Précisément, le juge administratif a décidé que ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que des repas de substitution soient proposés à la cantine scolaire, sans toutefois que les élèves soient en droit de les exiger.

L'article 1er de la Constitution interdit en effet à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes.

Cependant, dans la même décision, le Conseil d’État a décidé que, lorsque les communes définissent ou redéfinissent les règles d'organisation du service public de restauration scolaire, il leur appartient de prendre en compte l'intérêt général qui s'attache à ce que tous les enfants puissent bénéficier de ce service public, au regard des exigences du bon fonctionnement du service et des moyens humains et financiers dont disposent ces collectivités.

Le plus important pour le juge administratif est donc que les règles d'organisation du service public de restauration scolaire permettent à tous les élèves de bénéficier du service, sans discrimination.

À Marignane, le maire va au-delà de l’interdiction du menu de substitution en donnant consigne aux agents de restauration de servir la viande dans l’assiette lorsqu’elle est au menu (unique) du jour. En application de cette règle, les élèves ne peuvent donc plus demander que la viande ne leur soit pas servie, tout en conservant les autres composantes du menu comme les légumes.

Cette nouvelle règle posée à la cantine scolaire de Marignane est donc trop excluante pour être légale compte tenu des règles rappelées par le Conseil d’État en la matière. La viande imposée dans l’assiette exclut trop d’élèves du service public, comme les végétariens ou les élèves ayant des convictions religieuses, pour être conforme. En outre, elle conduit en pratique à un gaspillage alimentaire qu’il est difficile de défendre.

On peut donc conclure à l’illégalité de la note de service par laquelle le maire de la ville provençale de Marignane a décidé d’imposer le menu unique à la cantine scolaire, sans possibilité de différenciation. Encore faudrait-il que le juge administratif soit saisi de la question par un élève, un parent d’élève, un syndicat ou une association.

Le maire de la ville provençale de Marignane a décidé d’imposer par une note de service le menu unique à la cantine scolaire, sans possibilité de différenciation. Ceci signifie que, lorsque la viande est au menu du jour à la cantine, les agents de restauration ont l’obligation de la servir à tous les élèves sans exception, qu’importe leur régime alimentaire ou leurs convictions religieuses.

Untitled 1Certains exploitants agricoles souhaitent développer une activité accessoire de gîtes et chambres d’hôtes afin de bénéficier d’un complément de revenus en se positionnant sur le tourisme vert. C’est une diversification intéressante qui présente également l’avantage de valoriser l’exploitation. Mais est-ce toujours possible ?

Ce n’est que par exception qu’une activité de gîtes ou de chambres d’hôtes peut être autorisée en zone agricole, car il ne s’agit pas de sa vocation principale.

L’hypothèse est en général celle de la transformation d'anciens locaux agricoles situés dans une exploitation existante en gîtes ou chambres d’hôtes (souvent par changement de destination) ou l’extension du corps d’habitation de l’exploitation à vocation de gîtes ou de chambres d’hôtes après obtention d’une autorisation d’urbanisme à cet effet.

Les textes d’urbanisme applicables retiennent souvent la formule « lié à l’exploitation agricole » pour autoriser par exception une activité de gîtes ou de chambres d’hôtes en zone agricole. Si le lien avec l’exploitation agricole n’est pas démontré, alors l’activité accessoire ne sera pas autorisée.

Il faut donc bien comprendre ce que signifie un gîte ou une chambre d’hôtes lié à une exploitation agricole, car cette formulation est ambiguë.

Le ministre de l’Équipement, des transports et du logement a apporté la première réponse suivante sur le sujet en 2002[1] :

« L'article R. 123-7 nouveau du code de l'urbanisme prévoit que, dans les zones agricoles dorénavant dites zones « A », « seules sont autorisées les constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif et à l'exploitation agricole ». Ces dispositions n'excluent pas la réalisation d'aménagements accessoires tels que des gîtes ruraux, un local sur le lieu de l'exploitation pour permettre la vente des produits de la ferme..., dans la mesure où ces activités sont directement liées à l'exploitation agricole et en demeurent l'accessoire. Ainsi, la transformation d'anciens locaux agricoles situés dans une exploitation existante demeure possible. En revanche, le réaménagement des bâtiments après la cessation de l'activité de l'exploitation agricole aboutit à créer, en réalité, un hameau nouveau non agricole et n'est possible qu'après classement de ce hameau dans une zone naturelle « N », adaptée à ce type d'aménagement. »

« Lié à l’exploitation agricole » signifie donc ici, pour le ministre, l’accessoire d’une exploitation agricole.

Dans le cadre d’autres réponses ministérielles, le ministre de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt a précisé en 2006[2] puis en 2015[3] sur le sujet que « l'opération ne (doit pas) compromettre l'activité agricole ou la qualité paysagère du site ».

L’activité doit donc être l’accessoire d’une exploitation agricole et ne pas compromettre cette activité ou la qualité paysagère du site.

La justice administrative a également été conduite à traiter le point, à l’occasion de litiges dont elle était saisie.

En 2007, le Conseil d’État a jugé illégal un permis de construire portant sur la construction d’un gîte rural au sein d’une exploitation agricole. Ce projet n’a pas été considéré comme nécessaire à une exploitation agricole, quand bien même les ressources procurées par ce gîte auraient été utiles, voire indispensables, à l’équilibre économique de l’exploitation[4] :

« Considérant qu'alors même que les ressources procurées par un gîte rural seraient utiles, voire indispensables, à l'équilibre économique d'une exploitation agricole, la construction d'un édifice hôtelier ne peut être regardée comme nécessaire à cette exploitation au sens du code de l'urbanisme »

Cette jurisprudence de la plus haute juridiction administrative française fragilise considérablement la lecture suivant laquelle le lien à l’exploitation agricole pourrait être un lien strictement économique : pour le Conseil d’État, ce n’est pas le sens consacré au sens des textes applicables en matière d’urbanisme. Il s’agissait, dans le cas d’espèce, de la construction d’un gîte rural avec une activité principale d’éleveur de brebis et d’agneaux et de production de fruits et de légumes.

L’opération ne doit donc pas être strictement économique pour l’exploitation agricole.

En 2008, le ministre de l’Agriculture a encore précisé : « il ne suffit pas qu’une construction soit liée à l’activité agricole pour qu’elle soit autorisée dans ces zones, il faut encore qu’elle soit nécessaire à l’exploitation et que son implantation soit liée au type d’exploitation. Le fait que la législation autorise les agriculteurs à diversifier leurs exploitations ne conduit pas à autoriser la construction, par des agriculteurs, de bâtiments qui ne sont pas affectés à l’exploitation agricole dans ces zones »[5].

Pour aller plus loin, l’article L. 311-1 du code rural définit comme agricoles « toutes les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation ».

La Cour de cassation a pu considérer sur cette base que, lorsque la prestation se limite à l’hébergement et bien que le gîte soit installé dans les locaux d’une ferme, l’exploitation agricole n’est pas le support de cette structure d’activité touristique[6] :

« attendu que la cour d'appel, ayant constaté que la prestation des époux X... envers leurs locataires se limitait à l'hébergement, a pu en déduire, bien que le gîte soit installé dans les locaux de la ferme, que l'exploitation agricole n'était pas le support de cette structure d'accueil touristique au sens de l'article 1144.1° du Code rural ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision »


Le lien avec l’exploitation doit donc s’entendre comme fonctionnel, c’est-à-dire que le gîte ou la chambre d’hôtes doit être le prolongement de l’exploitation agricole, en restant son accessoire.

Au sens du droit de l’urbanisme, le gîte ou la chambre d’hôtes doit donc rester le prétexte à accueillir des visiteurs sur l’exploitation pour la leur faire découvrir ou commercialiser ses produits, sans avoir de vocation propre d’hôtellerie dépourvue de tout lien avec l’exploitation.

Le fait d’avoir la qualité d’exploitant agricole ne suffit pas pour justifier d’un gîte ou de chambres d’hôtes sur son exploitation agricole : il doit y avoir une complémentarité entre l’activité de gîte rural ou de chambre d’hôtes et l’activité de l’exploitant agricole, qui doit pouvoir être démontrée au besoin.

L’opération ne doit enfin pas être strictement économique pour l’exploitation agricole pour pouvoir être autorisée.


La lecture consacrée en la matière est nationale, avec le ministre et les juridictions.

Mais chaque commune ou intercommunalité peut décider dans le cadre de son propre document d’urbanisme d’adopter une lecture plus souple ou plus sévère, suivant les particularismes locaux.

Il est donc indispensable d’étudier les textes d’urbanisme applicables dans la zone concernée avant d’envisager développer une activité accessoire de gîtes et chambres d’hôtes liés à une exploitation agricole.

 


[1] Réponse ministérielle à question écrite n° 38140 (M. Dupont) JO Sénat Q 2 mai 2002, p. 1305

[2] Réponse du Ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, JO Sénat du 19/01/2006, p. 174

[3] Réponse ministérielle à question écrite n° 80006 (M. Breton) JOAN Q 29 septembre 2015, p. 7434

[4] CE, 14 février 2007, n° 282398

[5] Rép. Min à la QE n°12448 –JOAN 15 janvier 2008 page 351

[6] Cour de Cassation, 21 novembre 1996, n° 94- 21765 MSA / Epoux Bauchau

Untitled 1La Constitution offre au Président de la République deux outils pour répondre à une Assemblée frondeuse qui refuse de voter ses projets de lois : la dissolution et le référendum. En abandonnant progressivement l'usage de ces outils sous la Ve République, le Président s'est affaibli tout seul face à un pouvoir législatif qui s'affirme.

« Quand la France aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre »
. C’est ainsi que Gambetta avait prévenu Mac-Mahon à la suite de la dissolution de la Chambre pour trouver une issue à la crise du 16 mai 1877.

Le lundi 11 décembre 2023, l’Assemblée nationale a adopté par 270 voix contre 265 une motion de rejet préalable au projet de loi immigration présenté pour le gouvernement par le ministre Gérald Darmanin.

Cette configuration n’a rien d’extraordinaire depuis les élections législatives des 12 et 19 juin 2022, puisque la majorité parlementaire issue des urnes n’est que relative. Le parti majoritaire est depuis lors obligé de former des coalitions de circonstance, texte par texte.

Or il est très improbable de réussir à former des majorités sur tous les textes présentés par le gouvernement sur l’intégralité de la législature. D’autant plus que l’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution est limité à un texte de loi par session, sauf pour les projets de loi de finances ainsi que des projets de loi de financement de la sécurité sociale.

Le rejet du projet de loi immigration le 11 décembre 2023 par l’Assemblée nationale est donc logique. D’autres textes seront nécessairement bloqués de la même manière dans le futur par une Assemblée frondeuse : tous les textes de loi ne font pas consensus.

Alors comment résoudre une telle crise institutionnelle ?

L'article 12 de la Constitution autorise le président de la République à prononcer la dissolution de l'Assemblée nationale après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées.

La dissolution a pour effet de mettre immédiatement un terme anticipé au mandat des députés et de les renvoyer devant les électeurs. Dans ce cas, les élections générales ont lieu 20 jours au moins et 40 jours au plus après la dissolution.

Si cette arme présidentielle n’a plus été utilisée depuis la dissolution ratée de 1997, dont la paternité est souvent attribuée à Dominique de Villepin alors secrétaire général de l'Élysée, elle n’en demeure pas moins la seule à la disposition du Président pour essayer de retrouver une majorité parlementaire solide, dans le respect de la séparation des pouvoirs.

Le rejet d’un projet de loi important comme le projet de loi « Darmanin » sur l’immigration est une provocation du pouvoir législatif sur l’exécutif. S’il ne veut pas prendre le risque de l’immobilisme jusqu’à la fin de son second quinquennat, le Président de la République sera donc contraint d’envisager de dissoudre la Chambre basse dans un futur proche.

À défaut, la crise institutionnelle ne fera que s’aggraver texte par texte, avec le risque d’une inertie des pouvoirs publics. Sauf à utiliser le référendum qui fait du peuple « le législateur d'un jour », selon la belle expression du général de Gaulle…

Page 1 sur 15

PODCASTs

écoutez-moi sur :

Soundcloud 

iTunes

INTERVENtions PRESSE

- Le Progrès (19/02/2024)
- France 2 (12/02/2024)
- BFMTV (12/02/2024)
- BFMTV (11/02/2024)
- Independent Arabia (26/01/2024)
- Le Progrès (14/01/2024)
- Independent Arabia (16/12/2023)
- Le Progrès (15/10/2023)
- Independent Arabia (31/08/2023)
- Franceinfo (28/08/2023)
- Europe 1 (18/07/2023)
- Amnesty International (04/07/2023)
- Franceinfo (02/07/2023)
- Le Progrès (28/06/2023)
- Le Figaro (04/05/2023)
- Actu Paris (04/05/2023)
- BFMTV (23/04/2023)
- Le Point (01/02/2023)
- Ouest France (31/01/2023)
- Sud Radio (30/01/2023)
- Radio classique (19/01/2023)
- Le Figaro (17/01/2023)
- Le Parisien (14/01/2023)
- Le Progrès (06/01/2023)
- Ouest France (23/12/2022)
- France 3 (17/12/2022)
- France 3 (10/12/2022)
- Le Progrès (08/12/2022)
- Le Progrès (22/11/2022)
- Sud Radio (18/10/2022)
- TF1 (08/10/2022)
- Ouest France (01/10/2022)
- Le Progrès (22/09/22)
- Le JDD (11/09/22)
- BFMTV (03/09/22)
- Ouest France (01/09/22)
- Le Parisien (01/09/22)
- BFMTV (08/08/22)

- BFMTV (08/08/22)
- Libération (06/08/22)
- Tout sur mes finances (18/07/22)
- Ouest France (13/07/22)
- 20 Minutes (09/05/22)
- Le Figaro (06/07/21)
- Radio classique (11/06/21)
- Ouest France (04/06/21)
- Marianne (03/06/21)
- TV France 3 (20/05/21)
- TV France 3 (21/11/20)
- Franceinfo (23/11/20)
- L'Écho républicain (03/11/20)
- Pépère news (02/11/20)
- Franceinfo (15/09/20)
- Le JDD (30/08/20)
- Causeur (22/05/20)
- Challenges (27/04/20)
- Libération (04/03/20)
- Acteurs publics (04/03/20)
- Acteurs publics (03/03/20)
- Le JDD (07/01/20)
- Sud Radio (05/12/19)
- UCLy (06/12/19)
- Causeur (01/12/19)
- Le Parisien (01/11/19)
- La voix du Nord (07/08/19)
- France info (16/07/19)
- Ouest France (06/07/19)
- LCI (04/05/19)
- Le Figaro (29/04/19)
- Libération (10/04/19)
- Libération (25/03/19)
- TV 20H RT France (10/01/19)
- Capital (04/01/19)
- Le Parisien (03/01/19)
- LCI (03/01/19)
- Causeur (12/12/18)
- Ouest France (16/11/18)
- Causeur (25/10/18)
- Causeur (17/10/18)
- Le Figaro (28/09/18)
- Causeur (03/07/18)
- TV Franceinfo (09/05/18)
- La Croix (03/05/18)
- Franceinfo (02/05/18)
- Causeur (27/10/17)
- Ouest France (19/06/17)
- 20 minutes (07/06/17)
Le Monde (10/03/17)
- Causeur (16/03/17)
- RTBF (04/04/17)
Politis (13/03/17)
- L'Express (12/10/16)
- Radio Classique (04/10/16)
TV France 24 (27/08/16)
- Le Parisien (27/08/16)
L'Express (26/08/16)
- RMC (21/06/16)
- La Tribune de Lyon (03/12/15)
- La semaine juridique JCPA (31/08/15)
- L'Express (26/02/14)
20 Minutes (06/01/14)
- La Revue des Droits de l'Homme

Suivez-moi sur